Les paysages peuvent être riches en enseignements. Prenez par exemple les passages à niveau qui peuplent nos campagnes. On y retrouve un panneau portant une inscription quasi-philosophique : « Un train peut en cacher un autre ». Il y a bien des façons de l’aborder, et on ne comprend la chose dans sa totalité que quand on assiste à la scène génératrice de danger que le dit-écriteau veut prévenir. Si l’on torture la phrase comme j’aime tant le faire, notre imagination peut nous porter à penser que la compagnie de chemin de fer souhaite nous transmettre un message profond, comme si les choses n’étaient pas tout à fait ce qu’elles paraissent, que les mouvements de la vie peuvent occulter l’essence même des chemins tracés autour de nous. Au final, si on le lit dans ce sens, nous intégrons un enseignement bien plus riche que prévu… car à l’inverse de celles présentes sur la voie ferrée, aucune barrière ne nous arrête quand il s’agit d’aller au devant des ennuis causés par un manque de recul et de clairvoyance.
Les boulangeries du Quartier du Pain et de Lalos Paris (mis à part celle détenue en association avec Milton Danchin à La Garenne Colombes) sont passées depuis quelques jours sous l’enseigne Le Grenier à Pain. Si le nom de Michel Galloyer est mis en avant sur les devantures, cette reprise en mains cache en réalité la prise de contrôle du réseau par une nouvelle direction, accompagnée par le fond Pléiade Investissement. L’entreprise est à présent menée par Carlos Verkaeren, ex-PDG des biscuiteries Poult. Son objectif est de continuer dans les mois à venir le développement de la marque créée à Angers il y a une vingtaine d’année.
Frédéric Lalos conserve son atelier de production situé à Sèvres, où il continuera à fournir les professionnels. Le Meilleur Ouvrier de France abandonne ainsi sa vitrine parisienne, affectée ces derniers mois par le départ de plusieurs de ses « piliers » vers d’autres horizons, à l’image de Damien Dedun (parti développer la formation Boulangerie de l’Ecole de Ferrières) ou de Franck Debray (parti chez Thierry Marx Bakery). Cela signe en quelque sorte la fin d’une « génération Lalos » : de nombreux professionnels talentueux qui peuplent la profession sont passés par les fournils de l’artisan et y ont acquis un savoir-faire riche, porté aussi bien sur le pain que la viennoiserie. Si l’on peut être en désaccord avec certains choix de l’homme en terme d’associations et de valeurs, il faut reconnaître la valeur de cet effort de transmission.
C’est tout aussi vrai pour la participation au renouveau qualitatif de la boulangerie parisienne, auquel l’enseigne Le Quartier du Pain a participé dès le début des années 2000. Accompagné de Pierre-Marie Gagneux, ils ont développé la marque, devenue progressivement « Lalos Paris », jusqu’à atteindre les 7 points de vente. Cette acquisition participe au mouvement de concentration observé ces derniers années, et aboutit à toujours plus d’uniformité en terme de produits et de gammes. En effet, en installant la nouvelle enseigne, le Grenier à Pain a rationalisé les propositions en reprenant ses standards, assez différents de ceux proposés jusqu’alors dans les boutiques, peu ou pas remaniées pour le moment par ailleurs. Le levain naturel ne semble pas être privilégié dans les fournils, de même que l’emploi de farines Biologiques et/ou de Meule, pourtant de plus en plus communes en boulangerie artisanale.
La volonté affichée de continuer le développement, et peut être les acquisitions, n’est pas sans poser un certain nombre de questions : comment l’entrepreneur, jusqu’alors baigné dans une culture plutôt industrielle de par ses responsabilités en biscuiterie, compte-t-il mener son projet ? Parviendra-t-il à fédérer autour de lui des ressources humaines solides et aptes à structurer l’expansion comme c’est nécessaire dans ce genre de projet ? Passer derrière un personnage emblématique comme Michel Galloyer, et Frédéric Lalos pour les boutiques fraichement acquises, n’est pas non plus une mince affaire. Toutes ces inconnues seront à observer et à suivre dans les mois à venir… et pour cela, pas question de rester au grenier, cela se passera bel et bien sur le terrain !
Il y a des dizaines de façons de regarder une vitrine. Ce n’est sans doute pas le sujet auquel on porte le plus d’attention, mais pourtant, selon notre âge, notre sexe, nos attentes, nos envies, le lieu, le contexte, la saison… et le contenu de la dite vitrine, elle pourra susciter l’envie, le rêve, le dédain, le dégoût, ou que sais-je encore. Ces paysages pourraient faire l’objet de milliers de descriptions différentes, alors que leur réalité propre reste identique. Ce ne sont que des vitrines. Le problème de notre époque est sans doute de ne se concentrer que sur elles, en négligeant trop souvent l’arrière boutique, qui devient alors un amas difforme de cadavres, d’ambitions ratées et l’expression de l’écart entre les mots et les actes. Peut-être qu’un jour nous casserons ces vitrines pour cesser d’entretenir le paraître, peut-être nous parlerons nous franchement et directement, ce qui permettra à chacun de choisir en connaissance de cause, avec une information claire et non biaisée. Certains ont déjà commencé, et notre responsabilité collective serait de grossir le mouvement… si seulement nous souhaitions nous en saisir !
Le SIRHA -qui s’est tenu à Eurexpo-Lyon du 26 au 30 janvier 2019- est sans doute l’une des vitrines de l’agro-alimentaire qui, pendant 5 jours, génère le plus de réactions contrastées, allant de l’enthousiasme béat au dégout profond. Si ces salons ont longtemps suscité ma curiosité, je m’y rends aujourd’hui avec la simple volonté de prendre la température d’un marché où les tendances semblent dictées par des armées de cabinets de consultants aptes à fournir des analyses sur l’ensemble des métiers, sans s’imprégner de leur culture propre. Les résultats sont parfois étonnants et détonnants, rarement satisfaisants, et on le voit bien en boulangerie-pâtisserie. Pour autant, je refuse de me boucher le nez, même si l’ambiance olfactive sait se faire pesante quand il est question d’appâter le visiteur avec des dégustations à foison.
Le caractère généraliste du salon doit nous permettre d’avoir une vision complète du marché, en dehors de nos fournils, moulins, ingrédientistes et autres fournisseurs de solutions variées, lesquels étaient pour la plupart concentrés dans le Hall 4, exception faite de Bridor qui jouait pleinement la carte de son positionnement « haut de gamme » en se positionnant dans le Hall 6, au milieu de nombreuses marques réputées en épicerie fine. C’était l’occasion pour l’industriel breton de présenter sa dernière innovation, nommée la Mie Biote, laquelle est l’aboutissement de 3 ans de travaux de R&D et d’une étude clinique du CRNH-69 et de l’INRA. Ses effets présumés sur le microbiote intestinal doivent contribuer à améliorer la santé humaine, grâce à une combinaison de fibres.
Que l’on soit convaincus ou non de la ferme volonté de ce type d’entreprises de participer à améliorer notre santé, ils ont su se positionner de façon importante sur ce segment de marché toujours plus porteur. Ainsi, on pouvait dire que ce SIRHA était en bonne forme : autant par son nombre vertigineux d’exposants, de visiteurs (plus de 225000 visiteurs et 3770 exposants & marques) que de produits vantés pour leurs qualités nutritionnelles. Les filières vertueuses et autres circuits courts semblent être devenus la norme, preuve en est des larges espaces qui leur sont dévolus sur les stands des distributeurs que sont Metro ou Transgourmet. Le terme de vitrine que j’employais précédemment trouve ici tout son sens : il s’agit surtout d’un enjeu d’image que d’un engagement profond, car ces produits ne représentent aujourd’hui qu’une part anecdotique de leurs approvisionnements et de leur chiffre d’affaires. Pour autant, si l’on voit le verre à moitié plein, cela contribue à faire évoluer les mentalités et à orienter le choix des professionnels et consommateurs vers ce type de démarches, même si le fait d’être souvent galvaudées peut finir par leur faire perdre tout sens à long terme.
On le voit bien avec les « céréales anciennes » qui sont évoquées de façon répétée dans la communication des spécialistes de la boulangerie-pâtisserie. Ils sont nombreux à avoir découvert les bienfaits de l’épeautre (qui est devenu, au fil du temps et des manipulations, tellement proche du blé qu’il n’y a plus grand intérêt à le mettre en oeuvre…), de l’engrain/petit épeautre ou encore du Khorasan… en négligeant volontairement la naturelle diversité des grains et des semences, encore entretenue par une poignée de passionnés. La difficulté sera pour eux de rendre lisible la différence entre les deux mouvements, qui peuvent rapidement se confondre pour les yeux non avertis du grand public.
Dans le même esprit, l’agriculture Biologique s’était invitée sur de nombreux stands du hall 4, y compris chez des meuniers qui ne s’étaient pas illustrés dans le passé par leur attachement à des filières de qualité. Si les farines Bio demeuraient discrètes chez la Minoterie Forest, le groupe Soufflet avait choisi de profiter de l’événement pour communiquer plus largement sur sa démarche « responsable » et ses nouvelles gammes destinées aux artisans boulangers. En effet, après de nombreuses années de perte de vitesse sur la marque Baguépi, l’entreprise s’est offerte une nouvelle identité visuelle en 2018, accompagnée en ce début d’année du lancement d’une gamme complète de farines Bio. Le projet, mené en interne par le jeune et talentueux Guillaume Schopphoven, par ailleurs finaliste au MOF Boulanger 2018, comprend la réouverture d’un site industriel (le moulin de Lozanne, dans le département du Rhône (69)), la volonté de réintroduire du savoir-faire chez les artisans pour travailler ces matières premières plus exigeantes, ainsi qu’une logique de filière au sein de Soufflet Agriculture pour encourager les conversions vers le Bio. Ajoutez à cela l’engagement affiché de n’utiliser que du blé biologique français, alors même que les volumes de production ne couvrent pas la demande, le chantier semble relativement titanesque. Les mois à venir nous laisseront observer les moyens que voudront y donner Jean-Michel Soufflet et Erick Roos, DG de la branche Meunerie, ainsi que leurs résultats.
J’évoquais dans un de mes célèbres billets de l’an passé la notion de qualité, qui me semble toujours plus dépassée. L’enjeu serait plutôt de répondre à une logique de responsabilité, plus riche et complète. Chaque maillon de la filière blé-farine-pain doit s’en saisir pour fournir ce que son client est en droit d’attendre : un agriculteur devra ainsi se questionner sur le caractère sain ou non de ses grains, un meunier pourra orienter sa réflexion sur ses farines pour éviter de tomber dans les assemblages dopés que l’on a trop connu ces dernières décennies ainsi que sur son service et la liberté qu’il laisse aux artisans, tandis que le boulanger sera amené à mieux sélectionner ses matières premières et adopter des méthodes de fabrication aboutissant à des produits plus nutritifs et savoureux. Ce travail doit se faire en ayant à coeur de mieux respecter nos ressources, aussi bien naturelles qu’humaines.
Le développement des régimes « alternatifs », notamment basés sur l’emploi de protéines végétales, doit nous interpeler sur la transition progressive qui s’opère vers de nouveaux modes de consommation. Je ne suis pas partisan des positions radicales, car le risque est d’aboutir à des modes de consommation profondément morcelés et parfois antagonistes, avec toutes les tensions que cela pourra générer, mais je pense pour autant que la boulangerie-pâtisserie artisanale s’est encore trop peu saisie des enjeux de santé ou de cohérence éthique et environnementale comme peuvent l’avoir fait certains des industriels cités précédemment. Nous aurons ainsi de bien belles histoires à raconter. Seulement, pour y parvenir, nous devons partager des valeurs communes et chercher à nous enrichir de nos différences plutôt que de bâtir des modèles pré-établis, qui aboutissent à une uniformité néfaste au maintien du métier.
Les changements opérés par les grands groupements meuniers en sont d’ailleurs les meilleurs témoins : l’artisan reprend peu à peu sa place dans leur communication. Naturellement ancré en région Rhône-Alpes, Nicot Meunerie présentait la nouvelle identité du groupement Banette. Le changement de positionnement est clair, les lignes plus sobres et modernes, mais cela suffira-t-il à enrayer les difficultés rencontrées par la marque ces dernières années ? L’évolution culturelle à mener est conséquente, et pas forcément compatible avec les fondements du concept, qui reste encore lourdement attaché à des produits standardisés, basés pour beaucoup sur des mélanges qui ont fait leur temps.
C’est sans doute ce qui pousse le meunier familial aux 8 sites de production à multiplier les démarches pour cibler le plus large public. On le retrouve ainsi derrière les bannières du CRC (qui vient d’ailleurs d’abandonner la marque « Le Blé de nos Campagnes »), d’Agri-Ethique, du Bio, du local (particulièrement mis en valeur au sein de la Minoterie Vuillermet, qui fait office de vitrine « haut de gamme »)… et maintenant d’un concept nommé « Chez mon Boulanger » -sous titré « bon & sain au quotidien », en référence à l’utilisation de farines CRC et de levain naturel-, qui cible expressément les entrepreneurs et investisseurs extérieurs à la profession et souhaitant développer un projet de boulangerie artisanale.
Imaginé avec Thierry Turgon, ancien responsable du développement du Moulin de Païou, le projet se veut une alternative à la franchise pour des profils qui se seraient tournés vers de grandes enseignes comme Ange ou Louise. Le modèle est plus flexible, car il laisse la possibilité à l’entrepreneur de construire sa propre identité, même s’il doit respecter un référentiel de méthodes mis au point par le meunier. Cela laisse supposer que ce dernier apporte un service appuyé, avec un accompagnement poussé pour chaque étape de la vie de l’entreprise (recherche du local, création de la boutique, formation, animations…), du fait de l’absence d’apport en savoir-faire métier du porteur de projet.
L’idée semble être dans l’air du temps, puisque Festival des Pains se positionne en creux sur le même segment avec son Ecole de Boulangerie Artisanale, qui sera notamment représentée lors du prochain Salon de la Franchise à Paris, tout comme Chez mon Boulanger. Je m’interroge sur la pertinence de tels investissements, qui me paraissent importants et destinés à des personnes ne partageant pas un « socle de valeurs » commun à celui de la boulangerie et ne souhaitant pas s’y insérer. Je comprends bien que la meunerie puisse s’intéresser à ces volumes qui seraient sinon réservés à leurs concurrents de grande taille, mais les nombreux exemples déjà présents sur le marché d’acteurs de ce type n’incitent pas vraiment à avoir confiance en leur capacité à respecter le métier sur le long terme. Leur tendance naturelle à s’orienter vers des activités telles que le snacking contribuera encore à faire glisser le référentiel de ce que l’on appelle une « boulangerie », quitte à détourner complètement le sens de ce mot sur le long terme.
Justement, il est bien question de long terme et d’avenir lorsque l’on parle de tout cela : plutôt que de tirer dans tous les sens en se disant que l’on finira bien par viser juste dans quelques cas, il serait sans doute plus pertinent d’agir de façon cohérente, en s’appuyant sur des valeurs, des convictions et une vision forte du marché. Intervenir à tous les niveaux de la chaine ne me paraît pas une idée brillante : laissons Si la mise en place d’outils de formation plus structurés est une tendance lourde chez nos amis meuniers, chacun y allant de son école, académie ou autre institut, il me semble qu’il y a beaucoup à faire sur la pertinence de ces derniers et leur adéquation avec les attentes des consommateurs.
Nous avons la chance d’avoir encore des artisans forts d’un savoir-faire unique et passionnés par leur métier. La responsabilité de leurs partenaires me semble être de leur apporter les meilleurs outils pour perdurer dans un environnement concurrentiel difficile, et cela passe autant par des éléments de service, de compréhension du marché que d’un renforcement de la relation commerciale par une montée en compétences des forces de vente, qui doivent devenir les ambassadeurs d’un projet ambitieux pour la boulangerie d’aujourd’hui… et de demain. Autant dire que le chemin sera long pour y parvenir, mais il pourrait être beau et porteur de sens. Dès lors, il appartient à chacun de se saisir de cette opportunité… ou pas.
C’est fou comme le ridicule peut vite tourner au grotesque. Il suffit de peu d’efforts, d’une petite phrase en trop, d’un trait d’esprit follement opportun et nous voilà transportés dans un univers merveilleux, où les protagonistes semblent engagés dans une course effrénée vers un fond mal défini. Existe-t-il seulement ? En la matière, la boulangerie semble déterminée à nous prouver que l’on peut repousser toutes les limites, creuser toujours plus profond, vers l’infini et au-delà… Non, nous n’irons pas chercher Buzz l’éclair, mais ils savent en attendant profiter du buzz médiatique pour servir les intérêts d’un petit nombre de personnes.
Il fallait les voir se congratuler sur scène pour cette deuxième édition du « Master du Pain au Chocolat francilien », organisé dans le cadre du Salon du Chocolat. Tout était là : les journalistes, un jury hétéroclite, l’animateur, le public pendu au top départ pour se jeter sur les fameuses gourmandises, et 46 artisans participants. Le croissant avait son concours depuis longtemps, et l’idée d’en organiser un pour son populaire homologue aux deux barres cacaotées n’a rien d’aberrant.
Cela serait encore mieux si l’événement n’était pas une occasion supplémentaire de récompenser beaucoup de boulangers plus concentrés sur la gestion de leur business et le relationnel avec la chambre syndicale que sur la satisfaction de leurs clients. Peut être qu’un jour j’arriverai à comprendre les tours de magie. Heureusement, quelques artisans plus discrets parviennent à se distinguer.
La remise des prix a été menée par Pascal Barillon, le président Anract étant excusé pour des obligations en province. Difficile d’être partout quand on cumule les casquettes.
Les résultats sont donc les suivants :
Maison Lhérault – 81 rue Mirabeau – 92160 Antony
Gontran Julien – 73 avenue Franklin Delano Roosevelt – 75008 Paris
Thierry Audou – Pains et Saveurs – 219 rue du Faubourg Saint Martin – 75010 Paris
Jérémy Julien – 13 rue Pierre Demours – 75017 Paris (Jérémy Julien est le fils de Gontran Julien, ndlr)
François Vacavant – 117 avenue d’Italie – 75013 Paris
Yacine Moudjari – Les Saveurs de Wagram / Gontran Julien – 75017 Paris
Maison Gallet – 36 route de la Reine – 92100 Boulogne-Billancourt
Romain Godard – L’Epi du Bois – 4 place Moreau David – 94120 Fontenay-sous-Bois
Hakem Bakour – 215 avenue Charles de Gaulle – 92200 Neuilly-sur-Seine
Avec trois places dans le classement, la Maison Julien semble détenir une recette de pain au chocolat particulièrement magique. J’espère sincèrement que les gourmands des 8 et 17è arrondissements pourront donc en profiter tous les jours… et que les participants seront plus nombreux pour l’édition suivante afin de créer un paysage plus représentatif du marché. A l’année prochaine ?
Les grandes entreprises semblent parfois être de grandes masses difformes, qui se construisent au fil de réunions interminables, dans lesquelles les individus finissent par ne plus savoir pour qui et pour quoi ils travaillent. Le temps, la taille, les hiérarchies, … font oublier que les plus belles réussites se construisent souvent sur la vision d’un homme, un entrepreneur ayant été capable de s’élever parmi la foule et de faire porter sa voix suffisamment fort pour que l’on puisse entendre son message. L’un des enjeux est ensuite de parvenir à transmettre, à trouver des personnes capables de faire perdurer cet esprit en les plaçant aux bons postes.
Le cas du Pain Quotidien retranscrit bien l’importance des engagements initiaux : c’est autour des idées d’Alain Coumont, ce restaurateur reconverti à la boulangerie, que l’enseigne s’est construite. Lieux chaleureux et faisant la part belle à cette fameuse « table commune », à présent reproduite aux quatre coins du globe, produits simples, souvent biologiques, et cuisine à tendance « saine », les ingrédients du concept sont aussi simple que son exécution a pu être compliquée. Si l’on reconnaît aujourd’hui le succès de l’entreprise, on oublie aussi ses années troublées, qui ont conduit à son rachat par sa filiale américaine, où la marque a connu un succès fulgurant. Présente dans plus de 20 pays avec près de 240 restaurants, la chaine est parvenue à installer cette idée d’un certain savoir-vivre et savoir-faire où l’on peut s’attabler à tout moment de la journée pour bruncher, déjeuner, dîner…
Le « mur à pains » n’est pas vraiment conçu pour valoriser ce type de produit et montre bien que les unités du Pain Quotidien n’étaient pas vraiment conçues pour vendre du pain.
On aurait presque oublié que le nom de l’entreprise contient un mot essentiel : le Pain. L’activité de restauration est prédominante, et même si le pain est souvent utilisé comme un support, sa qualité n’a rien d’extraordinaire. Il faut savoir qu’il est acheminé de Belgique tous les jours pour une bonne partie des succursales d’Europe du Nord : cela permet un certain contrôle sur la qualité, mais le produit est forcément dégradé en terme de fraicheur et les volumes réalisés aboutissent à des résultats discutables. Même si Alain Coumont n’exerce plus de rôle opérationnel au sein du Pain Quotidien, il en demeure le « Chief Creative Officer » et maintient son engagement pour l’utilisation de produits naturels et biologiques. Il partage son temps entre New York et le sud de la France, où il possède une ferme qui lui permet de cultiver des parcelles de blé ancien et “s’amuser” avec un four à pain.
Forcément, lorsque l’on commence à s’intéresser à ce sujet, il devient difficile de s’arrêter en route. Cet entrepreneur iconoclaste a ainsi fait germer l’idée de fabriquer du pain à partir de blés anciens au sein de la multi-nationale qu’il a fondé.
Les pains sont simplement divisés à la paline et sont donc de taille et de poids différents : ils sont pesés lors de la vente au client.
Vous imaginez bien qu’entre la vision et la concrétisation, les efforts auront été soutenus et les obstacles nombreux. A commencer en interne : l’inertie faisant, il aura fallu convaincre des cadres réticents à voir naître un projet coûteux et aux retombées incertaines. Dans sa tâche, il s’est entouré d’adjoints convaincus, notamment en la personne d’Yves Desfontaines, aujourd’hui directeur de la stratégie et du développement du Pain Quotidien en France. Ce reconverti à la boulangerie aura longtemps cherché sa voie au sein de la profession avant d’apporter ses compétences, développées au sein de grands groupes, à l’aventure.
Plutôt que de réinventer la roue, ces hommes ont fait le choix de s’appuyer sur le savoir-faire reconnu d’un paysan-meunier-boulanger, en la personne de Roland Feuillas. Installé à Cucugnan, cet ex-ingénieur s’est donné corps et âme pour faire revivre un moulin et imposer sa vision d’un pain qu’il décrit comme « 100% Nature »… jusqu’à en faire un concept, aujourd’hui déployé à Paris.
Il faut savoir que quelque chose se trame au fond de la cour du 68 rue Pierre Charron pour l’imaginer : même si la localisation fait rêver les investisseurs étrangers, l’enseigne aurait vendu beaucoup plus de pain dans un quartier résidentiel et vivant… ce qui est loin d’être le cas ici. Plutôt que d’en faire une vitrine et saisir les retours positifs en terme d’image, l’enjeu est aussi de faire manger de ce pain là à un maximum de consommateur pour les sensibiliser aux intérêts inconstestables d’une telle démarche.
Feuillas rêvait de cette vitrine parisienne depuis plusieurs années, elle aurait pu se concrétiser au sein de la Jeune Rue si seulement le projet n’avait pas connu les déboires liés à son créateur, Cédric Naudon. Sans doute est-ce un mal pour un bien, car son message est aujourd’hui porté par une entreprise reconnue. Ils étaient nombreux hier pour inaugurer le « Fournil des Champs » : chefs, journalistes (je n’en suis pas, ouf !), personnalités, partenaires, la communication avait marché à plein pour annoncer l’événement. L’occasion également de faire parler de l’ouvrage fraîchement édité et co-écrit par Roland Feuillas et Jean-Philippe de Tonnac, A la recherche du pain vivant.
Au sous-sol, les clients peuvent voir le fournil et le moulin.
Fournil des Champs, en pleine capitale, vous dites ? Il s’agit d’un clin d’oeil habile à la localisation de cette boulangerie : installée au sous-sol du 68 rue Pierre Charron, Paris 8è, elle fait venir un peu d’Aude à deux pas des Champs-Elysées. L’unité du Pain Quotidien installée ici jusqu’alors a été transformée autour d’un nouveau concept en très peu de temps, ce qui n’est pas sans générer certaines incompréhensions : la clientèle ne retrouve plus les classiques de l’enseigne, et les équipes doivent encore se roder. Au lieu d’une cuisine « healthy », on retrouve plutôt des propositions rustiques et aux fortes connotations de terroir. Cela fait bien écho au pain qui est maintenant fabriqué ici : de belles pièces aux parfums vifs de céréales fraichement moulues.
On retrouve sur les murs de nombreuses photos : le moulin de Cucugnan, Roland Feuillas et Alain Coumont, Gaël au fournil de Cucugnan… la communication a été particulièrement soignée.
En effet, en reprenant le « concept » 100% Nature, le Pain Quotidien a fait installer un mini-moulin à meule de type Astrié. Chacun peut le voir fonctionner depuis la salle du restaurant, tout comme le travail des boulangers est entièrement transparent. Le fournil a été bien équipé, avec notamment un four MIWE qui permet une cuisson optimale des produits.
Le sachet remis au client est particulièrement verbeux : il décrit largement la démarche aboutissant au pain qu’il emballe.
Le matériel n’est rien sans l’humain, d’autant plus dans ce type de démarche. Un boulanger passionné et talentueux, Gaël, a été recruté pour gérer les opérations et l’équipe de production au quotidien. Il s’est formé aux méthodes préconisées par les Maitres de Mon Moulin directement à Cucugnan (avec formation express sur le process de mouture), ce qui a représenté pour lui un nouveau départ dans son métier. Son parcours professionnel l’a en effet amené à évoluer dans des environnements bien différents : formé chez les Compagnons du Devoir, il a pu oeuvrer aussi bien chez Première Moisson au Québec qu’au sein des Grands Moulins de Paris en tant que démonstrateur. Ces expériences ont autant développé son savoir-faire que sa conviction qu’une boulangerie re-connectée avec ses racines était indispensable pour retrouver du sens au métier. Cela passe également par des conditions de travail respectueuses des hommes : pas de travail de nuit, deux jours de repos consécutifs, au moins un week-end libre par mois. Pour autant, les difficultés de recrutement sont nombreuses, car les professionnels sensibles à une telle approche manquent encore à l’appel.
On parle souvent de l’incidence que peuvent avoir les lieux sur l’activité des levains et plus globalement de la fermentation. En ayant choisi d’installer le fournil dans un espace n’ayant jamais connu d’autre farine que celle écrasée à partir des grains « natures » ainsi qu’aucune levure industrielle (les pains sont pur levain, avec un levain par variété de céréale), l’entreprise s’est assurée d’une parfaite qualité de l’ensemble. Blés de population, Barbu du Roussillon, Rouge de Bordeaux et Seigle fermentent ainsi longuement -une quinzaine d’heures- pour aboutir à des pains savoureux et digestes. Le process est largement décrit dans le lieu de vente et sur les sachets remis aux clients. L’effort d’information passera également par la formation du personnel, indispensable pour bien vendre ces produits atypiques.
Dans un coin, on retrouve les croisements de céréales décrits par les Maitres de Mon Moulin, qui témoigne ainsi de la compétence technique singulière développée par l’entreprise.
Même si la production est encore en rodage, on retrouve dans ces pains des arômes singuliers -mention spéciale pour le Rouge de Bordeaux, qui est sans doute le pain le plus typé de la gamme, seigle mis à part-, une texture fondante et d’excellentes qualités de conservation. Les prix sont forcément élevés -pas moins de 9€/kilo- mais ils se situent dans la moyenne de ceux pratiqués pour ce type de produit. A terme, une logistique devrait se mettre en place pour approvisionner les autres unités parisiennes du Pain Quotidien ainsi que des restaurants extérieurs.
Tout cela n’est pas sans poser quelques questions : n’est-il pas incompatible de faire vivre de tels engagements au sein d’une entreprise aussi grande que le Pain Quotidien ? les impératifs de rentabilité n’iront-ils pas à l’encontre de la qualité et de la sincérité de la démarche ? L’avenir nous le dira sans doute. C’est en tout cas une belle vitrine pour un pain plus nature et plus sain, réalisé au plus près des agriculteurs et avec une vision complète sur la filière aboutissant au produit fini. L’ambition du groupe est d’ensuite dupliquer l’expérience à l’international, en transmettant les compétences aux producteurs locaux afin de créer une filière courte à chaque fois. De belles intentions que nous ne manquerons pas de suivre avec intérêt.
Le dernier livre de Roland Feuillas et Jean-Philippe de Tonnac, présenté en bonne place en salle.
niLe chauvinisme, ainsi que toutes les formes de préférence nationale non basées sur des critères objectifs et rationnels, ne fait vraiment pas partie des modes de pensée que j’apprécie ou encourage. Au contraire, j’aurais tendance à penser que c’est en regardant avec bienveillance ce que font nos voisins étrangers qu’on peut comprendre les points où l’on doit progresser, mais aussi ceux qui font nos forces et nos spécificités. Certains économistes s’étaient opposés sur de grandes théories que sont les avantages comparatifs ou absolus. Je ne suis ni Ricardo, ni Smith, mais plus qu’une approche uniquement basée sur l’aspect économique de nos vies, il me semble pertinent de raisonner également en terme d’humain, de culture, d’état d’esprit, de patrimoine. D’autres peuples sont peut-être plus performants et moins chers quand il s’agit de produire du pain -preuve en est du bas coût des baguettes polonaises qui envahissent les linéaires de la grande distribution-, mais ils ne possèdent pas cette approche unique du pain, développée depuis des siècles sur notre territoire.
En me rendant en Allemagne, j’ai essayé de m’imprégner de la culture boulangère locale. Avant de visiter le salon Südback 2016 fin octobre, il me semblait indispensable de parcourir les rues de Stuttgart afin de mieux comprendre comment la population appréciait et consommait le pain.
Ce qui m’a le plus frappé en arrivant à Stuttgart? L’ambiance olfactive. Cela sentait la nourriture partout dans la gare. On peut manger à peu près n’importe où et n’importe quand.
On peut trouver des produits panifiés un peu partout mais ils se ressemblent étrangement. Ici, pas de législation sur l’utilisation du terme « bäckerei », ce qui contribue à entretenir le flou entre les offres artisanales et industrielles. On ne compte quasiment plus d’artisan boulanger à Stuttgart, d’ailleurs.
Kamps Backstube.
Le magasin Feinkost Böhm fait office d’épicerie fine haut de gamme dans le centre de Stuttgart. La gamme de produits y est d’ailleurs assez qualitative. On y trouve quelques références françaises… de marque Bonne Maman, notamment. Quelle belle image de notre gastronomie !
Le constat est assez éloquent : l’offre artisanale est devenue quasi inexistante, ou fait confiance aux industriels pour lui fournir des solutions préconçues. Le consommateur n’a pas vraiment de choix : face à une offre complètement uniformisée, son goût finit par épouser celui proposé par les grandes marques, voire n’y prête plus aucune attention. La situation est sans doute assez différente dans d’autres régions d’Allemagne, moins riches et matérialistes. Il est assez troublant de penser que des populations possédant plus de moyens n’y consacrent que peu d’attention à leur alimentation, et le trait est particulièrement marqué au sein de ce peuple germanophone. Néanmoins, on peut espérer que la tendance finisse par s’inverser avec les scandales alimentaires, la prise de conscience de l’importance du respect des ressources ou de la nécessité d’adopter un régime plus sain pour une meilleure santé.
Un aperçu de l’étendue du stand Bäko
Sur le stand Bäko, les boulangers étaient chez eux : boissons et en-cas à discrétion, la coopérative sait recevoir !
Un large choix de dégustations fort avenant sur le stand Bäko… non je ne suis pas sérieux.
Présentation de matières premières sur le stand Bäko
Ingrédients chez Bäko
Chez Bäko, on ne se cache pas : les prix des farines sont indiqués clairement sur le stand. Une pratique assez surprenante quand on vient de France, où les prix sont souvent fixés à la tête du client et où l’opacité est recherchée par la plupart des acteurs du marché.
En attendant, certains continuent à profiter du modèle actuel. Aux premières loges, les acteurs fortement représentés dans ce salon, à commencer par Bäko, qui compte parmi les entreprises incontournables du secteur dès lors qu’on parle de boulangerie en Allemagne.
Si nous connaissons les coopératives céréalières, aucune n’est orientée sur le seul secteur boulanger en France. C’est le cas de Bäko : ce « guichet unique » compte ainsi de nombreux artisans parmi ses sociétaires et a développé un savoir-faire particulièrement étendu, en intégrant des services de logistique, de marketing, de R&D, … quitte à acquérir au fil du temps une position quasi-hégémonique qui me paraît assez peu souhaitable : en effet, les fournisseurs doivent être référencés auprès de cette centrale pour s’adresser aux boulangers, avec des prix fixés par l’intermédiaire de la coopérative. Tout y passe : matériel (four, agencement, nettoyage…), emballages, fournitures diverses (boissons, chocolat, charcuterie, …) et bien sûr farine. On retrouve d’ailleurs parmi leurs partenaires les Grands Moulins de Paris, qui étaient présents sur le salon pour présenter leur savoir-faire. S’ils ont choisi de prendre en charge le démarchage et la relation commerciale avec les boulangers, ils n’en demeurent pas moins dépendants de Bäko et de son maillage du territoire allemand.
Cela fait toujours du bien de retrouver des marques que l’on connaît… ah non, attendez, voici les GMP et leur étendard Moul-Bie. Un bien joli espace où cohabitaient farines, produits artisanaux et industriels. Un mélange des genres qui caractérise bien cette entreprise aujourd’hui.
Les produits du stand GMP, réalisés par Dominique Genty
Le ProBody, une des références du catalogue Complet
Mixes Komplet
Inévitablement, une telle entité influe sur la façon d’agir des artisans et créé une certaine uniformité sur le marché… ce qui finit par le rendre terne et sans vie. Est-ce là la seule cause de la disparition progressive des boulangeries en Allemagne ? Sans doute pas.
Dinkelking, ‘roi de l’épeautre’ : ce stand présentait une vaste déclinaison de pains réalisés à partir d’épeautre, ce qui témoigne de la tradition développée autour de cette céréale.
Sabia, la dernière création de Backaldrin… un pain aux graines de Chia, forcément, c’est tendance !
Backaldrin s’est fait une spécialité de développer des partenariats avec des sportifs de haut niveau pour vanter les mérites de leurs mélanges : il paraîtrait que leurs vertus nutritionnelles sont exceptionnelles.
Le stand Backaldrin et son espace réception, copieusement décoré de photographies de sportifs.
On a tous en tête l’image de ces gros pains sombres, à la mie serrée et riche en céréales. Souvent associée à la culture du pain des pays de l’Est, elle faisait la part belle au travail du seigle et de l’épeautre. Ces territoires ont ainsi développé une riche expertise autour de ces farines aux nombres qualités gustatives et nutritives. Malheureusement, ces produits ont pu être réalisés facilement par l’industrie et donc distribués très largement. On peut critiquer notre baguette française, mais elle a participé à maintenir le grand nombre de boulangeries que l’on connaît encore aujourd’hui (pour combien de temps d’ailleurs ?). Au passage, les ingrédientistes se sont emparés du sujet et ont réalisé de nombreuses préparations faciles à mettre en oeuvre pour chaque type de pain. Ils ne se sont pas limités à ces seuls produits mais ont développé au fil du temps un catalogue impressionnant : un mix pour chaque pain, si bien que la plupart des boulangers allemands ne savent plus travailler de farines brutes. Ireks, Agrano, Jung Zeelandia, uldo, Backaldrin, Komplet… certains noms sont déjà bien connus chez nous, mais ils font office de véritables parrains sur ces terres. La taille de certains de leurs stands laisse d’ailleurs songeur, tant les moyens déployés sont importants et dénotent de capacités financières très solides.
Ireks, Tradition meets Trends
L’abondance dans toute sa splendeur
Le stand Backeurop et son amusante allure de… chalet de ski ?
Avouez que ce bretzel géant est terriblement appétissant… Non ?!
En dehors des gros sous, deux points sont incontestables : ces entreprises germaniques ont une réelle culture de l’accueil et de l’innovation. On sentait dans les allées une ambiance chaleureuse et une ferme volonté de faire des affaires, chose nettement moins marquée dans un salon pourtant réputé comme Europain. Serions-nous, en France, malgré un public et des exposants internationaux, trop pris par des courants latins teintés de désinvolture ? Je ne parviens pas m’y résoudre mais le constat est triste : nous aurions tant de choses intéressantes à dire et à montrer, encore faudrait-il que notre filière en soit capable.
Pour l’innovation, la puissance des fabricants de matériel parle d’elle-même : Werner, Wiesheu, Wachtel, Miwe et des dizaines d’autres aux activités parfois entièrement centrées autour des besoins industriels, que ce soit en cuisson, découpe, façonnage, nettoyage… la qualité de leurs équipements n’est plus à prouver et de nombreuses entreprises françaises devraient s’en inspirer au vu de leurs performances discutables. La Recherche et Développement se porte aussi sur le produit final avec un suivi toujours plus pointu des tendances culinaires. Même si tout cela demeure très opportuniste et enrobé par des dizaines d’additifs, notamment quand il s’agit de sans-gluten, je reste respectueux de la dynamique intellectuelle et de la veille permanente entretenue.
Dans le même registre, la qualité des agencements proposés est remarquable : le style est plus élégant qu’en France, et les matériaux nobles comme le bois ont droit à la place qu’ils devraient toujours avoir en boulangerie. Même si les produits à présenter ne sont pas beaux ni bons, l’oeil est tout de même attiré.
Moi aussi j’aimerais vous faire un bisou, amis allemands. Je vous aime bien, mais je n’aime pas votre boulangerie. J’espère que vous ne m’en voudrez pas.
Parlons de goût, d’ailleurs, car il y aurait beaucoup à dire en la matière. Vous connaissez mon abnégation, mon goût du risque, mon absence de limites pour toujours mieux vous informer. Alors oui, j’ai goûté. J’ai dégusté, pour ainsi dire. Peu importe la couleur, la forme, les ingrédients inclus ou exclus, j’avoue ne rien avoir trouvé d’intéressant. Les amateurs de sel devaient être satisfaits au vu des taux certainement très élevés présents dans beaucoup de produits. Quand on sait les conséquences sur la santé à long terme, il y a tout de même quelques questions à se poser sur la conscience -ou plutôt l’absence de- de tous ces entrepreneurs aux dents longues.
Nous avons beaucoup à faire pour parvenir à assurer la subsistance de notre modèle de boulangerie artisanale, et plus globalement l’idée d’une alimentation naturelle et non calibrée par l’industrie. C’est un engagement quotidien, et il tient à chaque maillon de la chaine de continuer les efforts pour y parvenir : nos actes de consommations sont tout aussi militants que la façon de travailler de nos boulangers. Si l’on y rattache des valeurs, des idées, des visions, que nous les partageons et que cela s’unit en un projet commun, je suis persuadé que cela peut trouver du sens.
Stand MIWE
Chez Dijon Céréales Meunerie, on avait déserté les lieux un peu tôt.
Le « Teighumidor » : une chambre de fermentation surprenante, entièrement vitrée, destinée à montrer à la clientèle le processus de fermentation.
Un des halls du salon vu de haut : on mesure mieux les dimensions impressionnantes des stands.
Sur le stand Bongard, la grande fierté était la nouvelle génération de Paneotrad. L’honneur français est sauf, nous avons un constructeur innovant.
L’été est passé. Pas tout à fait me direz-vous, nous traversons encore un bel été indien, mais l’automne viendra bientôt, avec ses feuilles mortes, ses jours plus courts, ses lumières si particulières… et le cycle des saisons continuera. Ceux qui ont déjà passé un mois d’août à Paris le savent, la ville change et son activité s’éteint peu à peu, pour ne reprendre que début septembre. Voir quelque chose différemment, c’est aussi prendre le risque de mieux en mesurer les défauts et leur impact à long terme. Tout ce bruit, cette agitation, ne nous rendent certainement pas meilleurs. On se prend alors à rêver de carrés de verdure, de grands espaces où la vie serait plus belle, plus vraie aussi.
Nos tristesses d’été semblent bien répétitives. Pourtant, il faut bien continuer à s’y intéresser. Depuis l’été 2015, les congés des boulangeries parisiennes ne sont plus réglementés. Dès lors, l’absence de coordination a des effets indésirables que j’avais déjà signalés l’an passé : quartiers entiers sans artisan ouvert, report durable de la clientèle vers l’offre industrielle, chiffre d’affaires supplémentaire pour des entreprises de grande taille, lesquelles peuvent rester ouvertes en continu… Le syndicat de la boulangerie défend une ligne selon laquelle 40% des artisans seraient restés ouverts en août, mais les moyennes ne permettent pas de faire apparaître les disparités locales.
Il faudrait que nos artisans comprennent l’intérêt de se parler… mais j’entretiens assez peu d’espoir à ce sujet.
Cette saison est aussi, pour de nombreuses entreprises, l’occasion de marquer des transitions : ventes ou rénovations, les boutiques voient alors leur quotidien transformé. Si j’ai parlé de tristesse, c’est qu’en définitive le jeu de chaises musicales ne fait que continuer. Faisons un petit tour du paysage.
Eric Kayser, rue La Boétie
Nos boulangers les plus en vue ont bien sûr continué d’accroître leur emprise sur le marché. Eric Kayser a ainsi inauguré sa dernière implantation au 29 rue de la Boétie, Paris 8è, en lieu et place… d’une brasserie. Les emplacements privilégiés de ces commerces ainsi que leurs larges volumes en font des cibles idéales pour ces entrepreneurs, et dans un sens leurs activités ne sont plus si éloignées : la restauration est devenue essentielle dans leur fonctionnement.
Maison Landemaine Gambetta
Rodolphe Landemaine est parti à la conquête des hauteurs de Gambetta en s’installant au 210 rue des Pyrénées, Paris 20è, avec une boutique plutôt réussie signée CMC Agencement. Le pain n’est malheureusement pas encore à la hauteur des standards auxquels l’enseigne nous avait habitué. Gageons que ce n’est que temporaire, même si le rythme effréné de développement engagé par l’entreprise pose forcément quelques questions pour l’avenir… avec notamment la reprise de l’ex-Boulanger de Monge, au 123 rue Monge, Paris 5è, d’ici quelques jours.
Travaux en cours 112 rue de Meaux, Paris 19è.
84 Rue Lauriston, Paris 16è
D’autres cherchent à se tailler une part du gâteau. Attilio Bracciale, qui possédait déjà plusieurs affaires à Paris et en Banlieue, en a ainsi acquis deux nouvelles (rue de Meaux et rue Lauriston).
Le Boulanger des Invalides, Paris 7è. Rien n’a changé pour le moment, le nom Jocteur est toujours bien visible.
Le couple Quévreux, que l’on connaissait face à la Gare de Lyon, a repris en début de semaine le Boulanger des Invalides (14 Avenue de Villars, Paris 7è). Adieu donc les spécialités aux pralines et autres pâtisseries généreuses proposées par l’équipe de Philippe Jocteur. Les habitués devraient être un peu tristes, mais sans doute pas pour l’offre de boulangerie, complètement laissée en jachère jusqu’alors. Espérons que les nouveaux arrivants prendront conscience qu’une boulangerie vend aussi du pain.
Thierry Ribourg s’est installé dans le 15è arrondissement, au 10 rue du Laos, après avoir passé plusieurs années dans près de Voltaire.
La boulangerie du couple Thomas
Le couple Thomas a repris la boulangerie du 95 boulevard de Belleville et l’a transformée avec l’aide de Pep’s Création. Gilles Thomas a exercé, par le passé, la profession de marchands de fonds. L’avenir nous dira s’il suffit d’avoir oeuvré dans le secteur de la boulangerie pour être apte à en tenir une.
Frédéric Pain, bien installé au 17 rue Poncelet, Paris 17è, a donné un nouveau départ à sa boutique avec l’aide de CMC Agencement. Le clin d’oeil à son patronyme est bien trouvé, et même si la boutique reste très standard, cela apporte un peu d’identité au lieu.
La boutique du couple Colin, fraichement rénovée
Autre vétéran de la boulangerie-sandwicherie parisienne, le couple Colin a rénové sa boutique du 53 Rue Montmartre, Paris 2è, avec Pep’s Création. Vu la petite taille, il était bien difficile de faire une révolution ici, mais le rafraichissement était bien nécessaire pour accueillir correctement la clientèle.
Heureusement, il y a quand même quelques nouveaux arrivants, le cercle n’est pas tout à fait fermé. Je vous avais déjà parlé de la boulangerie Montgolfière dans le courant de l’été, et même si le tassement du marché parisien est à présent bien visible, les transactions ont continué.
Le fournil ouvert et le présentoir dédié à la gamme Gana.
Dans le 13è arrondissement, Magali et Clément Bonnet ont repris l’affaire Soulabaille au 112 avenue d’Italie. Leur Atelier du Pain débute à peine, et même s’il y a du chemin à parcourir avant de proposer des produits réguliers, quelques éléments sont encourageants comme une gamme variée de pains au levain naturel, une production 100% maison et la volonté de rester dans une proposition « boulangère ». A l’inverse, le choix de continuer à fabriquer les produits Gana me paraît assez douteux, d’une part pour la complexité en production, d’autre part pour la place importante occupée en boutique et le manque de lisibilité pour la clientèle.
La nouvelle boulangerie Amandine et Pauline
Le 25 rue de Lourmel, Paris 15è, était à la dérive depuis plusieurs années : la boutique était au moins aussi défraichie que son offre de produits. La boulangerie « Amandine et Pauline » marque un vrai changement dans ces lieux avec un net regain qualitatif : viennoiserie maison, gamme de pains retravaillée, pâtisserie bien exécutée, … les débuts sont prometteurs. Reste à modifier la façade et à stabiliser la production.
En continuant vers le métro Balard, c’est au 104 rue Balard que le couple Lhuillier a repris une affaire bien défraichie. Son emplacement suffisait sans doute à la faire fonctionner, mais son intérieur sombre n’incite vraiment pas à s’y aventurer. Il y aura fort à faire pour lui insuffler une nouvelle dynamique.
Travaux en cours dans l’ex Oh! Byblos
Toujours dans le 15è arrondissement, les travaux ont commencé il y a quelques jours au 12 rue des 4 frères Peignot. Le feu restaurant-pâtisserie-traiteur Oh! Byblos devrait être prochainement remplacé par une boulangerie menée par Bertrand Houlier, qui a exercé plusieurs années ses talents aux Etats-Unis au sein de la « Saint Michel Bakery ». Même si le quartier s’est beaucoup transformé, cette rue demeure un peu à l’écart du passage… ce qui ne devrait pas faciliter les affaires de l’artisan. A suivre.
Ces mutations ne nous indiquent pas un quelconque changement de tendance : à Paris, la profession ne semble pas prête à se remettre en question de façon profonde et à remettre à l’honneur ses fondamentaux. Pendant ce temps, la casse continue. Un jour, il sera un peu tard pour être triste.
Vis sans fin ou jeu de chaises musicales, le mouvement des acteurs en vue de la boulangerie-pâtisserie parisienne continue d’animer un marché décidément morose, en raison d’une conjonction de facteurs (baisse de consommation de pain, concurrence, événements extérieurs créant un climat délétère, …). Plus le temps passe et plus j’ai de mal à m’en réjouir, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut fermer les yeux et au contraire continuer à observer les projets et stratégies de chacun.
Eric Kayser sur tous les fronts
Après avoir inauguré en début d’année des boulangeries à Lyon, Bruxelles ou Mexico, Eric Kayser n’abandonne pas l’Ile-de-France puisqu’il a repris très récemment la boulangerie de Fabien Ledoux, située au 26 Avenue de Longueil à Maisons-Lafitte (78600). La réputation de la maison, de son accueil et de ses pâtisseries bariolées font que les regrets ne devraient pas être trop nombreux au sein de la clientèle. Cet emplacement privilégié, proche de la gare, a naturellement attiré l’entrepreneur dans une ville cossue, ce qui correspond bien à sa cible de clientèle.
A Paris, il se prépare à ouvrir une nouvelle boutique dans le 8è arrondissement, au niveau du métro Miromesnil. L’acquisition de la brasserie Le Miro et sa transformation vont sans nul doute créer des remous pour Stéphane Louvard, installé à quelques mètres. L’artisan boulanger jouissait jusqu’alors d’une quasi-exclusivité dans ce quartier en terme d’offre boulangère, et ce changement de situation générera forcément une dilution de la clientèle. Pour renforcer son implantation dans le quartier, il avait d’ailleurs fait le choix surprenant d’acquérir l’ex-boulangerie Corse Mani, au 31 rue la Boétie. L’affaire avait tourné court en raison de désaccords entre associés, et le lieu a trouvé un nouveau départ sous le nom « Un jour sans faim » (sic) avec une offre de burgers et tartines.
La bataille de Miromesnil commencera donc début juillet et renforce la stratégie d’Eric Kayser sur le marché parisien, où il convertit des lieux de restauration (un ancien Bert’s place de la Bourse, une sandwicherie rue de l’Echelle) avec des surfaces de vente et de consommation importantes pour installer ses fournils.
D’ici la fin de l’année, la Maison Kayser devrait également ouvrir sa première boulangerie à Londres.
La meilleure baguette de Paris arrive dans le 9è arrondissement
Le 12 rue Cadet en Avril, avant les travaux. La boutique ré-ouvrira la semaine prochaine, dans un style similaire aux autres boulangerie La Parisienne.
Mickaël Reydellet – boulangerie la Parisienne, porté par son titre de meilleure Baguette de Paris dans sa boutique de la rue Madame, continue son développement : il inaugurera la semaine prochaine une nouvelle boulangerie au 12 rue Cadet, Paris 9è. Avec 6 affaires, l’artisan commence à être visible sur le marché, ce qui devrait ravir son partenaire meunier, la famille Forest.
Frédéric Lalos et Pierre-Marie Gagneux se mettent au vert
Boulangerie Lalos & Milton Danchin
On rêve tous d’un coin de verdure, de quelques arbres… en bref, d’une garenne, ce fameux lieu « où vivent des lapins sauvages ». L’enseigne Lalos est apparue depuis quelques semaines dans le sympathique terrier qu’est La Garenne-Colombes (92250). Au 12 rue Voltaire, ils se sont associés à Milton Danchin, qui a oeuvré dans leurs fournils avant de pouvoir prendre la responsabilité d’une boutique. Ce jeune artisan talentueux peut ainsi proposer une belle gamme de pains au levain naturel, ainsi que des viennoiseries soignées. La latitude laissée dans le développement de la gamme, où l’on retrouve régulièrement des viennoiseries créatives et saisonnières, ainsi que la reconnaissance portée pour l’artisan en plaçant son nom en devanture sont à saluer, car le partenariat est ainsi « gagnant-gagnant ».
L’intérieur de la boulangerie Lalos & Milton Danchin
La marque Lalos est également représentée depuis le début du printemps au 215 rue de la Convention, Paris 15è. Cette boutique en double angle bénéficie de l’attractivité du marché attenant plusieurs jours par semaine, et participe à la vie de ce quartier très résidentiel.
Rodolphe Landemaine monte la côte et passe Rive Gauche
Quand on se développe rapidement, il ne faut pas manquer de souffle… visiblement, Rodolphe Landemaine ne manque pas de ressources en la matière puisqu’on le retrouvera prochainement au 210 rue des Pyrénées, Paris 20è, à quelques pas de la place Gambetta… bien perché dans les hauteurs. Les travaux ne devraient pas tarder à commencer, tandis que ceux de sa boutique du Boulevard Beaumarchais se sont terminés depuis quelques semaines. L’artisan semble avoir trouvé plaisir à travailler avec les équipes de CMC Agencement puisqu’il leur a confié ses derniers chantiers.
Non content de ses implantations Rive Droite, il traversera la Seine et reprendra également dans le courant de l’été une véritable institution boulangère parisienne : Le Boulanger de Monge va en effet tirer sa révérence, après plusieurs années passées entre deux eaux. Le 123 rue Monge devrait ainsi retrouver du dynamisme, ce qui participera je l’espère à rendre l’offre boulangère du quartier plus qualitative.
Le succès de sa première boulangerie japonaise devrait aussi participer à son expansion à l’international.
En Liberté, mais pour combien de temps ?
Les trois boulangeries Liberté, tenues par Benoît Castel et son associé Mickaël Benichou, ont été placées en redressement judiciaire en date du 18 mai 2016. Une situation difficile pour l’entreprise et ses collaborateurs, qui trouvera je l’espère une issue durable et positive rapidement.
Eric Teboul mise sur la sobriété
Chez Meunier, 181 rue Saint-Denis
Après avoir mis en avant le titre de Meilleur Ouvrier de France de Thierry Meunier pour l’ouverture de ses boulangeries, l’entrepreneur Eric Teboul a revu sa position dans ses nouvelles affaires et a opté pour le nom « Chez Meunier », sans autre mention. La création réalisée dans une ancienne mercerie, à l’angle des rue Saint-Sauveur et Saint-Denis, propose une gamme de pains 100% biologique… aux tarifs parfois stratosphériques (15€/kg pour certains produits !). Au métro Marx Dormoy (2 rue de la Chapelle) c’est une devanture grise et tout aussi simple qui accueille les clients. La boutique, entièrement remaniée, semble connaître un succès certain. Même s’il y a encore du travail sur la qualité des produits, du chemin a été parcouru et la position adoptée aujourd’hui est plus saine et respectueuse du consommateur.
Conceptualiser les choses, c’est prendre le risque de les perdre. Le péril est d’autant plus grand quand il s’agit d’éléments simples, profondément inscrits dans notre quotidien. Le progrès ne doit pas se résumer à complexifier le monde qui nous entoure mais au contraire peut nous permettre de créer des outils pour mieux saisir l’essence de nos métiers et au final rendre nos actions plus efficaces et lisibles. Malheureusement, nous avons tendance à nous perdre en route dans ce processus, et c’est un constat d’échec qui s’impose : il est bien difficile de faire simple.
J’ai toujours pensé que la boulangerie devrait être préservée de cet aspect conceptuel, et que s’il y avait une révolution à mener, elle nous conduirait à une meilleure mise en valeur du produit, des matières premières et de l’homme. Il faut croire que j’ai eu tort, car les concepts n’ont cessé de se développer dans la profession au cours des dernières années. L’histoire nous dira si c’est avec plus ou moins de succès, même si je ne me prive pas pour avoir ma petite idée à ce sujet.
Ici, Thierry Marx est partout… en filigrane, tout du moins, car le cuisinier ne peut se multiplier : entre le Mandarin Oriental, la future ouverture à Gare du Nord, … les projets sont nombreux et les journées ne font que 24h.
Le dernier en date a ouvert ses portes ce matin au 51 rue de Laborde, Paris 8è. Les frères Ghisoni ont cédé leur place au très médiatique chef Thierry Marx. Adieu donc spécialités corses -mis à part les délicieuses confitures de chez Anatra-, c’est à présent un univers conçu dans un esprit « fast casual » (?) qui s’offre aux clients. Le choix de cet emplacement -loin d’être n°1- résume bien les difficultés qu’ont pu rencontrer le cuisinier et ses associés dans la recherche d’un fonds de commerce. La notoriété ne suffit pas pour pénétrer les réseaux alambiqués du milieu, et si les ambitions de la jeune entreprise étaient sans doute un peu plus élevées, le retour sur terre aura été rapide. Est-ce une boulangerie ? Puisque l’on y vend du pain fabriqué sur place, sans doute, pour le reste, la boutique, dessinée par Mathilde de l’Ecotais -la compagne de Thierry Marx-, s’affranchit nettement des codes de la profession. Le code couleur fait la part belle au noir et aux tons cuivrés ainsi qu’aux grandes citations du chef sur les murs (sic), ce qui contribue à créer une ambiance feutrée assez déroutante.
Le mur à pains revêt une dimension très théâtrale… Un peu trop ? La gamme demeure assez classique : tourtes de Meule et de Seigle, pain de Seigle ou d’épeautre, pain aux noix, Tradition, baguette « Loyale » (farine bio et pointe de Seigle). Cuissons bien menées et belles croûtes. Les farines sont livrées par les Moulins de Chars (et de Brasseuil pour le Bio / Label Rouge), partenaire de longue date de Thierry Marx au sein de son école.
Bien sûr, les fondamentaux sont là : de la baguette de Tradition (farine Label Rouge) au croissant en passant par quelques pâtisseries, gâteaux de voyage et pains spéciaux, rien ne manque. Globalement, les produits de boulangerie sont de bonne facture, même si les tarifs s’envolent rapidement -10€ le kilogramme pour la tourte de Meule, alors que la Tradition est sagement tarifée à 1,10€, tout comme le croissant-. On nous garantit que les matières premières sont de qualité, dont certaines biologiques, mais l’information n’est pas très claire à ce sujet. Heureusement, le personnel de vente est un peu plus bavard et renseigné.
Les viennoiseries sont de bonnes facture, avec un feuilletage généreux. Le croissant est une valeur sûre pour 1,10€, un tarif accessible.
Au fournil, c’est Joël Defives qui oeuvre pour réaliser les produits, en collaboration avec son équipe et les stagiaires de l’école Boulangerie Mode d’Emploi qui viendront sans doute les rejoindre à l’avenir. Le Meilleur Ouvrier de France, Compagnon du Devoir et ex-formateur au sein de l’INBP a rejoint l’aventure pour apporter son savoir-faire et rendre le projet viable : sans lui, l’affaire aurait été bien compliquée à mener, car même si Thierry Marx a toujours mis en avant sa passion du pain, il demeure avant toute chose cuisinier… et excellent communicant.
Les tartes individuelles, avec notamment la fameuse « tarte maître » (à base de compotée de pomme recouverte d’un appareil à macaron).
Le plus marquant reste sans doute l’espace dédié à la confection des « breadmakis », réalisés devant les yeux des clients, à la minute. Le travail sur les garnitures, aux accents ethniques pour la plupart, ne manque pas d’intérêt et la fraicheur de l’ensemble devrait séduire une clientèle de travailleurs en quête d’un repas rapide.
Les gammes sont resserrées sur des produits simples : des tartes et gâteaux de voyage pour la pâtisserie, des viennoiseries, du pain, quelques salades et desserts, c’est tout.
Il reste à présent à savoir si l’ensemble trouvera durablement son public et si un tel concept correspond vraiment à ce que l’on attend d’une boulangerie aujourd’hui. Au delà d’un nom et d’une belle capacité à fédérer des individus autour de projets variés, Thierry Marx sait qu’il doit faire ses preuves dans ce nouveau métier. Affaire à suivre.
La table centrale et ses sièges en forme de scooter. J’avoue que je n’adhère pas, mais c’est un avis strictement personnel.
Infos pratiques
51 rue de Laborde – 75008 Paris (métro Saint-Augustin, lignes 9 et 14 ou Miromesnil, ligne 13) / tél : 01 45 22 95 20
ouvert du lundi au samedi de 7h30 à 20h.
La devanture. A droite, le comptoir à breadmakis où oeuvre en permanence une équipe devant la plaque à teppan.
Dans les ports, on trouve toutes sortes de personnes. Il y a les marins, bien sûr, qui ont pris l’habitude de partir pour plusieurs semaines, pour des voyages au long cours, comme si la mer était en quelque sorte devenue leur élément de prédilection. Il y a aussi les simples voyageurs, en partance pour une croisière, un voyage professionnel, ou une aventure exotique… mais j’aimerais m’attarder sur ceux qui rêvent devant les beaux bateaux, qui voudraient embarquer mais n’ont pas de billet. L’aventure pourrait s’arrêter là pour eux, ce serait sans compter sur l’imagination humaine, particulièrement prolixe dès lors qu’il s’agit de contourner les contraintes. On retrouve alors des passagers clandestins, parfois bien cachés, mais les plus redoutables sont sans doute ceux qui s’affichent ouvertement sur le pont, comme si rien ni personne ne pourrait les contraindre à descendre.
Si les navires sont aussi majestueux, c’est qu’ils ont été imaginés puis construits par des gens engagés et passionnés. C’est précisément le cas du groupement CRC : ses fondateurs ont mis en place une démarche solide et visionnaire, basée sur des obligations de moyens et de résultat et un engagement de l’ensemble des acteurs de la filière, ce qui permet d’aboutir à des produits de qualité, aussi bien sur le plan organoleptique que santé. Aujourd’hui, tout le monde veut en être, il n’y a qu’à voir le nombre de meuniers ayant rejoint la démarche ces derniers mois. Ce choix est-il porté par des convictions ou de l’opportunisme ? Pour moi, la question se pose, et c’est bien pour cela que je vous parlais en introduction de passagers clandestins. J’ai la nette impression que l’objectif est de récolter les fruits du travail effectué par tous ceux qui ont ramé à contre-courant quand personne n’y croyait.
Bien sûr, cela rend l’ensemble plus visible, créé des débouchés pour la production de céréales et permet d’attirer de nouveaux agriculteurs… mais à défaut d’être visible, il vaut mieux être lisible. L’autre risque est de voir ces passagers clandestins muer progressivement en pirates, car ils siègent au conseil d’administration. En s’alliant, ils pourraient finir par peser dans le processus décisionnel du groupement et infléchir sur sa stratégie.
Nous n’y sommes pas et je sais que les gardiens du temple s’y opposeront, Fouzia Smouhi en tête. Cette femme passionnée et investie a pris la responsabilité du groupement CRC depuis 2007, après avoir fait ses armes au sein de l’école AgroSup de Dijon puis au sein de l’organisme stockeur Bresson. Depuis, elle n’a cessé d’oeuvrer sur tous les fronts pour faire grandir la démarche : des relations, parfois tendues, avec les membres du GIE (les industriels savent tenter de faire entendre leur voix par tous les moyens) à la communication externe en passant par la gestion du quotidien… rien ne lui échappe. La signature « Le Blé de nos Campagnes » a ainsi été adoptée pour faciliter la compréhension de la démarche par le grand public. Elle traduit à la fois l’objet du groupement mais également son engagement dans la production de céréales 100% françaises et tracées de bout en bout.
Un sac ancien provenant de chez Suplisson, à Coullons.
Manger local est devenu une préoccupation récurrente au sein de l’opinion et la boulangerie ne devrait pas y faire exception. Comment concevoir que les blés utilisés par certains meuniers sont importés d’Europe de l’Est ? Si l’on va plus loin, les moulins ont souvent été implantés dans des régions céréalières, ce qui facilitait l’approvisionnement, d’autant plus à des époques où les transports n’étaient pas aussi performants qu’ils le sont aujourd’hui. L’enjeu est à présent de tisser des relations fortes et durables avec les acteurs de la filière pour faire progresser la qualité et garantir à chacun des revenus décents ainsi que des perspectives à moyen et long terme.
La Toscana (pain sans sel de Tradition toscane) et le Tour de Mains, pain aux graines d’inspiration nordique.
A l’occasion de l’adhésion au GIE CRC de l’organisme stockeur Suplisson, journalistes, boulangers et agriculteurs avaient été conviés au Moulin des Gaults (45), outil de production historique de l’entreprise Foricher.
Pour Alain Suplisson, 3è génération à la tête de l’entité familiale, ce choix se résume avant tout à du pragmatisme : sur un marché toujours plus tendu, il faut se différencier pour espérer exister demain… et transmettre à ses enfants une société viable, pour que l’histoire continue à s’écrire. Pour cette première année de collecte, 30 agriculteurs ont joué le jeu pour faire évoluer leurs pratiques culturales. Ils seront plus de 40 l’an prochain, ce qui justifie bien l’investissement réalisé chez Suplisson pour collecter et stocker le grain en respectant le cahier des charges du CRC (absence d’insecticide de stockage, notamment, ce qui impose de refroidir le grain dans les silos).
Yvon Foricher et Alain Suplisson ne se connaissent pas d’hier et c’est par le dialogue que le meunier est parvenu à convaincre son partenaire d’adopter la démarche.
Il faut en effet insister sur l’importance du partenariat à construire : de la plante au produit fini, moins de 100km auront été parcourus, ce qui permet à chacun de prendre conscience de l’importance qu’a sa façon d’agir pour l’autre. Les agriculteurs voient le pain fabriqué avec leurs céréales, les boulangers découvrent des notions de terroir qui leur étaient trop souvent inconnues… En définitive, on parvient à redonner du sens à tous ces maillons qui forment ensemble une formidable chaine, à la fois vivante et tournée vers l’avenir : en respectant les hommes et la terre, c’est une alimentation saine qui est produite et consommée. Le développement de filières locales prend donc tout son sens, et permet notamment de mieux sélectionner les variétés à produire en fonction des besoins du meunier pour fournir une farine de qualité à ses clients.
La tourte de Meule à base de farine CRC et Label Rouge. La farine de Meule est écrasée par la Minoterie Bourseau, qui a rejoint dès sa mise en place la certification Label Rouge sur ce produit en 2015.
Bien sûr, le travail n’en est qu’à ses débuts : avec ses 260000 tonnes de céréales récoltées en 2015, le CRC ne représente que 6% de la meunerie française. 300000 tonnes sont prévues cette année, pour 44000 hectares de terre cultivés. Mieux vaut suivre une croissance maîtrisée et éviter les dérives qu’ont pu connaître d’autres démarches qualité. Au delà des cahier des charges, c’est l’approche de chaque acteur qui façonne le quotidien et l’avenir. Essayons de faire en sorte qu’il soit le plus vertueux possible.
Le pain de mie complet et le Brun de Plaisir (pain complet sur levain naturel travaillé avec du miel), des pains santé développés par Patrick Cognard et son équipe. La farine CRC avec laquelle ils sont fabriqués bénéficie d’une attention toute particulière à la mouture, pour éviter toute contamination.
Les intempéries de la semaine passée n’avaient pas épargné le Moulin des Gaults : une partie du site avait été inondée.
Le Pur épeautre
Le P’tit nouveau, un pain moelleux à base de farine T45 CRC, sans sel, sans sucre, sans matière grasse ajoutée, au lait, zestes d’agrumes et cranberries.
On ne tire pas sur des drapeaux. C’est un peu comme pour les ambulances. On les laisse défiler, on leur créé un passage dans toute cette agitation, parce que ce sont des symboles forts. Chacun s’y retrouve plus ou moins – qu’on le veuille ou non, nous appartenons tous à une patrie – et se place ainsi derrière ce fier étendard, faisant taire par la même occasion toutes les questions et doutes qui ont une place légitime d’habitude. On ne tire pas sur des drapeaux mais on ne se prive pas pour les tâcher. Du sang, de l’encre, toutes les immondices que l’homme sait produire. Certains savent si bien s’en servir comme de véritables couvertures pour justifier leurs actes.
Ceux qui me lisent fidèlement ont du finir par comprendre que je n’étais pas un fervent adepte de ce type d’institutions, et sans verser dans les extrêmes, j’aurais tendance à penser qu’il faudrait remettre à place les modes de pensée traditionnels pour être plus efficace… et pertinent. Je ne vais donc pas tirer sur la Fête du Pain. C’est toujours une bonne chose que ce parler de cet aliment intimement lié à notre histoire, pour rappeler combien il est important de défendre le savoir-faire qui y est rattaché et valoriser le travail des artisans qui s’impliquent au quotidien dans une démarche de qualité.
L’espace podium et remises de prix
Sur le Parvis de Notre-Dame, comme chaque année, la grande tente -installée par Espace Communication et le si fidèle Gilles Villayès- fait le plein de touristes et passants. Peut-être un peu moins que les années passées, d’ailleurs, en raison des événements de fin 2015.
Après s’être fait tabasser par les prix pratiqués -oui, vous savez, j’aime toujours autant cette baguette de Tradition vendue 1,50€, quelle belle image de la profession cela donne !-, on peut ainsi découvrir les animations proposées.
Attention ça pique, la Tradition à 1,50€, tout cela ne serait-il pas une formidable machine à cash ?!
Les boulangers alsaciens sont à l’honneur avec de nombreuses spécialités locales : kouglof, bretzel, crémantaise, brioche à la cannelle… La région est également présentée sur un espace dédié, où les visiteurs peuvent recueillir des informations touristiques variées sur les monuments et centres d’attraction.
Spécialités alsaciennes
Bien entendu, les artisans -retraités pour beaucoup- du Grand-Paris animent également la production et la vente. En parlant d’animation, la grande nouveauté de l’année est une webradio où défilent les intervenants pour traiter de sujets variés : formation, gluten, marketing, viennoiserie, qualité, … tout y passe, avec des invités venant de tous horizons, professionnels de la boulangerie, politiques, journalistes, …
La zone concours
Je passerai sur le point photo et son kouglof géant pour retourner au fond du chapiteau, lieu où se sont déroulés les concours menant à la nomination hier soir de la Meilleure Baguette de Tradition française au niveau national. Ludovic Beaumont, installé au sein de la boulangerie La Fournée à Brest (29) a remporté le titre pour l’année 2016, après avoir concouru dans des conditions parfois difficiles du fait de la météo changeante. Le talent de l’ensemble des professionnels ayant participé à cette épreuve est à souligner : placés sur un pied d’égalité -même farine, même matériel-, ils ont du faire la différence par leur savoir-faire.
Bretzels en préparation
Même si cette Fête du Pain est pour certains l’occasion de répandre une vision édulcorée de la situation de la boulangerie sur le terrain (je grimpe un peu au plafond quand j’entends que la boulangerie ne connaît pas la crise, mais passons), c’est aussi une belle opportunité pour montrer aux plus jeunes qu’on peut faire des choses formidables avec un peu de farine, de sel, de levure et d’eau. Les centaines d’enfants accueillis ici auront au moins reçu une leçon importante sur ce produit qu’ils ont toujours approché sans le connaître : avant de le retrouver sur les tables, il y a toute une histoire qui s’écrit dans les mains de nos artisans. Une histoire faite de savoir-faire, d’amour et de partage.
La Fête du Pain 2016, c’est jusqu’au Lundi 30 mai 2016 sur le Parvis de Notre-Dame-de-Paris.