Le monde est beau car il est fait de couleurs, de diversité. Vouloir réduire la palette des teintes mises à notre disposition pour peindre nos histoires, nos vies, c’est chercher à fabriquer des oeuvres incomplètes, pauvres et sans saveur. Je sais que de nombreux individus sont aujourd’hui engagés à temps plein dans cette entreprise, je sais que la différence n’est pas valorisée mais rejetée. Doit-on aboutir à des paysages uniformes, doit-on finir par tous se ressembler ? Non, car nous perdrons définitivement une partie de nous-mêmes.

La filière blé-farine-pain n’échappe pas à ce mouvement d’uniformisation. En passant d’environ 40000 moulins au début du 20è siècle à seulement 300 aujourd’hui, nous devons faire face à des entreprises de toujours plus grande taille, avec une uniformisation des produits et des approvisionnements. Ces groupes multinationaux, qui se vantent pour beaucoup de leur actionnariat coopératif (Vivescia, Terrena, Axéréal-Dijon Céréales, …), s’inscrivent dans une pure logique de volume et oublient complètement le facteur humain et les enjeux environnementaux qui sont pourtant essentiels pour bâtir une filière vertueuse et durable.

Des gros toujours plus gros, des petits toujours plus seuls

On sait bien de quoi sont capables nos amis les grands meuniers : condamnés pour entente sur les prix à de multiples reprises, ils continuent à faire la pluie et le beau temps. A lui seul, le top 10 de la meunerie française concentre plus de 90% du volume de blé écrasé. Une situation qui ne semble émouvoir personne, mais qui a pourtant de grandes incidences sur le fonctionnement du marché : leur façon d’agir a un impact direct sur le reste des acteurs, et ils possèdent la pleine latitude pour emmener le secteur là où ils le souhaitent. S’ils prétendent être très concernés par la « qualité » et le « service », leurs préoccupations se sont recentrées autour de l’industrie et d’une approche productiviste : il faut aller toujours plus loin dans la recherche agronomique pour développer des variétés « performantes », alors même que la population est sensibilisée aux enjeux que présentent ces blés modernes et leur digestibilité relative. Les terres continuent d’être exploitées sans aucun respect, avec des traitements qui nous conduisent tout droit vers un appauvrissement définitif des sols. La Beauce, que l’on surnommait jadis « le grenier à blé de l’Europe », a été touchée de longue date et ses grandes heures semblent à présent bien lointaines.

Pour asseoir leur mainmise sur le marché, ces groupes se concentrent et s’absorbent : Axéréal et Dijon Céréales se sont rapprochés l’an passé, et ils prendront prochainement le contrôle des Grands Moulins de Strasbourg via l’entité G6M, selon un accord conclu en 2013. Ce nouveau mastodonte sera donc placé en concurrence frontale avec le groupe Vivescia-Nutrixo et Soufflet, avec une domination du marché encore plus accrue qu’aujourd’hui. L’opération est discutable à plusieurs égards : pour l’équilibre du marché mais aussi pour l’impact que peut avoir leur façon d’agir vis à vis du reste de la filière. L’artisanat n’est pas une passion pour eux, et la course aux volumes dans laquelle ils sont engagés semble sans limites. D’autres acteurs, de plus petite taille, ont choisi de les suivre dans cette dynamique, au risque de se faire happer par cette grosse machine. Les prédateurs d’un jour seront-ils les proies de demain ? Quand bien même ils voudraient faire autrement, certains n’y échappent pas : c’est notamment le cas de la Minoterie Vulliermet, dans l’est de la France, qui a été absorbée par le groupe Nicot courant 2015. Engagée dans le Label Rouge, la démarche Bagatelle et l’approvisionnement local, sa culture était quelque peu incompatible avec celle de son acquéreur… de quoi donner quelques sueurs froides à ses clients, et nous mettre face à une réalité : si l’on ne parvient pas à assurer la subsistance de moulins indépendants, nous sommes condamnés à voir émerger une boulangerie complètement uniformisée.

Les Grands Moulins de Paris, un marché mondial...

Les Grands Moulins de Paris, un marché mondial…

L’association de la Moyenne et Petite Meunerie Française (MPMF) tente de regrouper de petits meuniers pour leur donner de la visibilité, les accompagner dans leur évolution et tenter de peser dans la « balance » de la meunerie… mais ces actions demeurent assez anecdotiques face à la solitude dans laquelle peuvent se trouver ces entreprises. Elles sont souvent contraintes de cesser leur activité de mouture pour devenir de simples dépôts, dans le meilleur des cas. La responsabilité sociale que porte l’artisan boulanger en choisissant son meunier est aujourd’hui particulièrement importante : en faisant confiance à de grands groupes, il participe à un système qui contribue à l’écraser lui aussi, car il se trouve noyé dans une somme d’intérêts contraires et n’aboutissant pas à l’élévation du niveau de qualité. Etre artisan boulanger, c’est être responsable en choisissant de respecter l’humain et les ressources naturelles.

La boulangerie à la verticale

L’horizontal, c’est pas l’idéal – Tu devrais mettre les voiles – A la verticale (A la verticale, Superbus) (après les Simpson récemment, voilà que je cite du Superbus, le niveau culturel de ce blog s’envole littéralement)
Je pense que certains ont trop écouté de soupe variété française et ont fini par être convaincus que la division horizontale des activités dans la filière n’était pas une bonne idée, et qu’il fallait empiler les casquettes, histoire de ne pas risquer d’avoir froid l’hiver.
Soufflet concentre ainsi des activités de négoce de céréales, de meunerie, de viennoiserie-pâtisserie industrielles (via Neuhauser & Collection Gourmande), NutriXo déploie à peu près la même collection avec les Grands Moulins de Paris et Délifrance. Quand je parlais d’intérêt contraires, c’est à cela que je pensais : préfèrent-ils vendre de la farine ou des produits finis, à plus forte marge ? préfèrent-ils garder des valeurs d’artisanat ou poussent-ils la profession à renoncer au fait maison, que ce soit pour des croissants… ou pour du pain ? Oui, vous savez, c’est si difficile de développer sa gamme, pétrir, façonner, … ça prend du temps, vous aurez besoin de salariés, non, allez, contentez vous de faire des baguettes pour entretenir l’illusion que vous êtes un artisan, ça ira très bien comme ça !

Plutôt que d’aller chercher les professionnels dans leurs fournils, on peut aussi les saisir… au berceau, ou plus précisément dans les écoles de formation. Les Grands Moulins de Paris savent utiliser l’EBP comme caution morale de leur engagement pour la boulangerie, mais c’est en réalité beaucoup plus insidieux et intéressé que cela : la structure peut ainsi servir de vitrine pour leurs produits, accueillir des événements (comme la Coupe du Monde Delifrance du Sandwich)… Soufflet est en train de suivre le même chemin, avec l’inauguration récente d’un laboratoire de boulangerie-pâtisserie au sein de l’école Ferrandi. Avant d’aller plus loin ?

Allons plus loin encore dans la verticale. En bas, tout en bas. Certains ont déjà franchi le pas : ils achètent des boulangeries ou ouvrent les leurs. Par exemple, Pierre Guez et son entreprise déjà tentaculaire Dijon Céréales ont récemment acquis la boulangerie de Danièle et Jean-Pierre Crouzet, située à Fontaine-lès-Dijon, sans doute pour y installer leur enseigne L’Atelier du Boulanger. Ne voyez-vous pas un léger problème quand le président de la Boulangerie française réalise une transaction de ce type avec un acteur majeur du marché ? Personnellement, si.
D’autres suivent des chemins similaires. Ainsi, les Moulins Viron ont acquis plusieurs boulangeries parisiennes pour y placer des gérants, à l’image du Pétrin d’Antan, au 174 rue Ordener, Paris 18è.
Chez les Forest, on fait encore mieux en développant son propre réseau de franchise, les Moulins de Païou. Cela doit nous interpeller sur une évolution qui pourrait se profiler sur le long terme : du fait des faibles marges obtenues sur la farine, et du caractère déficitaire de certaines entreprises présentes sur le marché de longue date, l’intégration de l’ensemble du processus allant jusqu’au pain permet de récupérer de la marge en bout de chaine. De plus, les coûts liés à la commercialisation (service clients, livraison, …) sont réduits.

Si l’on s’en tient à la seule boulangerie, ces fameuses enseignes aux prix cassés, mais aussi les entrepreneurs multi-points de vente, contribuent à l’uniformisation de l’offre et à l’avènement d’un modèle où le savoir-faire autour de la panification n’a plus sa place. Dès lors, on créé une rupture durable -voire définitive- dans la transmission, sans pouvoir prétendre générer des vocations, le métier devenant toujours plus répétitif et aliénant.

A long terme, une remise en question du modèle de la meunerie ?

Si l’on poursuit le raisonnement, le développement de telles entités entièrement concentrées remet en question le fonctionnement actuel de la meunerie, qui entretient des notions de qualité et de service (comme l’ANMF le souligne très justement sur son site internet). Plus que des meuniers, nous aurons à faire à de simples usines, chargées de ravitailler en poudre blanche des fournils où l’on fera un mélange étrange devant aboutir à la fabrication de pain. Si l’on ne parvient pas à freiner le développement des réseaux de boulangerie du type Marie Blachère -qui nous dit d’ailleurs que Soufflet, partenaire historique de l’enseigne, n’en prendra pas le contrôle à terme ? Ce serait là un excellent débouché, sécurisé, pour leurs gros volumes-, Ange, Louise, etc., c’est ce qui nous attend.

Notre responsabilité à tous est engagée au quotidien : en tant que consommateurs, nous devons avoir conscience du fait que notre acte d’achat a des conséquences sociales et environnementales, que préférer acheter un prix plus qu’un produit détruit de la valeur à long terme. Pour les boulangers, c’est une profonde remise en question de leurs pratiques qui doit s’opérer pour continuer à exister demain, en marge de tous ces mastodontes et de leurs productions formatées.
Soyons donc concentrés… pour éviter la concentration.

J’ai toujours voulu défendre une position : le pain n’est pas un produit comme les autres, et on ne devrait pas le vendre comme on vend aujourd’hui la plupart des biens de consommation courante, c’est à dire sans âme ni conscience. Seulement voilà, à l’épreuve des faits, je devrais bien m’avouer vaincu. Ce serait bien mal me connaître : je persiste et je signe, je continue avec mon baton de pèlerin. Baton de pèlerin ou baton de berger, c’est selon, car il y a des fois où j’aimerais bien l’utiliser pour faire filer droit le troupeau…

A force de proposer des éléments de communication aux artisans sans les accompagner, on se retrouve avec ce type de vitrine : un véritable amas de mauvais goût, où tous les messages se mélangent...

A force de proposer des éléments de communication aux artisans sans les accompagner, on se retrouve avec ce type de vitrine : un véritable amas de mauvais goût, où tous les messages se mélangent…

Une belle histoire de têtes pensantes et de gros sous

L’histoire avait pourtant si bien commencé. Dans les années 90, quelques têtes pensantes ont mis sur pieds une idée révolutionnaire : plutôt que de chercher à valoriser la singularité de l’artisan, il fallait tout miser sur le marketing « de masse », développer des réseaux de boulangeries aux produits uniformes en créant de nouveaux repères pour les consommateurs. Banette, Baguépi, Ronde des Pains, Festival, … vous les connaissez aussi bien que moi, sans doute. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, ce serait dommage et un peu criminel : ils ont participé à leur façon au « sursaut qualitatif » de la boulangerie. L’exemple de la Banette et ses fameux bouts pointus est frappant : tous les consommateurs voulaient une « Banette » et la demandaient à leur artisan… qui ne la proposait pas forcément, mais était contraint à se remettre en question face à un tel mouvement.
En coulisses, les entreprises porteuses de ces marques ont vécu leurs belles années, en enfermant autant que possible les boulangers dans ces concepts qui leur échappaient complètement, au point de perdre leur savoir-faire et le sens de leur métier. Forcément, il est tellement rentable de vendre des préparation prêtes à l’emploi, tout comme des produits industriels. Le double jeu de ces acteurs est devenu aujourd’hui flagrant et leurs pots de peinture marketing ne suffisent plus à cacher le fond de leurs préoccupations.

Revenez, promis, on a compris !

Les sachets sont un élément de communication important. Seulement, il ne faudrait pas les utiliser pour proposer des poèmes d'un goût douteux.

Les sachets sont un élément de communication important. Seulement, il ne faudrait pas les utiliser pour proposer des poèmes d’un goût douteux.

Il ne fallait pas espérer que cette situation soit éternelle : au fil des années, la puissance de ces marques s’est essoufflée, que ce soit par la lassitude des artisans ou celle des consommateurs, du fait de la qualité plus que relative des produits. Bien sûr, certaines zones géographiques restent encore très marquées par leur présence, et la région parisienne s’est plus fortement émancipée de ces groupements que le reste du territoire.
Pour tenter d’inverser la tendance, certains ont changé leur fusil d’épaule pour donner l’impression de développer une stratégie mieux centrée sur l’artisan et sur le développement de son identité propre. C’est ainsi que l’on a vu naitre « Le Pain Boulanger » chez Banette, le nouveau concept Campaillette chez les Grands Moulins de Paris plus récemment, mais aussi l’avènement de « marques » plus diffuses chez des acteurs artisanaux comme les Moulins Bourgeois, les Moulins de Chars ou de Chérisy. L’enseigne « Artisan Boulanger » s’est vue accompagner de nombreux adjectifs (« de qualité », …) puis déclinée en de nombreuses couleurs.

Seulement voilà. A mon sens, il ne suffit pas de comprendre, il faudrait apprendre. Chercher à renouveler profondément le genre, arrêter de produire du marketing pour lui-même et re-bâtir l’approche sur le produit, sur le goût et les émotions qu’il peut produire. Au delà de ça, c’est un véritable travail de recentrage sur les fondamentaux du métier qui est à mener : faire du ménage dans toutes ces marques, dont certaines sont des doublons volontaires, et inciter les boulangers à s’exprimer.

Quand les industriels s’en mêlent, un beau mélange des genres

Banette au Carambar

Comme s’il fallait en rajouter, les industriels s’en mêlent et invitent leurs marques au sein des boulangeries artisanales. Récemment, le groupement Banette a eu la fine idée de proposer la « Banette Carambar », un pain viennois garni de crème au carambar. On se demande encore si la blague est le produit lui-même ou si elle est seulement inscrite sur le sachet.

Un petit-déjeuner Nutella chez Gontran Cherrier, ça fait rêver !

Un petit-déjeuner Nutella chez Gontran Cherrier, ça fait rêver !

Mieux encore, certains artisans, sans doute portés par leur notoriété et par l’appât du gain, signent des partenariats au goût douteux. Le meilleur exemple est sans doute celui de Gontran Cherrier, qui fait une fantastique publicité au groupe Ferrero dans ses boutiques. Petits pots de Nutella, éléments de communication présents en abondance, rien ne manque… est-ce vraiment cohérent avec les valeurs que devrait porter un boulanger, d’autant plus quand on connaît la qualité de cette fameuse pâte à tartiner ? Les consommateurs ne valent-ils pas mieux que cela ?

Communiquer oui, mais sur en parlant vrai et concret

A mon sens, les artisans ne savent pas assez communiquer. Il faudrait que leurs partenaires prennent en mains la chose pour les accompagner sur ce terrain en leur apportant des solutions personnalisées et porteuses de leur histoire, sans chercher à les « canaliser » dans des concepts. Bien sûr, certains éléments de communication peuvent être développés de façon globale, dès lors qu’il s’agit de parler de matière première, de santé, … autant de points sur lesquels les réponses ne varient pas.
Ensuite, plutôt que de vendre des pré-mixes et autres poudres de perlimpinpin, c’est sur l’humain qu’il faudrait investir pour impliquer les artisans dans une démarche qualitative et riche en savoir-faire. Dès lors, plutôt que d’inventer de nouvelles marques, il y aurait beaucoup plus de choses à dire… et les histoires prendraient une toute autre tonalité. Quelques acteurs ont déjà travaillé le sujet : le Label Rouge (sur la baguette de Tradition et plus récemment le croissant) porté par le Club le Boulanger s’inscrit dans cette dynamique, même si cela ne suffit pas. Fort heureusement, quelques artisans ont bien compris l’intérêt de porter leur propre histoire et de développer une identité singulière. Ce sont eux que j’ai à coeur de mettre en avant ici depuis avril 2011. Leur parcours est souvent semé d’embûches, et le sentiment de solitude qu’ils peuvent ressentir est accentué par une forte tendance à la marginalisation de la différence, que ce soit en boulangerie ou dans la société en général.

Je pense que beaucoup de meuniers disposent des moyens suffisants pour mettre en place de telles démarches et outils auprès de leurs clients. Seulement, ils préfèrent souvent se décharger du sujet et le confient à des entreprises ne comprenant pas les spécificités du métier qu’elles doivent traiter. Dès lors, elles préconisent des solutions inadaptées, bien souvent portées par leur seul intérêt financier. Le système s’entretient lui-même et nous n’en sortons pas : il faudrait faire du ménage là-dedans et faire rentrer des idées neuves. En bref, revenir à une définition saine du marketing, qui ne serait pas de stimuler les besoins du consommateur mais créer des produits répondant vraiment à leurs attentes tout en assurant une commercialisation efficace.

Visiter des boulangeries, déguster des produits, c’est bien. Bien mais pas suffisant. Il faut aussi savoir prendre de la hauteur, de la distance, pour tenter de mieux comprendre les mouvements de fond qui s’opèrent et façonnent le visage de la profession de demain. Ainsi, même si j’avais arrêté d’écrire ces derniers mois, j’ai continué à observer et à réfléchir au sujet de ces éléments… et plutôt de les garder pour moi ou de n’en distiller que des bribes, je partage avec vous le fruit de ce travail dans des carnets de tendances qui, je l’espère, seront aussi éclairés qu’éclairants.

Commençons donc par le véritable combat qui s’opère sur les fonds de commerce ces derniers mois. Appelons-le « Combat des Chefs », en référence au fameux album d’Astérix. C’est amusant comme la réalité se rapproche de ces fictions aux traits grossis, le caractère humoristique en moins. Aujourd’hui, les chefs sont quelques boulangers bien implantés dans la capitale, et ils ont décidé de faire de Paris un véritable terrain de jeu.

Le jeu n’est pas sans risque pour la profession : ils sont prêts à dépenser des sommes importantes pour acquérir les meilleurs emplacements, et contribuent ainsi à l’augmentation des prix des fonds. A terme, les artisans indépendants seront dans l’incapacité de s’installer, ou alors uniquement en association avec des financiers et ces fameux « gros faiseurs » de la boulangerie.
L’autre source d’inquiétude est l’uniformisation progressive de l’offre et la perte progressive d’intérêt pour les fondamentaux que représentent le pain ou la viennoiserie. A partir d’une certaine taille, on a tendance à se concentrer sur des activités plus rentables et moins demandeuses de savoir-faire. Dès lors, on peut se demander si nos boulangeries ne sont pas condamnées à devenir de simples points de vente de restauration rapide, dont l’offre aurait été légèrement élargie pour intégrer quelques baguettes et croissants.

Bien sûr, il ne s’agit pas de tirer sur l’ambulance ou de jeter le bébé avec l’eau du bain (j’aime bien aligner les expressions), car il faut reconnaître à ces entrepreneurs leur capacité à créer et tirer l’ensemble de la profession vers le haut : en créant de la concurrence ou bien en apportant de nouvelles idées, ce sont l’ensemble des acteurs qui sont stimulés. Le volume d’emplois créé est, lui aussi, non négligeable.

Maison Kayser : vers l’infini et au delà ?

On aurait pu penser que le marché avait atteint l’âge de la maturité pour la Maison Kayser, et qu’elle ne chercherait plus à s’y développer davantage. Il faut dire qu’avec plus de 20 boutiques sur une zone géographiquement restreinte, l’enseigne a pris une ampleur considérable. C’était sans compter sur l’ambition visiblement sans limites de la marque, qui continue à ouvrir de nouveaux points de vente : après la rue de l’Echelle en 2013, c’est du côté de la place de la Bourse (en lieu et place d’un Bert’s) que l’entreprise s’est installée l’an passé, avec ouverture du fournil aux prémices de février. D’autres ouvertures sont à prévoir, avec notamment la Philharmonie de Paris, dont les travaux semblent s’éterniser.
En parlant de travaux, les adresses existantes se voient pour certaines remodelées pour mieux correspondre à l’identité de la marque. Ainsi, à l’été passé, les boulangeries de la rue d’Assas et du boulevard Malesherbes ont fermé quelques semaines pour être rafraichies. Si dans le 6è arrondissement les modifications sont particulièrement remarquables, on remarque que le style développé dans les espaces de vente tend à toujours plus de sobriété : exit le orange longtemps employé, les meubles font la part belle au marbre et au bois.
Plus récemment, c’est la boutique de Vendôme qui a été agrandie et remaniée. Elle préfigure sans doute du style vers lequel s’oriente la maison, avec en plus quelques services et détails qui positionnent l’offre sur un segment haut de gamme, très différenciant : sandwiches réalisés minute à partir d’ingrédients sélectionnés (jambon Prince de Paris ou Bellota, …), jus pressés à la demande avec une large gamme, notamment orientée sur le bien-être…
Les offres sucrées et salées ont été également retravaillées, avec des produits mieux finis et plus en phase avec le positionnement de l’enseigne. C’est sans doute l’une des clés de la durabilité de la Maison Kayser dans le paysage boulanger parisien : sa capacité à évoluer pour ne pas suivre les tendances, mais continuer à les créer.

Maison Landemaine : un challenger dynamique

Avec 8 boulangeries à Paris, Maison Landemaine compte parmi les acteurs les plus en vue du paysage… bien que les boutiques soient encore dans des configurations très variées : on est bien loin de l’unité à laquelle on pourrait s’attendre pour une telle entreprise. Le mouvement semble être bien engagé, avec la rénovation de la boulangerie de la rue de Charonne ainsi que la dernière ouverture en date rue Oberkampf. Les autres devraient suivre.
En parallèle, il ne fait peu de doutes que d’autres adresses devraient rejoindre l’enseigne dans les mois à venir. La question est de savoir si cette dernière parviendra à maintenir le niveau de qualité plutôt élevé qu’on lui connaissait jusqu’alors, car c’est là une problématique forte pour ce type d’acteur multi-point de vente.
Les chantiers ne manquent pas pour s’imposer comme une marque de référence, et notamment sur le service, qui se révèle très aléatoire selon les boutiques.

Maison Landemaine rue Oberkampf, Paris 11è

Maison Landemaine rue Oberkampf, Paris 11è

Le surprenant couple Teboul-Meunier

J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de dérives dans l’utilisation du titre de Meilleur Ouvrier de France, qui devrait à mon sens être beaucoup plus respecté qu’il ne l’est aujourd’hui. Je trouve anormal qu’il puisse être utilisé comme caution pour vendre à peu près n’importe quoi.
Dans le cas présent, Thierry Meunier a cédé l’usage de son nom à Eric Teboul pour ouvrir des boutiques à Pantin, Bagnolet et rue de Belleville. Si les deux affaires boulonnaises détenues directement par l’artisan sont bien tenues (la dernière propose d’ailleurs un agencement très soigné, réalisé par l’entreprise italienne PEC Design) et proposent des produits de qualité, c’est loin d’être le cas des autres. Entre des pains à l’acidité entêtante, des pâtisseries et viennoiseries étrangement nombreuses et identiques, des boutiques à l’agencement visiblement bâclé, il y a quelques questions à se poser sur la longévité de ces affaires. Le col bleu-blanc-rouge, si bien mis en avant sur les façades, ne suffit pas, les consommateurs ne sont pas éternellement dupes.
Le couple sait aussi prendre ses distances. Eric Teboul possède des emplacements plutôt intéressants et cherche à capitaliser sur ces derniers. Ainsi, à la sortie du métro Marx Dormoy, au 2 rue de la Chapelle, l’ancienne boutique « Mini Bouffe » devait revêtir les couleurs du fameux MOF (comme l’indique la dernière page de ce document)… c’était sans compter sur un revirement de l’entrepreneur, qui a finalement installé des gérants. Boulevard de Sébastopol, le projet semble au point mort. Y aurait-il de l’eau dans le gaz entre nos deux compères ? L’avenir nous le dira sans doute.

Un vent de Liberté

On a tous envie de liberté… mais ce besoin est plus marqué chez certains. Il faut croire que Benoît Castel et son associé Mickaël Benichou avaient un grand besoin d’émancipation car ils ont multiplié les ouvertures ces derniers mois : on retrouve ainsi Liberté rue de Ménilmontant et aux Galeries Lafayette Haussmann. La jeune Maison Plisson a également fait appel aux services du fameux pâtissier… pour son offre boulangerie (!). Dans tous les cas, il me paraît difficile de grandir aussi rapidement, surtout que Liberté reste une jeune entreprise, dont les bases humaines et techniques restent fragiles : il n’y a pas de véritables « cadres » qui peuvent transmettre la culture de la maison et la rendre ainsi pérenne.
On peut ainsi se demander quel sera le parti pris pour les mois à venir : stabiliser ou continuer à se développer ? Si la seconde option est prise, cela ne sera pas sans risque à long terme, sans compter que les choix réalisés sont osés : implanter un tel concept rue de Ménilmontant, au risque de se priver d’une bonne partie de la clientèle locale, prendre part au projet des Galeries Lafayette malgré un taux de reversion élevé…

Liberté Ménilmontant

Liberté Ménilmontant

La mutation de la famille Garreau

Pascal Garreau est décidément un homme prêt à se lancer dans de nouvelles courses… qu’elles soient hippiques ou entrepreneuriales. Depuis quelques années, accompagné de sa fille Valentine et de son fils Benjamin, ils a entrepris de faire muter progressivement son enseigne de boulangeries vers le marché de la restauration… rapide ou pas. Ainsi est né « L’Atelier des Pains & Co », dont la première adresse a vu le jour à Nanterre, tout près du quartier d’affaires de La Défense, rejointe plus récemment par une boutique au 8 rue de Ponthieu, dans le 8è arrondissement. Dans cette dernière, c’est un surprenant concept de boulangerie-rôtisserie qui a été développé, avec un espace dédié à cette activité au fond du magasin. En définitive, le pain ne tient qu’une très faible place dans ces affaires, et on peut dès lors se demander si l’appellation de boulangerie correspond encore vraiment à ce type de lieu.
Certains objecteront que cela répond à une évolution des habitudes de consommation et que ces emplacements ne pourraient plus accueillir des boulangeries « traditionnelles » au risque de ne pas être viables économiquement. Ce n’est sans doute pas faux, mais cela nous met face à une réalité plus douloureuse : une partie de ce type de commerces est vouée à disparaître à plus ou moins long terme.

L'Atelier des Pains & Co, rue de Ponthieu, Paris 8è

L’Atelier des Pains & Co, rue de Ponthieu, Paris 8è

Cherchez l'erreur

Cherchez l’erreur

Paris Baguette : les coréens vont-ils nous mener à la baguette ?

J’ai eu l’occasion de vous parler de SPC-Paris Baguette il y a quelques jours, à l’occasion de leur seconde ouverture française. Au delà de notre territoire, les ambitions du groupe en Europe semblent particulièrement fortes et nous aurons sans doute à compter avec eux dans les années à venir. Reste à savoir s’ils parviendront à bien s’imprégner de notre culture et de nos habitudes pour réellement percer sur le marché, ce qui serait bien le seul obstacle à leur réussite.

Paul : Francis Holder peut-il encore répliquer ?

L’enseigne Paul a nettement perdu de sa superbe ces dernières années. Entre des tarifs parfois très exagérés (notamment chez certains franchisés en gares et autres lieux de passage), la banalisation liée au très (trop ?) grand nombre d’implantations, la qualité discutable des produits… les raisons de se détourner de cette fameuse « Maison de Qualité » ne manquent pas. De plus, la concurrence s’est intensifiée. A Paris, Eric Kayser s’est positionné en frontal du groupe Holder, en apportant une offre plus qualitative et mieux ancrée dans l’artisanat. Il part d’ailleurs à la conquêtes des gares et aéroports, avec l’ouverture cette semaine d’une boulangerie au sein de la gare de Lille Flandres… le terrain de jeu habituel – et historique, dans le cas présent ! – de Paul.
Francis Holder, malgré son âge avancé – 75 ans au compteur -, ne décourage pas et a repris les rênes de la nébuleuse à son fils Maxime pour tenter d’inverser la tendance et apporter une nouvelle vision… en se recentrant sur ses fondamentaux, à commencer par le pain. Simplification des gammes, amélioration de la fraicheur des produits, … les axes de travail ne manquent pas, mais on peut légitimement se demander si la bataille n’est pas perdue d’avance, tant l’inertie inhérente à une telle entreprise est forte… d’autant plus qu’il faut transmettre ces nouvelles pratiques à des franchisés, pas toujours très ouverts au changement. On peut tout de même saluer la volonté et la capacité de remise en question de l’entrepreneur.

La famille Julien toujours en embuscade

Les Julien n’ont pas fini d’occuper le paysage boulanger parisien et même francilien. Si leurs affaires sont aujourd’hui bien installées, cela ne les empêche pas d’aller courir de nouveaux horizons, comme à la Garenne Colombes. En effet, Jean-Noël Julien y a repris une affaire l’an passé, où il a installé un jeune couple de gérants dynamiques. A Paris, il a jeté son dévolu sur l’affaire du 1 rue de Provence, dans le 9è arrondissement. En parallèle, Nicolas Marnay a acquis la propriété de la boulangerie qu’il gérait rue Saint-Martin.
De son côté, Gontran Julien avait placé un de ses lieutenants, Michaël Scarpat, à la tête (en gérance) de l’inoubliable Boulangerie Marius, au 36 avenue de la Grande Armée. Le bruit court que Roland Amon, du haut de ses 69 printemps, voudrait en reprendre la gestion « en direct » prochainement…

La boulangerie du couple Mars, gérant de l'affaire reprise par Jean-Noël Julien à La Garenne Colombes

La boulangerie du couple Mars, gérant de l’affaire reprise par Jean-Noël Julien à La Garenne Colombes

La fournée d’Augustine a réduit la voilure sur Paris pour se développer en banlieue

Pierre Thilloux avait-il vu trop grand pour son Augustine ? C’est en tout cas la question posée par les mutations de son entreprise. Il s’était installé rue Vavin, en rénovant la boutique à grands frais. N’ayant jamais réussi à en obtenir un résultat positif, il l’a cédée à l’automne dernier. Ce n’est pas la première mutation que réalise le boulanger-entrepreneur, et ce dernier semble aujourd’hui se tourner vers la banlieue pour son développement, avec notamment une ouverture en Essonne, à Linas.

Secco voit toujours la vie en rose

Florence et Stéphane Secco se sont concentrés autour du 7è arrondissement ces dernières années, avec l’acquisition d’une affaire rue de Rennes, puis rue de Varenne. En parallèle, leurs boulangeries « historiques » de la rue Jean Nicot et du boulevard de Grenelle ont accueilli de nouveaux propriétaires. Depuis le 1er juin, c’est au 53 rue de Sèvres, en lieu et place de la boulangerie Malo, que les clients peuvent voir la vie en rose. L’artisan n’a pas lésiné sur les moyens puisque l’agencement est signé Mosaïc, sans doute pour séduire la clientèle plutôt bourgeoise du secteur, et se différencier nettement de la concurrence proche. On retrouve ainsi les produits qui impriment la « signature Secco » depuis plusieurs années.

Les Huré se font… placides

La famille Huré n’a pas beaucoup fait parler d’elle depuis les travaux réalisés au sein de sa boutique de l’avenue Victor Hugo… serait-elle devenue… placide ? Saint-Placide, plus exactement. En effet, c’est au 18 rue Saint-Placide, à deux pas du Bon Marché et de la Grande Epicerie qu’ils se sont installés fin 2013. A l’inverse des autres boutiques, leur nom n’est pas affiché sur la devanture, et leur présence pouvait même passer inaperçue à une époque pour qui ne connait pas leur « style » et leurs gammes de produits.
En parallèle, leur affaire historique de la place d’Italie a été placée en gérance, sans doute pour leur permettre de mieux gérer le lourd investissement réalisé dans le 16è arrondissement.

Arnaud Sevin multiplie toujours ses Saines Saveurs

A force de signer des chèques, le stylo et les mains de certains entrepreneurs doivent être usés. Je me dis que c’est sans doute le cas d’Arnaud Sevin, qui multiplie les acquisitions. On devrait ainsi voir apparaître les couleurs de son enseigne Saines Saveurs à de nouveaux emplacements, que ce soit à Paris ou en banlieue.
Même s’il a essuyé quelques revers, avec notamment la fermeture de la boutique qu’il avait créée boulevard Victor, tout près de la porte de Versailles, cela ne le freine pas. Armé de solides assises financières, il part ainsi à l’assaut de Clichy, Neuilly, Sceaux… autant de terrains de jeux à conquérir, sans pour autant porter une quelconque vision sur le long terme : ce développement ne s’est pas fait en portant de véritables valeurs liées à l’artisanat, rendant ainsi le positionnement de l’entreprise difficilement compréhensible. D’un côté, elle affiche une image et des prétentions « haut de gamme », qui sont ensuite démenties par la réalité des produits. Est-il possible de mener un tel navire sur le long terme sans réelle vision, autre que la volonté de toujours se développer ? Pas sûr.

Sur le boulevard Victor, la boutique Saines Saveurs a fermé ses portes.

Sur le boulevard Victor, la boutique Saines Saveurs a fermé ses portes.

Les Hakkam se mettent au vert

La famille Hakkam sait briller par sa discrétion quand il s’agit d’afficher son identité sur les différentes affaires qu’elle possède. Les consommateurs seraient d’ailleurs souvent bien en peine d’imaginer que leur boulangerie de quartier appartient à de véritables entrepreneurs, lesquels possèdent de nombreux points de vente… et continuent à en acquérir. Ils se sont ainsi installés au 69 boulevard Voltaire, mais ont aussi et surtout repris Moisan, la fameuse marque de pain biologique. Le groupe Bertrand n’avait jamais bien su quoi en faire et avait laissé l’enseigne vivoter avant de commencer à vendre certains emplacements « à la découpe ». C’est ainsi que Jean-Michel Carton a acquis les affaires de Maubert-Mutualité et du boulevard de Denain. En se portant acquéreur du reste de l’entreprise, et notamment de l’outil de production de Villejuif (d’où sont expédiés les pains destinés aux Monoprix et restaurants), la famille s’est attaquée à une grosse machine… avec les effets de bords que l’on peut imaginer, dont des mouvements sociaux. Voilà donc une bien curieuse façon de se mettre au vert… Là encore, on peut se questionner sur les motivations réelles de ces transactions.

Si l’on peut bien dégager une tendance de toutes ces opérations, c’est la concentration progressive des boulangeries artisanale aux mains de quelques entrepreneurs. Peu à peu, le goût s’uniformise et ces commerces perdent leur dimension de proximité, en se détachant de la communauté dans laquelle elles étaient inscrites. Cela concours également à une élévation du prix des fonds de commerce, car les entrepreneurs à la tête de ces « enseignes » sont prêts à mettre en jeu des sommes conséquentes pour s’offrir les meilleurs emplacements… ce qui rend l’installation d’artisans indépendants toujours plus compliquée. Bien sûr, ils participent à la concurrence et stimulent à leur manière le marché de la boulangerie artisanale… mais cela ne se fait pas sans casse, et ce Combat des Chefs prend parfois les traits d’une bataille retranchée où bien peu d’acteurs -professionnels ou consommateurs- ressortent gagnants.