Réflexions

21
Avr

2012

Faut-il livrer le pain ?

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Il y a des questions qui me mobilisent plus que d’autres. Parfois, cela peut paraître anodin, mais si l’on s’attache à étudier le fond du problème, il y a alors beaucoup à penser et à dire. Le pain, de par ses nombreux enjeux et implications, ne manque pas de susciter nombre de débats et d’interrogations sur la place qu’il doit occuper, la façon dont on doit le « traiter »…

… ou même le distribuer. En cela, la question de la livraison du pain me paraît devoir être posée. En effet, comme j’avais déjà eu l’occasion de le souligner ici, ce n’est pas une marchandise comme les autres, et ce sur bien des aspects. Tout d’abord en terme de conservation, puisque beaucoup de pains ne se gardent pas plus de quelques heures. Dès lors, avec la logistique à mettre en oeuvre pour parvenir à organiser des livraisons, les produits auraient bien du mal à offrir les qualités qu’ils présentent lorsqu’ils sont frais : croûtes craquantes, mies fraiches… et cela est tout bonnement essentiel lorsqu’il s’agit de baguettes.

Ensuite, vient la question de la pertinence de la livraison vis à vis du coût engendré par celle-ci. Il faudrait envisager un volume minimal d’achat que l’on aurait alors bien du mal à concevoir : qui a envie d’acheter 10 baguettes, même si elles sont excellentes ? Bien sûr, la question ne se pose pas dès lors qu’il s’agit d’entreprises, de collectivités ou d’hôtels : leur proposer un tel service permet de sortir des surgelés et autres produits industriels que l’on retrouve trop souvent. Forcément, c’est assez pratique pour eux : il leur suffit de cuire les quantités désirées, en limitant les pertes. Pour autant, la saveur et la qualité ne sont pas toujours au rendez-vous, de plus, cela ne participe pas à l’activité économique du secteur, alors que cela représente une belle opportunité  de créer un « cercle vertueux » entre entreprises proches.

Revenons-en à la livraison aux particuliers. Ce qui me pose problème, en définitive, c’est aussi que cela aura pour effet direct de favoriser uniquement quelques artisans « sélectionnés ». Certes, ils ne manquent pas de qualité, mais l’intérêt collectif voudrait que l’ensemble des boulangers proposent des produits savoureux, et de cette façon le goût du bon pain serait accessible à tous, pas seulement à une petite catégorie de personnes disposant des moyens nécessaires pour être livrés. Le pain doit toujours garder sa valeur de produit « universel », dont tout le monde peut profiter sans considération de revenu. Malheureusement, cela peine déjà à être le cas, alors n’en rajoutons pas.

Cependant, livrer le « bon pain » de quelques artisans réputés pourrait presque revêtir un caractère écologique, puisque cela limiterait les déplacements réalisés par les amateurs de leurs produits, déplacements qui ont pour la plupart un coût énergétique et ont donc tendance à présenter un bilan carbone plutôt négatif. Regrouper de cette façon les flux liés à cet attrait serait donc bien plus rationnel, mais on perd de cette façon le côté « rare » et presque précieux de cet artisan, ce qui rend au final ses produits encore plus exceptionnels, dans le sens qu’ils sont dégustés avec plaisir, ils ne relèvent pas du simple quotidien. Le temps et la complexité parviennent à donner plus de saveur aux choses.

Bien entendu, il ne faudrait pas négliger l’aspect social et la perte de relations avec l’extérieur que cela engendre. Aller acheter son pain n’est pas un acte isolé, il créé forcément des interactions avec le reste du monde : c’est une opportunité d’échanger et de rencontrer d’autres personnes, de partager un sourire, quelques mots, des conseils… juste des instants de vie, saisis au vol. Ce sont les plus beaux, car les plus simples. J’aime cette vie dans la boulangerie, et je ne conçois pas mes journées ni mon pain sans tout cela. C’est un ensemble : du goût, mais aussi beaucoup d’humain. Si on fait le choix de se faire livrer le pain, le seul rapport humain que l’on entretient sera avec le livreur… un peu limité. Cela ne laisse pas beaucoup de place à l’inattendu, aux découvertes.

Difficile d’avoir un avis tranché sur la question, dans tous les cas. Vous, qu’en pensez-vous ?

Certains boulangers exercent leur métier depuis de nombreuses années, et quand on sait la difficulté qu’il présente au quotidien, on peut aisément penser qu’ils finissent par être complètement lassés, usés par ces gestes répétés. Cela explique sans doute que certaines adresses connaissent d’importantes baisses de qualité avec le temps, même si les ouvriers sont renouvelés au sein du fournil. Pour autant, certains parviennent à nous prouver le contraire en nous régalant encore… Comme quoi, tout est affaire d’envie et de passion.

En la matière, on ne peut pas dire que Thierry Renard soit un boulanger usé par le temps. On pourrait même le qualifier de… rusé. Précédemment installé sur le boulevard de l’Hôpital, dans le 13è arrondissement, il a repris depuis peu la boulangerie du 58 rue du Cherche-Midi, dans le 6è arrondissement. Cette boutique aux tons beige et bleu clair était précédemment tenue par la maison Morienne, qui l’a cédée fin janvier à notre artisan. Pour lui, ce choix d’implantation est plutôt bien vu, car l’endroit ne manque pas de passage, et malgré la présence de la Grande Epicerie ou encore de Poilâne à quelques centaines de mètres, le secteur n’est pas particulièrement riche en boulangeries, et certainement pas en « bonnes » adresses.

Du bon, ce boulanger sait en faire. Installé depuis 1989 à Paris, Thierry Renard s’est plusieurs fois distingué lors des concours organisés par le Syndicat de la Boulangerie-Pâtisserie de Paris : 9è au Grand Prix de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris en 2007, 4è au Concours du Meilleur Croissant au Beurre AOC Charentes-Poitou en 2009… Certes, ces concours ne sont pas toujours en adéquation avec la qualité des produits au quotidien, mais cela dénote déjà une certaine implication et une volonté de mettre en avant son savoir-faire.

Dans le cas présent, on peut dire que les habitants du 13è arrondissement doivent regretter le départ de cet artisan, car il propose effectivement des pains, gourmandises et en-cas tout à fait respectables, ici, rue du Cherche-Midi. La transition entre les deux propriétaires semble s’être réalisée de façon plutôt harmonieuse, dans la continuité, puisque la boutique n’a pas subi de transformation majeure.
A commencer par le meunier, qui est resté le même. En effet, les farines des moulins Bourgeois sont ici mises à l’honneur, avec la reprise d’une grande partie de la gamme développée par ce minotier. La baguette de tradition est réalisée à partir d’une farine Label Rouge Reine des Blés, et offre d’agréables arômes de crème et de beurre, accompagnés par une mie bien alvéolée et humidifiée. On peut cependant regretter les cuissons bien trop aléatoires et ayant tendance à être excessivement courtes, ce qui ne permet pas de développer une croûte savoureuse et assurant une meilleure conservation du produit.
Parmi les « spéciaux », le pain miel-raisins – bien cuit, quant à lui – est particulièrement réussi, même si les autres propositions sont assez bien réalisées (baguette Eclats de Lin, « Saveur », pain des Prés…). Les tarifs demeurent tout à fait raisonnables, même sur les spéciaux, ce qui est très appréciable dans le quartier.

En sucré, les tartes vendues à la part constituent le point fort de l’endroit, exprimant bien tout le caractère boulanger de ces pâtisseries simples et accessibles. Les autres, un peu plus élaborées, à l’image des verrines, éclairs et autres gâteaux traditionnels sont honnêtes, mais sans caractère exceptionnel. Quant aux viennoiseries, elles sont de bonne tenue, et offrent un feuilletage bien craquant. Le croissant au beurre tire plus particulièrement son épingle du jeu, mais cela n’a rien d’étonnant.

Dans un quartier aussi passant et actif que celui-ci, les en-cas constituent une activité essentielle pour une boulangerie parisienne, lui permettant de réaliser une belle part de son chiffre d’affaire au déjeuner. Thierry Renard l’a bien compris, tout comme ses prédécesseurs, car on trouve dans sa boulangerie un large choix de salades, sandwiches et quiches qui ne manqueront pas d’être vite avalés par la population pressée du secteur. Les produits sont d’une belle fraicheur, plutôt soignés, et les salades se défendent honorablement face aux propositions onéreuses de la Grande Epicerie toute proche.

En boutique, le changement de propriétaire n’a pas changé les habitudes, puisque l’on retrouve une partie du personnel de vente déjà présent auparavant, et c’est tant mieux car la clientèle n’est pas perturbée, en plus de revêtir un aspect social à ne pas négliger. Cette pratique est d’autant plus appréciable que le service est charmant, disponible et souriant. Les produits sont bien maîtrisés, appréciés et défendus.

Infos pratiques

58 rue du Cherche-Midi – 75006 Paris (métro Saint-Placide, ligne 4 ou Sèvres-Babylone, ligne 10 et 12) / tél : 01 42 22 53 35
ouvert du lundi au vendredi de 7h à 20h.

Avis résumé

Pain ? La baguette de tradition Reine des Blés nous offre une belle expérience gourmande au travers de ses notes persistantes de beurre et de crème, ainsi que par sa mie moelleuse et alvéolée. On regrettera cependant les cuissons trop aléatoires, avec parfois des croûtes trop blanches, ce qui ne permet pas d’obtenir des pains de bonne conservation et exprimant l’ensemble de leur potentiel gustatif. Le reste de la gamme est honnête, avec une mention spéciale pour le pain miel-raisins – une vraie gourmandise. Tarifs modérés, surtout quand on tient compte des pratiques du quartier.
Accueil ? Disponible, bien formé et souriant, le service nous offre une belle chaleur humaine et montre son expérience en nous offrant une bonne maîtrise des produits. Cela donne à l’endroit un caractère sympathique de boulangerie de quartier, d’autant plus appréciable dans ce secteur très passant.
Le reste ? Les tartes sont incontestablement les pâtisseries boulangères les mieux réalisées ici, offrant saveurs et diversité, en toute simplicité. Les autres gourmandises, assez simples et traditionnelles, mis à part des créations telles que des verrines, demeurent toutefois assez correctes, à l’image des viennoiseries. Belle offre salée, déclinée en salades, sandwiches et autres quiches. Les produits sont frais, et surtout, ils sont accessibles, ce qui est une qualité bien trop rare dans ce quartier.

Faut-il y aller ? Thierry Renard n’a pas traversé la capitale pour rien, et nous propose dans sa « nouvelle » boulangerie des produits très honorables. Espérons toutefois que les cuissons seront mieux menées à l’avenir, ce qui permettra à ses pains d’exprimer pleinement leur potentiel. Tout cela associé à un service sympathique et à une boutique bien tenue, voilà une belle adresse pour ce quartier qui a tendance à en manquer, d’autant plus dès lors que l’on tient compte des tarifs. En bref… Il n’y a pas de loup chez ce Renard. Il fallait que je la fasse, si si.

On vit une époque formidable. Si, si, croyez-moi. Rarement le monde aura autant changé en si peu de temps, rarement nos habitudes auront été bouleversées à ce point. Cela touche à peu près l’ensemble des éléments qui constituent nos vies, et ce caractère global et quasi absolu est autant fascinant qu’effrayant. Dans ce mouvement, deux choix s’offrent à nous : en être acteurs ou simplement spectateurs.

En matière de gourmandise, cela suit le même mouvement. Peu à peu dé-sucrées, revisitées, déstructurées puis restructurées, elles sont en changement perpétuel et dans un sens, on aurait bien tort de s’en plaindre. Pendant trop longtemps nous avons été otages de nos propres goûts, condamnés à l’uniformité gustative. Un peu de fraicheur ne nous fait pas de mal.
Au delà de l’aspect visuel et gustatif, il y a aussi une réflexion à mener sur la façon dont on consomme le dessert. Avec un mode de vie de plus en plus stressant et ‘nerveux’, nos habitudes en ce qui concerne les repas ont été profondément bouleversées. Pris sur le pouce, entre deux rendez-vous ou réunions, ils sont souvent peu savoureux et avalés avant même d’avoir eu le temps de chercher à les apprécier…

Doit-il en être de même pour les pâtisseries et le sucré ? On a tous des souvenirs de longs goûters pris entre amis ou en famille, de desserts après un copieux repas les jours de fête, … le sucré garde un côté sacré, même s’il peut très bien être synonyme de gourmandise ‘dans l’instant’ au travers de biscuits, viennoiseries et autres produits bien moins hautement considérés.
Pour autant, je pense que l’on pourrait tout à fait concevoir de consommer des desserts « haute couture » en les intégrant dans nos journées très actives, comme des notes d’élégance dans cette grisaille ambiante. Cela fait un peu partie du travail que réalise Christophe Adam avec son concept de « snacking sucré », qu’il décline à présent dans les deux restaurants Adam’s des 8è et 12è arrondissements.

Il n’est pas le seul à tenter de dépoussiérer la pâtisserie, en associant fraîcheur et inventivité. J’ai déjà eu l’occasion de vous parler des créations de Jonathan Blot, créateur de la sympathique boutique Acide Macaron, malheureusement blottie dans son 17è arrondissement. Ici, on casse les codes et on réalise chaque jour des gourmandises modernes et bien dans leurs baskets : macarons au bubble-gum, au yuzu et à la bergamote …, petits sablés très soignés tout en étant terriblement gourmands et régressifs, … mais aussi une gamme sans cesse mouvante de pâtisseries.
Parmi celles-ci est arrivée pour les beaux jours un surprenant « Yaourt ». Présenté dans ce petit pot très simple (le packaging est temporaire et devrait être remplacé très rapidement), il nous propose une expérience de dégustation plutôt originale et savoureuse. Si l’on se limite à l’intitulé, on peut bien entendu penser que tout cela n’a pas grand intérêt, et qu’il suffirait de se rendre dans le supermarché le plus proche pour y trouver un équivalent moins onéreux. Non, il s’agit bien là de ce que l’on peut appeler une pâtisserie, un yaourt « haute couture » si vous préférez.

Pour le déguster, pas besoin d’assiette ou de cérémonial. Une cuillère, quelques secondes de votre temps, et « vous êtes chez vous » comme l’auraient dit les publicitaires de France Télécom en leur temps. Une fois celle-ci plongée, vous découvrez alors cette association d’une crème parfumée aux agrumes, d’une gelée de fruits rouges et d’un mélange de fruits frais. L’onctueux de la partie lactique s’oppose avec le côté plutôt « froid » de la gelée, ce qui ne manque pas d’intérêt, tandis que les fraises, framboises et myrtilles craquent légèrement sous la dent avec leurs grains et pépins. Les agrumes apportent une douce saveur pour relever les fruits rouges, et leur acidité aura permis d’obtenir la texture souhaitée : en effet, la crème n’est pas trop prise comme on aurait pu le craindre, on est bien loin d’une panacotta ou équivalent, puisqu’aucune gélatine n’est utilisée ici.
C’est frais, léger, peu sucré. Une vraie gourmandise pour le printemps et l’été qui arrivent. La simplicité et la saveur du produit en font une création intéressante, avec une réelle volonté de dépasser les codes habituels de la pâtisserie. Cela n’est pas une verrine, un entremet, une tarte… Non, c’est différent. Ca n’en est pas moins joli, et très accessible.

Le Yaourt, Acide Macaron – Paris 17è, « tube » individuel vendu 3,5€ l’unité.

Hier je vous parlais de ceux que l’on entend un petit peu trop, qui ont plus tendance à communiquer qu’à faire le plus important, c’est à dire le bien, le beau, le simple, et ce au quotidien. A l’inverse, il y en a quelques uns qui réalisent un travail impressionnant en toute discrétion, comme s’ils avaient un peu trop retenu l’adage « vivons heureux, vivons cachés ». Tout cela est un peu malheureux car cela laisse beaucoup trop de champ libre, qui devrait être occupé par ceux qui le méritent réellement. Le monde est ainsi fait, imparfait et compliqué. Essayons seulement de le rendre plus juste.

Parmi ces artistes de l’ombre, ces travailleurs acharnés qui parviennent à offrir à leur clientèle des produits de qualité sans s’en vanter, Rodolphe Landemaine compte parmi mes préférés. En effet, cet artisan boulanger a su multiplier les implantations à Paris au fil des années, sans pour autant perdre ce bel esprit d’entreprise et d’humanité qui est le sien. Autant en France qu’en Asie, au travers de son école de formation « Levain d’Antan », ouverte au Japon avec son épouse, il cultive le partage mais pas la communication. A peine en a on entendu parler l’an passé avec sa nomination au titre de « boulanger de l’année » dans le Pudlo. Au delà de ça, rien, pas d’agence de RP, peu de parutions dans la presse.

De l'extérieur, rien n'indique la récente reprise. Pourtant, dans la boutique, les produits ont déjà considérablement évolué.

Depuis début mars, il nous apporte une nouvelle preuve de son talent de boulanger et d’entrepreneur, mais aussi de ses qualités humaines, grâce à sa toute dernière implantation au 121 rue de Charonne, dans le 11è arrondissement. En réalité, il ne s’est pas installé seul dans cette boulangerie, et c’est certainement ce qui donne à cette reprise un caractère encore plus humain et sympathique. C’est avec un ami de longue date, David Devant, qu’il a repris l’affaire précédemment tenue par le couple Maurice. Cet artisan passionné a oeuvré dans de grandes maisons depuis plusieurs années, et notamment aux côtés de Rodolphe Landemaine. Il souhaitait se mettre à son compte, ce projet a pu se concrétiser avec l’apport de son ami. Quand la boulangerie raconte de telles histoires, le painrisien que je suis ne peut qu’être séduit, d’autant plus quand cela participe à la transformation d’un quartier.

En effet, la rue de Charonne et ses alentours se montrent de plus en plus gourmands et presque ‘tendance’. D’une zone plutôt morose et très ouvrière, le quartier mue peu à peu avec l’implantation de commerces de qualité. Entre le restaurant Septime à quelques pas (un important client de la boulangerie Landemaine Voltaire, par ailleurs !), la maison POS et ses produits savoureux, le fameux Cyril Lignac en embuscade aux alentours… cela offre autant de perspectives intéressantes aux habitants du secteur.
A la sortie du métro Charonne, la boulangerie à la devanture bleue reprise par les deux compères ne manque pas de potentiel, même si le travail à effectuer est d’ampleur. La boutique est demeurée « dans son jus » depuis plusieurs années, détenue par un artisan affilié au réseau Ronde des Pains, peu porté sur le caractère attrayant que pourrait avoir l’endroit.

Cependant, ce sont dors et déjà les produits vendus ici qui profitent de ce changement. Côté pains, on retrouve une grande partie des recettes développées dans les boulangeries Landemaine. Baguette de tradition bien sûr, mais aussi une très bonne « baguette de campagne » – très douce et aux belles notes de noisette, ainsi que le « pain de Charonne » (pain de tradition au levain bien relevé, proposé dans les autres boutiques sous les noms de Pain de Voltaire, de Clichy, des Martyrs ou encore Roquette) ou encore quelques spéciaux (pain au cacao, pain ananas-papaye, pain au chocolat blanc…) et bien sûr la tourte de Meule. Il reste encore du travail à réaliser : c’est toute une équipe déjà en place qu’il faut réorienter, avec laquelle il faut composer et changer des habitudes bien ancrées. Néanmoins, les pains sont dors et déjà tout à fait honorables et on y retrouve la « patte » de la maison Landemaine.

Ce qui différencie particulièrement cette boutique, ce sont certainement les pâtisseries, avec une gamme particulièrement soignée et intéressante. On trouve ainsi des créations telles qu’un éclair au cassis. Pour le reste, on appréciera également l’offre de sandwiches, de fougasses, de pizzas, de quiches et même de burgers, ainsi que les diverses tartes vendues à la part. Les viennoiseries sont tout à fait avenantes.

Il faudra encore un peu de temps pour que tout soit parfait et que l’équipe soit bien rodée, mais après 6 semaines d’activité, on ne peut que saluer le travail réalisé. Celui-ci se concrétise également du côté de l’accueil, pas tout à fait au point, mais de bonne volonté.

Infos pratiques

121 rue de Charonne – 75011 Paris (métro Charonne, ligne 9)
ouvert tous les jours sauf le mercredi de 7h à 20h.

Débroussailler, éclairer, chercher l’authentique et le réellement savoureux derrière les apparences, voilà une grande part du travail painrisien auquel vous pouvez prendre part quotidiennement ici-même. C’est un engagement, un mode de pensée, et même si cela n’est pas toujours facile à faire ni à défendre, l’important est de rester convaincus de l’intérêt de cette « tâche » qui ne manque pas d’ampleur… car en la matière, Paris concentre les lieux tendance, plus concentrés sur l’apparence et le concept que sur la qualité des prestations. Pour cela, il savent s’accompagner de charmantes agences de relations publiques, qui distillent la bonne parole auprès des personnes potentiellement « influentes »… Plus le temps passe et plus tout cela me fatigue. Il faut croire que j’ai besoin de vacances.

Malgré tout, on peut parfois se tromper, se laisser aveugler et écouter un peu trop les belles histoires que l’on nous raconte. Cela m’est arrivé dans le cas de Popelini. En effet, j’avais écrit un article plutôt enthousiaste au sujet de ce concept dédié aux choux à la crème, il y a un peu moins d’un an. J’ai parfois un peu trop tendance à vouloir encourager les jeunes entreprises et les personnes qui oeuvrent derrière, car l’entrepreneuriat n’est pas une chose aisée… Forcément, la conséquence peut être d’en oublier l’essentiel, en l’occurrence… le goût et la qualité.

Popelini, rue Debelleyme

C’est en effet sur ce point que le bât blesse dans ces charmantes boutiques du 3è et depuis quelques jours du 9è arrondissement. Visuellement, ces petits choux biens dodus ont pourtant tout pour plaire : présentés dans un écrin soigné, mis en avant dans des présentations variées, déclinés en de nombreuses saveurs dont certaines sont périodiques ou même « du jour », plutôt élégants avec leurs couleurs vives, emballés avec de biens jolies boîtes que l’on peut presque amener en cadeau à des amis lors d’un repas… Seulement, il ne s’agit là que de visuel, d’apparence. Cela semble être le cheval de bataille de Lauren Koumetz et son équipe. Il faut dire que la jeune entrepreneuse a été à bonne école : conseillée et accompagnée par Christophe Michalak, tout comme l’ont été ses parents dans le développement de leur marque ‘lette macarons à Los Angeles, elle a sans doute reçu le goût du visuel poussé à l’extrême du très réputé chef pâtissier.

Lorsque l’on passe à la dégustation, après un passage dans la nouvelle boutique de la rue des Martyrs, c’est là que l’on se rend compte du problème : la pâte à choux, certes légèrement craquante sur le dessus, est sèche, elle manque singulièrement du moelleux que l’on aimerait y trouver, mais ce n’est pas le seul reproche à adresser au sujet de ces pâtisseries. Certains parfums se défendent honorablement, à l’image du citron, bien parfumé, ou du praliné. D’autres ne parviennent pas à convaincre : entre un café plutôt amer, un pistache-griotte, un chocolat au lait-fruit de la passion aux confits de fruit quasi-absents ou encore un rose-framboise mal équilibré, il y a de quoi être déçu. La déception est d’autant plus importante que l’épaisse couche de fondant surmontant le chou est très sucrée et écrase le parfum de la crème.
Bref, vous l’aurez compris, la qualité de réalisation ne m’a pas convaincu, d’autant que le tarif unitaire est assez élevé.

Dès lors, il me paraît un peu déplacé d’ouvrir une seconde boutique, même si je peux comprendre qu’il faille développer la marque et suivre le plan de marche sur lequel les investisseurs impliqués dans ce projet ne doivent pas manquer de pousser. Bref, pas vraiment le temps pour le ou la chef pâtissier (mise à jour 01/05/2012 : Alice Barday, la chef d’origine, a quitté l’entreprise en janvier 2012) de travailler sur la qualité des produits… il faut faire du volume, d’autant que la demande est importante : il n’est pas rare de trouver porte close avant l’heure officielle de fermeture, pour raison d’absence de marchandise à proposer. Comme quoi, l’effet « tendance » bat son plein, comme un pied de nez au macaron. A Paris, l’important est d’être « à la pointe » de la mode. D’ailleurs, Arnaud Delmontel, le nouveau voisin de Popelini dans le 9è arrondissement, l’a bien compris : l’artisan a intégré dans sa nouvelle « collection » une gamme… de choux ! A défaut d’avoir de la créativité, il faut bien avoir du culot.

Dans tous les cas, gardons toujours la tête froide et concentrons-nous sur l’essentiel. C’est de cette façon que l’on parvient à trouver des produits savoureux, au delà de tout effet de masse.

Popelini, 29 rue Debelleyme – 75003 Paris (métro Saint Sébastien Froissart, ligne 8) / tél : 01 44 61 31 44
et, depuis le 5 avril : 44 rue des Martyrs – 75009 Paris (métro Notre-Dame de Lorette, ligne 12)
site web : http://www.popelini.com

Comment parvenir à faire varier les saveurs sans ajouter d’ingrédients dans un pain ? Tout d’abord, on multiplier les recettes et méthodes de fabrication : levain, levure, fermentation plus ou moins longue… Le façonnage apporte également sa note à l’ensemble : les petits pains et les grosses pièces ne développent pas les mêmes arômes, et ne présentent pas la même quantité de croûte. Il est également possible d’utiliser des farines différentes. En la matière, le choix est bien plus large qu’il pourrait y paraître. En effet, peu d’artisans font le choix d’exploiter le large panel de variétés de blé et de types (T80, T110, T150…) que l’on retrouve sur le marché meunier. Bien entendu, la plupart proposent un pain de seigle, un pain complet, à la rigueur et plus rarement de l’épeautre, mais cela ne va pas plus loin.

A l’inverse, d’autres cultivent la diversité, pour notre plus grand plaisir. C’est le cas de la boulangerie La Badine de Martine, dans le 12è arrondissement, où Patrick Desgranges et son équipe ont développé une large gamme de pains : seigle toujours, petit et grand épeautre, sarrasin, maïs, châtaigne, farines plus ou moins complètes (de la tradition T65 à l’intégral en passant par la bise T80…) mais également, et c’est certainement l’un des plus « rares », le Kamut.

Cette variété de blé compte parmi les plus anciennes, car on en a retrouvé des traces chez les égyptiens. Attention toutefois, car il s’agit d’une marque déposée. En effet, cette céréale est en réalité un cultivar du blé de Khorasan, dont les graines furent trouvées en Égypte en 1949 et qui est cultivé selon les règles de l’agriculture biologique sous contrôle de la société Kamut International. Le premier effet notable est que cela augmente le prix de la farine, ce qui explique en partie sa faible représentation en boulangerie. Généralement, on le trouve en magasin Bio, avec tous les inconvénients en terme de fraicheur mais aussi de qualité que cela comporte (production en masse, ce que la saveur du pain ne supporte qu’assez mal). C’est dommage, car la farine qu’il produit présente de grandes qualités nutritives : son gluten est généralement mieux toléré par l’organisme, elle est riche en protéines (20 à 40% de plus que le blé tendre traditionnel) mais aussi en acides gras non saturés.

Tout cela est bien sympathique, mais ce qui nous importe avant tout, c’est le goût. En la matière, là encore, le Kamut a beaucoup à nous apporter : on lui attribue une petite saveur de noisette bien agréable, toutefois, c’est quelque chose que l’on peut retrouver assez souvent dès lors que le pain est bien réalisé. A la Badine de Martine, cela s’accompagne d’une acidité maîtrisée, qui procure à l’ensemble des notes d’épices, de vanille. Ainsi, il accompagne très bien des plats de viande blanche, mais aussi des fromages de chèvre ou même du foie gras, en apportant un fond subtil et discret, présent mais pas dominant.
La mie – suffisamment alvéolée pour ne pas être dense – est un peu collante le jour de l’achat, ce qui est du à une hydratation assez importante. Cela n’est pas rédhibitoire, avec l’oeuvre du rassissement, le produit est parfait le lendemain. Sa tenue est excellente, ce qui rend la coupe aisée et la confection de larges tartines agréable. Quant à la croûte, son épaisseur demeure assez importante pour assurer la bonne conservation de l’ensemble. Elle sait rester assez craquante malgré les heures et, grâce à une cuisson bien menée, elle exprime une belle note acidulée qui relève la douceur humide de la mie, teintée de cette couleur légèrement jaunâtre caractéristique du Kamut.

En définitive, ce pain est une belle réussite, associant goût, qualité de réalisation générale et intérêt nutritif. Ce qui est intéressant, c’est d’observer son évolution au fil du temps : très humide le jour même, il prend de la consistance le lendemain et son acidité va s’échapper au fil des heures, jusqu’à en faire un pain très doux le surlendemain. A chaque fois, les arômes sont différents, et cette multiplicité d’expériences est particulièrement agréable. On regrettera juste une chose : le fait qu’il soit bien trop fariné. La croûte est en effet recouverte d’une épaisse couche blanche, que je prends soin de retirer après l’achat.
Cerise sur le gâteau, ou plutôt sur le pain, son prix demeure relativement modéré pour un pain de Kamut, qui atteint souvent des sommets.

Pain de Kamut, La Badine de Martine – Paris 12è, vendu à la pièce, 3,40€ la boule de 400g. 

Au cours de mes balades painrisiennes, je visite régulièrement mes boulangeries préférées, pour aller chercher ces fameux pains dont j’avais eu l’occasion de vous parler dans un précédent billet. Seulement, si je ne faisais que ça, cela ferait bien longtemps que je n’aurais plus rien à vous écrire… et surtout, ce serait le travail de dizaines d’artisans que je passerais sous silence. Ainsi, je continue à chercher de nouvelles adresses, je lis des avis sur Internet mais je cherche aussi beaucoup au fil des rues. Un peu comme on se promène dans les champs, je cueille des boulangeries…

Promenade dans les Champs… Elysées, ou plutôt dans le quartier de l’Etoile, puisque c’est sur l’avenue de Wagram que l’on retrouve la boulangerie Aux Délices de l’Etoile. Loin d’être devenus des stars boulangères, ses propriétaires se sont multipliés depuis l’ouverture de cette adresse, dont le nom garde les traces de cette implantation historique. Le 15è, le 16è mais aussi la proche banlieue, à Issy-les-Moulineaux, cela dénote d’une certaine volonté d’entreprendre… et de se faire une place dans ce véritable ‘business’ que peut être la boulangerie.

Sur l’avenue de Wagram, cette boutique d’angle affiche des lignes plutôt élégantes, traditionnelles et sobres. Pas de modernité excessive ou de brillant pour imiter les étoiles, l’écrin dans lequel nous sont proposés les produits demeure dans l’esprit de l’affaire de quartier propre et bien tenue. De la tenue, la baguette de tradition en présente et nous offre un visuel des plus agréables, avec sa grigne verticale bien marquée et ouverte. Les façonnages sont élégants, les cuissons parfois un peu courtes mais les présentoirs parviennent toujours à nous offrir un chamarré de couleurs, allant d’une regrettable pâleur à de belles teintes ambrées. Au delà de ça, la croûte est bien craquante, la mie alvéolée et fraiche. Cela n’a pas énormément de caractère ni de puissance aromatique particulière, mais c’est un pain de table que l’on déguste avec plaisir, surtout au meilleur de sa fraicheur. D’ailleurs, la conservation est plutôt acceptable, dans la moyenne.
Le problème se situe dans le reste de la gamme, qui est loin d’être à l’avenant. Les pains spéciaux ne présentent pas d’intérêt particulier et on préfèrera tout simplement passer son tour. Seuls les pavés de tradition sont honorables, dans la même lignée que la baguette. Dommage.

Les pâtisseries

Le rayon sucré ne figure pas parmi les étoiles montantes de la pâtisserie, néanmoins, on y retrouve des classiques réalisés avec un certain soin, que ce soit du côté des entremets, des pâtes à choux ou encore des tartes. Il ne faut pas trop en demander, et éviter soigneusement des propositions telles que les fraisiers aux fruits dopés aux hormones. Mis à part ce type de détail, rien à signaler de particulier, sinon des tarifs plutôt corrects vu les moyennes entretenues dans notre capitale. Le large choix de tartes et crumbles à la part est appréciable.
Les viennoiseries, quant à elles, seront bien vite oubliées, tout comme les diverses gourmandises qui complètent la gamme (financiers, cannelés, …) et peinent à justifier réellement leur prix.

Les viennoiseries

Les amateurs des repas rapides et simples trouveront des produits traiteurs acceptables, avec des recettes très traditionnelles mais toujours appréciables. Quiches, pizzas, feuilletés divers et bien sûr sandwiches, cela fait le bonheur des nombreux travailleurs du quartier qui sont chaque jour nombreux à se présenter devant les vitrines de cette boulangerie, des étoiles dans les yeux (cette fois-ci, j’arrête). D’ailleurs, c’est l’occasion de traiter du service, puisqu’une file dédiée à ce type de produit est mise en place à l’heure du déjeuner, ce qui permet de fluidifier le passage dans la boutique, tout en assurant rapidité et efficacité aux clients venus chercher leur baguette ou autre morceau de pain. Une pratique que j’aimerais voir plus souvent mise en place, car le pain doit rester avant tout ‘le centre’ d’une boulangerie.
Au delà de l’aspect technique et organisationnel, l’accueil est sympathique, plutôt chaleureux et délivre des informations pertinentes sur les produits. Ce serait tellement mieux s’il n’était pas affublé de ces magnifiques machines à encaissement automatique…

La gamme traiteur & les tartes

Infos pratiques

130 avenue de Wagram – 75017 Paris (métro Wagram, ligne 3) / tél : 01 47 66 14 11
ouvert du lundi au samedi de 7h à 20h.

Avis résumé

Pain ? La baguette de tradition s’en sort bien : élégante, craquante, bien alvéolée, même si son parfum demeure assez discret et son caractère un peu absent, cela demeure un pain que l’on déguste avec plaisir, du bout des doigts. Le reste de la gamme ne présente pas d’intérêt, quant à lui.
Accueil ? Souriant, plutôt chaleureux et dynamique. On ne peut que regretter la présence de caisses automatiques, qui cassent la relation humaine que l’on peut entretenir avec le personnel de vente. En terme d’organisation, la mise en place d’une file dédiée aux sandwiches et autres en-cas salés est une pratique appréciable pour les consommateurs de pain.
Le reste ? Les pâtisseries, classiques et sans grande fantaisie, sont plutôt soignées, si l’on met de côté les fraisiers et leurs fruits dopés aux hormones… La sélection des meilleurs fruits ne semble pas vraiment être la préoccupation de la maison. Les viennoiseries sont sans grand relief, assez passables. L’offre traiteur – sandwiches, quiches, feuilletés… – ne quitte pas le champ de la tradition, tout en offrant des produits honorables. Les prix sont tout à fait acceptables pour le quartier, ce qui est à noter.

Faut-il y aller ? La maison est bien tenue, elle ne dénote pas particulièrement dans le paysage mais ne se présente pas non plus comme une étoile que l’on verrait particulièrement briller dans le ciel boulanger… Cela demeure tout de même une bonne adresse « de quartier » pour acheter sa baguette de tradition quotidienne ou faire un repas sur le pouce.

Que c’est étrange, la vie. Elle parvient à créer des parallèles entre des choses, des matières, des éléments qui paraîtraient pourtant éloignés de prime abord. Chaque jour qui passe est une occasion d’apprendre, de découvrir mais surtout de redécouvrir. Dépasser ses idées reçues, sortir des prisons et des murs que l’on élève… Parler de liberté, l’écrire sur les murs, et sur le pain.

Le pain nous rend libres, tout d’abord en nous nourrissant. De cette façon, il nous apporte l’énergie nécessaire pour agir, réfléchir, faire des choix… vivre, tout simplement, sans être esclaves d’une quelconque faiblesse. Le problème se situe sur l’inégalité face à l’accès à cet aliment de première nécessité : encore trop d’hommes en sont privés, tout comme dans un sens ils sont privés de liberté. Pour beaucoup condamnés à souffrir et sans perspective d’un avenir « meilleur », on se dit que leur donner un simple morceau de pain serait bien dérisoire… Non, il ne faudrait pas leur donner, mais leur apprendre à le faire, à le reproduire, à faire grandir cette idée que derrière un aliment simple et universel, il y a de nombreuses valeurs : le partage, l’accessibilité, le beau, le bon… et au final cette liberté sous-jacente.

Je le dis souvent, mais au delà d’une nourriture du corps, le pain doit aussi constituer une nourriture de l’esprit. Par sa force d’évocation, là encore, il est vecteur de liberté. En le respirant, en le dégustant, on s’évade, on fait appel à nos souvenirs autant qu’à nos aspirations, voilà quelques instants de liberté, offerts « simplement » par une expérience sensorielle. Il faut simplement en prendre le temps, le temps d’apprécier les choses, de les saisir un peu plus qu’un instant, que par un regard fugace. Le problème, c’est que là encore nous ne sommes pas égaux : tout le monde n’a pas la chance d’avoir un bon boulanger en bas de chez soi, ni le temps d’aller un peu plus loin pour trouver un bon artisan. Ainsi donc la liberté, tout comme le temps, serait un luxe ?
Luxe ou état d’esprit… Cette liberté n’est pas évidente, c’est un combat, autant vis à vis de soi même que du reste du monde. Quand bien même on aurait toutes les cartes en mains pour la saisir, pour la croquer comme on croque une baguette de pain, en serions-nous capables ? Il faut faire preuve de clairvoyance, d’ouverture d’esprit et le vouloir, aussi. Cela peut paraître un peu idiot, oui, tout le monde voudrait être libre, de prime abord. En réalité, je pense que nous avons plutôt tendance à nous complaire dans des carcans confortables, ce qui signifie en définitive que la liberté que l’on prône est tout à fait virtuelle.

Rompre nos habitudes, comme on rompt le pain : en toute simplicité, comme si cela était naturel, alors qu’en réalité c’est éminemment complexe. Ca n’en est que plus beau, on ne peut que mieux savourer une fois dépassées les barrières de l’apparence. Il faut y mettre de l’amour, j’en reviens toujours à ça, l’amour parviendra alors à sublimer le quotidien comme il sublime le pain lorsqu’on le réalise avec, et au final il parviendra à réaliser cette fameuse liberté tant désirée et dessinée.

Cela vous paraîtra peut-être n’avoir ni queue ni tête, c’est simplement un des méandres de la vie, un court manifeste écrit sur un coin de nappe en passant, sans aucune autre contrainte que celle de la volonté d’inciter le monde à changer, à s’ouvrir et au final à devenir plus libre. Vous voyez, lors des récentes révolutions arabes, le pain était au centre des préoccupations : les insurgés voulaient du pain, de la liberté et de la justice sociale… Même si j’ai le premier élément, je n’ai pas encore réussi à saisir les deux autres. Il s’agit d’une histoire vraie. Elle ne saurait être parfaite.

Les diagrammes de fabrication et recettes typent inévitablement les pains, leurs textures et saveurs. Cela permet au consommateur d’avoir des référents, par rapport à ses goûts et ses expériences. Il s’agit d’un travail artisanal, le résultat va donc varier d’un artisan à l’autre, néanmoins on retrouve inévitablement des points communs indiscutables.
Ainsi, les gammes développées par les meuniers ou quelques « réseaux » de boulangerie ont leur signatures… dans un sens, c’est un peu dommage, car on efface peu à peu ce qui pourrait différencier un boulanger d’un autre.

Parmi les marques les plus emblématiques d’un produit et d’un savoir faire, on retrouve la Flûte Gana. Elaborée par Bernard Ganachaud dans son fournil du 20è arrondissement, elle a par la suite été « transmise » à des artisans désireux de proposer à leur clientèle ce « produit haut de gamme », reconnu par les consommateurs grâce à la marque développée par l’artisan au fil du temps. A côté de cette activité de conseil et de formation, la famille a tout de même continué son activité au sein du fournil parisien, puis des autres boutiques, venues rejoindre cette grande soeur devenue une institution.

La bâche recouvrant l'échafaudage actuellement en place

Parmi elles, la boulangerie du 212 Rue de la Convention, dans le 15è arrondissement. Ouverte fin 2009 par Marianne Ganachaud, une des soeurs de cette « dynastie » boulangère, cette boutique d’angle affiche une belle devanture d’un blanc immaculé, malheureusement recouverte par des échafaudages actuellement.
A l’intérieur, tout a été fait pour reproduire les « codes » de la rue des Pyrénées, comme ce grand comptoir surélevé où sont présentés l’ensemble des produits, pains, gourmandises et produits salés.

L’important est de savoir si justement la multiplication est parvenue à reproduire les spécialités de la maison, à commencer par la fameuse flûte. On lui retrouve bien ses caractéristiques habituelles, avec une croûte présente et très croustillante, une mie assez cotonneuse et peu humide, ainsi qu’une très bonne conservation, favorisée notamment par le travail sur base de poolish (« levain sur levure », comme on aime parfois l’appeler). A la dégustation, la mâche est agréable, la saveur de froment bien présente, accompagnée par quelques notes de céréales torréfiées. On regrettera cependant le fait que les cuissons aient tendance à être trop courtes sur les flûtes, ce qui est moins le cas sur le reste de la gamme. La famille ne s’est en effet pas limitée à la baguette mais a décliné sa base sous forme de pavés et pains aux graines. Les façonnages sont soignés, et les produits reprennent les points forts de la flûte.
A côté de cela, on trouve également des pains sur base de levain naturel, ainsi qu’une gamme biologique. Cela se tient bien, l’acidité est tout à fait maîtrisée. Petite dernière, la flûte biologique se défend plus qu’honorablement avec sa belle cuisson et sa croûte bien craquante.

Les viennoiseries, cakes et autres sablés demeurent dans une tradition assumée et élégante, rien ne sort du cadre même si l’on pourrait finalement trouver que tout cela manque de fantaisie et d’intérêt. Les tartes fines aux fruits ne sont ainsi pas exceptionnelles, l’utilisation de fruits hors saison n’y étant pas étrangère (les abricots au sirop, cela a bien moins de goût !). En salé, quiches, sandwiches et pizzas affichent une belle fraîcheur, pas de surprise.

Le service est plutôt efficace, avenant, bien renseigné et agréable. Au final, la prestation est de bon niveau, rien à redire de particulier, mis à part que l’on a l’impression d’un duplicata conforme du 226 rue des Pyrénées. Même si c’est appréciable pour les habitants du 15è arrondissement, il y a dans cette reproduction une certaine forme d’absence d’inventivité, les Ganachaud maintiennent leurs affaires sans y apporter de nouvelles impulsions, ce qui conduira certainement à terme à une certaine perte d’intérêt et de « prestige »… mais cela n’a-t-il pas déjà commencé ?

Infos pratiques

212 Rue de la Convention – 75015 Paris (métro Convention, ligne 12) / tél : 01 45 32 96 70
ouvert du mardi au samedi de 7h30 à 20h.

Avis résumé

Pain ? Tout à fait conforme aux standards Gana. La flûte est égale à elle-même, avec une croûte croustillante, une mie un peu sèche à mon goût mais relativement alvéolée, sans être « sauvage », et d’agréables arômes de froment. On notera l’excellente conservation. Les autres pains, qu’ils soient dérivés de la même base ou réalisés sur levain naturel, sont bien réalisés et leurs cuissons mieux abouties que celle de la flûte, malheureusement un peu blanche. Les prix demeurent cependant assez élevés pour des produits très traditionnels.
Accueil ? Agréable, disponible et souriant, le service contribue à donner à cette belle boulangerie un caractère sympathique et avenant. On se sent bien dans ce décor « à l’ancienne », très similaire à celui déployé dans les autres Comptoirs Gana. L’efficacité est au rendez-vous, et les pics d’affluence sont gérés sans difficulté.
Le reste ? Tout est traditionnel, plutôt bien réalisé, mais on aimerait presque plus un peu d’originalité, de folie. Les produits semblent s’être un peu endormis, à l’image de ces tartes fines à l’abricot hors saison. Les viennoiseries, cakes, financiers ou autres pains d’épices demeurent cependant des valeurs sûres. Les références salées se comptent sur le doigt de la main, avec quelques sandwiches, quiches ou pizzas, ce qui assure leur fraîcheur.

Faut-il y aller ? Sérieux et tradition, c’est sans doute ce qui qualifie le mieux le travail réalisé par la famille Ganachaud dans ses boutiques franciliennes. Leurs produits sont honnêtes, bien qu’ayant tendance à être assez onéreux. Au final, on pourrait leur reprocher leur manque de fantaisie, et cette absence de renouvellement dans les gammes. Certes, les pains Bio ont été introduits il y a quelques temps, mais cela demeure bien maigre et il me semble difficile de penser pouvoir travailler éternellement sur des bases similaires. Le problème est d’autant plus présent que la fameuse flûte Gana peut être trouvée un peu partout dans Paris et même en province. Néanmoins, à l’image de la boulangerie historique, nous sommes en présence d’une référence de la boulangerie, avec une boutique bien tenue, ce qui ne manquera pas de satisfaire les habitants du quartier.

Nous vivons dans la société de la performance. Etre les meilleurs, les plus rapides, les plus réactifs… Cette compétition permanente ne manque pas d’être usante à long terme, mais c’est ainsi. Cela n’épargne pas l’alimentation, où certains redoublent d’inventivité pour trouver les « meilleurs » produits. Dégustations, comparatifs, pourtant, la gastronomie demeure avant tout un livre ouvert, une page blanche où chacun exprime son goût personnel et sa sensibilité dans l’appréciation des mets .
Au delà de ça, sur des critères techniques et « objectifs », on a décrété que certains aliments étaient en réalité de « superaliments », comme si leur consommation avait la capacité de vous rendre beaux-forts-intelligents… (rayez la ou les mentions inutiles). Super-fruits, super-légumes, super-plantes… Le choix ne manque pas, et heureusement : tant qu’à manger, mangeons du « super ».
Parmi ces aliments aux nombreuses vertus, on peut compter les graines de lin. Cette céréale aurait en effet le pouvoir de réduire le taux de cholestérol au travers d’une fourniture importante d’oméga-3, de faciliter la digestion, de prévenir l’apparition de certains cancers… Autant dire que l’on devrait en mettre dans tous nos plats. Pas exactement, en réalité, puisque cela exprime une certaine saveur et qu’il est toujours question d’accords et de goût en matière d’alimentation.

Les pains aux céréales sont légion, je pense même qu’ils sont représentés dans la plupart des boulangeries. Les mélanges qu’ils incorporent varient d’une boutique à l’autre, même si les meuniers et divers fournisseurs de produits boulangers proposent leurs « créations » qui tendent à uniformiser l' »offre » que l’on pourra retrouver chez nos artisans. Tournesol, sésame, pavot, … et très souvent des graines de lin.

Certains boulangers ne font rien comme tout le monde, et c’est pour cela qu’on les aime. Ils développent des pains en dehors des standards, ce qui nous permet de changer de l’ordinaire et de découvrir de nouveaux accords, de nouvelles sensibilités. Je crois que s’ils n’existaient pas, cela fait longtemps que la lassitude m’aurait gagné et que je ne consommerais plus de pain…
Parmi ces trublions, Jean-Paul Mathon compte parmi les plus doués et passionnés, à mon sens. Chacune de ses créations exprime une véritable recherche d’équilibre et de subtilité.

A la Gambette à Pain, on ne trouve pas de pain « aux céréales », mais une « Bise de lin ». Bien énigmatique de prime abord, cette tourte vendue en quarts ne manque pas de qualités, en plus de celle d’incorporer du lin brun et doré, avec tous les atouts que j’ai pu vous présenter. Ce pain est « bis » à plusieurs points de vue : si l’on considère les graines, bien sûr, puisqu’il y en a deux types, mais aussi au travers de l’utilisation de farines plus « complètes », ce qui donne à sa mie cette couleur un peu grise. Parlons justement de la mie : assez bien alvéolée, très hydratée et d’excellente tenue, elle se révèle très gourmande et moelleuse, même si on pourrait la trouver un peu collante le jour de l’achat. Le lendemain, du fait du rassissement, le pain n’en est que plus intéressant.
La croûte, quant à elle, est très fine et peu présente. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les graines, qui craquent sous la dent. L’ensemble exprime un surprenant et prononcé goût de noisette légèrement acidulée, du fait du travail sur levain. Ce pain est en effet certifié biologique, réalisé à partir de farines des moulins Decollogne.
Au final, on prend un grand plaisir à déguster cette création au petit déjeuner, avec une simple noix de beurre. Sa texture et son goût en font un pain presque addictif, et c’est tant mieux puisqu’il est l’ami de notre santé… alors pourquoi se priver ?

La Bise de Lin, La Gambette à Pain, Paris 20è, vendu au quart de 250g, 3€ la part.