Mon propre courage m’étonne parfois. Je ne pensais pas parvenir un jour à visiter tous ces salons, en sachant que je risquerai d’y être dégoûté, malmené, surpris, dépité. Après tout, je me dis qu’il faut de tout pour faire un monde, que si ces entreprises existent, c’est qu’elles ont trouvé leur clientèle. Pour autant, cela ne change rien à la qualité… discutable de leurs produits.
En me rendant au Salon de l’Agriculture, je m’étais préparé. Armure anti-odeurs, filtres visuels… Non, j’exagère. Pour moi, l’essentiel était de voir l’événement sous l’oeil painrisien qui est le mien. Direction donc les hall 7.1 et 7.2 de Paris Expo Porte de Versailles, dédiés aux régions, produits et spécialités. Non pas que les animaux soient inintéressants, mais ce n’était pas l’objet de ma visite. Dès mon arrivée, la zone antillaise me met dans l’ambiance avec son public imbibé de punchs et divers rhums arrangés… Passons.
Dans ces deux pavillons, les régions doivent défendre leurs couleurs, et cela passe par des démonstrations de plus ou moins bon gout. En marge de celles-ci, les producteurs présentent leurs produits. Du vin dans le bordelais, du champagne en Champagne, des charcuteries en Alsace, du foie-gras dans le Périgord, des nougats à Montelimar, des calissons à Aix, … La plupart des spécialités représentées sont bien connues du grand public, mais on découvre tout de même des créations dans des terroirs que l’on croit dépourvus de tout ancrage et de toute authenticité : en Ile-de-France, le coquelicot de Nemours, les roses de Provins, les produits laitiers de la ferme de Viltain, le pain Bio filière Ile-de-France et bien d’autres propositions donnent du sens au ‘terroir francilien’ si cher à certains chefs, comme Yannick Alléno mais aussi bien d’autres ayant fait le choix de se fournir chez nos amis de Terroirs d’Avenir, qui sélectionnent des produits locaux et savoureux.
A l’inverse, certaines régions semblent plutot tentées de mettre en valeur des produits bien industriels, à l’image du Nord Pas-de-Calais, dont le stand présentait nombre de ‘spécialités’ bien aseptisées, sorties tout droit des lignes de production des usines de la région.
Au moins, dans ce cas, la couleur est affichée. Le problème, c’est que ce n’est pas forcément le cas ailleurs, ce qui n’empêche pas de rencontrer une grande majorité de produits douteux, issus d’un terroir bien imaginaire. L’appellation ‘de tradition’ est très en vogue alors qu’elle n’a aucune signification particulière. Il faut rassurer le consommateur, lui raconter de belles histoires, ressortir des grands-mères des placards. Rien de très glorieux dans cette façon d’agir, à mon sens. Le pire est certainement lorsque l’on entame une conversation avec l’un de ces « artisans », qui va alors détailler avec beaucoup d’éloquence son engagement et sa démarche profondément qualitative. Quand on voit le fossé entre le discours et la réalité, on se pose tout de même quelques questions.
Bien sûr, certains produits sont vraiment authentiques, certaines personnes sont honnêtes et vont se donner corps et âme pour proposer à leur clientèle un résultat à la hauteur de leurs espérances. Difficile de les repérer dans cet océan qu’est le Salon de l’Agriculture. Ce ne sont certainement pas ceux qui cherchent à en faire le plus, et leurs produits n’ont certainement pas les plus jolies étiquettes, ni les plus beaux présentoirs. Un peu comme je le fais pour le pain, il faut explorer, sentir, avoir l’oeil ouvert… et écouter, échanger avec les hommes et femmes.
Ce qui est assez impressionnant, c’est l’absence quasi complète des fruits et légumes, mis à part quelques pommes (comme la pomme AOP du Limousin), surprenant et décevant. Il faut croire que cela n’intéresse pas le grand public…
Intéressons nous au pain, tout de même. Il serait difficile de le voir partout sur ce type de salon, étant donné que ce produit nécessite d’être relativement frais, ce serait assez fou d’en proposer arrivé au terme des 8 jours que dure ce salon. La plupart des exposants ne souhaitent pas le cuire sur place, cela nécessiterait en effet une logistique importante et une capacité électrique que l’organisateur ne manquerait certainement pas de leur facturer.
Quelques stands en proposent tout de même, à la manière des exposants de foire, avec des pains à la mine affreuse, secs au possible. Il ne faut pas oublier les sandwiches que s’évertuent à vendre nombre de « restaurateurs » du Salon, car ils sont réalisés à partir de baguettes, pour la plupart. Là encore, rien de bien engageant : du pain blanc, voire industriel, du pré-cuit surgelé… Décidément, les visiteurs ne sont pas gâtés.
Seuls quelques stands sortent du lot. On peut citer celui du Chambre Professionnelle de la Boulangerie-Pâtisserie de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, où des boulangers pétrissent des cuisent baguettes de tradition et pavés tout au long de la journée, vendus à un prix… élevé (1,5 euros la baguette !). Petit problème, l’âge des personnes animant ce stand, on n’y retrouve en effet que des têtes grises. Difficile de donner une image jeune et dynamique de la profession de cette façon, mais je ne suis qu’à moitié surpris : les jeunes boulangers adhèrent difficilement à ce syndicat dont les actions ne les représentent qu’assez peu… Dès lors, peu d’entre eux seraient prêts à s’escrimer dans cette atmosphère bruyante, surchauffée et particulièrement fatigante qu’offre le Salon de l’Agriculture.
Le moulin Decollogne, spécialisé dans la mouture de farines biologiques à la meule ou sur cylindre, est également présent. L’objectif est d’aller vers le grand public pour développer sa marque en dehors des simples boulangers, et également de mettre en valeur leur engagement ainsi que leur nouvel outil de production bourguignon, situé à Aiserey. Dans cette ancienne usine à sucre, l’entreprise compte se développer et sortir de sa distribution jusqu’alors relativement limitée, et principalement concentrée à Paris et dans sa proche région. L’idée de présenter ce métier en dehors du circuit professionnel est, à mon sens, une excellente idée que devraient suivre leurs confrères. En effet, le consommateur n’a que peu conscience de l’importance de la meunerie dans la qualité du pain fabriqué chaque jour chez nos artisans boulangers. Pourtant, il y a là un sujet central.
Bien sûr, je pourrais aussi parler de boulangeries telles que cette entreprise du Poitou-Charentes, qui cuit ses pâtons sur place… mais le résultat est tellement anecdotique que je préfère passer dessus.
Dans tous les cas, l’expérience de cette visite fut intéressante et instructive, et m’a permis d’avoir une vision plus claire et actuelle de notre « artisanat »… malheureusement bien malmené de nos jours. Il faut dire que les consommateurs ont tendance à manquer de clairvoyance dans leurs achats, et se dirigent souvent vers le plus pimpant, brillant et ne cherchent pas à dépasser les histoires qu’on leur raconte. Cette forme de « docilité » est inquiétante, car elle fait le lit des experts du marketing… qui ne sont pas, à l’inverse, des experts des produits de qualité.