La vie est faite de rencontres, dont certaines sont plus marquantes que d’autres. Ce que j’aime avec la boulangerie, c’est que l’on a la possibilité de rencontrer des produits avant des hommes, et que l’on accède ainsi à leur sensibilité profonde, car dans chacun de leurs produits se retrouve un peu de leur âme et de leur nature. Vous comprendrez pourquoi j’ai souvent tendance à fustiger les mélanges « prémixes » développés par les meuniers : certes, ils facilitent le travail du boulanger, mais comment peut alors se produire cette rencontre, cet enrichissement des sens ?

La devanture met bien en valeur les différents prix obtenus par l’équipe de la boulangerie, que ce soit le patron, les ouvriers ou les apprentis.

Cette boulangerie de Beaumont-sur-Oise, on m’en avait parlé, à plusieurs reprises. Un fou de pain, me disait-on. J’avais été le constater par moi-même, j’avais fait un voyage dans son univers, et plus loin encore, dans le détroit du Bosphore… Une rencontre gustative, certes, mais également un terrible goût d’inachevé et d’approximatif, car je n’avais pas pu toucher l’homme et son engagement quotidien. Un acte manqué qui devait être réparé… ce qui est à présent le cas.

Cette fresque représente la boulangerie et Beaumont, avec toute la « communauté » rassemblée autour de cette table. Aucun détail ne manque, puisque l’on retrouve même les chiens de Christophe Rouget au premier plan – même s’ils sont trois en réalité !

Chez Christophe et Sylvie Rouget, la boulangerie est bien plus qu’un métier ou même une histoire de famille. Non, cela va plus loin : dès lors que l’on pénètre ici, c’est un peu comme si l’on rejoignait une tribu, une communauté… Un lien fort qui trouve ses symboles au quotidien. Ainsi, quand l’un de ses membres la quitte, souvent à l’insu de son propre gré, cela ne laisse pas indifférent : on me parlait d’un pilote de ligne récemment décédé, ce qui n’avait pas manqué de provoquer l’émoi au sein du personnel de vente… Des histoires, oui, toujours des histoires, mais la boulangerie n’existerait pas sans elles.

La Tresse de Saint-Gilles, un clin d’oeil à David Sausseau, installé à La Réunion. Ce pain, au façonnage soigné, incorpore un mélange de céréales.

Tout cela forme une vie, un quotidien sans cesse changeant. Christophe Rouget n’est pas un artisan renfermé dans son fournil, bien au contraire : son pain exprime sa soif de partage et d’échange. Ainsi, on retrouve dans sa boutique des produits qui ont une histoire. La Tresse Saint-Gilles ? Un clin d’oeil à son ami David Sausseau, implanté à La Réunion. Le pain Noémia ? Une création dédiée à la fille d’un confrère, qui souhaitait un goûter sans ajout de sucre. Des recettes qui voyagent et sont reprises dans d’autres boulangeries.
Tout cela se résume en une phrase : savoir, savoir faire, et savoir faire-faire. C’est pour cela que l’on retrouve tant d’apprentis au sein du fournil de la maison : ces jeunes sont les chefs d’entreprise potentiels de demain, et il faut leur transmettre cette connaissance et ce goût pour un pain de qualité, produit dans des conditions irréprochables.

Une boutique simple, chaleureuse et accueillante. On y ressent une ambiance apaisée, avec de beaux produits.

Parlons-en, des conditions et du cadre, car ils sont des éléments particulièrement forts ici. A leur arrivée à Beaumont en 1995, les Rouget ont repris une ancienne affaire Banette, dans laquelle ils ont petit à petit inscrit leur marque tout en mettant en avant l’histoire du lieu. Le faux-plafond de l’époque a ainsi vite disparu pour retrouver ses dessins d’époque… et ces fameux blés et coquelicots. Pourquoi ces fleurs ? Tout simplement car, à l’époque, les champs n’étant pas traités, les coquelicots y proliféraient naturellement. On les retrouve ainsi en « fil rouge » dans l’ensemble de l’établissement, en fer forgé sur les vitrines, mais aussi dans les diverses fresques qui ornent les murs.

Le plafond d’origine a été remis en valeur par Christophe Rouget à son arrivée dans les lieux. On peut y voir les fameux coquelicots, qui sont aujourd’hui un des emblèmes de la boulangerie : ils sont d’ailleurs présents sur la vitrine, avec des fleurs en fer peint.

Impossible de rester indifférent devant ce goût du détail et du dessin. Que ce soit au fournil, dans les couloirs, ou encore au laboratoire de viennoiserie et de pâtisserie, de magnifiques peintures accompagnent le personnel au quotidien. Rien d’anecdotique là dedans, puisqu’elles racontent des histoires : celle de la boulangerie tout d’abord, mais aussi celle des ingrédients mis en oeuvre dans les produits. Une façon originale de toujours transmettre du savoir-faire. Quelques détails qui en disent long sur la capacité à voir toujours plus loin de notre artisan.

L’histoire du chocolat et cette fresque font presque partie des ustensiles de pâtisserie utilisés au laboratoire.

Voir plus loin, oui, c’est ce qui guide Christophe Rouget dans l’ensemble de ses actions. Que ce soit en rénovant l’ensemble de ses locaux pour les rendre irréprochables et pleinement exploités, en développant des gammes de produits gourmands et accessibles pour faire face à la concurrence de chaines telles que la Boulangerie de Marie – récemment implantée à proximité -, ou même en fidélisant dans son entreprise ses meilleurs apprentis et ouvriers… Nous avons affaire à un chef d’entreprise responsable et dynamique, peut-être des restes de la formation de gestion et de comptabilité que son père lui avait imposé. Dans cette famille originaire du Nord, la boulangerie est une affaire de famille (on retrouve d’ailleurs le frère au tourage), même si cela a parfois des mauvais côtés : cette étude des calculs et autres règles de gestion a en effet privé notre artisan de toute possibilité d’apprentissage en boulangerie, le réorientant de fait vers un CAP de Pâtissier et le « condamnant » à un statut d’autodidacte dans son coeur de métier.

Au tourage, c’est le frère Rouget qui réalise des viennoiseries bien feuilletées.

Cela importe bien peu, car j’aimerais souvent voir des autodidactes aussi méticuleux et rigoureux que lui. De la rigueur, il y en a dans ses préparations : la farine torréfiée, incorporée selon des grammages très précis dans les recettes, est fabriquée « maison » au travers d’un processus méticuleux, tout comme pour la nougatine incorporée dans le pain Bosphore. De la folie, vous trouvez ? Non, au contraire, beaucoup de clairvoyance à mon sens.

Avez-vous vu souvent cela dans un fournil ? Moi pas ! Il s’agit de la nougatine utilisée pour la réalisation du pain Bosphore. Ce nom n’a pas été choisi au hasard : la Turquie produit énormément de quantité de ce fruit sec, de plus, ce pain trouve ses origines dans l’Ekmek, un pain plat turc à l’huile d’olive et au miel.

Une même clairvoyance qui l’a amené dès le début à s’engager aux côtés d’acteurs engagés tels que la famille Foricher et le Club le Boulanger, défenseurs d’une farine Label Rouge, produite en Culture et Rendements Contrôlés (CRC). Si aujourd’hui ces démarches trouvent de l’écho auprès d’un public toujours plus large, c’était bien loin d’être le cas il y a 15 ans. Pour autant, notre artisan voudrait rendre les spécificités de ce processus plus lisibles pour le grand public… Le partage, toujours le partage.

Grosses pièces, Bosphore, Ciabattas, … rien ne manque pour les gourmands de pain !

Le partage passe aussi par des prix particulièrement abordables, avec une baguette de pain courant – très soignée – proposée à 0,80€, et une Tradition à 1€. Malgré l’augmentation du coût des matières premières, Christophe Rouget tient à maintenir ces tarifs, qui représentent pour lui une véritable porte d’entrée pour des clients qui seront ensuite prêts à dépenser un peu dans des achats « de plaisir », qui contribueront au chiffre d’affaires de la boutique. Donner pour recevoir, une pratique qui a fait ses preuves depuis bien longtemps.
D’ailleurs, le boulanger voudrait continuer à donner longtemps, même si c’est aujourd’hui son corps qui lui fixe des limites. Passionné de sport en plus de son métier, la fatigue ne manque pas de se faire ressentir. Cela l’incite sans doute à être moins catégorique qu’il avait pu l’être par le passé, à tenter de parvenir à des compromis pour continuer à avancer… et à faire avancer. Donner de la latitude à ses apprentis, voire à terme leur « offrir » une seconde boulangerie où exercer leur talent… L’histoire continuera à s’écrire pour cette communauté boulangère, et nous en serons pour la suivre avec attention.

Infos pratiques

39 rue Basse de la Vallée – 95260 Beaumont-sur-Oise (gare de Persan-Beaumont, Transilien ligne H) / tél : 0134700290
ouvert du jeudi au lundi de 6h à 19h30. (ouverture le mardi également à partir d’octobre)

Prendre l’air, quitter la grisaille parisienne. Je crois que c’est un peu ce à quoi aspire tout francilien qui se respecte. Septembre, les vacances viennent de s’achever et le retour au quotidien doit être parfois un peu difficile pour certains. Certes, j’aurais du mal à parler en connaissance de cause, mais c’est un sentiment que je peux aisément comprendre.

Pour autant, il ne faudrait pas oublier que l’Ile-de-France demeure une région pleine de contrastes, avec de belles possibilités de s’évader à moins de 30 minutes de la capitale. Moi même banlieusard, il ne me faut que quelques minutes de marche pour retrouver le calme des prés et de la verdure… Certes, rien de bien gourmand ni d’exceptionnel, mais il y a autre chose dans la vie.

Le château de Saint-Germain-en-Laye

De l’autre côté, au Nord-Ouest de Paris, quelques villes ne manquent pas de charme et sauront satisfaire nos appétits de découvertes… Parmi elles, Saint-Germain-en-Laye. En sortant de la gare, on comprend vite que l’on a quitté la capitale mais pas tous ses traits : ici, c’est la vie de château… Pas seulement au travers de celui qui nous accueille majestueusement, mais aussi avec une atmosphère somme toute assez bourgeoise.
La plupart des grandes enseignes l’ont bien compris et se sont implantées dans le centre-ville, qui ne manque par ailleurs pas de charme avec une belle partie d’allées piétonnes.

La Brioche Dorée côtoie le Fournil de Pierre à quelques mètres… un curieux choix d’implantation pour deux enseignes d’un même groupe.

Faisons donc quelques escales sous l’angle painrisien… A commencer par le pain, qui ne semble pas vraiment être une grande préoccupation pour les Saint-Germinois, malgré l’existence d’une « rue au Pain ». Ainsi se côtoient à quelques mètres deux enseignes du groupe Le Duff – La Brioche Dorée et le Fournil de Pierre -, non loin du château. Paul est aussi présent un peu plus loin.
Eric Kayser s’est également installé ici, avec une boutique plutôt originale : elle possède en effet un côté pile et un côté face. Présente sur deux rues, une entrée se présente comme « la pâtisserie » et l’autre comme « la boulangerie ». D’ailleurs, la gamme sucrée qui y est proposée est fort différente de celle développée sur Paris, ce qui laisse supposer à une réalisation locale des produits (à l’inverse des boutiques parisiennes, dont la plupart sont livrées depuis Ivry). Pour le pain, rien d’exceptionnel.

Le côté pile, rue de Pologne : la boulangerie par Eric Kayser…

… et côté face, la pâtisserie, sur la rue de Poissy !

La Gerbe d’Or et ses nombreuses récompenses, fièrement affichées sur la façade de l’établissement.

Un des seuls artisans à tirer son épingle du jeu est sans doute M. Gouley et sa « Gerbe d’Or », récompensée de bien nombreux prix (2è au concours de la Meilleure Tarte aux Pommes d’Ile-de-France en 2008, divers classements au concours de la meilleure Galette aux Amandes…). Sa baguette Rétrodor est de bonne facture, même si le reste de la gamme est plutôt modeste.

Le plus intéressant se trouve sans doute du côté du sucré, avec plusieurs maisons gourmandes. A commencer avec Petit Gâteau, une pâtisserie-atelier où petits et grands pourront autant déguster qu’apprendre à créer grâce à des cours.

Une large gamme d’ustensiles de pâtisserie est en vente chez Petit Gâteau, en plus des gourmandises.

L’histoire de l’endroit est d’ailleurs plus intéressante, car c’est une hollandaise, Meike, qui en est à l’origine. Cette pâtissière aux accents néerlandais est parvenue à convaincre une population très française grâce à de charmantes petites tartes aux multiples déclinaisons (citron meringuée, chocolat, …). Non contente d’avoir réussi ce challenge, elle a décidé de le dupliquer dans son pays d’origine, et c’est tout récemment qu’elle a fait ses valises pour réaliser ce projet. A présent, la boutique Saint-Germinoise a été reprise par des personnes continuant dans le même esprit.

Impossible de ne pas citer la pâtisserie Grandin, qui fait figure d’institution locale. Ce membre de l’association Relais Desserts perpétue la tradition en réalisation chaque jour divers entremets, macarons et pâtisseries classiques. La boutique a conservé sa façade historique tout en étant rénovée à l’intérieur, dans un style plutôt moderne et élégant.

A quelques pas, la famille Osmont propose ses gourmandises, avec pour chef un MOF, passé au Ritz pendant 10 ans, avant de faire le choix de s’installer à Conflans Saint-Honorine. Dans cette boutique « bis », on retrouve les macarons et chocolats de la maison, en plus de quelques entremets un peu trop réguliers et tapageurs à mon goût, l’ensemble ne faisant plus vraiment artisanal ni attirant.

Ne quittons pas la cité sans un détour par chez Pascal le Gac, fameux chocolatier ayant longtemps oeuvré au sein de la Maison du Chocolat. Sa petite boutique, où règnent les effluves sucrées du laboratoire installé juste derrière, est un véritable lieu de perdition pour les amateurs de ganaches (belles déclinaisons autour des fruits et des épices), tablettes de pure origine, friandises et bouchées variées ou encore macarons et pâtisseries (éclairs, tartes aux chocolat, … une gamme courte et accessible). On appréciera l’accueil particulièrement charmant et les prix très modérés en comparaison aux chocolatiers parisiens, pour une qualité plus qu’équivalente.

La charmante vitrine de rentrée de Pascal le Gac

Voilà donc une bien jolie cité, située à seulement 30 minutes du centre de Paris en RER A, qui offre autant de perspectives gourmandes qu’historiques (avec son château et donc son passé de Ville Royale), ainsi que des possibilités de promenade reposantes dans le grand parc situé tout juste en sortie de la gare.

Certaines histoires s’écrivent en famille, mais aussi dans un terroir, un lieu bien particulier où c’est toute une communauté qui se développe autour de l’entreprise familiale. Difficile pour les enfants d’échapper à cette tradition, mais ce n’est pas forcément un mal, car cela permet de conserver l’esprit propre à la maison, et ainsi d’éviter des changements qui pourraient avoir des conséquences plus ou moins regrettables à long terme.

David Bourgeois dirige le moulin familial, conjointement avec son frère Julien.

Rien de tout cela à Verdelot, puisque le moulin est resté dans la famille Bourgeois depuis les années 1920, époque à laquelle ces meuniers se sont installés dans la région. Le moulin, ou plutôt les, puisque l’histoire a commencé à quelques kilomètres de là, plus précisément à Couargis.

Enseigne du moulin de Couargis

Impossible de passer dans le secteur sans s’arrêter dans ce moulin à eau entièrement rénové dans les années 2000. Son activité a été arrêtée peu après l’acquisition du moulin actuel, ce qui explique sa « conservation » : en effet, les équipements de l’époque avaient été laissés en l’état, ce qui n’est pas le cas pour nombre d’autres bâtiments du même genre exploités plus longtemps. Anecdote amusante, la marque des outils de mouture sur cylindre est la même que celle utilisée à Verdelot : en effet, Bühler reste aujourd’hui un des fabricants incontournables en meunerie.

A l’époque du moulin de Couargis, on réalisait déjà de la mouture sur cylindre. La technologie employée actuellement n’a donc que peu évolué, ni même le constructeur : si l’on regarde attentivement, on lit bien Bühler sur les machines.

Le même nom, mais une capacité d’écrasement bien différente. David et Julien Bourgeois ont mis en production en fin d’année dernière leur moulin flambant neuf, avec des machines permettant de moudre deux fois plus de grain que le précédent. Le précédent ? Oui, le 27 juin 2010, un incendie ravageait le bâtiment, emportant avec lui l’outil de production familial. Même si les silos à grain et à farine ont été préservés, la période transitoire n’a pas manqué d’être difficile : il fallait rassurer les clients et leur assurer le même niveau de qualité. Un challenge relevé par les deux frères, qui ont réussi à maintenir leur entreprise à flots malgré la concurrence dans le secteur.
On pourrait se demander l’intérêt d’avoir investi dans une capacité plus importante : ce nouvel outil permet une « tension » moindre sur la production, et ainsi de ne pas tourner à plein, voire seulement une partie de la semaine.

Dans le moulin de la famille Bourgeois, l’ensemble du processus est automatisé. Les opérateurs peuvent contrôler le bon fonctionnement grâce à un système informatique.

En plus des farines « traditionnelles », les Moulins Bourgeois disposent également d’une gamme de produits biologiques ou réalisés à partir de mouture sur Meule. Historiquement, la région de la Ferté sous Jouarre était réputée pour la qualité de sa pierre meulière et ce n’est sans doute pas étranger au développement de cette activité ici. Malgré tout, la farine « blanche » et type 65, utilisées pour la confection des baguettes (tradition & pain courant) représentent 90% des commandes de la clientèle.

Dans ce moulin à cylindres « miniature » sont réalisées les farines type 65 biologique. Au premier plan, ce sont les farines de meule type 80 et plus spécifiques qui sont traitées.

Chez les Bourgeois, on défend une certaine vision de la meunerie, justement proche de ses clients. Pas d’industriels, mais uniquement des artisans boulangers. Depuis 2004 et leur départ du groupement Banette, les frères ont mis en place leur identité, leurs inévitables prémixes (baguettes céréales, aux ingrédients) entièrement réalisés « maison », ainsi que des dispositifs de communication (PLV, sachets, …), tout en gardant à l’esprit qu’il fallait valoriser l’artisan et pas le meunier : c’est ainsi que la marque « Artisan Boulanger » est apparue. Cela dénote d’une volonté de se placer en partenaire, et non pas  en entreprise écrasante comme c’est trop souvent le cas dans le secteur.

Vous connaissez sans doute cet écriteau, puisque beaucoup de boulangers l’ont choisi pour orner leur devanture. Ici, ce sont les prénoms des deux frères qui accompagnent la marque « artisan boulanger », exprimant la volonté des Bourgeois de valoriser avant tout le boulanger, sans chercher à « l’écraser » sous une politique de réseau.

Plusieurs éléments vont d’ailleurs dans ce sens : l’ensemble des livraisons sont assurées par l’entreprise, ce qui représente près de la moitié de ses 80 collaborateurs. Un savoir-faire et une indépendance que David Bourgeois n’entendrait pas perdre, car il lui permet plus de flexibilité et de mieux percevoir les retours des boulangers auprès des livreurs. Dans une activité où le marché a tendance à stagner voire à se réduire (la grande distribution prenant toujours plus de place dans les achats de pain chez les consommateurs), chaque détail compte et il faut en faire beaucoup pour espérer garder sa clientèle. Le « point d’équilibre » numérique n’est d’ailleurs atteint que si le meunier recrute chaque année environ 50 nouveaux clients, un chiffre qui n’est pas anodin.

Dans le cadre du contrôle permanent de la qualité des blés, les Moulins Bourgeois disposent d’un moulin d’essai miniature, qui leur permet de réaliser des essais sur des échantillons.

Bien sûr, le plus important reste la qualité et la régularité. Pour l’assurer, des blés issus d’un périmètre de 150km autour du moulin sont écrasés ici, avec des équilibrages différents en fonction des années. Compte tenu des volumes à fournir, il serait difficile d’envisager de développer un « pain de terroir », ce qui aurait pour conséquence d’éventuelles variations selon les années et la qualité des récoltes. Au travers de plus de 450 essais de panification sur les lots de blé et des contrôles à réception, le moulin de Verdelot assure un produit régulier et fiable, sur lequel les artisans boulangers peuvent compter. Les différents labels auxquels adhère l’entreprise participent à ces garanties : ainsi, la baguette de tradition française Reine des Blés est certifiée Label Rouge, et une gamme complète de farines biologiques (répondant au cahier des charges Saveurs Paris Ile-de-France) est proposée.

Dans ce laboratoire de formation, les boulangers peuvent suivre des modules de perfectionnement, pour le pain mais également pour de la tarterie ou du snacking.

Cette démarche de partenaire se prolonge par des formations proposées aux boulangers et à leur personnel : autant en vente qu’en production, les Moulins Bourgeois peuvent apporter leur savoir-faire afin de tirer le meilleur de leurs matières premières. Un accompagnement souvent nécessaire dans le cadre de reconversions professionnelles.

Une boutique de formation a été aménagée afin de transmettre des techniques permettant de mieux mettre en valeur les produits fabriqués au fournil.

En définitive, vous l’aurez bien compris, à Verdelot, les Bourgeois produisent une farine pour le peuple, avec tout le caractère noble que cela peut avoir !

Le moulin est situé dans le périmètre de l’église de Verdelot, qui est classée aux Monuments Historiques. Cela a impliqué certaines contraintes lors de la construction du nouveau moulin, notamment en terme d’inscription dans le paysage. Ainsi, l’architecte a tenté de donner au bâtiment les couleurs d’un tronc de bouleau pour le « fondre » dans cet ensemble. Une tâche difficile, dont le résultat ne semble pas faire l’unanimité.

Notre sensibilité nous pousse à réaliser des choix de vie parfois singuliers, en rupture avec la façon de procéder qu’il est coutume de reproduire, pour un résultat qui ne correspond à aucune des cases établies. En matière de boulangerie, je dois dire que la tendance est plus à suivre la tendance qu’à chercher à créer quelque chose de nouveau, de fort et d’intéressant. Il n’y a qu’à voir l’importance des réseaux boulangers dans l’hexagone…

D’ailleurs, peu de gens réfléchissent sur le concept même de boulangerie-pâtisserie, j’en ai déjà parlé ici, mais l’idée de réaliser deux métiers provoque forcément une dispersion qui n’est pas en faveur de la qualité du résultat. Ajoutez à cela des sandwiches et autres produits traiteurs, vous obtenez des artisans perdus et des clients contraints à perdre du goût… Personne n’est gagnant.
Paris n’est pas une si grande ville que cela, au final. Peu d’endroits peuvent s’y vanter de proposer une offre de haute volée sur le plan du pain, de la viennoiserie ou encore de la pâtisserie. C’est le cas de des Gâteaux et du Pain, la boutique créée début 2007 par Claire Damon et David Granger. Une même exigence pour la qualité, et deux artisans aux talents complémentaires, chacun excellant dans son domaine. Plaza Athénée, Bristol … pour elle, Moulin de la Vierge pour lui, des noms qui marquent des parcours étoilés. Sans savoir tout cela, c’est le lieu qui présente son caractère singulier : aucune autre boulangerie n’a été dessinée par Yan Pennor’s. Pourtant, c’est bien le cas de la leur.

Là encore, j’avais eu l’occasion de vous en parler précédemment, mais c’est en discutant avec les artisans que l’on comprend mieux leur engagement et les actions qu’ils mènent pour parvenir à offrir des produits toujours plus savoureux. En l’occurrence, le 63 boulevard Pasteur est toujours en mouvement pour travailler et retravailler ses recettes, que ce soit du côté du pain ou des gourmandises.
En effet, même si ce n’est pas forcément le domaine le plus médiatisé ou le plus actif en apparence, le fournil de David Granger n’en fait pas moins évoluer ses méthodes de fabrication. Récemment, le diagramme de la baguette de tradition a été modifié… ainsi que son prix. 1,30€ pour 300g (l’objectif étant d’obtenir une baguette plus « charnue »), voilà le nouvelle formule pour ce pain de caractère. Des notes persistantes de céréales torréfiées, un peu de levain en fond, sans acidité, et surtout une croûte extrêmement craquante ainsi qu’une mâche d’une grande fraicheur. Pour parvenir à ce résultat, rien n’est laissé au hasard : l’artisan réalise un mélange de farines des Minoteries Viron (de type 55) et du Moulin Hoche (moulue à la pierre), accompagné de détails qui ont leur importance (mode de levée, très léger farinage à la farine de seigle pour éviter tout caractère « âpre »…).
Ici, le Moulin Hoche est un véritable partenaire, puisqu’il réalise des farines sur-mesure, telles que celle de châtaigne. Le boulanger a également pour projet de lui faire moudre du petit-épeautre, ainsi qu’une autre variété de maïs. L’objectif est avant tout de respecter le goût de ces matières premières et de ne pas les dénaturer. Ainsi, la gamme a été réduite au fil du temps afin de ne proposer que des produits aboutis et sur lesquels le processus de fermentation n’entraine pas de perte de saveur. Il serait en effet dommage de gâcher d’excellents fruits ou même fromages…


Pour les amateurs d’olives et de fougasse, la version de David Granger a récemment été revue, pour intégrer des olives vertes ainsi qu’une huile fournie par Cédric Casanova et sa boutique « La Tête dans les Olives » dans le 10è arrondissement. Le résultat ? Un parfum très fruité et enivrant…! Même travail sur la Foccacia, à présent garnie de graines de fenouil sauvage d’Italie.

Côté pâtisserie, même exigence sur le choix des matières premières. Pas moins de 5 fournisseurs approvisionnent des Gâteaux et du Pain en fruits rouges actuellement, afin de proposer le meilleur à la clientèle. Le plus bel exemple est sans doute la tarte aux fraises à la fleur d’oranger, d’une grande simplicité mais remplie de subtilité : la douceur du crémeux à la fleur d’oranger vient souligner la saveur délicate des fraises Mara des Bois, accompagnées d’un fond de tarte bien beurré et presque fondant, sur lequel la crème d’amande contribue à apporter de la douceur. Il ne faudrait pas pour autant passer à côté du fameux J’Adore la Fraise, lequel rencontre un grand succès.
Au laboratoire, pas de purées de fruit issues de producteurs obscurs, mais uniquement des transformations maison. Le cassis sera prochainement livré ici, puis traité afin d’être utilisé ensuite dans les diverses créations de Claire Damon (dont son Saint Honoré Cassis-Violette, une des pâtisseries les plus emblématiques de la maison).

Le goût est la préoccupation principale des équipes de cette boulangerie-pâtisserie singulière, et non pas le visuel comme il deviendrait coutume. L’importance des médias et de la communication n’y est pas étrangère, chacun cherchant à se mettre en avant pour exister sur ce marché assez concurrentiel. des Gâteaux et du Pain a bien du « y passer » et faire appel aux services d’une attachée de presse, sans pour autant perdre l’esprit de la maison. L’objectif est de mettre en avant le savoir-faire de la maison, mais aussi le travail du personnel, qui se sent valorisé de travailler dans une entreprise connue et reconnue.

Prochaines actualités dans cette boutique du 15è arrondissement ? La framboise d’ici quelques jours, puis viendra la pêche, la poire et naturellement les bûches de Noël, qui commencent dors et déjà à être travaillées… un travail au fil des semaines et des saisons, dans le respect de la maturité des fruits, mais surtout des clients, qui bénéficient de cette exigence. Un mot d’ordre ici : prendre le temps et garder des gammes courtes, sans se disperser. Cela fonctionne aussi bien pour le pain que pour les douceurs. A suivre également sur leur site http://www.desgateauxetdupain.com, lequel regorge à présent de photographies bien appétissantes.

Il est de plus en plus question de la proximité de l’approvisionnement de nos matières premières : en effet, pendant longtemps, nous avons pris la mauvaise habitude d’aller loin – parfois très – pour aller chercher des fruits, légumes, céréales et autres denrées, multipliant ainsi les dépenses énergétiques, oubliant le respect de la saisonnalité et le vrai goût des produits. Cette quête effrénée de l’exotisme et de la maîtrise des éléments devait bien arriver à son terme un jour ou l’autre, et cela commence à être le cas.

Parmi les acteurs de ce changement, on compte Fabien Rouillard, le chef pâtissier de chez Fauchon. J’ai déjà eu l’occasion de vous en parler, mais je trouve que l’engagement pris par cet homme dans un véritable changement au sein de la pâtisserie de cette grande maison parisienne est intéressant et mériterait de trouver un écho dans d’autres établissements gourmands.
Si le chef en est arrivé là, c’est avant tout une question de parcours. A 39 ans, il n’est pas arrivé à la tête des équipes sucrées de Fauchon par hasard. Cuisinier d’esprit et de formation, il est devenu pâtissier de terrain sans pour autant perdre tout ce qui fait l’intérêt de l’univers de la restauration, à savoir la capacité à mettre en oeuvre des ingrédients issus du marché, au meilleur de leur forme. Difficile de faire pareil en pâtisserie « boutique », puisqu’il faut assurer une gamme et une qualité constante au quotidien, mais on peut tout à fait respecter le produit, le travailler sans le dénaturer.
C’est ainsi qu’il a évolué au sein des cuisines du Lucas Carton, le restaurant d’Alain Senderens, ou encore du Sketch de Pierre Gagnaire à Londres. Des expériences et des hommes différents, qui s’ajoutent à l’expertise déployée au sein de CCDessert, l’entreprise de conseil qu’il a fondé pour accompagner les acteurs de l’agro-alimentaire dans cette fameuse démarche de « réduction des distances ». Passé l’épisode malheureux de Pilêo, le gâteau-chapeau créé par le chef, le parcours de ce passionné est tout à fait remarquable.

Aujourd’hui, c’est au service des gourmands de la place de la Madeleine qu’il déploie son savoir-faire. Fauchon l’a « appelé » l’an passé pour succéder à Christophe Adam – une opportunité à saisir. Chose qu’il n’a pas manqué de faire, et avec brio. En quelques mois, il est parvenu à imprimer un véritable changement chez cette belle endormie pâtissière. Bien sûr, cela ne s’est pas fait sans le soutien des équipes en place, qui ont particulièrement bien suivi et adhéré à cette volonté. Des biscuits à la farine de riz, des purées de fruit très légères, … de nouvelles habitudes à prendre qui portent aujourd’hui leurs fruits : moins de sucre, moins de perte, et surtout des chiffres encourageants en terme de ventes (+10% sur la pâtisserie ces derniers mois d’avril/mai).

Régulièrement, Fabien Rouillard se rend à Rungis pour échanger avec ses fournisseurs et sélectionner les variétés de fruit qui seront la base de ses futures créations. Voici tout l’intérêt de la démarche : la matière première est reine et c’est le pâtissier qui s’adapte. Ainsi, il doit tenir compte du fait qu’il n’y a pas qu’un seul Abricot Bergeron, et faire évoluer sa recette au fil des semaines et des arrivages. Un exemple ? Le fraisier « Biarritz » intégrait en début de saison des fraises gariguettes, plus grosses que les maras des bois utilisées à présent. Ainsi, le gâteau n’en intègre plus trois mais cinq par tranche… Des détails qui ont leur importance.
Avec la météo capricieuse de ces dernières semaines, les fruits prennent du retard et pourraient compromettre le calendrier initialement prévu dans l’ordre des créations de la collection pâtissière du chef. Ce mardi, il venait présenter sa démarche dans le cadre d’une formation proposée à la SEMMARIS à des enseignants. L’occasion d’aller voir et goûter les abricots proposés par les Vergers Saint-Eustache, l’un des fournisseurs de la maison Fauchon. Cela ne dispense pas M. Rouillard de voyages réguliers dans la France entière pour aller à la rencontre des producteurs sélectionnés, afin de toujours mieux les impliquer dans cette démarche qualitative.

L’opérette, le fameux opéra à base de pêche présenté au début du Printemps pourrait bien être retardé si les fruits n’étaient pas à la hauteur des exigences de qualité du chef : hors de question de proposer un produit dont la « matière première » est médiocre, ce qui aurait pour conséquence de devoir augmenter le taux de sucre pour donner du goût.

Bien sûr, cela serait plus compliqué si le contexte était différent : il s’agit ici de régler les approvisionnements pour une seule boutique, avec une clientèle disposant des moyens permettant une sélection pointue des matières premières. Fabien Rouillard le dit lui-même : il se fait « plaisir », grâce aux moyens à sa disposition… nous ne nous en plaindrons pas, puisque les produits seront ainsi plus savoureux.

Si l’on vivait dans un monde parfait, les origines des fruits seraient clairement indiquées pour chacune des pâtisseries présentées au sein des échoppes gourmandes de notre capitale… Libre à chacun de faire son choix en conséquence, de cette manière ! Pourquoi pas des gâteaux « locaux », après tout ?

Nos artisans façonnent autant qu’ils sont façonnés. Leurs parcours de vie influent directement sur les produits qu’ils nous proposent au quotidien, et justement, ce quotidien est sans cesse amené à évoluer. Rien de plus triste que de ne pas ressentir ce vécu, de ne pas lire une histoire lorsque l’on déguste un produit. Pourtant, c’est de plus en plus le cas, du fait de l’omniprésence de l’industrie dans les vitrines de nos boulangers et pâtissiers…

Sébastien Gaudard dans sa boutique du 22 rue des Martyrs

Face à cela, certains résistent, ou plutôt choisissent de faire différemment, de chercher le goût du passé. Une véritable quête de sens qu’a entamé Sébastien Gaudard pour ouvrir sa boutique du 22 rue des Martyrs, au coeur d’un quartier qu’il connaît bien puisqu’il y réside depuis plusieurs années. Fauchon, le Délicabar du Bon Marché… Le pâtissier a longtemps agité les papilles des parisiens pour en définitive revenir à des goûts plus simples, car il ne se retrouvait plus dans cette quête effrénée d’ingrédients cueillis aux quatre coins de la planète, pour parvenir à des accords parfois chancelants. Son analyse est que le nouvel exotisme serait d’aller chercher ce qui est proche de nous, ce qui porte une véritable force d’évocation. Souvenirs d’enfance, une période où nous sommes généralement très « sucré ». Le chef lui-même se souvient des délicieuses bonbonnières disposées de part et d’autre du lit de ses grands-parents… A la Pâtisserie des Martyrs, on ne revisite pas, non, on fait renaître.

Les chocolats et confiseries. A noter la caisse enregistreuse, venue tout droit du magasin familial.

Des renaissances, il y en a eu plusieurs ici. A commencer par le lieu, ancienne pâtisserie Seurre comme bloquée dans les années 80, la boutique a bien failli devenir un Beauty Monop’ lors du départ à la retraite de ce dernier. Une intervention politique plus tard, la catastrophe est évitée de justesse, ce qui permet à notre artisan – alors en recherche d’une implantation depuis 2 ans – d’installer sa bonbonnière bleutée qui fait aujourd’hui le bonheur des grands enfants de la rue des Martyrs. Il faut dire que Sébastien Gaudard a toujours baigné dans la gourmandise : fils de pâtissier à Pont-à-Mousson, l’artisan ne fait aujourd’hui que prendre la suite de l’histoire familiale. Pas n’importe comment, d’ailleurs, puisqu’il reprend autant les objets (pots en verre de la boutique mussipontaine, notamment) que les produits. Cela ne paraît pas forcément, mais malgré ses 6 mois d’existence, la Pâtisserie des Martyrs est chargée d’histoires et répond à un vrai besoin d’ancrage… et d’honnêteté.

Honnêteté et rigueur, c’est bien ce qui caractérise l’homme avec lequel j’ai pu échanger. Des éléments qui se retrouvent bien dans ses produits, en définitive. Pour redonner aux desserts et douceurs oubliés leurs lettres de noblesse, il a cherché les recettes pendant de longues semaines dans des ouvrages anciens, sélectionné d’excellents fournisseurs (que ce soit pour la confiserie, où son expérience chez Fauchon lui a permis d’acquérir un carnet d’adresses dense, les matières premières – chocolat Valrhona, laiterie l’Or des Prés… – ou encore les liqueurs de Laurent Cazottes…) et investi dans son outil de production. Impossible de ne pas jeter un oeil sur le magnifique laboratoire visible depuis la boutique, baigné dans la lumière naturelle, une chose rare pour Paris.
Avant même son arrivée ici, ces fameuses pâtisseries d’antan ne lui étaient pas inconnues, car il avait déjà publié avec Françoise Bernard un ouvrage fin 2009 – Le Meilleur des Desserts, aux éditions Hachette. L’auteure, aujourd’hui âgée de 91 ans, entretient avec l’artisan des relations étroites et a d’ailleurs contribué à la mise en place de la gamme.

Cette fameuse gamme de produits ne tient pas du hasard. On y retrouve des pâtisseries gourmandes et vivantes : rien de marketé ou présentant un visuel tapageur. L’honnêteté est là, également. A peine les desserts ont-ils été désucrés pour répondre aux goûts de l’époque, mais ce détail mis à part, il n’y a pas besoin de présenter les Paris-Brest, Choux à la Vanille ou autres éclairs proposés ici. Une vitrine vivante dans laquelle Sébastien Gaudard compte bien faire entrer de nouvelles propositions au fil du temps, encore faudrait-il le trouver !
Depuis quelques jours, les framboises ont fait leur apparition ici, avec un certain retard par rapport aux autres pâtissiers de la rue. Les raisons ? Toujours cette honnêteté et cette rigueur : en effet, les fruits sont directement livrés par un petit producteur du Lot-et-Garonne, sans intermédiaire. Cueillis après 18h pour assurer une meilleure conservation, ils expriment toute leur saveur dans des tartes sans nappage, comme de vrais bouquets, simplement relevés et sublimés par un délicat fond de tarte nappé de crème. Ici, pas de question quant à la fraicheur du produit, puisque toutes les pâtisseries sont du jour : rien ne « repasse » comme il est coutume de faire dans de nombreuses maisons parisiennes. Forcément, pas d’impression d’abondance permanente, même à l’heure de la fermeture, ce qui est souvent reproché à cette pâtisserie…

Alcools, spiritueux, thés, miels, confitures… rien ne manque pour accompagner ou sublimer des repas.

Cependant, le passé ne doit pas s’endormir, et notre artisan ne manque pas de projets pour les mois à venir : une gamme de Miels renouvelée, des tablettes de chocolat, du travail du côté des glaces, dont la gamme demeure encore très réduite … en plus des horaires d’ouverture qui ont été élargis à plusieurs reprises (suppression de la coupure au déjeuner, tradition héritée de l’ancien propriétaire, et ouverture le dimanche toute la journée depuis peu).

Sébastien Gaudard est aujourd’hui un pâtissier « bien dans ses baskets » (qu’il porte, d’ailleurs !), ayant trouvé son ancrage, même s’il sait qu’il reviendra sans doute à des périodes plus « créatives ». Quant à nous, c’est avec plaisir que nous avons trouvé notre port d’attache gourmand sur la rue des Martyrs !

A force de venir et revenir dans certaines boulangeries, on finit par me voir arriver de loin. Difficile de passer inaperçu, c’est vrai, même si c’est sans doute ce que je préfèrerais car cela me permettrait de vous rendre toujours mieux compte de la réalité de l’accueil dans les différentes maisons que je visite. Néanmoins, cela reste assez marginal, et on ne peut pas dire que je « ramène mon char » pour parler ainsi…

Gare de Chars, une heure de trajet depuis Paris Saint-Lazare. Sans oublier le passage par la charmante ville d’Us… mais pas de Coutume. Dommage.

Néanmoins, j’ai choisi d’arrêter mon char, pour le coup, mais pas n’importe où. A Chars, un petit village du Val d’Oise. Cela n’a rien d’un hasard, puisque c’est ici qu’est implanté le moulin éponyme. Ce dernier est détenu par la famille Maurey depuis 1903. Aujourd’hui, c’est Thomas Maurey qui le dirige et le gère au quotidien, en plus de l’autre site de production acquis par la famille en 1996, le moulin de Cherisy.
Ambitieux et dynamique, le jeune meunier (à peine 34 ans) mène de front plusieurs chantiers visant à développer l’entreprise, tout en conservant son ancrage et son goût pour la qualité. Justement, c’est cette dernière qui doit être le véritable facteur différenciant de la meunerie artisanale. Pour la garantir, cela commence par la sécurisation des approvisionnements auprès des agriculteurs situés autour du moulin. Ce travail, déjà engagé depuis longtemps par la famille Maurey, est aujourd’hui tout bonnement crucial au vu des variations des cours du blé ces derniers mois.

Vue d’ensemble du moulin : la marque Banette y est encore très présente !

En parallèle, l’outil de production doit continuer à évoluer pour assurer une régularité et des rendements optimaux. Ainsi, une nouvelle aile a été récemment adjointe au bâtiment pour réaliser le nettoyage des blés avec des machines de pointe. Ce traitement de la matière première est tout particulièrement important pour l’entreprise, qui est certifiée ISO 22000, un des standards les plus rigoureux en terme de sécurité alimentaire. Cette garantie est nécessaire pour l’activité « technique » des Moulins de Chars : 40% de son chiffre d’affaire est en effet réalisé par la production de farines destinées à des utilisations spécifiques, sous des formes pasteurisées, micronisées ou encore toastées. Cela représente une des spécificités de l’entreprise, car tous les meuniers ne se positionnent pas sur cette activité particulièrement exigeante.

La toute dernière aile du moulin, récemment mise en service. Ici sont nettoyés les grains avant mouture.

Les Maurey font partie des membres fondateurs du groupement Banette. Aujourd’hui, on trouve derrière cette marque plusieurs acteurs à géométrie variable : cela va de l’industriel, à l’image d’Axiane Meunerie, à des acteurs plus modestes comme justement les Moulins de Chars. Pour exister, il devient essentiel de développer leur propre marque. C’est pourquoi les prochains camions de l’entreprise mettront en avant leur logo, tout comme le moulin sera rhabillé à leurs couleurs dans le courant de l’été. Au delà de ces détails purement cosmétiques, Thomas Maurey et son équipe mènent depuis 2008 – date à laquelle il a pris la tête du moulin – un véritable travail pour développer leur propre gamme de produits et une signalétique propre à ces derniers. Ainsi, vous avez pu voir apparaître des pains tels que la baguette Belle Arôme, l’Impatiente, la « Tradi », mais aussi la marque Artisan Bio, créé en partenariat avec les moulins de Brasseuil.

Le laboratoire où sont effectués les contrôles qualité.

Au Fournil du Moulin, un ancien transformateur EDF racheté il y a quelques années pour disposer d’un véritable espace de démonstration, les clients des Moulins de Chars bénéficient d’un véritable accompagnement dans la mise en place de leur gamme de produits. En effet, il devient de plus en plus important de se démarquer en proposant des saveurs variées à sa clientèle, en recherche de goûts parfois relativement typés. Baguette Belle Arôme pour les amateurs de levain, tout en restant dans une grande douceur (proposé en « concentré » ajouté à la pâte de tradition, avec un dosage laissé au libre choix de l’artisan, ce qui lui permet de rester maître du goût et du rendu), Impatiente côté céréales (on appréciera l’idée de l’assaisonner avec des épices, en effet, du curry et du cumin sont intégrés au mélange), l’Equilibre en farine T80… La question demeure de savoir jusqu’où le meunier doit intervenir dans la gamme du boulanger : les Moulins de Chars et de Cherisy proposent en effet des « mixes » et différents mélanges prêts à l’emploi, et je ne vous cache pas que ce ne sont pas le type de produits que j’affectionne particulièrement. Néanmoins, tous les artisans ne sont pas prêts à faire l’effort de création et si l’on parvient à leur proposer des solutions « saines », cela va dans le bon sens.

Différentes baguettes : de gauche à droite : Tradition classique, Belle Arôme, Equilibre T80, Tradition sur levain, Tradition sur Poolish de Meule

Aujourd’hui à la tête d’une entreprise de 45 personnes, Thomas Maurey compte bien continuer sur cette lancée tout en cherchant à élever le niveau global de la qualité chez les artisans boulangers. Il me faisait part de la certaine admiration qu’il pouvait avoir quant au travail réalisé au cours de ces dix dernières années. En effet, quelques artisans ont porté haut et fort le message du pain de Tradition Française et sont parvenus à créer un effet d’émulation dans la profession. N’étant lui même pas de formation meunière mais ayant suivi un cursus d’école de commerce, il tente sur le terrain, au côté de ses commerciaux, de partager cet engagement.

Le Fournil du Moulin est doté d’équipements à la pointe, à l’image du four allemand dernier cri.

Difficile de terminer cet article sans vous parler de quelques uns des clients de cette entreprise : en effet, même si on ne le sait pas toujours, les Moulins de Chars sont très présents dans nos boulangeries parisiennes. Parmi ses clients les plus importants, on compte la famille Julien et ses nombreuses implantations, les « Castelblangeois » d’Olivier Pottier, plusieurs succursales des « Manon » de Guy Crouin, ou encore une partie de la production des boulangeries Gosselin. N’oublions pas pour autant de citer des artisans plus modestes mais non moins dynamiques, à l’image de Guillaume Schou dans le 16è arrondissement, ainsi que Mickaël Reydellet et ses deux Parisiennes. Côté Artisan Bio, Anthony Bosson, Frédéric Pichard ainsi que Michel Fabre à Alforville comptent parmi les plus qualitatifs.

La boulangerie, c’est le pain, mais c’est aussi toutes les gourmandises que l’on peut y retrouver : viennoiseries, pâtisseries, biscuits secs… Pour chacun, ce sont des recettes et des compétences différentes à mettre en oeuvre. Parmi elles, on compte nombre de spécialités régionales qui présentent des caractéristiques propres et des procédés de fabrication parfois bien spéciaux.

C’est notamment le cas d’une brioche arménienne, le Tcheurek. Je l’ai découvert grâce à Jonathan Blot, le chef pâtissier d’Acide Macaron, qui réalise actuellement des essais autour de ce produit.
Cette spécialité ne manque pas d’attrait et c’est pour cela que j’ai choisi de vous faire partager un peu de son histoire et de son mode de fabrication.

Réalisé chaque année dans les familles arméniennes à l’occasion des fêtes de Pâques, le Tcheurek possède avant tout la particularité d’incorporer une épice bien particulière : le Mahleb. Cette poudre est issue de l’intérieur (des graines, donc) des noyaux de cerise, qui sont broyés afin de parfumer ce type de gourmandise. Coûtant environ 50 euros le kilogramme, son prix n’est pas le seul obstacle à son utilisation. En effet, il est difficile d’en trouver en dehors de la période pascale. C’est fort dommage, car même si consommée seule elle exprime une forte amertume, incorporée dans la pâte elle révèle une superbe saveur florale, plus riche et entêtante que ne peut l’être, par exemple, celle de la fleur d’oranger.

Ainsi, cette brioche exprime un parfum frais et soutenu, assez inhabituel. Ce qui surprend également, c’est sa texture assez dense. Elle doit se situer en réalité entre la brioche et le pain au lait. Généralement, elle est trempée dans une boisson, comme du lait ou du thé. Cette fameuse densité est liée à son procédé de fabrication surprenant. Pour réaliser la pâte, on mélange bien entendu des oeufs (deux fois moins que dans une brioche « traditionnelle »), du sel, de la farine, du beurre (en quantité réduite, là encore)… et beaucoup de levure : 80g par kilogramme de farine. Une fois le pétrissage réalisé, elle pousse pendant 2h et prend énormément de volume, du fait de la forte quantité de levure. C’est alors que l’ensemble est repétri, fortement aplati et dégazé. On façonne alors une boule ou une tresse, que l’on laisse pousser de nouveau.
Avant la cuisson, la brioche est dorée au jaune d’oeuf, qui va caraméliser à la cuisson, et décorée de graines de sésame.

Grâce à ce travail, le Tcheurek offre une excellente conservation et est généralement enveloppé dans un linge pour être consommé sous une semaine à dix jours. Ce temps est d’autant plus long dès lors que l’on façonne de grosses pièces. Dans tous les cas, le résultat ne manque pas d’être agréable dès lors que la recette est réussie. Dans ce cas, la brioche est dense mais moelleuse… dans l’autre, elle est difficilement consommable car assez ‘étouffe chrétien’. Jonathan Blot n’était pas satisfait du résultat obtenu et va travailler à nouveau le produit avec une autre recette. En effet, chaque famille possède la sienne, et certains détenteurs du ‘secret’ l’emportent avec eux… Ce qui rend la tâche plutôt compliquée !
Chez Acide, on réfléchit également à la forme à donner à cette spécialité, pour l’adapter aux besoins de l’entreprise mais surtout aux goûts de sa clientèle. Ainsi, il est envisagé de l’enrichir de prunes légèrement acidulées pour casser cette douceur florale, mais aussi de la proposer avec une boisson particulière.

Vous vous demanderez sans doute pourquoi une boutique spécialisée dans la réalisation de macarons et petites pâtisseries cherche à développer un tel produit. La raison est toute simple : d’ici septembre, l’équipe d’Acide inaugurera un salon de thé, non loin de la boutique actuelle, dans le 17è arrondissement. Leur objectif est d’y proposer des gourmandises simples, accessibles et savoureuses, à l’image du Tcheurek. Un retour aux fondamentaux, une pâtisserie sans artifices qui sera ainsi à la portée de tous : voilà un objectif très painrisien, et bien plus sensé que les tendances qui se dessinent actuellement, où c’est avant tout l’apparence qui est privilégiée… au détriment du prix et du goût.

Voilà dans tous les cas une belle découverte, que j’ai hâte de pouvoir retrouver dans ce nouveau lieu sur lequel les esprits toujours très créatifs d’Acide planchent déjà avec ardeur… Cela promet !

Une plume et des mots peuvent représenter des armes redoutables, dont on mesure parfois mal la force et la capacité à toucher les individus. En réalité, il n’est possible d’en prendre conscience qu’en faisant, en se trompant parfois, et en confrontant son propre ressenti avec le ou les intéressés.
J’ai déjà pu l’écrire ici, au risque de me répéter, je ne prétends pas être parfait et j’avance chaque jour. Ensuite, il restera toujours des questions d’appréciation et de goûts personnels. D’ailleurs, on dit souvent qu’ils sont dans la… Nature.

Dans la Nature, de Pain celle-là, j’y suis retourné pour échanger avec Loïc Bret, le gérant de la boulangerie parisienne, implantée rue de Lévis, dans le 17è arrondissement. En effet, suite à mon billet au sujet de sa boutique, ce dernier m’avait contacté afin de m’exprimer son mécontentement et apporter des précisions vis à vis des erreurs que contenaient mes écrits.
Je dois le reconnaître, mes jugements et conjectures étaient certainement trop hâtifs. Revenons sur cet article qui ne figurera certainement pas au Panthéon du painrisien…

La gamme de pains - on y préférera la torsade et son agréable saveur sucrée de sarrasin, reprise dans le pain aux céréales

A commencer par le volet humain, et plus particulièrement sur la personne de Loïc Bret. Présenté, de façon très lapidaire comme étant un « ancien chef pâtissier d’Amiens », cela fait l’impasse sur le parcours de cet artisan dont l’engagement rejoint la passion. Pâtissier certes, mais c’est bel et bien par la boulangerie qu’il a commencé, avant de bifurquer vers le sucré, et plus particulièrement dans le chocolat, jusqu’à en arriver à la finale du concours de Meilleur Ouvrier de France. Au delà de briller sur ce plan, M. Bret a également beaucoup voyagé et oeuvré dans des missions de conseil à l’étranger pendant plus de 7 ans. C’est suite à ce parcours qu’il a souhaité revenir à ses fondamentaux et à développer sa propre affaire sur Paris.

Les pâtisseries : du classique (tartes, éclairs, ...) et quelques créations, comme un entremets riz au lait-champagne

En effet, Nature de Pain « Paris » reste avant tout une entité indépendante, l’association avec l’enseigne ayant principalement permis à M. Bret de s’installer et d’obtenir un tel emplacement, chose qu’il aurait été difficile de réaliser sinon. Les produits sont différents de ceux proposés à Amiens, nous sommes loin de la « chaine » telle qu’on aurait pu l’imaginer. L’objectif affiché par l’artisan est de placer cette boutique parmi les 5 meilleures boulangeries parisiennes. A mon sens, il reste avant toute chose à trancher et à évoluer sur la question des cuissons et de la réalisation des pains. En effet, au delà du volume important réalisé ici (plus de 1000 clients journaliers, en plus de la fourniture de nombreux restaurants et hôtels aux alentours) qui a forcément un impact sur la qualité, le pain ne peut exprimer toute sa saveur qu’avec des croûtes plus dorées, de même qu’il développera alors son caractère craquant, si agréable.

Quelques baguettes... qui mériteraient toujours plus de cuisson, malheureusement

Pourtant, cela ne semble pas être ce que recherche la clientèle locale, et si la situation est telle aujourd’hui, ce n’est pas sans raison. Lors de l’ouverture, en 2010, Loïc Bret et son équipe avaient l’intention de proposer des produits conformes à leurs goûts et aspirations. Malheureusement, c’est la réalité économique parisienne qui les a rapidement rattrapés. De 400 à 500 baguettes par jour, Nature de Pain parvient aujourd’hui à en écouler plus de 900, en ayant « adapté » les cuissons. Egalement, l’accent a été mis sur l’offre de restauration rapide, au détriment de la pâtisserie. Un exemple parmi d’autres : les canelés, proposés initialement, ont été abandonnés car la clientèle les réclamait peu cuits… Or, c’est la caramélisation qui leur procure toute leur saveur.
Malgré cela, le travail sur levain liquide (au travers d’un fermentolevain installé au sein du fournil) permet d’assurer une meilleure conservation au pain et lui apporter une certaine richesse aromatique. Cela se retrouve bien sur le pain de campagne, plus cuit, dépourvu d’acidité et offrant de belles saveurs, sans ajout de malt. On peut également citer quelques bonnes idées, comme le fait d’utiliser une base de pâte au sarrasin pour le pain aux céréales, ce qui apporte des notes sucrées et rustiques.

Pains gourmands & pain de campagne. Ce dernier, vendu au poids à un tarif très compétitif (4,15 euros le kg), est certainement un des points forts de la gamme.

Quant à l’aspect « vide » du magasin que j’ai pu reprocher initialement, celui-ci était lié au fait que mes visites étaient réalisées l’après-midi. En effet, à l’heure du déjeuner, près de 400 clients passent par ici et mettent inévitablement à mal les vitrines de la boutique. Rien de bien choquant là dedans, d’autant que cela permet de garantir l’extrême fraicheur des produits, tout en limitant les pertes (les invendus n’étant pas repassés d’un jour à l’autre – ils sont en effet donnés à des oeuvres ou jetés). Cela ne m’avait toutefois pas permis de partager avec vous l’ensemble de la gamme, et notamment des créations qui donnent de la saveur au lieu…

Citons notamment le large choix de sandwiches et de paninis, dont les recettes ont été réfléchies et élaborées, à l’image du petit dernier de la gamme : une proposition végétarienne, incluant un mélange de légumes, lié du pesto et une sauce au fromage blanc mentholée. Des pains gourmands et moelleux, telle qu’une fougasse aux olives, tomates confites et herbes, un pain tomate/basilic ou encore noix/raisins complètent la gamme « déjeuner », avec des saveurs bien marquées puisque les ingrédients macèrent près de 24h dans la pâte avant cuisson.
Les gourmandises sucrées ne sont pas en reste, avec notamment une sympathique gamme de briochettes, dont la plus intéressante est sans doute celle parfumée à la vanille et à la rose. Au fil du temps, ce produit est devenu une des spécialités de la boutique, à juste titre puisqu’elles associent accessibilité (1,15 euros la pièce), moelleux et saveur.

Viennoiseries et gourmandises : amusantes déclinaisons de briochettes (tiramisu, vanille-rose, nutella-noisette, pralines...) ainsi que des panettone maison et des sablés variés

Pour le reste, cela tient plus de détails techniques et organisationnels (quantité de personnel, macarons présentés dans leurs alvéoles pour conserver leur humidité et éviter le déséchement – ce qui n’a pas empêché la boulangerie d’en écouler 1 tonne l’an passé, …). Bien sûr, tout n’est pas parfait, mais l’engagement développé par cet artisan en faveur de produits de qualité et d’un certain respect de sa clientèle est appréciable. Tout comme le respect de ses salariés, lesquels bénéficient d’un environnement de travail agréable, avec un laboratoire spacieux et lumineux – chose parfois peu évidente à Paris, vu le prix des surfaces. D’ailleurs, tous les mercredis, Nature de Pain accueille des groupes de touristes qui peuvent ainsi découvrir par eux-même la boulangerie.

Nature de Pain est présent dans de nombreux guides, japonais notamment

Ce constat de la « force », que l’on pourrait presque qualifier de nuisance, imposée par la recherche d’un pain peu cuit m’inquiète autant qu’elle m’attriste. Cela signifierait donc que pour survivre, financer leurs investissements et rembourser leurs crédits (comme c’est le cas pour Loïc Bret), nos artisans devraient céder à ce travers ? Face à ce monde étrange, perdu et torturé, j’aimerais bien aller faire un tour dans… la Nature, tiens.

Certains événements donnent des couleurs aux villes, par leur portée et leur animation. Un carnaval, un défilé et la cité s’enflamme. Bon, n’exagérons rien, mais tout de même. Un peu de mouvement est toujours le bienvenu.

Bienvenue à Europain 2012 !

Depuis le 3 mars, un bien curieux défilé se déroule d’ailleurs à Villepinte, dans le Nord de Paris. Une ville peinte en pain… Passons sur les jeux de mots, il s’agit d’un événement tout à fait sérieux, en l’occurrence l’Europain 2012, la grand messe des acteurs de la boulangerie-pâtisserie. Jusqu’au 6 mars, ce salon est un peu « the place to be », autant pour les artisans que pour les fournisseurs du milieu. Tout le monde y est : meuniers, industriels fournissant des solutions surgelées, fabricants de fours et matériaux divers, aménageurs de magasins, écoles de formation… Il faut un peu faire son marché pour ne pas être débordé par la quantité d’exposants et le flot d’informations qui en découle. Chacun voit midi à sa porte : certains privilégieront les équipementiers, d’autres les fournisseurs d’ingrédients divers, tandis que les boulangers travaillant sur un projet d’installation iront s’adresser aux meuniers.

Difficile d’exprimer un avis sur un tel salon, tant il présente un éventail diversifié d’acteurs et de visions de la profession. On peut toutefois tenter d’en dégager quelques tendances de fond, des mouvements et des directions dans lesquelles la boulangerie s’oriente. Il faut en effet écrire directions, le pluriel prend ici tout son sens, et toutes ne sont pas orientées de la même façon. Tandis que certains tentent de porter la profession vers le haut, certains semblent plutôt satisfaits de la situation actuelle et ne voudraient surtout pas que cela change.

Sur le "village" Banette

C’est d’ailleurs par là que l’on commence. En pénétrant dans le Hall 4, on est immédiatement accueilli par le « village » Banette. Il est tout à fait à l’image de l’empire et de la puissance qu’a pris le groupement, aujourd’hui constitué en majorité par des moulins de grande taille, tels que Axiane Meunerie ou les Grands moulins Aubry. Pas question pour cette entreprise de faire les choses à moitié : sur son stand, on retrouve l’ensemble des activités du « groupe », entre l’école de formation et les concepts de boutique, tout en mettant l’accent sur sa force de communication, développée notamment au travers de son statut de Fournisseur Officiel du Tour de France. Je ne vois pas ici des personnes cherchant à faire évoluer le pain et la boulangerie : dans la boutique de démonstration, les mixes sont mis en avant et distribués à tour de bras dans des sacs à l’effigie de la marque. Il ne serait pas question de chercher à développer chez les boulangers un quelconque esprit, les encourager à développer leurs recettes et leur identité, bien au contraire : il faut que le consommateur puisse retrouver la même gamme d’un bout à l’autre du pays. Même constat du côté d’acteurs tels que Copaline, Festival des Pains, Soufflet / Baguépi ou encore Grands Moulins de Paris / Ronde des Pains. Chacun propose ses solutions clés-en-mains, il ne reste plus qu’à l' »artisan » à suivre les modes d’emploi, mettre son épouse ou une vendeuse à la caisse, et le tour est joué. Est-ce ainsi que l’on avancera vers une boulangerie concentrée sur le goût, la qualité nutritionnelle et plus globalement sur l’idée que chacun de nos artisans peut être unique ? Certainement pas. Pourtant, c’est bien dans cette voie que nous devrions nous engager, il en va de la survie de la profession : à force de proposer une offre ennuyeuse, peu qualitative aux consommateurs, ceux-ci finiront par se détourner des petites échoppes, au profit de la praticité offerte par les grands distributeurs.

Le stand des Grands Moulins de Paris / Ronde des Pains

Fort heureusement, d’autres acteurs tentent de changer les choses et s’inscrivent dans une toute autre dynamique. Chez des meuniers comme les moulins Bourgeois, Decollogne, Foricher, Fouché, … le discours est bien différent. Il est question de qualité, d’authenticité, de sélection du blé… Autant de choses qui ont du sens et devrait entrainer les boulangers dans une dynamique positive pour tous. Pas de mystère : ces acteurs de la meunerie fournissent la plupart des adresses citées ici.

La maquette du nouveau moulin de chez Decollogne

En marge de ce « débat », il est aussi important de s’intéresser aux fournisseurs de produits finis. Bien sûr, Coup de Pâte, Bridor et autres créateurs de pains et gourmandises industriels sont représentés. Chez Coup de Pâte, on pousse le vice jusqu’à développer des concepts de magasin articulés autour de leurs gammes de produits, en les mettant en scène comme s’ils revêtaient un quelconque caractère authentique. Au vu du monde présent sur leur stand et de l’activité de leur équipe commerciale, ce discours ne semble pas laisser insensible nombre d' »artisans » et entrepreneurs de la boulangerie. Bridor développe une démarche plus qualitative et créative, notamment au travers de son partenariat avec Lenôtre et avec le développement de produits originaux (comme de petits pains parfumés, au citron et au thym, entre autres).

Sur le stand Bridor, du surgelé "haut de gamme"

Les meuniers ne sont pas en reste pour proposer leurs gammes de viennoiseries surgelées (Recettes de Mon Moulin chez les GMP, notamment), ce qui est assez inacceptable à mon sens : comment pouvoir prétendre défendre l’artisanat ensuite ? L’argent et le profit sont décidément le coeur des préoccupations de ces entreprises, rien d’autre.

La Boulangerie de la Place selon Coup de Pâtes, alors que cela ne pourrait pas être nommé ainsi dans la réalité (législation quand tu nous tiens)

La tendance est clairement au Biologique : chacun dégaine sa gamme certifiée, alors que cela ne signifie pas pour autant que les produits sont meilleurs. Les consommateurs sont rassurés, mais si cela ne s’accompagne pas d’une vraie démarche de qualité et de goût, cela ne vaut rien. Heureusement, quelques acteurs « historiques » de la minoterie Biologique relèvent le niveau et permettent de sortir des mixes fraichement développés par les mastodontes du secteur.

Sur le stand Bio des Moulins de Brasseuil (enseigne l'Artisan Bio)

Côté pâtisseries, là encore il y a du choix, plus ou moins qualitatif. Des entreprises telles que PCB Création sont parvenues à exceller dans le visuel, mais je ne suis pas certain que le goût soit toujours à la hauteur des promesses faites par cette apparence séduisante. Là encore, il y a quelques questions à se poser : pourquoi se tourner vers ce type de solution, alors qu’il serait souvent préférable de rester dans des gammes de produits plus simples et « boulangères » (tartes, pâtes à choux…) qui permettraient d’assurer une fabrication 100% maison ?

Frédéric Lalos en pleine action chez Philibert Savours

Au détour des allées, on découvre aussi des associations pas toujours très heureuses. Lorsque l’on voit Frédéric Lalos oeuvrer sur le stand de Philibert Savours et proposer l’un des pains développés dans ses boutiques du Quartier du Pain (le Longuet est en effet présent au catalogue Philibert, sous le nom de Campasine), on peut s’interroger sur la véracité de l’engagement qualitatif de ce Meilleur Ouvrier de France, car cette entreprise utilise tout bonnement le levain comme un additif, destiné à donner du goût, le détournant de ses qualités premières. Il faut croire que certains, arrivés à un certain niveau de visibilité et de reconnaissance, se laissent porter par leur succès et acceptent des contrats qui ne sont pas toujours à leur honneur.
Avant d’en arriver là, c’est par les écoles de boulangerie qu’il faut passer, et elles sont représentées sur le salon, à l’image de l’INBP qui réalise des démonstrations. Elles prennent également part aux concours organisés tout au long de l’Europain. Coupe du Monde de Boulangerie, Mondial des Arts Sucrés, Coupe de France des Ecoles… Les événements ne manquent pas et ponctuent la vie du salon.

Pains snacking créatifs chez Eric Kayser

Au delà des fabricants de chocolat, confiseries et autres gourmandises qui ont l’habitude d’innover dans les saveurs et les formes, la création s’invite également du côté du pain, et on peut ainsi découvrir de nouvelles façons d’en déguster. A mon sens, c’est tout bonnement vital pour donner envie aux consommateurs d’en manger plus régulièrement, et surtout en plus grande quantité. Pains de mie marbrés aux différentes saveurs (légumes, encre de seiche…) sur le stand Foricher, soupière en pain pouvant être mangée chez Eric Kayser, … les idées ne manquent pas et j’espère sincèrement que ce bouillonnement intellectuel de leurs démonstrateurs saura faire mouche auprès des visiteurs du salon.
En innovation, on peut aussi citer les machines toujours plus perfectionnées développées par les équipementiers, à destination des acteurs de la boulangerie industrielle. Rien de très heureux là dedans, je ne peux pas dire que voir des baguettes sans vie tomber dans des bacs soit un spectacle réjouissant pour moi, mais à chacun son métier, après tout…

Une terrifiante machine chez un équipementier pour la boulangerie industrielle

Comme vous l’aurez compris, Europain nous propose un environnement très riche, entre « tradition » et innovation, entre boulangerie consciente des enjeux à venir et volonté de perdurer sur les mêmes recettes qui ne peuvent que nous conduire à une catastrophe future. Je finirai par un clin d’oeil souriant aux stands plutôt délaissés par les visiteurs au sein de ce salon… et notamment à celui de la confédération, où l’équipe de M. Crouzet n’avait pas fort à faire.

Le stand de la confédération, assez déserté.