Avant le pain, il y a bien entendu la farine. Dans ce domaine, toutes ne se valent pas, et ce n’est malheureusement pas très visible pour le consommateur, qui est avant tout confronté au résultat final : une baguette, une miche, … Comment faire pour susciter son intérêt et tenter de lui parler de tout ce qui se passe en amont ? Pourtant, beaucoup de choses se jouent ici.

Fournil du Moulin des Gaults, Poilly-lez-Gien

Chez Foricher, on en a bien conscience, et c’est pour cela que l’on a souhaité dès le début développer une vraie démarche autour du pain de Tradition française, en valorisant le travail réalisé sur la matière première, et notamment les blés issus de l’agriculture CRC. CRC, qu’est-ce que c’est ? Cultures et Ressources Contrôlées. Pour reprendre l’explication « officielle » :

Le cahier des charges CRC® a été construit dans l’objectif de réduire les contaminations d’origine chimique, environnementale ou naturelle sur les céréales :

  • Blés conservés sans traitement après récolte et refroidis à l’air naturel dans des cellules hermétiques aux oiseaux.
  • Traitement des cultures autorisé seulement si le risque est avéré, avec des produits sélectionnés selon différents critères (toxicité, solubilité dans l’eau, emballage recyclable,…)
  • Blés cultivés sur des parcelles préservées : par exemple, recul des cultures à 250 m des routes importantes et éloignement des parcelles des établissements à risques (stations d’épuration, aéroport, décharges…)

L’objectif est de parvenir à une farine la plus « propre » possible, dépourvue d’additifs et surtout porteuse d’une réelle dimension de développement durable.

Du grain à moudre

Cet engagement est une des marques de fabrique de cette entreprise, créée en 1996. A cette époque, Yvon Foricher se lance seul après avoir eu plusieurs expériences, et notamment au sein d’un moulin installé dans l’Oise. Pour lui, la meunerie est avant tout une histoire de famille : son père l’était lui même, tout d’abord à son compte puis dans divers moulins à travers le monde, ce qui a permis à la famille de voyager et de s’ouvrir à d’autres cultures. 7 générations l’avaient d’ailleurs précédé, pour vous dire à quel point cela s’est transmis dans le temps.
Au début, le jeune meunier n’écrase pas ses blés par lui même et réalise du négoce. Cependant, quelques boulangers décident de lui faire confiance… dont Eric Kayser, ce qui aura un effet d’émulation assez rapide et bénéfique pour le développement de l’entreprise.
En 2000, le moulin des Gaults, reconstruit en 1943, – installé à Poilly-lez-Gien – est acquis et deviendra alors l’outil de production des Foricher. Ce n’est pas une grosse usine, on y ressent une vraie dimension artisanale, même si l’outil a été modernisé et amélioré depuis l’achat. Nous sommes bien loin des volumes réalisés par des acteurs comme les Grands Moulins de Paris ou Soufflet/Baguépi, et c’est certainement ce qui explique la proximité qu’entretient Yvon Foricher avec ses clients : il m’expliquait passer plus de 70% de son temps « sur le terrain », chez des boulangers. C’est de cette façon qu’il peut participer au développer de la démarche profondément qualitative qui est la sienne.

Farines utilisées pour les démonstrations

Cette qualité, on la retrouve au travers de la Baguette Bagatelle T65, la seule qui puisse être labellisée Label Rouge, un gage de qualité pour le consommateur, et certainement un des sigles les plus reconnus et « lisibles » auprès du grand public. Même chose pour les viennoiseries réalisées à partir de farine T45 surfine, au travers de laquelle Foricher promeut les produits maison, réalisés sans surgélation ni additif. Sur ce dernier point, il y a beaucoup à faire, car beaucoup de boulangeries – comme cela a été souligné dernièrement – font appel à l’industrie. Les meuniers l’ont bien compris et travaillent activement sur la question, puisque les Grands Moulins de Paris ont développé une solution certifiée Label Rouge mais… surgelée. Le référentiel qualité est donc complètement faussé pour le consommateur, et si de telles pratiques finissent par se mettre en place, la tromperie continuera à être monnaie courante dans la profession. Face à cela, l’objectif de Meuniers engagés tels que Foricher est de développer des process et recettes pouvant être mis en place chez les artisans boulangers. Bien entendu, cela nécessite de leur part une certaine rigueur et une passion pour la qualité, mais ils ne sont certainement pas clients ici par hasard… une partie du chemin est déjà parcourue.

Face à ces dérives, le « Club le Boulanger » (http://www.club-le-boulanger.com/) propose de vraies alternatives et solutions. Il regroupe des meuniers engagés dans une démarche similaire à celle de l’entreprise Foricher, et on ne peut que se féliciter que de telles initiatives perdurent et se développent.

C'est compliqué un moulin !

Retournons dans le Loiret pour apprécier le travail réalisé quotidiennement au sein du Moulin des Gaults. Ici, le grain est moulu 7j/7, sans interruption, afin de pouvoir répondre à une demande toujours plus importante. En effet, l’outil de production est utilisé à plein, et les Moulins Dormoy (dans l’est de la France), acquis en 2009, permettent de donner plus de flexibilité et de capacité à l’entreprise. Les blés CRC sont reçus puis transformés selon les besoins et les demandes des clients. On trouve certes de la farine de tradition T65, de la farine de gruau T45, mais aussi d’autres types tels que de la T80 et des compositions spéciales pour certains boulangers (Dominique Saibron ou Jean-Paul Mathon expriment des exigences particulières auxquelles le moulin répond).
Aujourd’hui, des investissements continuent à être réalisés pour rendre l’usine plus performante et apte à servir la demande dans les meilleures conditions. Cela n’est pas une chose aisée, car la conjoncture n’est pas vraiment favorable à de « petites » entreprises de la meunerie : en effet, avec les importantes augmentations des cours du blé vécues ces derniers mois, il est difficile de répercuter les hausses auprès des clients et les marges en sont réduites d’autant.

Plusieurs baguettes bien alvéolées !

Ce qui caractérise la famille Foricher, c’est aussi sa volonté de partager et de vivre dans la communauté qui l’entoure. Ainsi, chaque année, des portes ouvertes sont organisées et chacun peut y prendre part en achetant tout simplement son pain, mais également en participant à diverses activités mises en oeuvre autour du pain. Yvon Foricher souhaite intéresser des publics de plus en plus jeunes au travers de cette initiative, et espère une forte participation des adolescents cette année.
Au delà de cet événement ponctuel, les clients du meuniers sont conviés toute l’année à des démonstrations et des formations. Dans le fournil du moulin, des démonstrateurs de talent s’activent pour présenter les gammes de farine. Patrick, l’un d’entre eux, a ainsi pris le temps de m’expliquer les spécificités de chacun des produits. Ici, le levain est roi, mais contrairement à ce que beaucoup pourraient craindre, il n’est pas synonyme d’acidité. Les pains cuits dans ce fournil sont d’une grande douceur, car réalisés à partir d’un levain liquide. La fermentation lactique qui est réalisée sur cette base permet de créer des pains savoureux, digestes et de bonne conservation. Le résultat est superbe, on voit des pains tels qu’on aimerait en rencontrer plus souvent en boulangerie : façonnages élégants, cuissons sublimes, conservation excellente… Sans parler des arômes et des caractères exprimés par chacune des créations. La matière première est sublimée, et cela offre une belle vision des possibilités offertes par une bonne farine aux différents clients ayant l’occasion de passer par ici. La difficulté est de trouver des boulangers ayant un bon état d’esprit et une excellente maîtrise technique pour parvenir à transmettre ce savoir-faire. Il faut également parvenir à les faire rester, puisque ce sont souvent des personnes ayant une grande soif de découverte, ce qui les rend assez volatils !
Au delà de ces « exemples », les boulangers et leur personnel de vente bénéficient également de formations autour des produits, ce qui leur permet de les réaliser mais aussi de les défendre au mieux. En effet, il ne suffit pas d’avoir un bon produit, il faut aussi savoir le vendre et pour cela l’implication en vente est primordiale. Combien de fois ai-je parlé ici même de vendeurs ou vendeuses possédant une connaissance plus qu’approximative des pains vendus dans leur boulangerie ? C’est regrettable, et cela ne profite à personne.

Une superbe tourte de seigle

J’ai ainsi découvert aujourd’hui un meunier profondément engagé, développant une démarche encore trop marginale dans le domaine de la meunerie, avec un vrai goût de la qualité et une exigence exceptionnelle. Ce n’est pas par hasard qu’il livre beaucoup de grands noms de la boulangerie parisienne, malgré des tarifs plus élevés que ses concurrents. Il faut, dans ce secteur, se différencier pour exister. C’est d’autant plus beau quand on exprime une telle différence, en faveur du consommateur.
D’ailleurs, une de leurs nouveaux chevaux de bataille se situe du côté de la… brioche, souvent abandonnée par les boulangers et « détenue » par les industriels, qui la remplissent d’additifs divers. Ici, elle est réalisée à partir de farine T45 CRC Label Rouge, de levain de lait (un levain rafraîchi à l’aide de lait, ce qui lui procure un moelleux incomparable), de levure, de beurre, d’oeufs frais, de miel, de sel… et en aucun cas de conservateurs. Encore un bel exemple de cette volonté permanente d’innover et d’aller toujours plus loin dans le sens de la qualité.
Merci pour cette visite et cet accueil !

10 réflexions au sujet de « Le Moulin des Gaults / Foricher, une visite chez un Meunier engagé »

  1. Aujourd’hui, les GMP répondent a beaucoup de demande. Leurs différences c est justement ça. Autant capable de fabriquer un levain liquide développant un goût très doux: moelleux a l intérieur et croustillant/craquant a l extérieur. Que de développer un produit industriel avec des additifs.
    Pour information, ils développent une tradition label rouge mais sans congélation puisque le but est de garder le label tradition française.
    Leurs but est de répondre aux demandes clients.

    Foricher possèdent aussi des mixes avec additifs!

  2. Un commentaire sur leur T65 regarder la composition et le taux de gluten .

    Elle est réputé pour avoir beaucoup de force je me rappelle des autolyses de 6 à 12 h
    Je pétrissait même ma brioche avec . Ce n’est pas qu’elle est meilleur c’est qu’il rajoute tellement de gluten que sa en fait de la gruau …

    Donc allergique ou intolérant faite attention .

    Un bon moulins pour qui j’ai beaucoup de considération et qui fournie aussi de grand nom parisien comme euh? Saibron : Moulins decollogne

  3. Effectivement le taux de cendres est de 0,60
    Pourquoi : les GMP souhaitent développer une tradition française avec mie très moelleuse et jaune qui d ailleurs explique le blé exclusif qu il utilise parmit les 4 bles dans la formule de leur tradition qui a un pouvoir jaunâtre, et donc apporter une farine avec plus de taux de cendres rendrait cette formule contradictoire.
    Avec un levain liquide lactique on obtien un produit qualitatif et qui se démarque par sont goût qui donne une impression sucre.
    En rapport au gluten qui effectivement comparativement a d autres moulins est plus élevé parce que le façonnage de cette tradition est une grigne sur le dessus pour avoir un effet strie et craquelé , d ailleurs un visuel qui est reconnu par une majorité de consommateur en France.

    C est aussi la force des GMP c est un regroupement de personne qui ont des compétences toutes différentes et qui mettent en oeuvre un produit qualitatif.

  4. Voilà des visites qui ne font que renforcer la crédibilité et la qualité de votre blog.
    La boulange ne commence pas au seuil du magasin, ni ne s’arrête après une dégustation « organisée »,

    Bravo. Continuez à nous faire voyager,

  5. Ce que vous faites est remarquable. Bravo !
    Y a t-il présentation du moulin (le plus proche de chez soi), suivi d’une dégustation de produits ?
    Sinon une chambre d’hôte ?

    Très cordialement,
    Jean Baptiste

  6. Bonjour
    Cela fait un moment que j’entend parlé de monsieur Foricher, en 2006, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance d’un boulanger qui travaillait avec cette farine, il avait une super équipe de passionné avec qui j’ai pu échanger quelques informations sur le moulin, il est vrai que cette communion entre le meunier et le boulanger, est la clé d’un produit fini de grande qualité, je pense que tout le monde ne peut pas mener ce combat sur la qualité, la rigueur pour ce genre de défit est plus que nécessaire.
    Super visite, merci.

  7. Bonjour,
    Ce n’est que la deuxième fois que je visite ce blog, et que d’évolution depuis mon dernier commentaire.
    Cet article est très intéressant, un vrai travail rendant service aux gens qui essaient de faire évoluer ce magnifique métier dans le bon sens.
    Juste une petite précision même si ce n’est pas le sujet principal de l’article, la surgélation ne veut pas dire industriel, les viennoiseries label rouge faites maison peuvent être surgelées sur place par l’artisan boulanger ou pâtissier.
    Uniquement pour les viennoiseries feuilletées et la pâtisserie, pas le pain : une surgélation bien menée suivi d’une bonne conservation à-18°C, et d’une bonne décongélation n’entraîne aucune perte de qualité organoleptique.
    De plus, la surgélation a un avantage, proposer plus de sortes aux clients, car on rationalise la production.
    Avec une bonne communication, la surgélation faite maison dans de bonnes conditions passe tout seul auprès de la clientèle.

    Alors, Rémi, pourquoi pas nous faire un bon article sur la surgélation en artisanat ? En MP, je peux vous aider avec plaisir.

    • Bonjour Arnaud,

      Merci pour votre commentaire.
      Je n’ai pas de grief contre la surgélation ‘maison’ et je vous rejoins pleinement sur les arguments que vous avancez. J’ai déjà abordé le sujet dans d’autres billets.
      Il n’existe pas de viennoiserie Label Rouge pour le moment, mais je ne suis pas persuadé que son cahier des charges tolère cette pratique quand il sera en place. A voir.

      Belle journée,
      Rémi

      • Je me suis peut être mal exprimé, je voulais surtout parler de la confusion de beaucoup de clients entre « surgelé » et « industriel », par rapport à ce que vous dites sur la solution GMP et les viennoiseries.
        Beaucoup d’artisans ne veulent pas indiquer que les produits ont été surgelés, même si cela est fait maison. C’est dommage, et comme votre blog sert à informer les consommateurs, mais aussi à mettre en avant la qualité, je pensais qu’un petit article bien fait expliquant l’avantage d’une surgélation bien maîtrisée aiderait à la compréhension des consommateurs, et éviterait de l’assimiler à de l’industriel.
        Dernièrement, j’ai vu un excellent reportage sur France 5 sur la surgélation et l’industriel, mais aussi un très mauvais, sans investigation, juste pour l’audience sur la chaine suivante, M*.

        Bonne journée.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.