Mes relations avec les boulangers sont parfois un peu compliquées. Certains lisent probablement mes critiques sur leur établissement en silence, sans réagir, tandis que d’autres préfèrent faire entendre leur voix en réponse aux divers points que je peux soulever dans mes billets, publiquement ou directement par email ou téléphone. Cela peut donner lieu à des échanges vifs et passionnés, parfois intéressants, parfois beaucoup moins…

Dans le cas de la Fournée d’Augustine, c’est Pierre Thilloux lui-même qui m’a contacté afin de me proposer de le rencontrer pour mieux découvrir et comprendre le fonctionnement de son entreprise.
Rendez-vous était donc pris au 96 rue Raymond Losserand, dans le 14è arrondissement. Cette boulangerie est en effet la première de ce qui est maintenant une des « enseignes » de la boulangerie parisienne. Ouverte en 2001, elle reste encore aujourd’hui le « bébé » de l’entreprise, comme me la décrivait l’artisan.
Agé d’à peine 20 ans à l’époque de son installation, Pierre Thilloux a repris cette boutique dont personne ne voulait, étant l’une des plus petites boulangeries de la rue, déjà bien dotée en boutiques de ce genre. A force de travail et d’implication, il reçoit le premier prix de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris en 2004, ce qui représente pour lui une opportunité de développement et de notoriété, après avoir bien failli arrêter quelques années plus tôt.

Le four, visible au fond de la boutique

Le décor n’a pas vraiment changé, nous sommes toujours ancrés dans la boulangerie à l’ancienne telle que souhaitée initialement. Les nouvelles boutiques ont évolué en terme de concept, pour des raisons économiques : le parquet, les vieux meubles, les jolis vases… coûtent cher à entretenir, en plus de ne pas être foncièrement adaptés à une activité aussi intense que peut l’être la boulangerie. C’est assez dommage, car nous en arrivons à des boutiques assez aseptisés et sans âme, mais il faut parfois faire des choix « modernes » pour permettre à l’entreprise d’avancer. D’autant que la pression des services vétérinaires est très forte sur les boulangeries, et qu’il est aujourd’hui difficile de se laisser aller à la moindre fantaisie, qui pourrait représenter un danger potentiel pour la clientèle. Pour Pierre Thilloux, cela représente un véritable péril pour les artisans boulangers, qui ne disposent pas des moyens -humains et financiers- nécessaires pour respecter l’ensemble de ces normes très contraignantes.

Il tente néanmoins de les respecter au mieux, au sein de cette entreprise de 70 salariés (et dire que tout cela a commencé avec 3 personnes en 2001 !), même si c’est parfois au détriment du goût. Un exemple parmi d’autres : la Fournée d’Augustine réalisait précédemment sa propre moutarde pour l’assemblage des sandwiches. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, en raison des « risques sanitaires » que cela représentait. Pour le consommateur, c’est une perte, car le produit standardisé utilisé désormais est loin d’avoir autant de goût…

Des baguettes sorties du four : on reconnaît l'utilisation de la Paneotrad aux extrémités

Revenons-en à des choses plus intéressantes pour le palais, justement. Parlons un peu de cette fameuse baguette primée. Réalisée à partir d’une pâte hydratée à 72%, avec incorporation de 3g de levure par kilogramme de farine, elle bénéficie d’une fermentation minimale de 24h pour développer ses arômes. La farine utilisée est fournie par les Moulins Fouché, installés en Essonne, et faisant appel uniquement à des blés cultivés dans un court rayon autour du moulin. Une démarche qui a du sens pour M. Thilloux, attaché à la défense de circuits courts et respectueux de l’environnement. La baguette est façonnée grâce à une machine Paneotrad de chez Bongard, comme j’avais pu la décrire à Nantes chez le couple Marché. Cela apporte beaucoup en terme de flexibilité et décharge les boulangers de ce travail assez laborieux.
Ici, pas de levain. Les pains spéciaux sont travaillés sur pâte fermentée, la baguette de tradition uniquement sur levure. A cela plusieurs raisons : un levain reste difficile à entretenir, ce qui serait d’autant plus vrai sur plusieurs boutiques comme dans le cas de la Fournée d’Augustine, de plus, son acidité caractéristique n’est pas vraiment au goût de l’artisan et d’une bonne partie de sa clientèle.

Des escargots au chocolat en préparation, avec le fidèle laminoir

Malgré cette multiplication et ce développement, Pierre Thilloux est resté attaché au maintien d’une dimension artisanale dans la réalisation des produits. Les recettes n’ont pas ou peu évolué au fil du temps, même s’il a fallu procéder à des ajustements techniques. Le tourage est par exemple centralisé à Rungis, où l’entreprise possède des locaux performants et répondant bien aux exigences législatives. Une grande partie demeure réalisée au sein de chaque boulangerie, à commencer par le pain bien entendu, mais également une partie des pâtisseries ou encore les produits salés, tels que les sandwiches.
L’objectif est de toujours rester conforme à l’esprit artisanal tel que développé initialement, ne serait-ce que par respect pour ses ancêtres… en effet, Augustine n’est autre que la Grand-Mère de M. Thilloux, et il ne saurait transiger avec cette exigence. S’il a souhaité continuer le développement de son entreprise, c’est parce qu’il considère qu’il n’est plus possible aujourd’hui de rester « stagnant », car cela représente le risque de se voir contraint à terme de baisser le rideau, une chose qu’il ne concevrait pas, autant pour lui que pour ses salariés.

Au laboratoire, on oeuvre pour préparer les gourmandises...

Aujourd’hui, ce boulanger aime encore profondément son métier, et avoue volontiers qu’il ne se verrait pas faire autre chose. Certes, on peut lui reprocher d’avoir voulu grandir et d’avoir étendu sa marque sur la région parisienne. Cependant, je dois lui reconnaître le mérite de l’avoir fait en gardant des principes et en tentant de conserver une certaine identité. Sa dernière boutique, située rue Vavin, est certainement l’une des plus « modernes », avec ses caisses automatiques et son aménagement assez standardisé. Regrettable, certes, mais pas sans raisons : l’hygiène et la sécurité face aux vols justifient ces choix. Cela n’empêche pas l’entreprise de continuer à faire des efforts pour proposer des thématiques autour des différents événements gourmands de l’année. Ainsi, Noël 2011 était placé sous les couleurs de l’Italie, avec un décor et des créations en rapport avec ce thème.

La Fournée d’Augustine n’est pas parfaite, ce n’est pas la prétention de Pierre Thilloux, et fort heureusement d’ailleurs. Pour autant, il s’agit de rester objectif et de reconnaître le travail réalisé au quotidien par les équipes de cette entreprise, permettant de proposer des produits accessibles (la baguette de tradition est, je le rappelle, proposée à 1 euro rue Raymond Losserand, pour un beau produit !) et frais.

12 réflexions au sujet de « Visite le temps d’une fournée chez Augustine, rue Raymond Losserand, Paris 14è »

  1. Bonjour Rémi,

    Ma curiosité a germé en lisant ton billet. Je me demandais si, à l’occasion, tu ne pourrais pas faire découvrir à tes lecteurs les différentes étapes de la fabrication du pain, comme un petit feuilleton.

    Je sais que quantité d’information existe disséminée sur le net, mais je trouve qu’on ne parle pas souvent du geste. Ta grande force, c’est justement de parler de l’humain, de prendre des photos éloquentes, qui rapprochent ; et ton approche me semblerait vraiment intéressante et bienvenue. Tu parles par exemple de façonnage dans ce billet, en suggérant que c’est contraignant. Du coup, la profane que je suis se demande pourquoi : combien de temps prend cette opération ? Est-elle pénible pour le boulanger ? Combien de personnes s’y attèlent en moyenne pour réaliser une fournée ? Quels sont les outils nécessaires — traditionnels ou mécanisés, comme cette fameuse machine ? etc.

    Ce n’est qu’une suggestion, mais si elle t’inspire, je serais ravie d’en savoir un peu plus sur les hommes, au sein de l’univers du laboratoire !

    Bonne journée !

    Emma

    • Bonjour Emma,

      C’est effectivement une bonne idée, à laquelle j’avais pensé il y a quelques temps. Je vais essayer de mettre cela en place avec un boulanger pour vous faire partager un peu du quotidien au fournil, qui est effectivement assez passionnant et complexe, pas forcément très visible ni valorisé auprès du consommateur.

      Belle journée,

      Rémi

  2. Bonjour Rémi,votre article sur Monsieur Thilloux c’est de l’ironie ou quoi?Parce que retranscrire ce discours tel quel sans commentaire me laisse un peu perplexe.
    Je suis en désaccord avec la presque totalité de ce que vous écrivez ici.Vous dites<>Je pense tout le contraire,on ne peut pas reprocher à quelqu’un de s’étendre,mais le problème est de donner une image faussée de de ce que l’on est en réalité , de communiquer sur la tradition et de l’autre coté tout standardiser,edulcorer.
    Avec 7 boulangeries à gérer on n’est plus boulanger,on est entrepreneur en boulangerie,il n’y a pas de mal à cela mais alors ne parlons pas de recherche d’authenticité.
    Le levain difficile à entretenir?C’est justement le métier de boulanger d’apprendre à maitriser sa farine, ses ferments ,controler l’acidité de son levain.
    La panéotrad?Bonne qualité des produits,gestion au plus prés de la demande,d’accord,mais c’est aussi une forme de standardisation des produits et une mécanisation supplémentaire du métier.
    Les boutiques sont aseptisées?Mais mon bon Monsieur,il faut vivre avec son temps et les services d’hygiène sont si contraignants de nos jours qu’ils interdisent toutes fantaisies!Y compris la personnalité?
    Quant au respect des ancêtres,alors là….

    • Bonjour Magali,

      nous sommes bien d’accord sur la difficulté de suivre un levain et qui plus est sur 7 boutiques différentes. Comme il est difficile de se cloner, et que les conditions de fermentations ne seront jamais identiques d’un endroit à l’autre (condition de température, de volume), la réplication d’un produit parfaitement identique est un leurre.
      Y parvenir sur un seul site de production est déjà une performance.

      Je suis utilisateur du Paneotrad. Et vous l’avez vous utilisé. Pourquoi parlez vous de standardisation? Définissez alors ce qu’est le standard et ce qui ne l’est pas.
      Si vous pensez qu’il est utile à un ouvrier boulanger de façonner 7 heures par jour des baguettes à la main, autant, envisager également le pétrissage à la force des bras.
      Là vous aurez de l’authentique. Vous pourrez même entendre le boulanger geindre en courbant l’échine et transpirer, les reins brisés sous l’effort.

      La mécanisation lorsqu’elle est faite dans le respect du produit libère l’homme du joug de son labeur. Le travail ne doit ni se faire dans la douleur, ni dans l’ennui, ni la routine.

      Le supplément d’âme n’est-il pas plutôt, justement, dans la qualité apportée dans le choix des matières premières comme le fait monsieur Thilloux, ou encore par des pétrissages lents et de longues fermentations?

      Rémi ne dit pas que monsieur Thilloux à la prétention d’âtre parvenu à la perfection. C’est dans la recherche de cet objectif et en améliorant les conditions de travail de ses collaborateurs qu’il arrive certainement à proposer des produits de qualité à des prix abordables.
      Ce qui n’est pas toujours le cas de boulangers prétendants à l’excellence et qui ont pignon sur rue.

    • Bonjour magali,

      Je comprends votre point de vue, Eric et Mickael ont résumé en substance ce que je pense, même si je vous rejoins assez sur les problèmes que pose la standardisation des boutiques vis à vis d’un discours prônant l’artisanat. Il y a en effet un caractère assez antinomique dans ces deux mouvements et c’est assez regrettable.
      J’ai tenté de retranscrire assez objectivement la teneur des positions et propos de M. Thilloux, chacun en est ensuite libre juge. Personnellement, je trouve que la façon de développer la Fournée d’Augustine adoptée par cet homme demeure assez acceptable, même si elle entraîne inévitablement une rationalisation des process qui fait perdre en authenticité.

      Belle soirée,

      Rémi

  3. Bonjour à tous,

    Je suis quelque peu surpris des réactions suite à ce billet sur la fournée d’Augustine, et qui sont, quelque peu, à mes yeux, disproportionnées.

    Mr Thilloux s’est développé sur un concept qui préserve la notion artisanle. Effectivement, une standardisation de ces modes de production lui permet d’ajuster sa production et d’optimiser les aléas de son personnel.

    Toutefois, ils continuent d’apporter son savoir faire en fabriquant lui même sa viennoiserie sur un atelier. Autre point, la fabrication de sa pâte boulangére est gérée par chaque boutique en propre. L’absence de levain est certes préjudiciable et l’explication ne donne pas satisfaction, l’utilisation de levain liquide voir de poolish est tout à fait envisigeable et ce même à grande échelle. Autre point, l’étape de façonnage est supprimée, gain de temps,flexibilté, mais qui à mon goût perturbe la qualité finale. Mr Poilâne avait pour habitude de dire que chaque moteur qui rentre dans un fournil se fait au détriment de la qualité boulangére; sans parler de revenir au pétrissage/ façonnage manuelle, l’utilisation d’une bonne façonneuse assure une excellente qualité.

    Néanmoins, il reste et demeure un artisan qui propose un produit de qualité et de belle facture pour un prix parisien inespéré.

    • Pour le levain, je pense qu’il y a surtout une question de goût personnel dans le cas présent, M. Thilloux ne cache pas le fait qu’il n’aime pas ça et préfère des pains plus « doux », sans acidité. Pour la Paneotrad, cela se discute…

  4. bonsoir Eric,j’ai tenté de mettre en évidence ce qui m’apparaissait comme une contradiction entre un discours axé sur des valeurs artisanales et la multiplication des boutiques(écart qu’on retrouve ailleurs chez Kayser,Hakkam,Galloyer et autres et que Rémi a lui même commenté ) .Je ne défend pas une méthode plus qu’une autre,toute entreprise est légitime ,mais il faudrait tenir un discours cohérent avec ce que l’on fait.
    Quant à la panéo,je vais nuancer mes premiers propos:je n’aime pas l’aspect <> que prend cette baguette, en général le coup unique qui fait cracher la baguette ne permet pas de personnaliser son coup de lame comme sur d autres baguettes (c’est un avis personnel, j’ai malgré tout de la sympathie pour ce produit).
    Concernant la mécanisation,je n’ai rien contre ,c’est la démarche vers une mécanisation excessive qui me gêne un peu.

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