Le mélange des genres n’est jamais souhaitable. Que ce soit en politique, en art ou même en gastronomie, il faut savoir rester à sa place et ne pas utiliser son nom et sa notoriété pour défendre l’indéfendable… ou vendre un produit qui constitue en définitive l’opposé de ce que l’on devrait réaliser. Pourtant, c’est une pratique de plus en plus fréquente, et l’argent semble vraiment faire tourner toutes les têtes.

En parlant de tête, je crois que j’aimerais voir moins fréquemment celle de Frédéric Lalos, car j’ai l’occasion de la retrouver sur des produits et des présentations dont la nature ne sont pas vraiment faits pour me plaire.
Je vous avais un peu parlé dans un billet précédent des « travers » de ce Meilleur Ouvrier de France boulanger, plutôt enclin à utiliser son col en toute occasion. En commentaire, un de mes fidèles lecteurs avait rapidement évoqué la gamme développée en partenariat avec Monoprix.

"Le pain n'est bon que s'il a du goût", voilà une phrase qui restera dans les annales !

C’est lors d’un passage sur l’avenue de l’Opéra que j’ai eu l’occasion de découvrir cette charmante gamme… et le dispositif de communication que l’on y a adjoint. En effet, on ne peut pas dire que l’enseigne ait lésiné sur les moyens pour mettre en avant les mérites de ces produits. Etiquettes distinctes, petite brochure destinée aux clients, larges visuels fièrement ornés du nom de M. Lalos… Rien ne manque pour tenter de séduire.
Le problème, à mon sens, est que tout cela a une fâcheuse tendance à brouiller les cartes, d’autant plus auprès des consommateurs peu au fait du fonctionnement de la « boulangerie » au sein de ce type de magasin. On pourrait en effet croire que les pains proposés dans le cadre de cette gamme sont artisanaux, réalisés par les équipes de Frédéric Lalos pour le compte de Monoprix. La réalité est bien sûr tout autre, puisque ce sont des pâtons réalisés en industrie, puis livrés et cuits en magasin. D’ailleurs, le livret l’évoque de façon plutôt vague « l’ensemble des pains ont été pré-cuits sur four à sole »…

Les déclinaisons de pain de Frédéric Lalos pour Monoprix Gourmet

Frédéric Lalos a tout de même apporté son expertise dans la réalisation des recettes et mise en place des process, ce qui aboutit à produire une certaine notion « d’industriel haut de gamme », avec utilisation de farines de tradition sans additif, de levain naturel ou encore l’application d’un façonnage manuel pour certains pains. Nous sommes bien loin des produits remplis d’additifs et d’améliorants de panification comme nous pouvons souvent en rencontrer dans ce type de lieu, mais ce n’est pas pour autant que tout cela est vraiment « rose » : doit-on utiliser sa notoriété d’artisan pour de telles choses ?

La justification qui est apportée ici est de défendre avant tout le bon pain, et de faire en sorte de le proposer à un public toujours plus large. Seulement, ces produits ne sont pas les plus accessibles, leur tarif dépasse même ceux pratiqués en boulangerie artisanale ! Difficile, dès lors, de croire en ces beaux discours.
Je passerai sur les phrases presque « nunuches » dont est truffé ce petit livret… même si j’ai beaucoup aimé cette prompte déclaration : « le pain n’est bon que s’il a du goût ». Avez-vous déjà trouvé quelque chose de bon qui n’aurait pas de goût ?
De plus, tout cela fait travailler une certaine « filière » que Frédéric Lalos a développé au fil du temps : les fameux levains utilisés doivent certainement provenir tout droit de chez Philibert Savours, les pâtons transformés chez Bridor (avec qui il a développé une gamme « signature »)… A l’image du travail réalisé autour de la Fournée, la très fameuse machine à pain mise au point avec Moulinex.

Le pain plié par Frédéric Lalos... Ce fameux levain ne viendrait-il pas de chez Philibert Savours ?

Je ne cherche pas à faire un mauvais procès aux produits industriels, car il est malgré tout possible de faire du « moins pire », et c’est le cas ici. Pour autant, on doit toujours garder à l’esprit que la boulangerie artisanale doit être bien distinguée de cette filière, sinon quoi le consommateur pourra être toujours plus tenté de se tourner vers ce qui est le plus pratique, c’est à dire tout acheter au même endroit… en l’occurrence, dans son supermarché.

 

Réflexions

11
Mai

2012

Pain, sel et santé

14 commentaires

Alors que la Fête du Pain commence dans quelques jours, il me paraît intéressant de revenir sur la place qu’il devrait avoir dans notre santé. Ce n’est en effet pas un aliment comme les autres, on peut aisément le qualifier de « super-aliment », contribuant à rééquilibrer notre alimentation par ses apports. Nos sociétés modernes ont, pendant un temps, considéré qu’il faisait grossir… comme pour tout, seuls les excès sont néfastes, et une consommation dans le cadre d’un mode de vie sain.

Pauvre en graisses, il apporte des glucides complexes, qui sont assimilés lentement par l’organisme, ce qui signifie qu’il nous apporte une énergie « durable ». Bien sûr, on trouve aussi des vitamines et des fibres, plus ou moins selon les types de pain. C’est d’ailleurs bien là une question sensible : tous ne se valent pas, et les différences sont bien plus nombreuses qu’il n’y paraît de prime abord. Prenez tout simplement deux baguettes dites de tradition française. Elles pourront être réalisées avec une farine de type 55 ou 65, généralement. Voici déjà une première différence, la seconde étant « plus blanche » et présentant un index glycémique plus élevé que la seconde. L’information faite à ce sujet auprès du consommateur demeure trop réduite, certainement parce que cela n’arrange pas grand monde d’être plus transparent sur ce sujet. Pourtant, il faudrait tendre à l’utilisation de farines plus « complètes », c’est à dire incluant une part plus importante de l’enveloppe du blé. Au delà du type de la farine, il est question de sa qualité. Nous produisons de plus en plus de blés de mauvaise qualité, faute à une recherche de rendements maximaux. Certes, nous parvenons à obtenir une quantité plus importante de blé par hectare, donc à nourrir virtuellement plus de monde, seulement cela se fait au détriment du caractère panifiable de la céréale, et donc de son assimilation par l’organisme.

Si les intolérances au gluten se développent, c’est aussi parce que nos pains sont réalisés avec des farines offrant des glutens de « mauvaise qualité ». Imaginez vous que certains meuniers importent des blés venus de l’Europe entière, parfois cultivés sur des terres très pauvres. Que devient l’intérêt nutritionnel du pain ? Il disparaît sur l’autel du profit. Ainsi, quand je vois toutes ces baguettes blanches bas de gamme, issues de l’industrie, dans ces « terminaux de cuisson » qui se multiplient ou dans les grandes surfaces, je me dis que nous sommes en train de créer une génération de personnes nourries certes, mais malnutries au final…
Heureusement, certains reviennent aux variétés de blé anciennes (de l’épeautre, du Kamut, à l’image du travail réalisé par Roland Feuillas et son épouse à Cucugnan) ou prônent la qualité (farines biologiques ou Label Rouge), mais cela doit se faire dans un esprit d’accessibilité… Sinon, nous aurons au final un pain des riches et un pain des pauvres, lequel serait moins bon pour la santé.

La question du sel est aussi à considérer, puisque -fort heureusement- les pouvoirs publics ont incité les boulangers à réduire la quantité de sel dans leurs produits. Les pains devraient en effet contenir de 1,3% à 1,5% de sel, or, nous sommes bien plus souvent à une teneur comprise entre 1,6% et… 2% ! Une consommation excessive de cet ingrédient est en effet un facteur d’hypertension, un problème d’autant plus fort dès lors que l’on commence à prendre de l’âge. Le problème, là encore, c’est qu’il pourra être utilisé comme « exhausteur de goût », afin de compenser un éventuel manque de savoir-faire de l’artisan, ou une farine de mauvaise qualité. Certains meuniers ont incité leurs clients, voire incitent toujours, à utiliser le sel pour réguler l’activité et le développement, notamment quand les artisans remontent des problèmes de pousse. Une solution de facilité qui ne devrait pas être privilégiée… et pourtant, les industriels ont une tendance naturelle à ces excès, pour augmenter la productivité et garantir une mise en oeuvre fiable de leurs produits. En tant que consommateur, c’est à nous de refuser ces dérives, mais il y a malheureusement une question d’éducation au goût : comment passer à un pain moins salé, au risque de le trouver fade ?

En dernier point, il y a également la différence entre un pain travaillé sur levure ou sur levain. Le premier sera beaucoup moins digeste, du fait qu’il aura uniquement connu une fermentation alcoolique. Je vous laisse imaginer ce que cela peut donner si on tente de la réduire au maximum en durée comme beaucoup le font… Le levain va réaliser une première « digestion » de la farine, et ainsi il sera beaucoup mieux toléré par l’organisme, grâce aux fermentations lactiques et acétiques (uniquement lactique dans le cas d’un levain liquide). Il n’y a donc pas qu’une question de conservation ou de goût.

Au final, on comprend bien que tout est lié. Le pain peut être une chaine de vertu comme de méfaits, tout dépend de l’esprit dans lequel on le réalise. Tout est une question d’humain, encore une fois… C’est assez fou comme cet aliment est le reflet de ceux qui le font, et plus globalement, de notre société !

Nous ne sommes jamais conscients de notre chance, du moins, nous ne parvenons jamais à en saisir l’acuité. Certainement car les éléments qui font que nous devrions nous estimer heureux de ce que nous avons se fondent dans le quotidien, se perdent dans le bruit du monde. Cela ne manque pas d’avoir tout une somme de conséquences plus ou moins désagréables : on a plutôt tendance à se plaindre plutôt qu’à regarder le positif, et au final, on prend le risque de mettre en péril ce qui constitue nos forces et nos atouts.

Parmi ces choses que l’on a trop tendance à négliger, voire à malmener, il y a notre patrimoine culinaire et la façon dont les « institutions » qui doivent le partager le font au quotidien. Malheureusement, à Paris, il y a beaucoup à dire en la matière. Les grandes maisons ne manquent pas, je n’ai pas besoin de citer de noms, ils viennent naturellement à l’esprit.
Ce qui est assez regrettable, c’est que sous la dorure se cache un quotidien souvent peu enviable : créations sans intérêt, produits de qualité médiocre, à la fraicheur et à l’aspect parfois… discutables. Je me faisais la réflexion en passant chez Ladurée cette semaine, où les pâtisseries sont souvent malmenées malgré leurs prix particulièrement élevés. D’autres maisons se sont enfermées dans un classicisme presque forcené, avec un renouvellement très faible des créations. Pourtant, il faudrait savoir vivre avec son époque, savoir mettre de la fraicheur dans notre « capital » pour le renouveler.

Au final, en observant tout cela, il me vient à l’esprit l’image d’une pente douce, sur laquelle nous serions en train de glisser lentement. Certes, le chemin pris par des entreprises sur le déclin jusqu’alors pourrait nous inviter à espérer, à l’image de Fauchon, qui met en oeuvre une vraie politique de « retour » à la qualité ces derniers mois. Seulement, on ignore encore trop la vraie responsabilité que l’on peut détenir. En effet, il n’y a pas qu’une question de qualité pour nous, français, mais bien de l’image que l’on renvoie auprès des étrangers et des touristes qui viennent visiter notre capitale… et participent au fonctionnement de notre économie. Ils arrivent les yeux pleins d’étoiles, en suivant leurs guides, sans avoir de réelle culture de ce qui est bien et moins bien. Les chemins sont tout tracés, et assurent le fonctionnement de quelques marques mises en avant grâce à leur capacité à communiquer. Seulement, cela ne fait pas tout.

A titre personnel, je suis assez écoeuré par ce « rêve mensonger » que l’on cultiverait presque en France. Mensonger, il l’est sur tous les plans, à tous les niveaux : qualité, prix mais aussi humain. Dans quelles conditions travaillent les salariés au service de ces « grandes » entreprises ? Bien souvent, elles sont difficiles, voire écrasantes, que ce soit en production ou en boutique, à l’accueil. Ainsi on vend du rêve et du plaisir en créant des situations plutôt désagréables, voire… du malheur. Vous voyez, tout est une question de responsabilité, en l’occurrence elle est sociale. Ces institutions doivent prendre conscience du fait qu’elles vivent dans une communauté, et que dès lors il faut assumer le rôle que cela implique.

Malheureusement, on ne peut pas dire que Paris prenne vraiment ce chemin là. Au contraire. Avec le temps, je vois les prix augmenter, rarement la qualité et le plaisir dans les yeux des gens derrière le comptoir. La meilleure façon de parvenir à recréer un certain équilibre serait certainement de se détourner de ces « chemins », d’aller à la rencontre de vrais artisans authentiques, parfois un peu cachés, noyés dans la masse. C’est là toute la beauté de cette ville : elle nous offre de grandes possibilités, et il faut savoir les saisir. Mon rêve ? Donner la capacité à chacun de pouvoir le faire, locaux comme touristes. Il y a du travail… mais soyons un peu iconoclastes et pleins d’espoir. Responsables, tout simplement.

Certains comportements m’étonneront toujours. Parmi eux, la capacité que peuvent avoir les gens à effectuer – de façon répétée – la même tâche au même moment, ce qui a pour effet de créer des phénomènes d’engorgement dès lors qu’il s’agit de lieux publics ou de boutiques. Le pire dans tout cela, c’est que malgré l’expérience (forcément peu agréable) que chacun peut en retirer, chacun réitère la chose avec la même façon de faire, sans se dire qu’il pourrait être intelligent d’agir différemment ou à un autre moment.

Parmi ces sources d’étonnement, ma préférée reste sans doute celle qui m’est donné d’observer tous les dimanches, quand les parisiens sortent de leur torpeur matinale… C’est tout un spectacle. La capitale, qui était alors complètement endormie, et ce jusqu’à près 10h, s’éveille brusquement dans les quartiers les plus commerçants. Un peu comme s’ils avaient complètement oublié de faire leurs courses le reste de la semaine, comme s’ils leurs placards, réfrigérateurs et… huches à pain étaient complètement vides, les habitants de cette fameuse ville lumière se précipitent dans les boutiques ouvertes le dimanche pour y remplir leurs sacs. S’en suivent de nombreuses minutes d’attente, des vendeurs exaspérés, et dans le cas des boulangeries ou pâtisseries… des présentoirs parfois bien vides. Difficile en effet de répondre à une telle demande en aussi peu de temps : façonner des baguettes, des pains, cela prend forcément du temps et même si nos amis artisans ont une certaine expérience de ces « flux » hebdomadaires, il demeure difficile de les prévoir précisément. Trop produire présente toujours le risque de perdre ou de proposer des produits à la fraicheur discutable… et quand on connaît la durée de vie d’une baguette, cela va vite.

En réalité, je regarde tout cela d’un air amusé autant qu’agacé. J’ai du mal à comprendre un tel empressement, car on ressent dans les files d’attente une certaine tension, mal dissimulée sous l’air faussement détendu que l’on aime prendre le dimanche. Ce jour devrait être dédié au repos, à l’apaisement, mais on ressent tout de même le besoin de continuer dans ce rythme effréné qui nous poursuit déjà le reste de la semaine… Alors qu’il serait tellement plus simple de profiter de moments de plaisir en famille, d’une matinée calme, en faisant ses achats un peu plus tôt dans la semaine. Quant au pain ? Même chose. C’est justement une très belle occasion de découvrir les qualités que peut avoir un pain dès lors qu’il a vieilli. Ainsi, il suffirait d’acheter la veille, voire l’avant-veille, un bon quart de tourte de seigle, de pain au levain chez un des très bons artisans que compte la capitale. Il ne reste plus qu’à le trancher le jour-dit, en l’occurrence le dimanche, le toaster légèrement selon les goûts, et voici la base d’un repas détendu, décliné autour des thèmes du plaisir et du partage… Quant aux pâtisseries que l’on voudrait aller acheter ? Là encore, je serais tenté d’inciter à ne pas céder à la ‘folie du dimanche matin’, et de simplement déguster un gâteau de voyage (cakes, financiers, …) ou une gourmandise toute simple que l’on aurait confectionné avec les siens, et qui aurait alors le goût de l’amour mis à l’intérieur.

Bien sûr, l’attrait des viennoiseries du dimanche matin demeure, mais elles sortiraient presque des cas que je décris, puisque ce plaisir matinal touche plus souvent une population de lève-tôt, qui se rendent alors dans les boulangeries à d’autres horaires, moins chargés, que la mi-journée.
Souvenons-nous aussi qu’à une époque pas si lointaine, les commerces n’ouvraient que très peu le dimanche, à peine le matin, et que nous vivions plutôt bien de cette façon. Certes, vous me répondrez que cela correspond à une demande, que tout le monde n’a pas le temps le reste de la semaine, que nous vivons une époque agitée et furieuse… justement. Arrêtons nous un peu, appuyons sur le bouton « stop/pause », et regardons juste passer le temps. Renonçons à cette folie du pain dominicale !

S’il y a bien une chose que je ne parviens pas à comprendre, c’est que nous ne soyons pas arrivés à mettre en place une véritable égalité hommes-femmes dans nos sociétés modernes. Nous parvenons bien à considérer les membres de l’autre sexe comme des mères, des épouses, mais visiblement pas comme des personnes égales à nous, grands « mâles dominants » que nous serions… Tout cela est un peu primaire, comme quoi la civilisation ne demeure que bien superficielle, après tout.

Lorsqu’il s’agit de métiers physiques, la différence est encore plus marquée. Certes, les femmes n’ont naturellement pas les même gabarits que les hommes, mais cela n’est pas irrémédiable, et leur force de détermination peut parvenir à compenser une grande partie de cette différence. Ainsi, beaucoup d’artisans ont encore du mal à concevoir le fait que les fournils et les laboratoires de pâtisserie se féminisent. Pourtant, le mouvement est bel et bien en marche, et c’est tant mieux.

Le mot boulangère va pouvoir prendre un autre sens que « femme du boulanger », souvent contrainte à assurer la vente des pains et gourmandises de son époux, sans que l’on puisse imaginer lui confier une autre tâche. Des boulangères en production, il en existe. Je pourrais vous citer quelques exemples, comme celui de Florentine Bachet et Camille Rosso dans leur boulangerie du 17è arrondissement, Marie-Christine chez le Farinoman Fou d’Aix-en-Provence, Kerstin Lekander, la boulangère « franco-suédoise » propriétaire de la maison Lebon… mais aussi de toutes ces anonymes que j’ai pu croiser au fil du temps, comme chez Rodolphe Landemaine. La profession suscite des vocations au féminin, et je ne peux que m’en réjouir, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord pour le fait que cela contribue un peu plus à abattre les barrières qui s’élevaient jusqu’alors entre la considération de la femme et celle de l’homme. Les idées reçues doivent être dépassées pour parvenir à construire une société plus juste et harmonieuse. Ensuite, cela peut donner une nouvelle ouverture aux fournils, bien souvent embués dans un état d’esprit un peu poussiéreux et peu porté sur la façon dont la société évolue. Pourtant, le pain est un objet du monde, il s’y intègre autant qu’il le façonne. Nos habitudes vis à vis de cet aliment transcrivent notre mode de vie et de pensée. Il n’est donc pas concevable que les personnes amenées à le produire soient en décalage avec notre quotidien, et c’est pourtant parfois le cas : cela se traduit bien dans les additifs utilisés pour la fabrication de certains pains, dans le peu d’intérêt porté à la qualité des farines, dans l’appel à des produits surgelés issus de l’industrie… alors que le consommateur aurait tendance à souhaiter un retour vers l’authentique, le naturel.
Tout cela pour dire que je suis convaincu que les femmes peuvent apporter une sensibilité et une ouverture d’esprit qui font souvent défaut aux hommes. Cette « finesse féminine », bien souvent reconnue, est un vrai atout pour l’entreprise. Il n’y a qu’à voir le talent avec lequel officient des pâtissières renommées telles que Claire Damon chez des Gâteaux et du Pain, Nathalie Robert au Pain de Sucre, ou encore Claire Heitzler chez Lasserre. On pourrait tout à fait appliquer cela en boulangerie, et je ne doute pas que cela a un intérêt en terme de goûts et même de création.

La tendance est en tout cas prise en compte par les organismes encadrant la boulangerie-pâtisserie, car les femmes seront au coeur de la Fête du Pain qui se déroulera du 14 au 20 mai 2012, au travers de diverses animations un peu partout en France et notamment à Paris sur le Parvis de Notre-Dame.
Au delà de cet événement ponctuel, une association nommée les Pomponettes a été créée par deux boulangères passionnées, afin de permettre de créer une vraie communauté entre « celles qui sont au fournil », pour qu’elles puissent partager leur quotidien parfois difficile, leurs envies, leurs projets… Une belle initiative que l’on se doit d’encourager, en espérant qu’elle contribuera à changer les mentalités et à convaincre des « boulangères potentielles » que ce métier ne leur est pas interdit. D’autant que des solutions techniques existent aujourd’hui pour le rendre moins pénible : le non-façonnage, au travers de PanovA ou Panéotrad a été justement développé pour répondre à ce genre de difficulté.

Dans tous les cas, boulangerie n’a jamais été un mot aussi féminin qu’aujourd’hui !

Réflexions

21
Avr

2012

Faut-il livrer le pain ?

2 commentaires

Il y a des questions qui me mobilisent plus que d’autres. Parfois, cela peut paraître anodin, mais si l’on s’attache à étudier le fond du problème, il y a alors beaucoup à penser et à dire. Le pain, de par ses nombreux enjeux et implications, ne manque pas de susciter nombre de débats et d’interrogations sur la place qu’il doit occuper, la façon dont on doit le « traiter »…

… ou même le distribuer. En cela, la question de la livraison du pain me paraît devoir être posée. En effet, comme j’avais déjà eu l’occasion de le souligner ici, ce n’est pas une marchandise comme les autres, et ce sur bien des aspects. Tout d’abord en terme de conservation, puisque beaucoup de pains ne se gardent pas plus de quelques heures. Dès lors, avec la logistique à mettre en oeuvre pour parvenir à organiser des livraisons, les produits auraient bien du mal à offrir les qualités qu’ils présentent lorsqu’ils sont frais : croûtes craquantes, mies fraiches… et cela est tout bonnement essentiel lorsqu’il s’agit de baguettes.

Ensuite, vient la question de la pertinence de la livraison vis à vis du coût engendré par celle-ci. Il faudrait envisager un volume minimal d’achat que l’on aurait alors bien du mal à concevoir : qui a envie d’acheter 10 baguettes, même si elles sont excellentes ? Bien sûr, la question ne se pose pas dès lors qu’il s’agit d’entreprises, de collectivités ou d’hôtels : leur proposer un tel service permet de sortir des surgelés et autres produits industriels que l’on retrouve trop souvent. Forcément, c’est assez pratique pour eux : il leur suffit de cuire les quantités désirées, en limitant les pertes. Pour autant, la saveur et la qualité ne sont pas toujours au rendez-vous, de plus, cela ne participe pas à l’activité économique du secteur, alors que cela représente une belle opportunité  de créer un « cercle vertueux » entre entreprises proches.

Revenons-en à la livraison aux particuliers. Ce qui me pose problème, en définitive, c’est aussi que cela aura pour effet direct de favoriser uniquement quelques artisans « sélectionnés ». Certes, ils ne manquent pas de qualité, mais l’intérêt collectif voudrait que l’ensemble des boulangers proposent des produits savoureux, et de cette façon le goût du bon pain serait accessible à tous, pas seulement à une petite catégorie de personnes disposant des moyens nécessaires pour être livrés. Le pain doit toujours garder sa valeur de produit « universel », dont tout le monde peut profiter sans considération de revenu. Malheureusement, cela peine déjà à être le cas, alors n’en rajoutons pas.

Cependant, livrer le « bon pain » de quelques artisans réputés pourrait presque revêtir un caractère écologique, puisque cela limiterait les déplacements réalisés par les amateurs de leurs produits, déplacements qui ont pour la plupart un coût énergétique et ont donc tendance à présenter un bilan carbone plutôt négatif. Regrouper de cette façon les flux liés à cet attrait serait donc bien plus rationnel, mais on perd de cette façon le côté « rare » et presque précieux de cet artisan, ce qui rend au final ses produits encore plus exceptionnels, dans le sens qu’ils sont dégustés avec plaisir, ils ne relèvent pas du simple quotidien. Le temps et la complexité parviennent à donner plus de saveur aux choses.

Bien entendu, il ne faudrait pas négliger l’aspect social et la perte de relations avec l’extérieur que cela engendre. Aller acheter son pain n’est pas un acte isolé, il créé forcément des interactions avec le reste du monde : c’est une opportunité d’échanger et de rencontrer d’autres personnes, de partager un sourire, quelques mots, des conseils… juste des instants de vie, saisis au vol. Ce sont les plus beaux, car les plus simples. J’aime cette vie dans la boulangerie, et je ne conçois pas mes journées ni mon pain sans tout cela. C’est un ensemble : du goût, mais aussi beaucoup d’humain. Si on fait le choix de se faire livrer le pain, le seul rapport humain que l’on entretient sera avec le livreur… un peu limité. Cela ne laisse pas beaucoup de place à l’inattendu, aux découvertes.

Difficile d’avoir un avis tranché sur la question, dans tous les cas. Vous, qu’en pensez-vous ?

Débroussailler, éclairer, chercher l’authentique et le réellement savoureux derrière les apparences, voilà une grande part du travail painrisien auquel vous pouvez prendre part quotidiennement ici-même. C’est un engagement, un mode de pensée, et même si cela n’est pas toujours facile à faire ni à défendre, l’important est de rester convaincus de l’intérêt de cette « tâche » qui ne manque pas d’ampleur… car en la matière, Paris concentre les lieux tendance, plus concentrés sur l’apparence et le concept que sur la qualité des prestations. Pour cela, il savent s’accompagner de charmantes agences de relations publiques, qui distillent la bonne parole auprès des personnes potentiellement « influentes »… Plus le temps passe et plus tout cela me fatigue. Il faut croire que j’ai besoin de vacances.

Malgré tout, on peut parfois se tromper, se laisser aveugler et écouter un peu trop les belles histoires que l’on nous raconte. Cela m’est arrivé dans le cas de Popelini. En effet, j’avais écrit un article plutôt enthousiaste au sujet de ce concept dédié aux choux à la crème, il y a un peu moins d’un an. J’ai parfois un peu trop tendance à vouloir encourager les jeunes entreprises et les personnes qui oeuvrent derrière, car l’entrepreneuriat n’est pas une chose aisée… Forcément, la conséquence peut être d’en oublier l’essentiel, en l’occurrence… le goût et la qualité.

Popelini, rue Debelleyme

C’est en effet sur ce point que le bât blesse dans ces charmantes boutiques du 3è et depuis quelques jours du 9è arrondissement. Visuellement, ces petits choux biens dodus ont pourtant tout pour plaire : présentés dans un écrin soigné, mis en avant dans des présentations variées, déclinés en de nombreuses saveurs dont certaines sont périodiques ou même « du jour », plutôt élégants avec leurs couleurs vives, emballés avec de biens jolies boîtes que l’on peut presque amener en cadeau à des amis lors d’un repas… Seulement, il ne s’agit là que de visuel, d’apparence. Cela semble être le cheval de bataille de Lauren Koumetz et son équipe. Il faut dire que la jeune entrepreneuse a été à bonne école : conseillée et accompagnée par Christophe Michalak, tout comme l’ont été ses parents dans le développement de leur marque ‘lette macarons à Los Angeles, elle a sans doute reçu le goût du visuel poussé à l’extrême du très réputé chef pâtissier.

Lorsque l’on passe à la dégustation, après un passage dans la nouvelle boutique de la rue des Martyrs, c’est là que l’on se rend compte du problème : la pâte à choux, certes légèrement craquante sur le dessus, est sèche, elle manque singulièrement du moelleux que l’on aimerait y trouver, mais ce n’est pas le seul reproche à adresser au sujet de ces pâtisseries. Certains parfums se défendent honorablement, à l’image du citron, bien parfumé, ou du praliné. D’autres ne parviennent pas à convaincre : entre un café plutôt amer, un pistache-griotte, un chocolat au lait-fruit de la passion aux confits de fruit quasi-absents ou encore un rose-framboise mal équilibré, il y a de quoi être déçu. La déception est d’autant plus importante que l’épaisse couche de fondant surmontant le chou est très sucrée et écrase le parfum de la crème.
Bref, vous l’aurez compris, la qualité de réalisation ne m’a pas convaincu, d’autant que le tarif unitaire est assez élevé.

Dès lors, il me paraît un peu déplacé d’ouvrir une seconde boutique, même si je peux comprendre qu’il faille développer la marque et suivre le plan de marche sur lequel les investisseurs impliqués dans ce projet ne doivent pas manquer de pousser. Bref, pas vraiment le temps pour le ou la chef pâtissier (mise à jour 01/05/2012 : Alice Barday, la chef d’origine, a quitté l’entreprise en janvier 2012) de travailler sur la qualité des produits… il faut faire du volume, d’autant que la demande est importante : il n’est pas rare de trouver porte close avant l’heure officielle de fermeture, pour raison d’absence de marchandise à proposer. Comme quoi, l’effet « tendance » bat son plein, comme un pied de nez au macaron. A Paris, l’important est d’être « à la pointe » de la mode. D’ailleurs, Arnaud Delmontel, le nouveau voisin de Popelini dans le 9è arrondissement, l’a bien compris : l’artisan a intégré dans sa nouvelle « collection » une gamme… de choux ! A défaut d’avoir de la créativité, il faut bien avoir du culot.

Dans tous les cas, gardons toujours la tête froide et concentrons-nous sur l’essentiel. C’est de cette façon que l’on parvient à trouver des produits savoureux, au delà de tout effet de masse.

Popelini, 29 rue Debelleyme – 75003 Paris (métro Saint Sébastien Froissart, ligne 8) / tél : 01 44 61 31 44
et, depuis le 5 avril : 44 rue des Martyrs – 75009 Paris (métro Notre-Dame de Lorette, ligne 12)
site web : http://www.popelini.com

Que c’est étrange, la vie. Elle parvient à créer des parallèles entre des choses, des matières, des éléments qui paraîtraient pourtant éloignés de prime abord. Chaque jour qui passe est une occasion d’apprendre, de découvrir mais surtout de redécouvrir. Dépasser ses idées reçues, sortir des prisons et des murs que l’on élève… Parler de liberté, l’écrire sur les murs, et sur le pain.

Le pain nous rend libres, tout d’abord en nous nourrissant. De cette façon, il nous apporte l’énergie nécessaire pour agir, réfléchir, faire des choix… vivre, tout simplement, sans être esclaves d’une quelconque faiblesse. Le problème se situe sur l’inégalité face à l’accès à cet aliment de première nécessité : encore trop d’hommes en sont privés, tout comme dans un sens ils sont privés de liberté. Pour beaucoup condamnés à souffrir et sans perspective d’un avenir « meilleur », on se dit que leur donner un simple morceau de pain serait bien dérisoire… Non, il ne faudrait pas leur donner, mais leur apprendre à le faire, à le reproduire, à faire grandir cette idée que derrière un aliment simple et universel, il y a de nombreuses valeurs : le partage, l’accessibilité, le beau, le bon… et au final cette liberté sous-jacente.

Je le dis souvent, mais au delà d’une nourriture du corps, le pain doit aussi constituer une nourriture de l’esprit. Par sa force d’évocation, là encore, il est vecteur de liberté. En le respirant, en le dégustant, on s’évade, on fait appel à nos souvenirs autant qu’à nos aspirations, voilà quelques instants de liberté, offerts « simplement » par une expérience sensorielle. Il faut simplement en prendre le temps, le temps d’apprécier les choses, de les saisir un peu plus qu’un instant, que par un regard fugace. Le problème, c’est que là encore nous ne sommes pas égaux : tout le monde n’a pas la chance d’avoir un bon boulanger en bas de chez soi, ni le temps d’aller un peu plus loin pour trouver un bon artisan. Ainsi donc la liberté, tout comme le temps, serait un luxe ?
Luxe ou état d’esprit… Cette liberté n’est pas évidente, c’est un combat, autant vis à vis de soi même que du reste du monde. Quand bien même on aurait toutes les cartes en mains pour la saisir, pour la croquer comme on croque une baguette de pain, en serions-nous capables ? Il faut faire preuve de clairvoyance, d’ouverture d’esprit et le vouloir, aussi. Cela peut paraître un peu idiot, oui, tout le monde voudrait être libre, de prime abord. En réalité, je pense que nous avons plutôt tendance à nous complaire dans des carcans confortables, ce qui signifie en définitive que la liberté que l’on prône est tout à fait virtuelle.

Rompre nos habitudes, comme on rompt le pain : en toute simplicité, comme si cela était naturel, alors qu’en réalité c’est éminemment complexe. Ca n’en est que plus beau, on ne peut que mieux savourer une fois dépassées les barrières de l’apparence. Il faut y mettre de l’amour, j’en reviens toujours à ça, l’amour parviendra alors à sublimer le quotidien comme il sublime le pain lorsqu’on le réalise avec, et au final il parviendra à réaliser cette fameuse liberté tant désirée et dessinée.

Cela vous paraîtra peut-être n’avoir ni queue ni tête, c’est simplement un des méandres de la vie, un court manifeste écrit sur un coin de nappe en passant, sans aucune autre contrainte que celle de la volonté d’inciter le monde à changer, à s’ouvrir et au final à devenir plus libre. Vous voyez, lors des récentes révolutions arabes, le pain était au centre des préoccupations : les insurgés voulaient du pain, de la liberté et de la justice sociale… Même si j’ai le premier élément, je n’ai pas encore réussi à saisir les deux autres. Il s’agit d’une histoire vraie. Elle ne saurait être parfaite.

On dit souvent que les bonnes choses ont tendance à devenir meilleures avec le temps, à se bonifier. Je suis un peu partagé vis à vis de cette affirmation, car elle est loin de relever d’un caractère scientifique et systématique, même si l’on peut effectivement l’observer assez souvent. Le bon vin sera meilleur au bout de quelques années, le fromage meilleur avec de l’affinage… Quant aux hommes, le résultat peut varier de l’un à l’autre. Tout dépend de l’impact que pourra avoir la société sur lui.

En matière de boulangerie, on pourrait qualifier le mouvement d’aussi montant que descendant. Ainsi, il ne faut pas s’attendre à  trouver un résultat très probant à l’ouverture d’une boulangerie : il est nécessaire que les artisans s’habituent aux lieux, aux outils, aux recettes et farines… ce qui nécessite un peu de temps. Peu à peu, le lieu peut prendre son « envol » et au bout de quelques mois, on parvient à un résultat optimal. Ensuite, cela va dépendre de l’implication du personnel et du boulanger. Il est possible qu’au fil du temps et de l’installation d’une certaine « routine », la qualité finisse par baisser, jusqu’à parfois atteindre des niveaux bien surprenants. J’ai pu le ressentir en visitant des adresses conseillées dans le Guide des Boulangeries de Paris publié par Michel de Rovira et Augustin Paluel-Marmont en 2005. Au delà des inévitables changements de propriétaire, des adresses très recommandables à l’époque sont devenues tristes à en mourir. Le succès, l’appât du gain… et dans beaucoup de cas, la multiplication des implantations dans la capitale. C’est un choix quasi-inévitable, qui est bien rarement géré par les boulangers, qui perdent progressivement le contrôle sur la qualité de leurs produits.

Certains artisans ont aussi leurs « périodes » : par moment, le pain et les diverses gammes peuvent être de qualité inférieure à celle obtenue habituellement, pour des raisons variées (personnel dilettant, farines nouvelles et nécessitant une adaptation des recettes et process de fabrication, …). Dans ce genre de cas, il faut tout simplement… attendre, éventuellement signaler ce changement négatif, et faire preuve d’un certain pragmatisme.

Pragmatisme, le mot est lâché. Cela va faire un an que le painrisien connaît une activité journalière, que je partage avec vous le fruit de mes visites et réflexions au jour le jour. A l’image du travail boulanger, le painrisien a évolué. Nous sommes aujourd’hui bien loin de ce qu’il offrait à son ouverture, et fort heureusement. Le style a changé, les articles ont tendance à être plus poussés, et on retrouve de plus en plus ce fameux pragmatisme dont je parlais. J’ai appris à chercher à comprendre les problèmes que peuvent rencontrer les boulangeries au quotidien, à revisiter les mêmes lieux de façon répétée pour saisir leur fonctionnement, capter leur ambiance, suivre leurs produits et en tirer un jugement qui soit le plus en phase avec la réalité des produits servis aux clients. Ainsi, le painrisien n’est pas forcément devenu plus « gentil », mais plus humain, plus au fait de la réalité des fournils. Vous aurez par ailleurs remarqué que je m’attache toujours plus à l’homme, au sensible, car cela explique beaucoup de choses en définitive. C’est ça aussi, ce site-blog : un vecteur de rencontres et d’échanges.

Au cours de cette année de visites, de dégustations, de surprises plus ou moins agréables, j’ai pu constater, suivre, vivre ces variations de qualité. Il faudrait sans doute que je réécrive la moitié de mes billets au quotidien, tant la matière est mouvante et vivante. C’est ce qui la rend aussi passionnante, mais lui confère également un caractère insaisissable et rend le travail que je tente de réaliser quasi-impossible dès lors que l’on exprime un minimum d’exigence et de volonté de cohérence.
Sans doute faudra-t-il que je réécrive sur les premières adresses sur lesquelles j’ai pu écrire, au moins. Mes goûts ont changé, tout comme mes attentes et parfois la qualité des produits que j’essaie. Voici la nature dans son plus simple appareil : elle nous façonne, nous pétrit, à la façon d’un boulanger un peu capricieux et dont les mouvements nous paraîtraient parfois bien obscurs.

Ce que je pourrais dire, en définitive, c’est qu’autant pour moi que pour les boulangers, le plus difficile est de parvenir à produire un résultat de qualité au quotidien. Il y aura toujours des jours plus ou moins glorieux, nous devons composer avec. Pour nos amis boulangers, la remise en question doit être permanente, afin de ne pas tomber dans des travers qui aboutiraient progressivement à un résultat ne correspondant plus aux attentes de leur clientèle. Goûter, observer, … apprendre, tout simplement. En un an, j’ai appris quelque chose de tout simple, et que j’ai toujours plus à coeur de partager et de faire savoir : le pain, c’est la vie.

Billets d'humeur

06
Avr

2012

Un sourire

6 commentaires

Je t’ai souri, là, simplement. Ce sourire, tu me l’as rendu, mais au passage tu l’as enrichi, changé, transformé, tu l’as complété de toute ta singularité, de ton passé, de ton présent, peut-être même un peu de ton avenir… Cet échange n’aura duré qu’une seconde, et pourtant il pourra rester gravé dans nos mémoires, comme si ce simple mouvement avait un caractère d’exception, une force particulière.

Comme si, non, en réalité, si on y pense, c’est plus que ça : c’est effectivement le cas. Tellement anodin mais pourtant de plus en plus rare dans notre société moderne, le sourire en deviendrait presque un événement. Pourtant, nous en serions presque de plus en plus demandeurs, pris dans cette grisaille ambiante.
Je parle dans chacun de mes billets au sujet des boulangeries et lieux divers que je visite de l’accueil. C’est, à mon sens, un élément essentiel de l’expérience client dans un lieu tel que celui-ci. Au delà de la connaissance des produits, de la maîtrise des différents modes de fabrication, de toute cette technique boulangère et pâtissière, il y a le savoir-être, cette capacité à partager, à donner… à sourire. On peut passer sur beaucoup de choses dès lors que l’on nous offre cet accueil.

La boulangerie est bien plus qu’une simple boutique, c’est un lieu de vie. Un élément essentiel du lien social. Un endroit ou peuvent encore s’échanger des sourires simples et sincères : celui des enfants qui sont émerveillés devant les vitrines, celui des adultes qui redécouvrent de beaux produits ou partagent simplement avec le personnel. En effet, on ne va pas seulement chercher son pain ou quelques gourmandises, on vient chercher un contact humain. Il ne faut ni l’oublier, ni le perdre. Pour certaines personnes, cela constituera les seuls instants de communication dans une journée, c’est dire combien ils sont importants. J’aimerais parfois que les personnels de vente en aient mieux conscience et aient à coeur d’assumer leur rôle avec plus de présence et de prestance. Malheureusement, la culture du service n’est pas toujours une valeur partagée par les salariés, voire même par les entreprises.
En réalité, ce sourire va plus loin que la simple notion de service. Si c’était le cas, il serait bien trop souvent feint et n’aurait donc aucune valeur. Il n’a de sens que s’il correspond à un vrai sentiment, à une volonté de s’ouvrir à l’autre. Ce n’est pas forcément donné à tout le monde, car on peut aussi préférer ignorer le monde qui nous entoure afin de se concentrer sur sa seule personne… un peu triste, n’est-ce pas ?
Difficile de se priver de cette chaleur humaine, de ces moments de plaisir simple.

Le sourire peut également prendre d’autres formes. On peut tout à fait le retrouver dans des produits, dans une façon de concevoir les choses. Un détail, une forme, quelques mots peuvent parvenir à transmettre le sourire, à le recréer chez les autres. Vous voyez, j’essaie parfois de le faire moi-même au travers de mes articles, au travers de quelques notes un peu décalées. Pour un artisan, cela pourra passer par des façonnages originaux, par des saveurs particulières, ou encore des textures surprenantes. L’important, c’est encore et toujours de toucher le coeur des gens… Y’a-t-il vraiment une plus belle vocation que cela ?

Demain, quand vous irez dans votre boulangerie de quartier ou dans celle où vous aurez choisi de courir le pain, prenez la peine de sortir de cette grisaille habituelle, souriez… Même s’il fait gris, cela fera un peu de soleil, autant pour vous que pour les personnes en face de vous. Qui sait, ce sera peut-être l’occasion de nouvelles rencontres, de découvertes. Un sourire, rien qu’un sourire… voilà qui n’est pas un sous-rire.