J’aimerais parfois posséder un appareil capable de saisir mes états de pensée à différents instants pour les remettre en question par la suite, pour en apprécier l’évolution et ainsi tracer une fragile ligne de conscience entre ces non-événements, lesquels ne sont pas pour autant dénués d’importance et d’intérêt. En l’absence d’un tel outillage, je ne peux faire appel qu’à ma mémoire, parfois défaillante, et à mes écrits, souvent partiels.
Après avoir longtemps pensé que nous passions nos existences à jouer de simples rôles, sans réellement développer ni exprimer de nature profonde, l’expérience et les rencontres m’ont convaincu du contraire. Peu importe la couleur des vêtements, la taille de la casquette, le prestige de la montre et des chaussures, notre façon d’agir exprimera toujours sur le temps long ce à quoi nous aspirons vraiment, ainsi que le regard que l’on porte sur le monde qui nous entoure. On ne saurait passer une vie à mentir, encore moins à se mentir à soi même. Le constat est encore plus vrai dans une société qui a admis les changements de direction et les réorientations professionnelles, qu’elles soient sincères ou opportunistes. Avec le relâchement de cette contrainte sociale, nous pouvons envisager de tracer notre chemin avec nos propres couleurs et crayons.

Bien sûr, encore faut-il disposer d’un environnement favorable pour mener un tel projet. Dans le village de Droué-sur-Drouette (28), le centre a repris de l’animation depuis le 4 novembre 2020 avec l’arrivée d’une boulangerie, menée par Aline Peltier et Thierry Babin. Unis à la ville comme dans ce projet, ils ont saisi une conjonction d’opportunités pour bâtir ce commerce à côté de leur habitation : le boulanger du village, convaincu de l’Agriculture Biologique de la première heure, prenait sa retraite et leur voisine souhaitait vendre sa maison. Cela aura suffi pour faire germer l’idée de convertir le bâtiment… car les graines étaient présentes dans la tête de Thierry depuis bien longtemps.

Si le bâtiment a gardé son aspect initial d’habitation, l’enseigne boulangerie apposée sur sa façade nous laisse imaginer que tout a changé à l’intérieur… à juste titre !

En effet, on ne pourrait parler de du Pain dans les Mains sans évoquer le parcours de ce boulanger, qui fût pendant 17 ans commercial en meunerie. Formé à l’INBP aux côtés de quelques grands noms de la profession, il a très tôt été convaincu par l’intérêt des longues fermentations, du levain naturel ou encore des farines non additivées, à l’image de la fameuse Tradition française. J’ai eu l’occasion de côtoyer plusieurs boulangers devenus commerciaux, lesquels avaient pour beaucoup oublié l’essentiel des fondamentaux de leur métier, négligeant à la fois les produits et les hommes pour s’enfermer dans une vision technocratique du sujet, où les affaires priment sur le reste. Thierry n’est pas de ceux là, et je sais qu’il a toujours servi sa clientèle avec honnêteté et exigence, en tentant de leur apporter les meilleurs outils pour leur réussite. Ce sont les deux mêmes caractères qui s’expriment dans sa nouvelle activité, où le superflu n’a pas sa place.

Le fournil est intégré à la boutique, avec un four compact et un pétrin. Les odeurs de cuisson du pain se diffusent naturellement dans les lieux, avec d’agréables notes de levain. du Pain dans les Mains n’est pas un « concept » mais tout simplement une boulangerie authentique, qui s’est construite en fonction du lieu et du parcours de son artisan.

Dans l’entrée, le client sait où il se trouve et ce qu’il est venu acheter. La taille restreinte du bâtiment a orienté l’agencement, en plus de renforcer les choix de Thierry en terme de construction de ses gammes et d’équipement. On peut dire que le nom donné au lieu n’est pas usurpé, car l’artisan voit réellement passer le pain dans ses mains : la production est peu mécanisée, avec pour seules machines un pétrin, un batteur, un four et du stockage en froid. L’investissement réalisé demeure ainsi rationnel, le tout ayant été dimensionné pour suivre le projet de l’artisan… et non pas l’inverse, comme c’est trop souvent le cas. Cette boulangerie parvient à atteindre la si complexe simplicité dont la profession s’est éloignée au fil du temps : cela n’est pas exploit, mais traduit tout simplement le fait que l’artisan n’a plus rien à prouver… et encore tout à partager.

L’espace de vente est sobre et met bien en valeur les pains, avec une parfaite lisibilité de l’offre.

Puisqu’il s’agit de partage, autant offrir le meilleur. Les produits façonnés ici chaque jour sont tous réalisés à partir de farines issues de l’Agriculture Biologique, et incorporent du levain naturel (liquide pour les baguettes, dur pour le reste des pains) avec une longue fermentation. On obtient ainsi des pains aux croûtes craquantes et aux mies charnues, riches en arômes, à l’image du pain de Campagne -ou Tourte de Meule-. Il est rapidement devenu le produit phare du lieu, la clientèle appréciant son goût, sa conservation, mais aussi son prix. En le proposant à seulement 4,5€ le kilogramme, l’artisan a souhaité en faire un véritable produit d’appel, orientant naturellement la consommation vers ce dernier plutôt que vers les baguettes. La méthode est bien pensée, car elle permet de limiter la production de petites pièces, nécessairement plus chronophage au vu de l’équipement limité. Les autres références ne sont pas nombreuses, mais elles sont au moins aussi qualitatives : sarrasin, intégral, petit épeautre, « tour de mains » riche en graines façon nordique et du seigle le week-end. De quoi répondre à la plupart des besoins.

Même logique du côté des viennoiseries : les fondamentaux sont réalisés avec brio, à l’image du croissant, de la brioche ou du chausson aux pommes avec sa compote maison. La pâtisserie se résume au flan, auquel une vitrine est dédié. Son caractère crémeux a déjà séduit de nombreux adeptes, preuve que ces gâteaux boulangers remplacent avantageusement des créations compliquées. Quant au snacking… il n’y en a tout simplement pas. Pourrait-on s’en plaindre ? En tout cas pas moi, car cela permet à Thierry de se concentrer sur son métier : faire du pain et le faire bien.

Le flan se vend entier ou à la part, avec une recette très gourmande : mi-lait, mi-crème, pour un résultat particulièrement crémeux.

Pour y parvenir, les fêtes auront été utiles : cela a permis de mettre au point l’organisation de la production afin d’être parfaitement efficace. On mesure ainsi toute la force que possèdent de véritables professionnels, qui sont aptes à monter en puissance rapidement et à assumer seuls la fabrication de volumes importants. En effet, il ne faudrait pas se laisser tromper par le calme de ce village de 1200 âmes : l’absence de boulanger aux alentours attire naturellement la clientèle vers ce nouveau commerce. Par ailleurs, de nombreux parisiens et franciliens possèdent ici une résidence secondaire, qu’ils prennent plaisir à rejoindre le week-end… créant une certaine effervescence le samedi chez du Pain dans les Mains.

4 jours d’ouverture et des horaires en coupure : ici, on n’a pas cédé à ce qui est en passe de devenir le standard en boulangerie comme ailleurs : ouvrir toujours plus, en utilisant l’humain comme variable d’ajustement.

Vous noterez bien que je n’ai évoqué que le samedi, puisque le dimanche est un jour de fermeture pour cette boulangerie… de même que les lundis et mardis. En maintenant une ouverture sur 4 jours, l’artisan parvient à garder un équilibre avec sa vie de famille : les qualités de conservation de ses produits permettent sans difficulté à la clientèle de faire quelques réserves.
Faire moins, faire mieux, la logique de cette entreprise est complètement dans l’air du temps… et sans doute bien en avance. C’est parfois dans ce genre de retour aux sources que l’on trouve le plus de maturité et d’accomplissement. Ici, il se fait au bord de l’eau, sur la rue du Moulin. A croire qu’il n’y a pas de hasard.

A l’étage, un laboratoire a été aménagé pour réaliser la pâtisserie et la viennoiserie, avec une chambre froide, un batteur et quelques équipements divers.

Infos pratiques

7 Rue du Moulin, 28230 Droue-sur-Drouette / tél : 06 78 08 53 74
ouvert du mercredi au vendredi de 7h à 13h et de 16h à 19h30 (18h en période de couvre-feu), le samedi de 8h à 17h.

Une décoration de saison.

C’est amusant de constater comme la mémoire sait conserver des choses bien inutiles, qui nous reviennent des années après. Je me souviens encore d’un jeu de mots basé sur le nom du fondateur de Microsoft, Bill Gates, et de son système d’exploitation, qui disait en Anglais dans le texte ‘in a world without fences, who needs windows and gates ?’. Oui, c’est une vraie blague de geek, mais j’assume complètement mon passé (et mes cheveux longs de l’époque). La phrase n’en est pas moins dénuée de sens, et traduit notre forte tendance à nous parer d’éléments inutiles qui finissent par nous séparer, plutôt que de chercher à créer du lien.

L’espace partagé de Contrebande, avec à droite les pains de Diego, à gauche son four, au fond les pâtisseries de Sébastien, les cafés de Maxime et en hauteur les céramiques de Lukas.

C’est précisément le cas en boulangerie, où nos artisans ont trop considéré que leur activité pouvait vivre seule, comme séparée du reste de l’environnement commercial. On les a sans doute bien aidés en les berçant de belles phrases telles que « la fermeture de la boulangerie signe la mort du village », parlant plus à l’égo qu’aidant à faire avancer la réflexion. Pour développer leurs affaires, ils ont alors commencé à multiplier les métiers, souvent avec une maitrise plus que discutable. Le boulanger-épicier-traiteur-pâtissier-… est ainsi né, et on peut dire avec le recul qu’il est bien mal né.

Plutôt que de vouloir multiplier les casquettes, on peut aussi chercher à créer des liens avec d’autres artisans. Il ne s’agit en réalité pas tout à fait de les construire, puisqu’ils existent déjà naturellement : la fermentation réunit un certain nombre de produits, à l’image du café, de la bière ou encore du chocolat. L’idée peut bien sûr s’appliquer à d’autres disciplines artisanales, qu’elles soient culinaires ou non, en définitive. Je pense en définitive que c’est une communauté de valeurs qui parvient à lier durablement les projets, que ce soit sur le plan humain, éthique ou de respect des ressources naturelles. On a déjà vu des artisans se lier pour des raisons uniquement commerciales et financières, et le résultat n’avait rien de bien concluant puisque cela ressemblait de près ou de loin à… un centre commercial.

A Bretteville-sur-Odon (14), en banlieue de Caen, rien de tout cela. Un panneau posé sur un entrepôt nous interpelle : « Contrebande – Café / Pain / Pâtisserie / Céramique ». Il faut répondre à l’appel de la curiosité et entrer dans ce lieu atypique pour mieux saisir les contours du projet. Bien loin des commerces aux vitrines léchées, on découvre ici une sorte d’atelier où évoluent quatre artisans : Maxime Dauré pour le café (Café Dauré Frères), Sébastien pour la pâtisserie (Une envie de saison), Lukas pour la céramique et Diego pour le pain, l’objet de ma visite. La génèse de l’ensemble se trouve dans la volonté développée par Maxime Dauré de proposer un espace où consommer différemment, avec une vision dépassant son métier de torréfacteur. Il propose ainsi une gamme de produits d’épicerie fine sourcés avec soin, en plus des créations proposées par les artisans l’ayant rejoint au fil du temps.

Le four à bois de Diego, une pièce massive et adaptée au volume de production souhaité.

Diego Laporal a trouvé dans cet écosystème un terreau fertile pour faire pousser son Pain Vivant, nom donné à son entreprise de boulangerie. Le parcours du jeune artisan s’est d’abord tracé en cuisine pendant plus de dix ans, avant un virage vers le pain au levain naturel. Cela a commencé pour servir les tables du restaurant étoilé dans lequel il travaillait, et s’est prolongé… dans son jardin, où il a monté par lui-même un four à bois. La démarche pourrait paraître anecdotique, mais elle traduit autant une ferme volonté de s’ancrer dans le métier autant que de réelles capacités manuelles… qui font de Diego un véritable artisan, dans tous les sens du terme.

Pour chauffer le four à bois, il faut… du bois.

Le néo-boulanger a ainsi vendu ses pains pendant quelques mois au sein de divers points de retraits caennais. Réalisés exclusivement à partir de levain naturel et de farines de blés paysans, ils ont rapidement séduit de nombreux adeptes. L’opportunité de rejoindre le local de Maxime Dauré à Bretteville-sur-Odon lui a permis de pérenniser son affaire, avec la construction (toujours aussi artisanale !) d’un nouveau four à bois et l’installation d’un laboratoire dédié, lui permettant de pétrir, façonner et laisser fermenter ses pâtes. C’est aussi une nouvelle clientèle qui a pu découvrir ses fameux pains vivants, à la fois attirés par le café et les autres activités du lieu. La complémentarité des activités se joue aussi en vente : le matin, Diego est en capacité de servir les clients en café, tandis que ce sera le torréfacteur qui prendra le relais l’après-midi en retour. Un marché de producteurs organisé le mercredi matin, avec notamment de la viande et des légumes, complète bien cet ensemble.

L’espace de vente dédié à Pain Vivant présente l’ensemble des pains et gourmandises réalisés par l’artisan. On y trouve notamment son pain « signature », le Contrebandier, réalisé à partir d’un assemblage de farines de blés de population locale et de Fleur de Berry, des brioches ou encore un pain au cacao.

Si Diego est parvenu à fidéliser sa clientèle, cela tient non seulement à la qualité de ses produits mais également à la cohérence et l’authenticité du projet. Ses pains en sont l’expression directe, avec de délicates notes acidulées relevant les saveurs des céréales, ainsi que des mies ouvertes, offrant ainsi beaucoup de plaisir à la dégustation. Malgré l’aspect rustique des produits -loin des standards très brillants et aguicheurs de la boulangerie « traditionnelle »- directement lié à la cuisson au four à bois, leur conservation achève de convaincre quant à leur intérêt. Une partie des farines sont acquises directement auprès d’un agriculteur local, avec la volonté de pérenniser ainsi la culture de variétés de blé dites paysannes. D’autres références viennent de plus loin à l’image de la Fleur de Berry, qui n’en demeure pas moins tout aussi artisanale.

Derrière cette porte se situe le laboratoire de Diego, où il pétrit et façonne ses pains. Un pétrin à axe oblique a été acquis récemment, l’artisan ayant fait le choix d’abandonner le pétrissage manuel du fait de l’augmentation des quantités de production. Cela lui permet de se décharger physiquement et d’assurer une meilleure régularité des produits.

L’artisan ne manque pas de dynamisme et de projets. Malgré re-confinement fraichement débuté, une boutique en association avec le brasseur local La Mouette, située au centre de Caen (plus précisément au 60 rue de Bayeux), devrait ouvrir ses portes dans le courant de la semaine prochaine. Cela contribuera à donner plus de visibilité aux produits de chacun des deux associés.
Je parlais de terreau fertile en évoquant le projet Contrebande : l’expression ne saurait être mieux trouvée, car l’espace disponible permet à Diego d’envisager à terme l’acquisition d’un moulin, ce qui participerait à accroître les qualités gustatives et nutritionnelles de ses pains… et d’une certaine façon leur caractère vivant.

Une focaccia faisant la part belle aux produits locaux ou encore des buns complètent la gamme pour les plus gourmands.

Grâce à cette belle association d’artisans, Contrebande est une adresse qui ne mérite pas d’être passée sous le manteau, mais au contraire d’être partagée largement. Le Pain Vivant qu’on y trouve nourrit bien le quotidien et accompagne tous les repas, ce qui parvient à bien le replacer au centre du village.

Infos pratiques

1 Avenue de la Voie au Coq, 14760 Bretteville-sur-Odon / Facebook : https://www.facebook.com/pain.vivant.37 – Instagram : https://www.instagram.com/pain_vivant

  • Derrière cette porte se situe le laboratoire de Diego, où il pétrit et façonne ses pains. Un pétrin à axe oblique a été acquis récemment, l’artisan ayant fait le choix d’abandonner le pétrissage manuel du fait de l’augmentation des quantités de production. Cela lui permet de se décharger physiquement et d’assurer une meilleure régularité des produits.

Face à des personnes, faits ou autres choses qui nous effraient, une des réactions classiques est de chercher à se rassurer en appréciant la distance nous séparant de ces objets d’épouvante. La pensée se résume en quelques mots : c’est loin donc ça ne peut pas m’atteindre, dès lors il n’est pas nécessaire de s’y intéresser réellement et de chercher à en appréhender tous les risques et les contours. Cela ne serait valable que si tout était figé, que plus personne ne cherchait à avancer ou se développer. Or, ce n’est certainement pas parce que nous ne souhaitons pas les choses qu’elles n’arrivent pas. Le mieux à faire serait de les anticiper, mais notre nature humaine comprend autant de défauts que peuvent être la peur de l’inconnu, la fainéantise intellectuelle ou encore la capacité à se construire une réalité parallèle où tout irait merveilleusement bien.

Café de Marie à Colombes (92). La superficie du lieu n’est pas très importante, l’espace étant inoccupé jusqu’alors.

Les artisans boulangers ont longtemps considéré que les chaines ne pourraient pas les atteindre, qu’elles resteraient bien à leur place dans les zones périphériques, et que cela n’aurait pas d’impact sur leurs affaires. Dès lors, ils ont, pour beaucoup, omis de se remettre en question… entrainant la disparition d’un certain nombre d’entre eux. C’est un peu comparable à la situation que nous vivons aujourd’hui : un nouveau virus apparaît, et de prime abord, plutôt que de chercher à nous en protéger, nous regardons ailleurs…

Sur le parvis de la gare Saint-Lazare, une structure dédiée au Café de Marie a été élevée. L’emplacement, très visible, est un véritable aspirateur à clients.

Marie Blachère est un peu comme cette fameuse épidémie : l’enseigne rode partout, sans que l’on puisse bien prévoir le prochain coup qu’elle nous prépare. J’avais eu écho de l’ouverture prochaine d’un « Café de Marie » à Paris, au sein de la gare Saint-Lazare, sans avoir plus de détails. Il faut savoir que ce concept n’est pas réellement nouveau, puisque quelques implantations urbaines liées à la marque Marie Blachère ont été développées par le groupe à Avignon, qui demeure son fief historique. Si la boutique parisienne n’a pas ouvert – les travaux ont pris du retard, sans doute à la suite du confinement -, d’autres ont pu voir le jour courant janvier 2020.

Je ne connaissais pas le penchant du groupe Blachère pour l’humour, mais j’apprécie beaucoup. La fabrication sur place et le label Bio (avec logo du certificateur Ecocert) sont bien mis en avant.

Juvisy-sur-Orge, Maisons-Alfort, Colombes et Le Havre ont donc été les premières villes à accueillir ce nouveau concept, implanté sur des emprises commerciales SNCF Gares & Connexions. D’autres ouvertures ont été réalisées au sein de stations services, avec une offre et une image plus proches des standards habituels de l’enseigne. Le postulat semble clair : il s’agit de viser les consommateurs sur leur trajet, qu’il soit ferroviaire ou routier. Seulement, pour séduire la compagnie de chemins de fer, laquelle cherche ces dernières années à redorer le blason de son offre commerciale et de restauration autant en gare qu’à bord des trains, il fallait arriver avec une proposition innovante… du moins sur le papier.

A Maisons-Alfort (94), le pain est proposé en vente assistée. Au fond on aperçoit le four et la diviseuse DiviTrad Bertrand-Puma. Du fait de l’espace restreint, l’équipement l’est tout autant et les méthodes de fabrication ont été adaptées.

En effet, on peut avoir beaucoup de belles idées en théorie, mais encore faut-il savoir les exécuter. J’ai un certain respect pour ce qu’à réalisé le groupe Blachère avec son enseigne de boulangerie : leur réussite tient à un véritable savoir-faire d’entrepreneur et de commerçant, et une forte capacité à dupliquer leur modèle. Seulement, une des plus grandes preuves d’intelligence est pour moi de savoir s’adapter à des configurations différentes, pour apporter des solutions pertinentes aux attentes de ses clients. Pour être plus clair, la promotion permanente basée sur un mécanisme de 3 produits achetés, un offert, répond à un mode de consommation particulier : ces volumes importants servent généralement à nourrir des familles, ou à remplir le congélateur. Comment considérer que cela peut répondre aux besoins d’un voyageur, qui n’aura certainement pas besoin de 4 baguettes ou de 4 croissants ?

Les tarifs correspondent à la moyenne basse de ceux pratiqués dans les gares : 1 euro le croissant industriel, cela reste toujours trop cher. Le tarif par lot devient plus attractif, mais encore faut-il avoir envie de déguster 4 de ces délices…

Pourtant, Marie Blachère a repris ce dispositif dans ses cafés. Cela sert sans doute à occulter partiellement les tarifs élevés qui y sont pratiqués, donnant l’impression à quelques uns de faire une bonne affaire. Pour les autres, c’est une simple plongée dans un univers discount : les vitrines en libre-service et les nombreuses pinces disposées dans l’espace de vente ne sont pas sans rappeler les linéaires des rayons boulangeries de grandes enseignes de distribution allemande. Comment vanter les qualités d’un pain Bio ‘réalisé à partir d’un levain frais’ tout en valorisant si peu l’acte d’achat ? Il y a là une nette dichotomie qui montre bien que Blachère n’est pas ou peu capable de sortir de son modèle pour se positionner sur des segments plus haut de gamme.

Les linéaires présentent les produits en libre-service sur deux niveaux. Le réassort se fait par l’arrière.

La copie sera sans doute modifiée, car on sent bien que ces premières unités font office d’expérimentation : la boutique de Maisons-Alfort a déjà été réaménagée depuis l’ouverture, avec la mise en place d’un service en vente assistée pour le pain et des gâteaux à partager. A Colombes, tout reste pour l’heure en libre service. Les différences de configuration et de superficie expliquent également, en partie, ces variations.
L’engagement de produire le pain sur place devrait par contre ne pas varier, car c’est sans doute le point le plus rare et « innovant » dans ce type de boutique. On peut tout de même se poser la question de la pertinence d’un tel choix : les investissements à réaliser sont assez conséquents, même si le groupe Blachère n’est pas réputé pour acquérir des équipements de haut vol, et cela nécessite d’embaucher au moins un boulanger pour assurer la production. Compte tenu du fait que ces emplacements ne sont certainement pas ceux où l’on vend (et vendra, malgré la grande force du groupe Blachère) vraiment du pain, cela semble assez disproportionné. L’autre problème tient en la qualité du produit mis en vente : quand on voit ces baguettes difformes, il est difficile d’avoir envie d’acheter… or le premier contact avec un produit reste visuel. De même, un minimum de débit et une cuisson tout au long de la journée sont nécessaires pour assurer la fraicheur d’un pain à la durée de vie très courte, ne dépassant pas les deux à trois heures. Le Café de Marie devra donc avoir du personnel habilité à diviser et cuire des baguettes toute la journée… ce qui ne semble aujourd’hui pas être le cas.

Le plus gênant à mon sens reste le mensonge par omission que sert à générer cette fabrication sur place : comme pour le reste des unités Marie Blachère, les viennoiseries et pâtisseries sont d’origine industrielle. Seule une partie du snacking est préparée sur place, ce qui n’a rien de clair ni transparent pour le consommateur. Si la farine utilisée pour le pain est Biologique, on peut en tout cas être sûrs que les autres ingrédients et produits ne le sont pas. Dès lors, la communication réalisée autour du pain Bio confine plus à la subtile supercherie qu’à une réalité pour la plupart des références.

Le 3+1 affiche ses couleurs à l’extérieur.

A mon sens, le groupe Blachère vise ici complètement à côté, même si beaucoup ne s’en plaindront pas. Ils ne font que reproduire un modèle à mon sens déjà usé, basé sur une approche purement consumériste de la boulangerie. Cela pourra sans doute trouver un public parmi les voyageurs pressés, notamment grâce à la notoriété acquise par la marque. En bref, ceux qui aiment Marie prendront le train. Laissons-leur au moins ça.

  • Le délicieux hybride flan-canari (oui c’est jaune pimpant) sans pâte avec son nappage et ses grains de vanille épuisée. Bien élastique.
  • Une baguette de Marie 200g à l’aspect… rustique. Je vous passe la croûte cartonneuse et la mie pâteuse.
  • Pour proposer une baguette en dessous de 1 euro – plus précisément 95cts -, le groupe Blachère a eu la sublime idée de fabriquer une baguette de 200g, en plus de celle de 250g. Rien de bien rationnel ni de logique pour assurer la fraicheur du produit.
  • 1 euro 15 pour une baguette de 250g, quand même cette dernière est bio, cela demeure onéreux.
  • Une superbe baguette de Marie. Le produit n’était pas mauvais, mais je serais bien curieux de voir l’aspect du fameux « levain frais », si c’est ce dernier qui donne une couleur atypique à la mie ainsi qu’une saveur rappelant celles des délicieuses poudres de chez Philibert Savours.
  • Dans l’unité de Colombes, le pain est encore proposé en libre-service, sur une étagère de bien petite taille quand on compare avec celles dédiées aux autres produits.
  • A Maisons-Alfort (94), la Café de Marie s’est installé dans un nouveau local, aménagé suite à la transformation de la gare. Ses grands volumes, sa façade vitrée et sa terrasse donnant sur un espace végétalisé en font un endroit agréable.

Qui n’a jamais éprouvé le principe de l’infusion, lequel permet d’extraire par macération les principes actifs et arômes d’une substance -généralement une plante- dans un liquide ? Les amateurs de thés et autres boissons l’éprouvent chaque matin en immergeant dans de l’eau bouillante un petit sachet ou un filtre rempli de leur fameuse préparation. Au delà du plaisir de la dégustation, il faut aussi apprécier celui de voir peu à peu le liquide se colorer, se parfumer, se transformer.
On connaît moins, ou plutôt est-ce souvent considéré comme un problème, ce que j’appellerais l’infusion inversée : à force d’être stockés ou mis en contact avec des substances et objets colorés ou parfumés, certains produits finissent par adopter les mêmes teintes et saveurs. Prenons l’exemple du beurre, lequel finit parfois par exprimer de l’oignon si on a le malheur d’en introduire un dans le réfrigérateur… De quoi créer un objet de plaisir discutable pour les tartines du petit déjeuner.
Ce qui est valable pour les objets l’est tout autant pour les individus. A force d’évoluer dans un environnement, on finit souvent par en adopter les codes, les idées et les valeurs, pour le meilleur comme pour le pire. Cela tient autant à la force de persuasion de certains individus qu’à la faiblesse d’autres, ou bien à la rencontre d’intérêts -souvent financiers- concordants. Cette infusion est triste, pernicieuse et aboutit à une triste uniformité des consciences, puis par ricochet des actes et enfin de la société. Notre responsabilité collective est alors de résister, d’affirmer nos différences, de sortir du bain pour garder nos saveurs propres. Autant dire que la somme d’efforts à fournir est non négligeable.

Les volumes de la boulangerie les Copains d’abord correspondent parfaitement aux standards des chaines installées au sein de zones commerciales ou en périphérie des villes.

On peut dire que pour certains la partie est déjà perdue, ou qu’elle l’était d’avance. C’est un peu le sentiment que j’ai eu en découvrant la boulangerie les Copains d’Abord, située à Trélazé, en proche périphérie d’Angers (49). Cela tient tout d’abord à l’emplacement choisi : en bordure d’une route passante, avec pour voisins les plus proches une résidence médicalisée, quelques logements dont certains encore en construction, ainsi qu’un Mc Donald’s. La facilité de stationnement offerte par les nombreuses places de parking attenantes confèrent à l’ensemble une furieuse ressemblance avec les configurations choisies pour implanter de grandes chaines de boulangerie telles que Marie Blachère, Louise ou… Ange.

Une superbe plaque disposée à l’extérieur pour rappeler le titre de MOF obtenu par Mickaël Chesnouard

Mickaël Chesnouard a oeuvré plusieurs années au sein d’une entreprise dont la proximité avec ce dernier réseau n’est plus à prouver : la Minoterie Girardeau livre la farine des nombreuses unités de l’enseigne, et a fini par en apprécier les qualités, jusqu’à intégrer un certain nombre de ses fondamentaux dans la vision de la boulangerie que « défend » le meunier ligérien. Même si l’action du Meilleur Ouvrier de France boulanger 2011 a été en grande partie orientée au service des artisans de par sa qualité de responsable de l’Atelier M’Alice (l’organisme de formation made in Girardeau, déployé aujourd’hui à Boussay, Itteville et Ernée), il semblerait que sa vision du métier se soit rapprochée du modèle d’une boulangerie pseudo moderne, avec des boutiques aussi surdimensionnées que leur offre snacking.

Les pains sont malheureusement assez peu visibles, disposés au fond, derrière les vitrines : il n’y a pas d’effet de masse comme sur un mur à pain, et l’oeil est plus attiré par l’imposante vitrine dédiée au snacking, laquelle culmine avec une hauteur dépassant celle de toutes les autres.

C’est en tout cas ce que laisse penser Les Copains d’Abord, qui surprend voire déroute à plusieurs titres. L’investissement réalisé semble tout bonnement colossal, avec une attention particulière portée au décor, lequel trouvera sans doute un public. Les volumes sont larges, partagés entre les vitrines où sont présentés les produits et un espace de consommation sur place. On doit saluer l’effort déployé ici pour créer une véritable expérience : le client est immergé dans l’univers développé par l’entreprise, ce qui suscite à la fois sa curiosité et le rend mieux réceptif au discours porté par l’équipe de vente ainsi qu’aux produits. Trop peu de boulangers ont pris ce parti jusqu’à maintenant, se contentant de proposer des boutiques sans aspérité et conformes aux « standards » du métier.

Dès l’entrée, on remarque au sol cette mappemonde qui rappelle l’identité construite par l’artisan. Dommage que le thème du voyage ne soit pas si présent que cela dans l’offre : les produits restent très traditionnels.

L’ambiance ainsi créée est raccord avec l’évocation du voyage apposée sur l’enseigne : on se sent un peu partis à l’aventure, mais il semblerait que le pain ait été pris dans le mouvement, si bien qu’on peine à le trouver dans cette profusion de vitrines de dimensions et hauteurs très variables. C’est un peu regrettable pour un Meilleur Ouvrier de France Boulanger, mais j’ai eu moins de difficulté à voir les formules déjeuner et sandwiches… ce qui est, à mon sens, symptomatique d’une (sur)orientation vers l’activité de restauration rapide. Pour autant, il serait bien déplacé de remettre en question la qualité des produits fabriqués ici : le savoir-faire et le soin déployés au sein du laboratoire visible depuis l’espace de vente sont réels et s’appliquent aussi bien à l’offre boulangère qu’à ses homologues sucrées et salées.

Le coin cosy et son siège façon balançoire en bois.

La gamme de pains reprend en grande partie les classiques que Mickaël Chesnouard réalisait au sein de l’Atelier M’Alice, allant de l’incontournable baguette de Tradition française -la « Copine » à base de farine CRC (à seulement 1€) au pain de type nordique riche en graines, en passant par des moelleux à l’image du pain de mie, réalisé selon la méthode japonaise avec incorporation de Tang-Zhong (empois d’amidon, ou farine ébouillantée). Les farines employées sont naturellement livrées par la Minoterie Girardeau, avec une bonne part de références biologiques. Pour chaque produit on note d’un trait d’humour, faisant parfois référence aux fameux « copains » de l’artisan ou bien à son parcours professionnel : le Père Jean en référence à l’un de ses maîtres d’apprentissage, Cap’tain Oliver pour son ancien collègue Olivier Coquelin mais aussi Brioche de Mamie Tété ou Malice, la référence n’étant pas à expliquer pour ce dernier. C’est un bon exemple du fait que l’on peut être sérieux sans trop se prendre au sérieux : les façonnages sont appliqués, les cuissons bien menées et les fermentations maîtrisées. Ici, pas de pains extrêmement typés ou acides : les saveurs sont douces, rendant les produits accessibles aux plus grand nombre.

La salle destinée à la consommation sur place.

La viennoiserie se décline autour d’une offre rationnelle, bien réalisée. Même esprit du côté de la pâtisserie, où les éclairs règnent en maîtres, en plus de quelques tartelettes façon finger. L’offre de gâteaux de voyage (quoi de plus normal pour un boulanger qui… voyage) est bien pensée, avec notamment des cakes (les « globe trotteurs ») et sablés fourrés gourmands. Le salé est, quant à lui, particulièrement abondant : on quitte le domaine strictement boulanger pour proposer des salades, en plus des quiches, tartines et sandwiches (proposés avec le système Croustwich). La taille de la vitrine dédiée à cette dernière activité en témoigne, avec une hauteur impressionnante et légèrement détonnante dans un ensemble pourtant plutôt cohérent.

Le laboratoire est visible au fond de l’espace de vente.

Si le natif du Puiset-Doré, associé à sa femme Marie, a fait le choix d’honorer sa région d’origine en s’installant ici, on ne peut pas pour autant parler de retour aux sources, du moins pas de son métier. Plus qu’un boulanger, c’est ici un entrepreneur qui s’exprime au travers de cette boutique, voire de ce concept… lequel semblerait presque fait pour être dupliqué. L’avenir nous dira si, comme dans la chanson de Brassens, le capitaine et ses mat’lots ne sont pas des enfants d’salauds, mais des amis franco de port, des copains d’abord… cherchant plus la satisfaction des clients que la réussite et le développement économiques. Pour l’heure, l’essentiel est sans doute de parvenir à assurer le réel démarrage de l’affaire : cette dernière ayant ouvert le 10 mars 2020, soit quelques jours avant le début du confinement qui a profondément marqué la vie quotidienne, elle n’a pas pu se faire autant connaître qu’espéré, en plus de voir son modèle fortement axé vers la restauration rapide remis en question. Après cet appareillage difficile, ce radeau, ou plutôt ce fier navire amiral, bien loin de celui de la méduse, mérite à présent de voguer sur des eaux plus tranquilles.

Infos pratiques

12 Rue des Perreyeux – 49800 Trélazé / tél : 02 41 60 19 52
ouvert du lundi au samedi de 6h30 à 19h30, à partir de 7h le samedi.

Les entreprises familiales ont la côte : difficile de compter le nombre de mentions faisant référence à ce type d’actionnariat, tant ce dernier semble être devenu synonyme de valeurs humaines, de proximité… tout cela s’opposant en creux aux méfaits du grand capital, des fonds d’investissements aux méthodes agressives et de la spéculation. Il ne faut pas pour autant oublier que même si une entité peut être détenue par quelques individus entretenant des liens de filiation, ces derniers ne peuvent toujours prétendre évoluer au dessus de la mêlée : on voit bien que beaucoup ont laissé leurs valeurs au placard. Dès lors, c’est plus une volonté de conserver le fruit du travail productif entre les mains de quelques individus qui s’exprime. Selon des données fournies par l’INSEE, 70% des PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) sont des entreprises familiales. En meunerie, beaucoup se revendiquent de cette catégorie, alors même qu’ils sont devenus des industriels structurés et présents sur de nombreux marchés. Même combat pour certains « boulangers » devenus des chaines, équipées d’outils de production dont les cadences ne peuvent laisser penser que les membres de la « famille » sont aux manettes chaque jour.

Heureusement, en boulangerie-pâtisserie, la plupart des affaires familiales ont encore un véritable sens, créant de la proximité entre salariés et artisans ainsi qu’avec la clientèle. Si l’on connaît bien la forme habituelle de « monsieur-madame » (puisqu’un couple reste… une famille avant tout !), il en existe bien d’autres. Certaines impliquent plusieurs générations, faisant du projet un outil de transmission, plus ou moins heureux selon les cas. Les fournils peuvent également réunir cousins, cousines et autres individus éloignés par différents niveaux de filiation. Les frères et soeurs savent aussi s’allier pour proposer des gourmandises : c’est le cas à Rennes, dans le quartier de Bourg l’Evêque, où Quentin et Thomas Daniel ont repris une affaire en 2016. Ce projet a uni les deux frères, l’un des deux n’ayant épousé le métier que tardivement : cette boulangerie sonne ainsi comme un accomplissement mais aussi comme un moyen de croiser des chemins jusqu’alors tracés en parallèle.

Les produits d’épicerie 100% maison : granola, pâte ou caramel à tartiner… avec un élément de communication expliquant la démarche maison au sujet de la viennoiserie.

Dans ce secteur résidentiel, l’enseigne Au Bonheur du Pain était déjà connue des consommateurs puisqu’ils ont fait le choix de la conserver lors de la reprise. En lui donnant un nouveau souffle, elle est rapidement devenue une référence incontournable des locaux, participant activement à la vie quotidienne. Une vraie « boulangerie du coin », où l’on se retrouve pour acheter des gourmandises réalisées à partir de matières premières sélectionnées. Sur ce sujet, les frères Daniel ont su prendre la parole de façon habile en boutique, au travers des étiquettes produits, de la sacherie à baguette ou encore sur divers supports de communication disséminés dans l’espace de vente. Associé à une tarification particulièrement étudiée, cela contribue à donner une valeur ressentie supérieure à leurs produits, tout en esquissant une démarche globale et cohérente : faire du bon à prix juste, permettant à une filière de vivre tout en restant accessible pour le consommateur. La transparence est renforcée par le laboratoire visible au fond de la boutique.

La belle gamme de pains au levain naturel

Les procédés de transformation sont au moins aussi exigeants que la sélection réalisée en amont : les artisans n’ont de cesse de remettre en question leurs méthodes pour adopter des recettes favorisant le goût et la qualité nutritionnelle. Si le levain naturel est un dénominateur commun pour l’ensemble des pains de leur gamme, certains sont ainsi réalisés en méthode Respectus Panis, à partir de farines locales (dont celles du Moulin de Champcors, situé à Bruz, en banlieue rennaise). Le soin porté à la maitrise des fermentations est à saluer, avec des produits peu acides, mettant bien en valeur les saveurs des céréales, lesquelles sont souvent panifiées sans mélange (le seigle avec un levain de seigle, idem pour l’engrain, etc.). Même constat pour les cuissons, lesquelles sont bien menées et abouties grâce à un four performant. La gamme évolue au fil des jours et des saisons : la tourte de Seigle, le Petit Epeautre ou encore l’Hermine (à la farine de sarrasin) sont proposés en fonction d’un semainier, créant ainsi des ‘rendez-vous’ avec la clientèle. Ils sont rejoints par des brioches festives, à l’image du stollen ou du très réussi Panettone (au pur levain naturel, sans levure) ou encore de la Pogne de Romans.

Une gamme de pâtisseries fine, courte et bien exécutée, avec des créations et des classiques.

Le sucré n’est pas en reste, avec des viennoiseries très soignées et un choix de pâtisseries court et bien pensé, où s’associent classiques et créations développées par une dynamique cheffe pâtissière. Les spécialités régionales sont bien sûr de la partie, avec un kouign-amann soigné ou l’incontournable far breton. L’offre salée décline les standards du domaine boulanger, dont les sandwiches et quiches, avec en prime des pizzas maison à partager le vendredi soir.

Les attrayantes brioches feuilletées en vague

En à peine plus de 3 ans, les frères Daniel ont déjà parcouru un chemin considérable : leur dynamisme intellectuel, leur rigueur et leur capacité à investir dans leur outil de production ont fait progresser cette boulangerie, qui n’a pas à rougir face aux grands noms de la place rennaise. Comme quoi, on peut être petits, différents mais tout aussi, sinon plus brillants… et trouver le bonheur, dans le pain comme dans les autres choses de la vie.

  • Le mur de pains, derrière lequel on peut voir une partie du laboratoire.
  • L’espace de vente n’est sans doute pas optimisé aujourd’hui et ne met pas parfaitement en valeur les produits développés ici. Ce sera sans doute une prochaine étape à franchir pour les deux frères.

Nous vivons dans une société de divertissement. Peut-être est-ce pour oublier la profonde vacuité de nos existences, ou bien parce que cela permet d’entretenir sur une grande partie de la population une forme de pouvoir et d’asservissement. César l’avait, semble-t-il, déjà bien compris en son temps en affirmant qu’il fallait donner au peuple du pain et des jeux pour le gouverner. Les médias diffusant ces jeux, que l’on décrit pour certains comme étant teintés de « réalité », sont ainsi bien plus que de simples entreprises de spectacle : elles créent des tendances et influencent les comportements de dizaines de milliers d’individus. Les fausses idoles créés par leurs programmes agissent en véritables pantins d’un système qui les porte vers une gloire souvent éphémère, pouvant rapidement les brûler ou les broyer. Certains parviennent à sortir leur épingle du jeu et à tracer leur voie singulière, en marge de ce tapage… mais il faut pour cela une dose de talent non négligeable, un réel savoir-faire bien inégalement distribué.

Avec sa devanture rose, Perlin Tatin s’intégrerait très bien dans le paysage d’un parc d’attractions. On reste ainsi parfaitement dans le thème du divertissement, avec tout le caractère factice qu’il développe. J’attends avec une certaine impatience le jour où un artisan boulanger aura la divine idée d’installer dans sa boutique un manège ou autre machine à sensations. A défaut d’être séduits par la qualité des produits, on pourra ainsi profiter d’un autre plaisir… une subtile forme de diversion.

Norbert Tarayre coche bon nombre de cases liées à cette machine d’influence divertissante : découvert dans la saison 3 de Top Chef, on le retrouve par la suite dans divers programmes du groupe M6, qu’ils soient liés ou non à la cuisine (Norbert Commis d’office, Pékin Express, Toque Show …). Si sa tentative de brûler les planches avec un One man show n’aura pas connu le succès escompté, cela ne l’a pas empêché de vendre sa « marque » auprès de l’entrepreneur Hakim Gaouaoui. Désigné chef d’entreprise de l’année 2019 par le Gault et Millau, ce self-made-man a choisi de s’offrir une tête d’affiche pour développer la notoriété de son groupe habilement nommé les « Bistrots Pas Parisiens », dont les adresses (Saperlipopette, Macaille, Là-haut, Ma Cocotte, …) pèsent aujourd’hui plus de 25 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Les deux compères ont jeté cet été leur dévolu sur la place du marché de Rueil-Malmaison pour y installer Sapristi et Perlin Tatin, respectivement restaurant et boulangerie-pâtisserie. Pour être tout à fait précis, les travaux avaient débuté en 2018 pour durer de longs mois, le chantier ayant accumulé les retards. L’ouverture a ainsi pu se faire de façon festive, à l’occasion du traditionnel bal du 14 juillet. Seul hic, seule une poignée de VIP a eu accès au lieu, remplaçant la vocation populaire de cette célébration par une dimension plutôt… clientéliste.

Au bout du mur, vers la droite, un couloir communique directement vers le restaurant Sapristi.

Ce curieux démarrage passé, l’établissement est à présent ouvert au public. Sa devanture rose bonbon et son décor précieux dénotent assez nettement des standards de la profession, et s’inscrivent dans le prolongement de l’esprit développé pour la zone de restauration. On comprend rapidement que l’ensemble n’a sans doute pas été conçu par un agencement spécialisé dans la boulangerie : le pain peine à être mis en valeur, les vitrines envahissent une grande partie de l’espace de vente et le parcours client reste confus, voire brouillon. Il y a sans doute une réelle volonté de faire cohabiter les métiers de restaurateur -au travers de l’offre snacking déclinée autour de salades, sandwiches et soupes-, pâtissier et boulanger… mais l’éclairage est au moins aussi peu réussi que l’agencement. Certaines parties de la boutique manquent de clarté et la mise en avant des produits en pâtit.

La gamme de pâtisseries signée Ludovic Chaussard. A noter la gamme de cakes et les déclinaisons de brioches, des produits bien dans leur époque.

Tout cela donne la nette impression que l’on nous raconte une histoire sans fond : en définitive, quelle est la légitimité de Norbert Tarayre dans ce métier, si l’on met de côté sa brillante participation à l’émission qu’il co-anime sur M6 ? Même si j’entends bien que le fait d’ouvrir des boulangeries est une tendance lourde (notez que le mot peut prendre ici plusieurs sens) chez les restaurateurs, certains peuvent tout de même prétendre avoir un minimum mis la main à la pâte, à l’image de Thierry Marx ou Cyril Lignac qui possèdent chacun un CAP Pâtissier. Ici, il a fallu aller chercher des cautions en savoir-faire, à commencer par celle de Ludovic Chaussard, précédemment connu au sein de la feu-pâtisserie Thoumieux. La communication de Perlin Tatin s’est donc orientée sur ce dernier, dont le savoir-faire en terme de sucré n’est plus à prouver. Ses propositions sont d’ailleurs plutôt convaincantes, même si elles reprennent pour certaines celles élaborées dans le 7è arrondissement parisien : chou-chou façon Paris-Brest, généreux millefeuille à la vanille, baba au rhum, … en bref, des classiques interprétés avec soin. Pour le salé, c’est le chef du restaurant attenant, Gilbert Benhouda, qui signe la carte.

L’espace de vente est assez restreint, un effet renforcé par la présence des vitrines, assez massives.

Côté boulangerie, pas de nom à l’affiche, par contre. On aurait pu penser qu’un partenariat serait tissé avec son compère télévisuel, le MOF Bruno Cormerais : il n’en est rien. La gamme, panifiée au levain naturel avec les farines des Grands Moulins de Paris (ce qui a de quoi surprendre compte tenu du positionnement de l’enseigne), a été mise en place par les équipes de l’Institut Franck Debieu, dont on retrouve clairement la signature : baguette de Tradition non façonnée (type méthode PanovA) très (trop ?) marquée en levain, généreuses Tourtes de Meule et de Seigle, pain petit épeautre-graines de lin, … Globalement, les produits se tiennent, même si la baguette de Tradition manque de cuisson et devient dès lors rapidement très caoutchouteuse, effet renforcé par son process de fabrication où la croûte est toujours moins présente.

La vitrine snacking présente les sandwiches, salades et soupes, ainsi que quelques pâtisseries boulangères et… des gâteaux basques (?). Le principal problème de cette dernière est son intégration dans le parcours client : on ne sait pas bien comment se positionner, et il est plus naturel d’aller vers la zone pain et pâtisserie disposée en face.

Au delà de ma question précédente sur la légitimité, qui n’intéresse en définitive qu’une poignée de puristes dont je devrais grossir les rangs, la plus importante reste celle de la pertinence économique de l’investissement : compte-tenu du nombre d’établissements détenus par le groupe, internaliser la production du pain pourrait sembler intéressant. C’est sans compter les frais induits par la logistique, la facturation entre les entités juridiques et autres plaisirs qui font que d’autres, bien avant Norbert Tarayre et Hakim Gaouaoui, ont rapidement déchanté. Pour que ce ne soit pas le cas, il leur faudra développer les ventes en boutique… et en la matière, vu l’abondance de l’offre déjà présente à Rueil et l’inadaptation de la boutique à recevoir un certain flux de clients, le pari semble plus qu’incertain.

Autant dire que ce ne sera pas de la tarte pour faire de Perlin Tatin un succès. Cependant, je ne doute pas de la capacité du groupe à communiquer autour du lieu et à capitaliser sur son meilleur (?) atout : l’insaisissable Norbert, dont on est plus certains d’apercevoir le visage en photo ou à l’antenne qu’en cuisine.

Infos pratiques

13 place Jean Jaurès – 92500 Rueil-Malmaison / tél : 01 47 10 01 02
ouvert du mardi au dimanche de 8h à 20h.

Le talent des marchands de fonds et autres intermédiaires oeuvrant à la cession des commerces est aussi impressionnant qu’indéniable : ils parviennent en effet à convaincre des acquéreurs de payer une somme, parfois non négligeable, pour acheter « quelque chose » d’intangible, dont la valeur réelle porte de plus en plus à interrogation. En effet, compte tenu du contexte de concurrence exacerbée et du développement des créations échappant de fait à ce système bien rodé, comment peut-on justifier de payer 100% d’un chiffre d’affaires (lequel n’est pas forcément synonyme de rentabilité, entendons nous bien !), voire 120% ou 140% dans certains cas ? Au delà d’un emplacement, l’artisan achèterait une clientèle, ce qui n’est plus pertinent quand on sait son caractère de plus en plus volatile. Plus que tout, c’est le savoir-faire (aussi bien en terme de produit, de gestion et de vente) d’une équipe qui font le succès d’une entreprise de boulangerie. Dès lors, quand cette dernière se dissout ou se transforme du fait d’un changement de propriétaire, les cartes sont rebattues.

Souvenir de la boutique du 16è arrondissement.

La réussite de Jasmine et Guillaume Delcourt au 100 rue Boileau, Paris 16è, dans une petite boutique à la visibilité réduite, était une parfaite illustration de cette réalité. Penser pouvoir faire au moins aussi bien en reprenant l’affaire était pour le moins prétentieux. Bien sûr, l’alignement des planètes n’était sans doute pas favorable au nouvel arrivant compte tenu de l’installation du très dynamique couple Cocardon à quelques mètres, mais c’est bien la qualité et le savoir-faire déployés par l’artisan au sein de sa « maison Soleil » qui sont à remettre en question pour expliquer ce résultat.

Si une histoire s’est arrêtée dans la capitale, une nouvelle a démarré à l’été 2016 pour le couple Delcourt en face de l’église de Rueil-Malmaison (92). Le challenge était d’ampleur : reprendre une boulangerie au chiffre d’affaires conséquent, tenue en roue libre depuis plusieurs années. Les investissements pour y parvenir ont été nombreux, à commencer par le matériel et le rafraichissement de la boutique. L’espace de vente a été modifié pour supprimer des vitrines inutiles et faciliter le parcours client, notamment pour l’offre snacking dont une partie est proposée en libre service. La pâtisserie est omniprésente dans les vitrines et occupe une bonne partie d’entre elles : c’est un marqueur fort de l’identité de Guillaume Delcourt, qui a développé un riche savoir-faire autour des arts sucrés. Gâteaux colorés et créatifs, gourmandises boulangères, tartes et en-cas variés (cakes, financiers, …) se déclinent ainsi au fil des saisons et des envies, de même que les glaces encore présentes en ce début d’été indien.

Si la qualité des produits est bien présente ici, c’est non seulement parce que l’artisan n’a pas transigé avec ses principes en terme d’approvisionnement (farines Moulins Bourgeois, crémerie l’Or des Prés, chocolats Valrhona, etc.) mais aussi du fort investissement humain -le second et sans doute le plus important- réalisé auprès de ses équipes. Jasmine et Guillaume n’ont pas ménagé leurs efforts depuis 3 ans, et ont fédéré autour d’eux des éléments fidèles, dont certains les accompagnaient déjà dans le 16è arrondissement parisien. On retrouve dans cette entreprises des valeurs fortes et indispensables, telles que la fabrication 100% maison (y compris la gamme de confitures et tartinantes sucrés), l’utilisation du levain naturel ou encore la transmission du savoir-faire.

C’est ce qui permet à chacun de trouver en boutique des viennoiseries de grande qualité, au bon goût de beurre frais (le beurre l’Or des Prés, plus complexe à travailler mais aussi plus savoureux que les standards du marché, n’y est pas étranger), ainsi qu’une gamme de pains variée. Il y a bien sûr l’incontournable Paillasse mais aussi de grosses pièces aux fruits secs, des brioches bien garnies ou encore une tourte de Seigle relevée d’un miel de châtaignier très parfumé. Le tout est défendu avec dynamisme et entrain par un service agréable. Jasmine et Guillaume ont su capitaliser sur leur expérience parisienne tout en s’adaptant à la culture locale pour mieux correspondre aux attentes de leurs clients, que ce soit en terme de tarification ou d’offre. Ils ont ainsi pu marquer leur identité, bien différente de celle de leurs prédécesseurs.

Une belle gamme de confitures et tartinables sucrés maison

C’est toujours un plaisir de suivre l’évolution et le parcours d’artisans talentueux, qui parviennent à prouver de la plus belle des façons que la boulangerie a de l’avenir : en se distinguant par la qualité de leurs prestations et en développant des aspérités permettant à la clientèle de les identifier clairement, ils développent une approche moderne du métier et se font une place dans un paysage riche en acteurs. Rueil-Malmaison en est un très bon exemple, et la place de l’Eglise n’y fait pas exception : pas moins de 3 artisans s’y partagent la clientèle. Chacun fait son choix en fonction de ses attentes et préférences… mais une chose est sûre : les Delcourt sont bien ici, dans leur maison artisanale !

Infos pratiques

10 Place de l’Église, 92500 Rueil-Malmaison / tél : 01 47 51 12 27
ouvert du vendredi au mardi de 7h à 20h30.

Les meilleurs pilotes sont-ils ceux qui se contentent de suivre à la lettre leur plan de vol ? Non, certainement pas, et c’est sans doute au coeur des situations perturbées que l’on mesure le mieux leur capacité à être réellement maîtres de leur appareil. Pourtant, avec le confort moderne et les efforts déployés par l’ingénierie pour faire voler les avions « malgré » la présence humaine au sein du cockpit, la tentation de se laisser aller à une certaine forme de paresse est grande… et humaine. Dans le spectacle Miniatures de la compagnie Royal de Luxe –actuellement en représentation à Saint Herblain-, le capitaine se laisse aller à la rêverie, qui l’amène à explorer des territoires qu’il se serait contenté de survoler d’habitude… un peu comme si son inconscient lui rappelait que la position confortable qui est la sienne n’était pas représentative de la situation du monde, et qu’il faudrait bien faire face aux turbulences. De scène en scène, on est alors saisis par la joie ou la peine, jusqu’au moment où il faut se réveiller et reprendre le fil, le cours de nos existences, plus ou moins tranquilles…

Installé dans la zone d’activité de Chavenay, Epis et Pains a ramené le pain dans une commune sans boulangerie, même si les clients sont nombreux à faire un détour de plusieurs kilomètres pour acheter leurs produits.

Bruno Mondet a prouvé sa capacité à tracer son chemin malgré les méandres de la vie. Précédemment responsable Environnement et Energie au sein de l’entreprise de télécommunications SFR, il a profité d’un plan social pour se réorienter vers la boulangerie, en visant le CAP via une formation pour adultes à l’école Ferrandi. Sa démarche est naturelle à plus d’un titre : c’est une tradition familiale que d’épouser la profession, puisque son grand-père était boulanger, tandis que son père s’était spécialisé dans le sucré en devenant pâtissier, d’abord au service de la grande distribution puis à son compte. Son plan de vol, ou de route -c’est selon- était tout tracé : il souhaitait reprendre une boulangerie à Paris… avant que ce fameux goût pour la nature s’exprime. Le virage s’est opéré au cours d’une formation au sein du réseau Semences Paysannes : Bruno y a découvert la démarche engagée de plusieurs paysans-boulangers, ce qui l’a amené à se réorienter vers une autre forme d’artisanat, plus proche de la terre et des hommes.

Des pains au visuel rustique, signature du four Le Panyol. Pains aux graines, « Costaud » (mélange de graines, fruits secs et mélasse), Breton (70% seigle – 30% sarrasin), Anglais (pain de mie), brioches, … rien ne manque.

Dès lors, son parcours s’est éloigné des standards de la profession et des reconversions qui se destinent à exercer une boulangerie conventionnelle. Ses préceptes en terme de panification se sont développés dans l’idée de minimiser les pétrissages pour toujours mieux respecter la matière première, avec utilisation systématique du levain naturel. L’expérience chez Carole Gruel en Ille-et-Vilaine sera déterminante sur ce point, même si la relation entretenue avec Nicolas Humphris, lui aussi yvelinois, n’en est pas moins forte. N’ayant cependant pas vocation à devenir agriculteur, le jeune artisan a fait le choix d’un modèle moins fréquent mais tout aussi porteur de valeur : il sera meunier-boulanger, comme aime le nommer amicalement Olivier Deseine, responsable des Moulins de Brasseuil. Ce dernier s’est dès le début affirmé comme un partenaire bienveillant du projet, Bruno Mondet ayant eu quelques craintes quant à sa capacité à s’approvisionner en blé localement et s’étant donc rapproché d’un meunier installé.

Les grains reçus des agriculteurs situés à Villepreux (78), soit à quelques kilomètres du fournil. Si l’essentiel du blé transformé est de variété Renan, c’est à dire un blé moderne créé pour les besoins de l’agriculture biologique, Bruno Mondet compte sur la proximité entretenue avec ses partenaires pour les amener vers la culture de variétés anciennes. Son objectif serait de créer une population de la Plaine de Versailles, qui permettrait d’obtenir un véritable pain de terroir. Pour y parvenir, il compte rapidement s’approvisionner en grain chez des agriculteurs du réseau Semences Paysannes pour commencer la multiplication sur les terres yvelinoises.

En définitive, ces peurs se sont rapidement effacées : les agriculteurs engagés dans la filière Bio ne manquent pas dans la plaine de Versailles. Ce lieu d’implantation s’est imposé dès le début, Bruno Mondet y ayant grandi. Le sous-titre « retour aux sources » qu’on retrouve sur de nombreux éléments de communication de l’entreprise prend alors tout son sens. L’entrepreneur n’oublie donc pas d’où il vient, ni son précédent métier : l’ensemble des installations ont été éco-conçues, avec du matériel d’occasion et des matériaux naturels. Avant de mettre les mains à la pâte, il a ainsi pu les utiliser pour aménager son local de 240m2 : dans cet espace reçu entièrement vide sont apparus grâce à ses efforts un laboratoire, un moulin, une zone de stockage pour le bois ainsi qu’un four à bois. Ce dernier est de marque Le Panyol, et a été réalisé en co-construction pour des questions d’agenda et de praticité. Ayant initialement envisagé d’acquérir un modèle de petite taille, il s’est vite ravisé pour être en mesure d’enfourner jusqu’à 80kg de pain sur la sole.
Les travaux se sont enchainés en parallèle de l’obtention de son CAP, imposant un rythme soutenu voire complètement fou (construction, examens, dérhumage du four…), jusqu’à l’ouverture en octobre 2018.
Le plus ingénieux reste sans doute la boutique, disposée… sur roulettes, à l’entrée du bâtiment. Elle peut ainsi se retirer pour réceptionner les livraisons de grain ou de bois.

Bruno Mondet ne souhaitait pas faire de baguette initialement. Il n’a pas tout à fait cédé à la demande mais propose la « Grande », qui n’est autre qu’un pain de 500g réalisé à partir de sa pâte de semi-complet avec un façonnage de type baguette. Le prix est identique : 7 euros le kilo.

Une chose est sûre, Epis et Pains a rapidement dépassé, voire surpassé, les attentes de son fondateur. Dès le début, la demande des consommateurs a imposé d’augmenter les volumes de production, jusqu’à atteindre près de 200kg de pains et gourmandises le vendredi. Trois revendeurs se sont également manifestés (un magasin de produits locaux, une Biocoop à Saint-Cloud et une personne réalisant des « tournées » pour livrer à domicile), sans que ce soit un axe de développement recherché de prime abord. La boutique n’est ouverte que 3 jours par semaine, les lundis, mercredis et vendredis. Le jeudi est réservé à la fourniture des AMAPs, qui ont montré un vif intérêt pour les produits fabriqués à Chavenay : à la rentrée, deux nouvelles rejoindront l’aventure. C’est une activité intéressante pour l’entreprise, qui dispose ainsi d’une visibilité claire sur l’année.
Ce succès n’est pas le fruit du hasard : la clientèle locale dispose d’un fort pouvoir d’achat et l’offre engagée développée ici est réellement différenciante.

Un fournil simple et bien équipé, avec chambres de fermentation, pétrin et diviseuse.

Engagée n’est pas un vain adjectif : l’artisan s’emploie à utiliser une farine bise (environ de type 80, du fait du tamis installé) fraiche, donc très « mouvante » et nécessitant de s’adapter à chaque fournée, avec une fermentation pur levain (à hauteur de 20% du poids de farine) et sans adjonction de levure commerciale pour les pains. Les fournées du lundi sont réalisées en direct, avec 6h de fermentation, tandis que les autres reposent la nuit au froid, sans impact négatif sur la qualité du produit fini. Bruno Mondet a souhaité s’imposer un parti-pris clair : saler et sucrer peu, la qualité de la fermentation et des matières premières faisant le reste. 16g de sel, 100g de sucre (pour les brioches et viennoiseries) par kilo de farine, c’est tout : des doses effectivement bien réduites par rapport aux standards de la profession.

La boutique est vitrée sur l’arrière, ce qui permet de voir le reste du bâtiment depuis l’espace de vente. Ce sont d’ailleurs les boulangers Bruno et Damien qui assurent la commercialisation de leurs produits, assurant donc l’ensemble de leur cycle de vie au sein de l’entreprise.

Les produits mis en vente à partir de 16h sont pourtant loin d’être insipides : chacun d’entre eux porte un nom aux références variées, racontant l’histoire de leurs ingrédients. Du classique semi-complet au Costaud en passant par la Grande, le Breton (mélange seigle-sarrasin), les Gourmandes nature ou marbrées cannelle-noix et chocolat-noisettes, rien ne dénote de cet ensemble très cohérent, lequel dénote d’une réelle envie de partager une certaine idée de la boulangerie tout en se faisant plaisir à produire au quotidien. Cela se traduit également sur un aspect social : le développement de l’activité a permis d’embaucher un boulanger (même si le projet était dimensionné pour fonctionner avec une seule personne), Damien, lequel est à présent associé au capital de la structure. Plus que de faire « simplement » du pain, il est question ici de bâtir une vision durable et porteuse de sens du métier, où chacun y trouve son compte, de l’agriculteur au consommateur en passant par les collaborateurs.
La douceur du levain et les tarifs mesurés permettent à chacun de profiter de la qualité disponible ici. Ce dernier point n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard : le projet Epis et Pains a été entièrement auto-financé, ce qui permet une totale liberté dans son exécution.

Le four installé a plusieurs spécificités : il dispose en effet de deux entrées, dont l’une donne directement dans le laboratoire. Bruno Mondet souhaitait en effet que le four ne soit ni à l’extérieur, ni tout à fait dans son fournil. Il est donc disposé dans le bâtiment à côté de la structure créée pour accueillir la zone de panification.

S’il revendique ne pas avoir créé une boulangerie au sens commun du terme, Bruno Mondet nous propose ici un lieu riche et atypique, à la croisée des mondes entre la démarche d’un paysan boulanger et celle d’un artisan plus traditionnel, tout en plaçant très loin le curseur d’engagement sur de nombreux éléments. Loin d’être anecdotique, cette démarche est au contraire en plein dans les considérations de notre époque : se rapprocher des fondamentaux -un « retour aux sources » comme le résume si bien l’entrepreneur-, écrire une histoire singulière et pleine de sens, partager des produits sains et savoureux. De quoi nous donner envie d’aller faucher quelques Epis et Pains à Chavenay de façon régulière !

  • Les consommateurs sont invités à réserver leurs produits par SMS pour être certains de leur disponibilité.
  • Le coin gourmand de la boutique. Cookies et viennoiseries trouvent rapidement preneurs. Si le beurre d’incorporation est d’origine bretonne, celui utilisé pour le tourage provient de Belgique, du fait de l’absence de fournisseur français. Le feuilletage est réalisé en direct, sans congélation.
  • Une sélection d’épicerie est proposée dans la boutique : lentilles locales de la ferme de Feucherolles (laquelle fournit également les oeufs incorporés dans les viennoiseries), miel, sel de Guérande, huile de tournesol…
  • La farine écrasée ici est également disponible à la vente au consommateur en sachets d’1kg.
  • Le moulin de type Astrié. Il ne produit que de la farine de blé type 80. Le reste des moutures employées (type 65, pâtissière, seigle et sarrasin) sont fournies par les Moulins de Brasseuil, partenaire naturel puisque très local.
  • Dans le four
  • Le bois est reçu puis stocké ici, au fond du bâtiment. Plusieurs fournisseurs auront été essayés avant de sélectionner un partenaire proposant un format adapté à la chauffe du four et des essences de bois offrant un bon rendement en chaleur. A droite, on peut voir le silo en cours d’assemblage : il approvisionnera directement le moulin prochainement, l’équipement étant devenu nécessaire du fait de l’augmentation des volumes de grain écrasé.
  • La boutique, vue de l’arrière. On comprend mieux l’idée de sa disposition et l’intérêt du système permettant de la faire glisser sur le côté.

Si la vertu est tant vantée à notre époque, il me semble qu’elle se prouve plus qu’elle ne se décrète. Combien de filières, démarches et autres projets vertueux nous décrit-on chaque semaine, sans bien mesurer la portée du mot et la véracité des prétentions formulées par les entrepreneurs à leur origine ? Il faut dire que tout est fait pour endormir notre attention, et que les gages de sérieux sont souvent réunis : bénédiction apportée par quelques influenceurs et noms reconnus, valorisation de petits producteurs faisant sonner le tout comme une forme de résistance contre les gros industriels avides de profit, promenades bucoliques dans les champs… Pourtant, les expériences passées devraient à chaque fois nous aider à éveiller notre vigilance. Je garde ainsi en tête de sombres histoires telles que celle d’une fameuse Jeune Rue, non pas pour entretenir une forme de méfiance négative mais bien pour être certain de la véracité des intentions de chacun.

Le lieu ne manque pas de charme et son caractère transparent sur le processus de transformation a de quoi séduire.

Cela ne m’empêche pas d’être curieux, toujours à l’écoute de ce qui peut émerger sur le marché de la boulangerie, d’aller découvrir, goûter, rencontrer, échanger. C’est précisément ce que j’ai fait quand j’ai eu l’écho de l’ouverture de l’Atelier Auger dans la discrète rue du même nom, situé à proximité de la place de la Nation. Un ancien garage reconverti en « fournil et cantine », avec four à bois (d’origine espagnole, marque Ferré Matheu), micro-moulin Astreia, utilisation de variétés anciennes de blé, vins naturels, cafés du torréfacteur anglais Caravan, travail au levain naturel, transformation de fruits et légumes de saison… le projet coche définitivement toutes les cases de la vertu et de ce qui est aujourd’hui porté aux nues comme étant une boulangerie d' »avenir ».

Le four à bois est l’élément le plus imposant ici. Tout a été construit autour de lui.

Ces histoires, d’autres vous les raconteront bien mieux que moi et ne se sont déjà pas privés pour le faire, appâtés par la tendance et la nouveauté. Le Fooding, Vogue… Seulement, j’ai compris avec le temps que l’on ne s’improvisait pas boulanger, surtout avec de tels investissements, et qu’une telle entreprise ne pouvait être portée que par des personnes aux épaules solides. J’ai donc été rencontrer le tenancier du lieu, un individu charmant avec lequel nous avons eu un échange éclairé sur l’état de la filière. J’ai été surpris quand ce dernier a omis de se présenter, plus encore quand il a soigneusement éludé toute question au sujet de son parcours, le comble étant sa farouche volonté de n’être évoqué à aucun moment, avec une volonté exprimée de « disparaître derrière son projet, pour mieux valoriser l’équipe et le travail des producteurs ». Un peu court.

Le logo, très sobre, reprend les initiales du nom et les fameuses tables disposées à l’entrée. Bien vu.

Vous finissez par me connaître un peu, depuis le temps. Je ne me suis pas arrêté là. Bien sûr, j’ai épluché le registre du commerce. Les statuts de la société « FOOD 1967 » (qui exploite Atelier Auger) indiquent comme gérant un certain Patrice Ropers, reconverti à la restauration après un parcours professionnel dans l’immobilier. Seulement, il ne s’agissait pas de la personne que j’avais rencontré. Le mystère s’épaississait.

Le moulin Astreia, disposé au fond du laboratoire. Du fait de la difficulté à trouver du grain et des farines faibles que produisent les variétés anciennes de blé, plusieurs moutures du Moulin Hoche ont été employées à l’ouverture… sans bien que l’on sache si c’est toujours le cas aujourd’hui.

Parfois, le hasard fait très bien les choses. A l’heure des réseaux sociaux, le frêle chemin qu’il forme parfois vers la compréhension des choses peut devenir une belle et large avenue. Ce fût précisément le cas ici, à la faveur d’une mention opportune dans une story Instagram.
Dès lors, il ne m’a pas fallu plus de 5 minutes pour retracer l’histoire menant à cette situation. Franck Pécol avait bâti une réussite insolente à Shanghai : ce restaurateur français, originaire du Sud, s’est distingué en ouvrant 6 restaurants, bars et propriétés ainsi qu’une chaine de boulangeries nommée Farine, où le pain et le métier de barista s’associaient avec un certain brio. Ces établissements avaient fédéré au fil des années une clientèle aussi nombreuse que fortunée, du fait du positionnement haut de gamme des enseignes.

Le coin cuisine, avec un four à sole MIWE.

La success story a tourné court en 2017 avec la découverte de plus de 2300 sacs de farine périmés (livrés par les Moulins Viron, qui ont du se mordre les doigts d’avoir signé un tel partenariat) dans les laboratoires de l’entrepreneur. L’administration chinoise ne reconnaissant pas la notion de Date Limite d’Utilisation Optimale, la marchandise a été saisie et des procédures ont débuté à l’encontre de la société. Prétextant un rendez-vous à Londres, Franck Pécol s’est envolé dans les 24h suivant le début de l’affaire, laissant ses salariés assumer les conséquences de la situation. Plusieurs d’entre eux ont été incarcérés, parmi lesquels le chef de production Laurent Fortin, dont le sort avait suscité plusieurs réactions émues, aussi bien chez les internautes qu’au sein de la classe politique. Quand on connaît la sévérité du régime chinois, on peut imaginer la dureté des conditions d’emprisonnement, à plus forte raison si ce dernier est injuste. J’avais eu écho de l’affaire à l’époque, sans plus y prêter attention. Aujourd’hui, la situation semble s’être arrangée pour les personnes mises en cause, fort heureusement.

Je n’imaginais pas rencontrer un jour l’homme par qui le scandale était arrivé. Même si plusieurs voix se sont faites entendre pour dénoncer le fait que tout cela serait un complot visant à mettre à terre un étranger ayant « trop bien » réussi dans l’Empire du Milieu -ce qui est tout à fait probable-, rien ne justifie de laisser d’autres individus payer pour ses actes. Bien sûr, Franck Pécol a lui aussi subi des conséquences : ses établissements ont fermé, et tout ce qu’il avait patiemment bâti en Chine s’est effondré. On peut toutefois considérer qu’il n’a pas perdu l’essentiel… la liberté (et ce ne sera sans doute pas le cas au vu du faible risque quant à une procédure d’extradition). Un élément fondamental qu’il a pu mettre à profit pour continuer à s’intéresser à la boulangerie, en captant ses tendances et en faisant son marché chez quelques noms en vogue. Atelier Auger est le résultat de ses expériences, à la fois en restauration et dans l’univers du pain. Il faut reconnaître à l’homme une belle capacité à s’imprégner des codes du métier, ainsi qu’une vraie culture du produit, autant d’éléments soulignés par des personnes l’ayant côtoyé que j’ai pu interroger.

Les tables sont attenantes au four à bois. Complètement mobiles et légères, leur nombre est restreint volontairement, ce qui ne permet pas de laisser entrevoir un fort développement du chiffre en restauration.

Cela sera-t-il suffisant pour faire vivre ce lieu, dont le caractère vertueux est sérieusement bousculé par le parcours tumultueux de son fondateur ? Rien n’est moins sûr. Il faudra parvenir à fédérer une équipe -qui a déjà connu plusieurs départs-, sujet déjà bien compliqué en boulangerie conventionnelle et plus encore au vu des méthodes de travail adoptées ici, et une clientèle fidèle. L’emplacement peu visible n’aidera pas à cette dernière tâche, même si les deux associés seraient déjà en recherche d’une boutique mieux placée pour écouler la production. Les horaires d’ouverture particulièrement restreints (pour le moment ?) orientent le lieu sur l’activité de restauration du déjeuner.
Dans cet Atelier, tout semble se passer autour de deux éléments clés. Le four, qui doit servir à cuire le pain et d’autres mets délicieux (Pécol évoquait notamment des pièces de viande à partager, dans un état d’esprit villageois où chacun se retrouve autour du four, qui devient un outil de communion et de partage), … et un fou, en la personne de Franck Pécol. La seule question est de savoir lequel des deux restera le plus longtemps dans ces murs.

Infos pratiques

5 Rue Auger – 75020 Paris (métro Nation, lignes 2 & 6, RER A, ou Avron, ligne 2) / tél : 09 87 59 88 65
ouvert du mardi au samedi de 12h à 15h et de 18h à 20h.

Le présentoir de vente à emporter. Curieusement, ce dernier a tendance à rester bien vide ces dernières semaines.

On ne mesure sans doute pas assez combien le temps est devenu un luxe, qui ne s’acquiert que bien difficilement, souvent au prix d’efforts importants. Nous devons tout faire au plus vite sans bien en avoir le choix, au risque de mal agir : comment être tout à fait libre de ses mouvements quand on a un pied sur l’accélérateur, l’autre sur une planche de surf pour suivre les vagues, et les deux mains partagées entre le volant et la ferme intention d’attraper tout ce qui passe ? Je suis persuadé que nous finirons tous, un jour ou l’autre, par décrocher. Cela a été le cas pour moi il y a déjà quelques années, mais ce que certains décrivent dans des théories de l' »effondrement » engendrera sans doute autant de douleur que de bouleversements profonds. Saurons-nous ralentir avant de finir dans le mur ? Rien n’est moins sûr.

La devanture d’Archibald. A l’étage, on réalise les cuissons et on stocke les pâtes au froid.

Les reconversions, toujours plus nombreuses, devraient nous interpeler sur les dysfonctionnements profonds de notre monde du travail. Certains les utilisent de façon assez cynique pour entretenir leurs affaires. Même si je ne suis pas toujours très enthousiaste face à leurs projets, c’est toujours avec curiosité et bienveillance que j’essaie de les accueillir.
Parmi eux, la boulangerie Archibald, portée par les entrepreneurs Matthias Velter et Fabrice Petit, compte sans doute parmi les bonnes surprises de ces derniers mois. Il faut dire que les artisans, passés par l’EIDB de Thomas Teffri-Chambelland, ont pris le temps pour faire bien les choses… même si des éléments extérieurs -un raccordement électrique tardif, notamment- les ont contraint à la patience pour plusieurs mois, avant de pouvoir finalement ouvrir début avril 2018.

Les farines sont présentées à l’entrée de la boutique, qui fait également point de retrait pour des paniers de fruits et légumes. Les Moulins Bourgeois et le Moulin Pichard livrent chacun une partie des moutures utilisées au fournil : cela correspond autant à une volonté de travailler avec un partenaire local que d’utiliser des références correspondant au goût de l’artisan, comme pour le Petit Epeautre de Haute-Provence.

Ce luxe dont je parlais en introduction n’est pas du hasard, mais à une véritable réussite entrepreneuriale bâtie sur une profonde amitié (entretenue depuis l’enfance) et en famille : les deux compères, accompagnés par Maud Velter, à la fois femme de Matthias et soeur de Fabrice, ont fait de leur société Lodgis un des acteurs majeurs de la location meublée à Paris. L’aventure, débutée dès 1999, aligne des chiffres qui donnent le tournis : 50 collaborateurs, 6000 appartements, 5000 propriétaires, 700 contrats signés chaque mois…
On peut atteindre les sommets et avoir envie de redescendre, d’embrasser des projets plus terre à terre. C’est précisément le cas ici : après avoir essayé plusieurs domaines comme la production de miel, la boulangerie finit par l’emporter. Il faut dire qu’un de leurs collaborateurs avait ouvert la voie : après avoir oeuvré plusieurs années chez Lodgis puis parcouru plusieurs dizaines de milliers de kilomètres à vélo, François, co-fondateur du Fournil Ephémère à Montreuil (93), montrait un bel exemple… autant que de beaux produits.

L’espace de vente-atelier, où les pétrins sont bien visibles. L’éclairage soigné créé une ambiance chaleureuse dans la boutique et met bien en valeur les produits. On appréciera le clin d’oeil très parisien : les carreaux qui couvrent une partie des murs sont des répliques conformes de ceux utilisés dans le métro. Une petite offre d’épicerie fine en rapport avec le pain a été développée : miels d’Ile-de-France et confitures Re-Belle se tartinent avec plaisir au petit-déjeuner !

Une fois la formation achevée, il fallait un lieu pour faire germer l’idée, et pas question de le faire ailleurs qu’en plein coeur de Paris. La boulangerie se nommera ainsi Archibald et se situera dans le 5è arrondissement, face à la faculté de Jussieu. Audacieux jusqu’au bout (Archibald est un prénom masculin d’origine germanique qui signifie naturel (« ercan ») et audacieux (« bald »), les associés transforment un ancien restaurant en fournil dédié au pain Biologique sur base de levain naturel.
Le résultat est bien loin des standards de la boulangerie parisienne : les clients sont accueillis dans un écrin épuré (signé Pep’s Création), hybride entre atelier et boutique. Si le four est à l’étage, les pétrins et sacs de farine côtoient les vitrines et la caisse, lesquelles sont disposées sur roulettes pour faciliter le changement d’usage du lieu… ce qui n’est pas sans rappeler l’aménagement de la Fabrique à Pain aixoise, où de nombreux élèves de l’EIDB continuent de s’inspirer.

La gamme de pains. On appréciera la volonté de proposer des basiques accessibles, à l’image du pain de Campagne vendu 7,30€/kg. Tous les pains sont vendus au poids ou à la tranche.

La philosophie de panification est, elle aussi, proche des standards prônés dans l’institut : la plupart des produits sont travaillés en « direct », sans passage au froid, exception faite du Campagne qui fermente en chambre d’un jour à l’autre. La levure ne rentre dans la composition que des brioches et de l’Archi-Gourmand. La gamme est à la fois courte et aboutie : les clients peuvent déguster des propositions aussi douces et accessibles que le Parisien (farine T65 Bio sur levain de petit épeautre) puis se tourner vers des pains de caractère comme le méteil (mi-seigle, mi-froment sur levain de seigle), le pain Allemand ou l’Intégral. Ce dernier est d’ailleurs particulièrement réussi, ce qui est assez rare pour le signaler : le levain de petit épeautre lui apporte beaucoup de douceur, et sa texture se révèle très agréable à la dégustation.
Difficile de passer à côté des propositions les plus gourmandes, à l’image de la brioche provençale ou de l’Archi-Gourmand, un produit très abouti où les raisins rencontrent une mie à la texture moelleuse et fondante (grâce à un apport de beurre et de levure en fin de pétrissage)… même si le Petit Epeautre de Haute-Provence est tout aussi attrayant, avec ses vives saveurs de miel et d’épices. De belles mies ouvertes, des pâtes bien hydratées et des saveurs riches portées par des levains maîtrisés… on aurait beaucoup de peine à mettre en défaut ces produits.

Les brioches provençales à l’huile d’olive, déclinées nature ou aux pépites de chocolat.

Le caractère audacieux du projet est amplifié par cet emplacement difficile -le quartier n’est qu’assez peu résidentiel et le passage demeure limité, mis à part les étudiants- et les horaires d’ouverture restreints : en ouvrant du lundi au vendredi de 16h à 20h, Matthias et son équipe restreignent d’autant leur potentiel de clientèle mais disposent également d’un certain confort de vie et de travail, un fait non négligeable dans ce métier. Une des pistes de développement se trouve dans la livraison de magasins et épiceries Biologiques, ce qui a déjà été entamé au travers d’un partenariat tissé avec la Biocoop le Retour à la Terre Rive Gauche et le « Bio Shop » tout proche. Il faudra sans doute amplifier les efforts de communication pour donner à la boulangerie la visibilité qu’elle mérite.

Deux références de pains à la farine de riz, réalisés à partir du mélange fourni par le Moulin Chambelland, sont proposées.

On peut bien sûr se poser la question de la viabilité d’un tel pari en zone urbaine dense comme Paris, d’autant plus avec l’importance des investissements réalisés. Je suis persuadé que cela répond à une attente des consommateurs, qui s’exprime partout : nos boulangers doivent être transparents et développer des identités aussi lisibles que cohérentes. Archibald réunit l’ensemble de ces principes, avec des éléments suffisamment différenciants pour créer une relation nouvelle entre l’artisan et ses clients. Casser les codes tout en respectant le produit et le métier comme on le fait ici, est-ce vraiment si audacieux en définitive ? Laissons le bon pain creuser son sillon ici, rue des Fossés Saint Bernard… et nous montrer qu’il était peut être judicieux de s’installer en face de Jussieu !

Infos pratiques

28 Rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris (métro Cardinal Lemoine, ligne 10) / tél : 01 85 09 00 20
ouvert du lundi au vendredi de 16h à 20h.