C’est amusant de constater comme la mémoire sait conserver des choses bien inutiles, qui nous reviennent des années après. Je me souviens encore d’un jeu de mots basé sur le nom du fondateur de Microsoft, Bill Gates, et de son système d’exploitation, qui disait en Anglais dans le texte ‘in a world without fences, who needs windows and gates ?’. Oui, c’est une vraie blague de geek, mais j’assume complètement mon passé (et mes cheveux longs de l’époque). La phrase n’en est pas moins dénuée de sens, et traduit notre forte tendance à nous parer d’éléments inutiles qui finissent par nous séparer, plutôt que de chercher à créer du lien.

L’espace partagé de Contrebande, avec à droite les pains de Diego, à gauche son four, au fond les pâtisseries de Sébastien, les cafés de Maxime et en hauteur les céramiques de Lukas.

C’est précisément le cas en boulangerie, où nos artisans ont trop considéré que leur activité pouvait vivre seule, comme séparée du reste de l’environnement commercial. On les a sans doute bien aidés en les berçant de belles phrases telles que « la fermeture de la boulangerie signe la mort du village », parlant plus à l’égo qu’aidant à faire avancer la réflexion. Pour développer leurs affaires, ils ont alors commencé à multiplier les métiers, souvent avec une maitrise plus que discutable. Le boulanger-épicier-traiteur-pâtissier-… est ainsi né, et on peut dire avec le recul qu’il est bien mal né.

Plutôt que de vouloir multiplier les casquettes, on peut aussi chercher à créer des liens avec d’autres artisans. Il ne s’agit en réalité pas tout à fait de les construire, puisqu’ils existent déjà naturellement : la fermentation réunit un certain nombre de produits, à l’image du café, de la bière ou encore du chocolat. L’idée peut bien sûr s’appliquer à d’autres disciplines artisanales, qu’elles soient culinaires ou non, en définitive. Je pense en définitive que c’est une communauté de valeurs qui parvient à lier durablement les projets, que ce soit sur le plan humain, éthique ou de respect des ressources naturelles. On a déjà vu des artisans se lier pour des raisons uniquement commerciales et financières, et le résultat n’avait rien de bien concluant puisque cela ressemblait de près ou de loin à… un centre commercial.

A Bretteville-sur-Odon (14), en banlieue de Caen, rien de tout cela. Un panneau posé sur un entrepôt nous interpelle : « Contrebande – Café / Pain / Pâtisserie / Céramique ». Il faut répondre à l’appel de la curiosité et entrer dans ce lieu atypique pour mieux saisir les contours du projet. Bien loin des commerces aux vitrines léchées, on découvre ici une sorte d’atelier où évoluent quatre artisans : Maxime Dauré pour le café (Café Dauré Frères), Sébastien pour la pâtisserie (Une envie de saison), Lukas pour la céramique et Diego pour le pain, l’objet de ma visite. La génèse de l’ensemble se trouve dans la volonté développée par Maxime Dauré de proposer un espace où consommer différemment, avec une vision dépassant son métier de torréfacteur. Il propose ainsi une gamme de produits d’épicerie fine sourcés avec soin, en plus des créations proposées par les artisans l’ayant rejoint au fil du temps.

Le four à bois de Diego, une pièce massive et adaptée au volume de production souhaité.

Diego Laporal a trouvé dans cet écosystème un terreau fertile pour faire pousser son Pain Vivant, nom donné à son entreprise de boulangerie. Le parcours du jeune artisan s’est d’abord tracé en cuisine pendant plus de dix ans, avant un virage vers le pain au levain naturel. Cela a commencé pour servir les tables du restaurant étoilé dans lequel il travaillait, et s’est prolongé… dans son jardin, où il a monté par lui-même un four à bois. La démarche pourrait paraître anecdotique, mais elle traduit autant une ferme volonté de s’ancrer dans le métier autant que de réelles capacités manuelles… qui font de Diego un véritable artisan, dans tous les sens du terme.

Pour chauffer le four à bois, il faut… du bois.

Le néo-boulanger a ainsi vendu ses pains pendant quelques mois au sein de divers points de retraits caennais. Réalisés exclusivement à partir de levain naturel et de farines de blés paysans, ils ont rapidement séduit de nombreux adeptes. L’opportunité de rejoindre le local de Maxime Dauré à Bretteville-sur-Odon lui a permis de pérenniser son affaire, avec la construction (toujours aussi artisanale !) d’un nouveau four à bois et l’installation d’un laboratoire dédié, lui permettant de pétrir, façonner et laisser fermenter ses pâtes. C’est aussi une nouvelle clientèle qui a pu découvrir ses fameux pains vivants, à la fois attirés par le café et les autres activités du lieu. La complémentarité des activités se joue aussi en vente : le matin, Diego est en capacité de servir les clients en café, tandis que ce sera le torréfacteur qui prendra le relais l’après-midi en retour. Un marché de producteurs organisé le mercredi matin, avec notamment de la viande et des légumes, complète bien cet ensemble.

L’espace de vente dédié à Pain Vivant présente l’ensemble des pains et gourmandises réalisés par l’artisan. On y trouve notamment son pain « signature », le Contrebandier, réalisé à partir d’un assemblage de farines de blés de population locale et de Fleur de Berry, des brioches ou encore un pain au cacao.

Si Diego est parvenu à fidéliser sa clientèle, cela tient non seulement à la qualité de ses produits mais également à la cohérence et l’authenticité du projet. Ses pains en sont l’expression directe, avec de délicates notes acidulées relevant les saveurs des céréales, ainsi que des mies ouvertes, offrant ainsi beaucoup de plaisir à la dégustation. Malgré l’aspect rustique des produits -loin des standards très brillants et aguicheurs de la boulangerie « traditionnelle »- directement lié à la cuisson au four à bois, leur conservation achève de convaincre quant à leur intérêt. Une partie des farines sont acquises directement auprès d’un agriculteur local, avec la volonté de pérenniser ainsi la culture de variétés de blé dites paysannes. D’autres références viennent de plus loin à l’image de la Fleur de Berry, qui n’en demeure pas moins tout aussi artisanale.

Derrière cette porte se situe le laboratoire de Diego, où il pétrit et façonne ses pains. Un pétrin à axe oblique a été acquis récemment, l’artisan ayant fait le choix d’abandonner le pétrissage manuel du fait de l’augmentation des quantités de production. Cela lui permet de se décharger physiquement et d’assurer une meilleure régularité des produits.

L’artisan ne manque pas de dynamisme et de projets. Malgré re-confinement fraichement débuté, une boutique en association avec le brasseur local La Mouette, située au centre de Caen (plus précisément au 60 rue de Bayeux), devrait ouvrir ses portes dans le courant de la semaine prochaine. Cela contribuera à donner plus de visibilité aux produits de chacun des deux associés.
Je parlais de terreau fertile en évoquant le projet Contrebande : l’expression ne saurait être mieux trouvée, car l’espace disponible permet à Diego d’envisager à terme l’acquisition d’un moulin, ce qui participerait à accroître les qualités gustatives et nutritionnelles de ses pains… et d’une certaine façon leur caractère vivant.

Une focaccia faisant la part belle aux produits locaux ou encore des buns complètent la gamme pour les plus gourmands.

Grâce à cette belle association d’artisans, Contrebande est une adresse qui ne mérite pas d’être passée sous le manteau, mais au contraire d’être partagée largement. Le Pain Vivant qu’on y trouve nourrit bien le quotidien et accompagne tous les repas, ce qui parvient à bien le replacer au centre du village.

Infos pratiques

1 Avenue de la Voie au Coq, 14760 Bretteville-sur-Odon / Facebook : https://www.facebook.com/pain.vivant.37 – Instagram : https://www.instagram.com/pain_vivant

  • Derrière cette porte se situe le laboratoire de Diego, où il pétrit et façonne ses pains. Un pétrin à axe oblique a été acquis récemment, l’artisan ayant fait le choix d’abandonner le pétrissage manuel du fait de l’augmentation des quantités de production. Cela lui permet de se décharger physiquement et d’assurer une meilleure régularité des produits.

Une réflexion au sujet de « Pain Vivant, Bretteville-sur-Odon (14), du pain au centre du village artisanal »

  1. Bonjour,
    Merci pour votre article sur cette « association » d’artisans atypiques qui donne vraiment envie d’aller y faire un tour.
    Voici une très bonne idée, pleine de sens et de partage.
    Vive l’artisan , L’artisan Vivant !
    F.Delporte

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