On ne mesure sans doute pas assez combien le temps est devenu un luxe, qui ne s’acquiert que bien difficilement, souvent au prix d’efforts importants. Nous devons tout faire au plus vite sans bien en avoir le choix, au risque de mal agir : comment être tout à fait libre de ses mouvements quand on a un pied sur l’accélérateur, l’autre sur une planche de surf pour suivre les vagues, et les deux mains partagées entre le volant et la ferme intention d’attraper tout ce qui passe ? Je suis persuadé que nous finirons tous, un jour ou l’autre, par décrocher. Cela a été le cas pour moi il y a déjà quelques années, mais ce que certains décrivent dans des théories de l' »effondrement » engendrera sans doute autant de douleur que de bouleversements profonds. Saurons-nous ralentir avant de finir dans le mur ? Rien n’est moins sûr.

La devanture d’Archibald. A l’étage, on réalise les cuissons et on stocke les pâtes au froid.

Les reconversions, toujours plus nombreuses, devraient nous interpeler sur les dysfonctionnements profonds de notre monde du travail. Certains les utilisent de façon assez cynique pour entretenir leurs affaires. Même si je ne suis pas toujours très enthousiaste face à leurs projets, c’est toujours avec curiosité et bienveillance que j’essaie de les accueillir.
Parmi eux, la boulangerie Archibald, portée par les entrepreneurs Matthias Velter et Fabrice Petit, compte sans doute parmi les bonnes surprises de ces derniers mois. Il faut dire que les artisans, passés par l’EIDB de Thomas Teffri-Chambelland, ont pris le temps pour faire bien les choses… même si des éléments extérieurs -un raccordement électrique tardif, notamment- les ont contraint à la patience pour plusieurs mois, avant de pouvoir finalement ouvrir début avril 2018.

Les farines sont présentées à l’entrée de la boutique, qui fait également point de retrait pour des paniers de fruits et légumes. Les Moulins Bourgeois et le Moulin Pichard livrent chacun une partie des moutures utilisées au fournil : cela correspond autant à une volonté de travailler avec un partenaire local que d’utiliser des références correspondant au goût de l’artisan, comme pour le Petit Epeautre de Haute-Provence.

Ce luxe dont je parlais en introduction n’est pas du hasard, mais à une véritable réussite entrepreneuriale bâtie sur une profonde amitié (entretenue depuis l’enfance) et en famille : les deux compères, accompagnés par Maud Velter, à la fois femme de Matthias et soeur de Fabrice, ont fait de leur société Lodgis un des acteurs majeurs de la location meublée à Paris. L’aventure, débutée dès 1999, aligne des chiffres qui donnent le tournis : 50 collaborateurs, 6000 appartements, 5000 propriétaires, 700 contrats signés chaque mois…
On peut atteindre les sommets et avoir envie de redescendre, d’embrasser des projets plus terre à terre. C’est précisément le cas ici : après avoir essayé plusieurs domaines comme la production de miel, la boulangerie finit par l’emporter. Il faut dire qu’un de leurs collaborateurs avait ouvert la voie : après avoir oeuvré plusieurs années chez Lodgis puis parcouru plusieurs dizaines de milliers de kilomètres à vélo, François, co-fondateur du Fournil Ephémère à Montreuil (93), montrait un bel exemple… autant que de beaux produits.

L’espace de vente-atelier, où les pétrins sont bien visibles. L’éclairage soigné créé une ambiance chaleureuse dans la boutique et met bien en valeur les produits. On appréciera le clin d’oeil très parisien : les carreaux qui couvrent une partie des murs sont des répliques conformes de ceux utilisés dans le métro. Une petite offre d’épicerie fine en rapport avec le pain a été développée : miels d’Ile-de-France et confitures Re-Belle se tartinent avec plaisir au petit-déjeuner !

Une fois la formation achevée, il fallait un lieu pour faire germer l’idée, et pas question de le faire ailleurs qu’en plein coeur de Paris. La boulangerie se nommera ainsi Archibald et se situera dans le 5è arrondissement, face à la faculté de Jussieu. Audacieux jusqu’au bout (Archibald est un prénom masculin d’origine germanique qui signifie naturel (« ercan ») et audacieux (« bald »), les associés transforment un ancien restaurant en fournil dédié au pain Biologique sur base de levain naturel.
Le résultat est bien loin des standards de la boulangerie parisienne : les clients sont accueillis dans un écrin épuré (signé Pep’s Création), hybride entre atelier et boutique. Si le four est à l’étage, les pétrins et sacs de farine côtoient les vitrines et la caisse, lesquelles sont disposées sur roulettes pour faciliter le changement d’usage du lieu… ce qui n’est pas sans rappeler l’aménagement de la Fabrique à Pain aixoise, où de nombreux élèves de l’EIDB continuent de s’inspirer.

La gamme de pains. On appréciera la volonté de proposer des basiques accessibles, à l’image du pain de Campagne vendu 7,30€/kg. Tous les pains sont vendus au poids ou à la tranche.

La philosophie de panification est, elle aussi, proche des standards prônés dans l’institut : la plupart des produits sont travaillés en « direct », sans passage au froid, exception faite du Campagne qui fermente en chambre d’un jour à l’autre. La levure ne rentre dans la composition que des brioches et de l’Archi-Gourmand. La gamme est à la fois courte et aboutie : les clients peuvent déguster des propositions aussi douces et accessibles que le Parisien (farine T65 Bio sur levain de petit épeautre) puis se tourner vers des pains de caractère comme le méteil (mi-seigle, mi-froment sur levain de seigle), le pain Allemand ou l’Intégral. Ce dernier est d’ailleurs particulièrement réussi, ce qui est assez rare pour le signaler : le levain de petit épeautre lui apporte beaucoup de douceur, et sa texture se révèle très agréable à la dégustation.
Difficile de passer à côté des propositions les plus gourmandes, à l’image de la brioche provençale ou de l’Archi-Gourmand, un produit très abouti où les raisins rencontrent une mie à la texture moelleuse et fondante (grâce à un apport de beurre et de levure en fin de pétrissage)… même si le Petit Epeautre de Haute-Provence est tout aussi attrayant, avec ses vives saveurs de miel et d’épices. De belles mies ouvertes, des pâtes bien hydratées et des saveurs riches portées par des levains maîtrisés… on aurait beaucoup de peine à mettre en défaut ces produits.

Les brioches provençales à l’huile d’olive, déclinées nature ou aux pépites de chocolat.

Le caractère audacieux du projet est amplifié par cet emplacement difficile -le quartier n’est qu’assez peu résidentiel et le passage demeure limité, mis à part les étudiants- et les horaires d’ouverture restreints : en ouvrant du lundi au vendredi de 16h à 20h, Matthias et son équipe restreignent d’autant leur potentiel de clientèle mais disposent également d’un certain confort de vie et de travail, un fait non négligeable dans ce métier. Une des pistes de développement se trouve dans la livraison de magasins et épiceries Biologiques, ce qui a déjà été entamé au travers d’un partenariat tissé avec la Biocoop le Retour à la Terre Rive Gauche et le « Bio Shop » tout proche. Il faudra sans doute amplifier les efforts de communication pour donner à la boulangerie la visibilité qu’elle mérite.

Deux références de pains à la farine de riz, réalisés à partir du mélange fourni par le Moulin Chambelland, sont proposées.

On peut bien sûr se poser la question de la viabilité d’un tel pari en zone urbaine dense comme Paris, d’autant plus avec l’importance des investissements réalisés. Je suis persuadé que cela répond à une attente des consommateurs, qui s’exprime partout : nos boulangers doivent être transparents et développer des identités aussi lisibles que cohérentes. Archibald réunit l’ensemble de ces principes, avec des éléments suffisamment différenciants pour créer une relation nouvelle entre l’artisan et ses clients. Casser les codes tout en respectant le produit et le métier comme on le fait ici, est-ce vraiment si audacieux en définitive ? Laissons le bon pain creuser son sillon ici, rue des Fossés Saint Bernard… et nous montrer qu’il était peut être judicieux de s’installer en face de Jussieu !

Infos pratiques

28 Rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris (métro Cardinal Lemoine, ligne 10) / tél : 01 85 09 00 20
ouvert du lundi au vendredi de 16h à 20h.

7 réflexions au sujet de « Archibald, Paris 5è, naturellement audacieux »

  1. La boulangerie Archibald n’a pas le succès quelle mérite (peut-être à cause de ses horaires d’ouverture réduits).
    La gamme est complète, du plus simple au plus « spécial ».
    Le Parisien (T65) le Campagne (froment-seigle) et le pain aux graines (dont courges) sont les plus classiques et abordables.
    Le méteil est plus typé seigle donc plus dense.
    L’intégral moulé, à la croute fine est un régal pour les sandwichs.
    J’adhère moins au pain allemand (trop chargé en graines pour moi et moins « toutes utilisations »).
    Le petit épeautre a également une crôute fine et une mie bien hydratée mais son prix est pour moi excessif (15€ le kg).
    En fin d’année, un pain moulé froment-figues avait été proposé : un régal !
    La brioche à l’huile d’olive et aux pépites de chocolat est délicieuse mais semble plus grasse qu’une brioche classique au beurre. Sa forme plate fait qu’elle sèche très vite. Un format moulé serait peut-être plus adaptée pour la conservation.
    Et toujours pour les gourmands, le vendredi, sont proposés de gros cookies très copieux (mais trop chers).

    Pour conclure, n’hésitez pas à franchir la porte de cette boulangerie. La qualité des pains est très bonne et stable (j’y passe au moins une fois par semaine) et l’accueil charmant et compétent. J’espère qu’elle va perdurer pour devenir une référence à Paris pour les pains Bio au levain.

    • La farine de Petit Epeautre coûte cher, donc son prix se justifie en partie par ce fait…
      Une brioche à l’huile d’olive semblera toujours plus grasse qu’au beurre du fait du point de fusion plus bas de l’huile : à température ambiante, elle se répand plus que du beurre qui reste solide. Pour la conservation, peu importe le format, une brioche sèchera toujours beaucoup plus vite que du pain…
      Bref.

  2. Je salue la philosophie « proposer du très bon » cependant les horaires d’ouverture et leur offre sont inadaptées (quid du pain frais pour le petit déjeuner, au moins le we ? 10h c’est trop tard avec des enfants ! Et quel dommage de ne pas pouvoir jouir de viennoiseries « normales » ? Car non 2 brioches à plus de 8€ce n’est pas normale, c’est juste inacceptable…

  3. Ping : La brioche d’Archibald, ou la Provence à Paris – Le sentier gourmand

  4. Boulangerie de qualité . Ma question : pas de farine de lin ni de sarrazin : pourquoi ?
    Le lin a besoin d’un sol profond, d’humidité et d’un temps uniforme ! Trop compliqué et moins d’ha de culture que le blé .
    Le sarrazin : peut(être moins prisé sauf dans les crêperies !
    Dommage car un pain à la farine lin : c’et très bon . La Vie Claire en vend mais le pain est composé d’à peine 10% de farine de lin.
    Dommage tout ça mais ça n’enlève rien à la qualité de vos pains – sauf peut-être le Balthazar : acidité trop prononcée –

  5. Pourquoi ne pas proposer plus de produits vegan (origine farine à confirmer) et communiquer dessus pour attirer les jeunes de l’université d’en face à fond dans cette tendance

    bon courage!

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