Les grosses machines ont un côté attirant. Elles sont capables de produire le pire comme le meilleur, selon les hommes et les moyens que l’on place derrière. Il faut savoir les nourrir, leur apporter tout le soin nécessaire pour qu’elles continuent à fonctionner… ce qui est parfois usant, à long terme. Néanmoins, l’expérience demeure toujours très enrichissante, car cela permet d’acquérir des compétences pointues, que ce soit en terme de relations humaines ou sur le métier en lui-même. Au delà de ce mot de « machine », on devrait sans doute s’intéresser aux personnes qui sont derrière, à toutes ces petites mains habiles qui oeuvrent à actionner les manettes et ficelles, en coulisse.
Chez Joséphine Bakery, on ne partage pas qu’une tranche de pain… mais une tranche de vie !
La boutique a peu changé depuis sa reprise, ce qui rend le changement difficilement identifiable pour certains passants. Ainsi, l’ouverture du samedi n’est pas encore bien rentrée dans les habitudes.
Le fait est que cela manque de fantaisie, et que Benoît Castel sait bien en mettre dans ses créations, où il continue à s' »amuser »… c’est d’autant mieux que ce sont nos papilles qui sont, par la même occasion, amusées. Le chef pâtissier, que l’on a connu pendant 8 ans aux commandes du laboratoire sucré de La Grande Epicerie, a pris son envol à la fin de l’été dernier. Il a choisi de quitter cette grande maison pour atterrir… quelques centaines de mètres plus loin, au 42 rue Jacob, passant ainsi du 7è au 6è arrondissement.
On pourrait dire que Benoît Castel a un petit vélo dans la tête… mais en réalité, il est devant la boutique. Le triporteur est un outil idéal pour les livraisons à proximité, avec un caractère écologique bien dans l’air du temps.
Pour en arriver à la tête de ce vaisseau, ce breton d’origine a naturellement commencé son apprentissage à Rennes, avant de céder rapidement aux sirènes de la capitale. C’est dans ses hauteurs, et plus précisément à la Pâtisserie de l’Eglise, qu’il recevra des bases solides pour la suite de sa carrière. Tourage à la boulangerie attenante – le fameux 140, pâtisseries de boutique, … Jean-Claude Vergne et Pierre Demoncy ont tout particulièrement marqué Benoît Castel, en lui apportant plus que des connaissances techniques mais aussi une véritable vision humaine et juste du métier. Un univers bien différent de celui développé par Hélène Darroze, où il officiera pendant 4 ans, après avoir participé à l’ouverture du salon de Thé « Le Valentin », toujours présent dans les dédales du passage Jouffroy. Un passage par le service militaire et une saison en restauration le conforteront dans son idée de persister sur cette voie.
Benoît Castel, toujours le sourire aux lèvres, dans sa boutique du 42 rue Jacob.
A chaque fois, ce travailleur acharné prend des virages importants, qui lui permettent d’élargir sa vision du métier. Cela continue avec sa prise de responsabilité au sein de la centrale de production du groupe Costes, où il est sensibilisé au respect du produit par Jean-Louis Costes. Puis 8 ans de Grande Epicerie, de nombreuses créations emblématiques et un style affirmé qui continue encore à marquer les vitrines de l’institution parisienne.
La boutique est remplie de détails qui nous renvoient à un univers doucement désuet et charmant. Ici, une boite de confiseries en fer, décorée avec soin.
« Revenir aux fondamentaux du métier »
Juillet 2012, l’opportunité de reprendre cette petite affaire proche de Saint-Germain-des-Prés, le rapprochement avec son ami de longue date Jean-François Celbert (originaire de la même ville bretonne), la remise en question de l’année de la quarantaine… Autant d’éléments réunis qui ont amené Benoît Castel à revenir aux fondamentaux de son métier, à se tourner vers une clientèle de quartier, bien loin des desserts à l’assiette qu’il avait pu réaliser en restauration.
Ici, on ne trouve que des baguettes de Tradition. Ces dernières ont leur petit caractère, avec une note de levain, sans tomber dans l’acidité. Les cuissons sont parfois un peu courtes, mais on trouve toujours de quoi satisfaire l’ensemble des goûts.
Ici, le parti-pris de l’artisan a été imposé immédiatement : des produits simples, honnêtes, réalisés avec des matières premières de haute qualité. Farines des Moulins Bourgeois, charcuteries Bellota, beurre Lescure, légumes frais et aussi locaux que possible… Des choix qui ont eu pour effet direct de perdre une partie de la clientèle, du fait du positionnement prix logiquement plus élevé, tout en attirant des amateurs du goût et de l’authentique.
Les sablés représentent une véritable « signature » chez Joséphine Bakery. Nature, au chocolat, garnis de confiture d’abricot ou de framboise, au gingembre… Ils s’invitent même en fond de tarte ! Les madeleines et financiers ne sont pas en reste, et offrent un moelleux remarquable.
Parmi les « gestes forts », on pourra aussi noter l’abandon pur et simple de la baguette de pain courant. Le ticket d’entrée est donc placé à 1,30€ les 275g avec la baguette de Tradition. L’idée était de simplifier l’organisation au sein du fournil, tout en développant une gamme de pains plus « pointue » et mieux maîtrisée.
La gamme de viennoiserie s’est resserrée au fil des mois. On y retrouve des classiques, très étudiés et travaillés. Chausson à la compote de pomme maison, croissants, pains au chocolat… Leur caractéristique ? Un goût de beurre bien présent : 1/3 de leur pâte en est constitué. Un parti-pris de l’artisan, qui exprime bien ses origines bretonnes. On appréciera également le travail sur la base du même levain naturel que pour le pain, avec un temps de fermentation de 3 jours… pour un résultat savoureux et croustillant !
« Créer un pain comme une recette de pâtisserie »
Le pain est un nouveau terrain de jeu pour notre artisan, reconnu pour ses talents de pâtissier. Même si la viennoiserie était loin de lui être étrangère, il lui fallait donc faire ses preuves dans un milieu différent. Dès le début, le travail du levain l’a particulièrement intéressé, et la plupart des pains développés par Joséphine Bakery en incorporent. C’est le cas pour la baguette de Tradition, qui conserve malgré tout une belle douceur sans acidité, avec un fond plus « tonique ».
Le fameux Pain du Coin, façonné en grosses pièces vendues à la coupe. Notez la cuisson toujours très aboutie, qui permet d’obtenir une croûte épaisse et caramélisée. Difficile de passer à côté des parfums dégagés par ce produit de caractère : le sel fumé de Salish fait merveille, tout comme la note de miel incorporée à la pâte.
Le secret ? Un levain naturel cultivé sur une base de coing, ce qui permet de ne pas tomber dans un caractère acétique trop marqué. L’autre secret, même s’il n’en est pas un, c’est la présence dans le fournil d’un boulanger expérimenté et passionné.
Au sous-sol, Didier Marchand confectionne avec beaucoup de soin les petits pains gourmands, garnis de leurs mélanges de légumes et fromages.
Dès les premières heures de la journée, Didier Marchand veille sur la fabrication du pain avec beaucoup d’attention. Ayant intégré l’équipe pour un dépannage, il l’a finalement rejointe de façon durable depuis près de 8 mois. Au cours de cette période, un dialogue permanent avec Benoît Castel s’est mis en route, pour aboutir à la gamme proposée aujourd’hui en boutique.
Une étape essentielle avant l’enfournement des baguettes : le lamage. Une opération que Didier Marchand réalise près de 600 fois dans une journée, puisque c’est le volume de baguettes produit ici, sandwiches y compris.
S’il y a bien une signature au 42 rue Jacob, c’est le Pain du Coin. D’un produit à la farine de Meule, poussé avec peu de levure et du levain, nous sommes aujourd’hui arrivés à un vrai pain de caractère. Pour cela, une démarche singulière s’est mise en place pendant 6 mois : l’idée était de créer sa recette comme celle d’une pâtisserie. Le résultat ne manque pas de panache : 10kg de farine par pièce, une hydratation proche des 70%, une fermentation pouvant aller jusqu’à 72h… puis une cuisson très marquée, pour une croûte épaisse et remplissant parfaitement son rôle de concentration des arômes. La mie, dense mais souple, surprend par ses notes de miel, mais aussi de fumé. Ce n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt d’une rencontre.
Les croûtons incorporés aux salades font l’objet d’autant d’attention que le reste : des tranches de Pain du Coin ou de fougasse frottés à l’ail puis grillées… Le tour est joué !
En découvrant le sel de Salish, Benoît Castel a été immédiatement séduit par son parfum particulier et a souhaité l’intégrer à son pain. L’artisan « rencontre » des matières premières et fait évoluer son produit…
Comme un clin d’oeil à l’attachement de Benoît Castel aux matières premières, on trouve en boutique des tubes présentant des grains de blés… essentiels pour une farine de qualité !
« Les rencontres font évoluer notre façon de concevoir et de faire notre métier »
Puisque nous parlons de rencontres, ces dernières sont essentielles pour l’artisan, d’autant plus dans un métier où l’humain demeure un facteur clé. Notre pâtissier demeure encore marqué par sa collaboration avec les chefs de la Pâtisserie de l’Eglise, et essaie d’avoir le même rôle à son tour auprès de l’équipe de 9 personnes qui compose aujourd’hui Joséphine Bakery. Il ne s’agit donc pas d’être chef d’entreprise, de superviser les opérations ou de participer à la production quotidienne. Non, c’est une vision et une patte qui doivent être imprimés sur l’entreprise.
Non, Benoît Castel et Marie n’admirent pas une oeuvre d’art mais s’assurent de la pertinence de l’assemblage d’une salade. Au quotidien, les recettes sont remises en question pour tenter de faire toujours plus savoureux.
Dans le laboratoire, les idées se rencontrent et se confrontent au quotidien : questions de goût, de tours de main, d’objectif… la remise en question est permanente et permet de consolider l’acquis mis en place depuis la reprise des lieux. En parallèle, des chantiers de plus longue haleine sont menés : 3 mois ont été ainsi dédiés à la mise au point d’une gamme de viennoiseries affinée, une ligne de tartes est en réflexion pour la rentrée, … Pour chacune de ces évolutions, c’est l’ensemble de l’équipe qui goûte et donne son avis. Vente ou production, Benoît Castel met un point d’honneur à impliquer chaque personne dans le processus.
Arnaud est un collaborateur de longue date de Benoît Castel : il ont en effet travaillé ensemble pendant 4 ans au sein des laboratoires de la Grande Epicerie. Une relation de confiance et de respect.
« Faire rêver les jeunes et les salariés »
Que ce soit en boutique ou au laboratoire, le personnel a d’ailleurs très peu « tourné » depuis l’installation de Joséphine Bakery. Que ce soit Clémentine, responsable des ventes, ou Arnaud, responsable de la production, et les petites mains agiles qui créent ou vendent ces douceurs jour après jour (Marie, Sarah, Didier, …), chacun participe à l’aventure… et cela n’est sans doute pas étranger à l’état d’esprit bien particulier développé ici : même si l’exigence est de mise, il faut aussi savoir rêver et faire rêver, accorder de la confiance. Se détacher un peu des préoccupations quotidiennes, prendre de la distance pour voir plus loin, pour apprécier le goût des choses et de ce que l’on fait… Un programme que bien d’autres devraient intégrer à leurs préoccupations. C’est sans doute de cette façon que l’on parviendra à faire accepter ce métier à plus de jeunes, malgré son caractère assez « marginal » – lié aux horaires et aux difficultés physiques de ce dernier.
La fin d’année scolaire est une période propice aux stages. Ici, Arnaud, le responsable de production, explique à un jeune comment gratter efficacement une gousse de Vanille. Une tâche anodine, mais faisant partie du quotidien d’un pâtissier.
« Pour perdurer, les artisans devront être pointus et créatifs »
Puisqu’il est question d’apprentis, parlons un peu d’avenir. Benoît Castel est sensible à l’environnement concurrentiel dans lequel il évolue, avec notamment des offensives de la moyenne et grande distribution (installation de points chauds dans les supérettes Dia, …). Malgré la tentation des produits industriels, sa position est de chercher à se différencier par le goût et la qualité. Le savoir-faire des artisans demeure un élément essentiel et il doit être utilisé pour développer des produits « pointus », intégrant une large part de technique et de tours de main. Inutile de se disperser dans une gamme trop étendue et mal maîtrisée : à l’image de ce qui est pratiqué chez Joséphine Bakery, on peut très bien se concentrer sur quelques références très qualitatives…
L’essentiel de la gamme de pains est regroupé ici. Réalisés à partir des farines des Moulins Bourgeois, ils présentent chacun leur spécificité : le pain de mie, très moelleux, se rapproche de la brioche, tandis que la fougasse olive-cumin séduit par la saveur subtile des Taggiasche associée à la vivacité du cumin… Viennoises et pain cacao complètent la gamme.
Ces démonstrations de compétence ne doivent cependant pas rester invisibles, et la communication fait partie des axes à développer pour exister sur la « scène médiatique ». Le 42 rue Jacob n’a pas encore fait beaucoup parler de lui, mis à part pour des événements ponctuels comme les bûches de Noël ou le récent Bar à Tartines éphémère de la marque Philadelphia. A cela plusieurs raisons : l’entreprise est encore jeune, et il faut lui laisser le temps de se mettre en place sereinement. De plus, cela nécessite un budget conséquent.
Au premier plan, les meringues en forme de cupcakes attirent l’oeil. Ce qui devait être un simple produit de décoration est rapidement devenu un best-seller. C’est d’autant plus amusant que Benoît Castel avait mis au point cette idée pour faire un pied de nez aux cupcakes, meringues et macarons qu’il ne souhaitait pas proposer chez Joséphine Bakery.
Au déjeuner, quiches, pizzas et autres burgers rencontrent un certain succès… tout comme les pâtisseries, le coeur de métier de notre artisan. Cheesecake et sa pipette de coulis de fruit, tartes variées (au citron frais, aux fruits de saison…), Petit Pralin, clafoutis et autres flans ou fars bretons… De la simplicité mais beaucoup de goût, à des tarifs raisonnables compte tenu de la qualité.
Pour autant, je suis persuadé que l’on ne finira pas d’entendre parler de Benoît Castel et de Joséphine Bakery, tant les projets et envies sont nombreux… avec toujours beaucoup de fantaisie et de fraicheur.
-
-
Ici, les viennoiseries sont très pâtissières, avec une cuisson dans un four à chaleur ventilée.
-
-
Une fougasse Olive-Cumin avant cuisson. Cette grande plaque sera divisée puis vendue juste au dessus, en boutique.
-
-
Chaque détail compte : quelques miettes de crumble au chocolat pour décorer les Takelage Chocolat Liégeois… une note de croquant sur un ensemble onctueux.
-
-
De la fantaisie oui, mais aussi beaucoup de rigueur : les financiers sont pesés un à un au cours de leur préparation, afin d’obtenir un résultat régulier.
-
-
Nous ne sommes pas dans le pétrin… mais la pâte si !
-
-
Chez Joséphine Bakery, on accorde de l’importance aux formes : ainsi, les quiches se déroulent en longueur !
-
-
Amusant de trouver des verres Duralex dans un laboratoire de pâtisserie. Benoît Castel s’en est emparé afin de réaliser des verrines régressives, nommées Takelage, en référence au fameux jeu de cantine, où ces verres ont bercé l’enfance de nombreux clients.
-
-
Les sandwiches sont préparés avec des produits de qualité : salade et légumes frais, charcuterie tranchée au dernier moment, …
-
-
Difficile de résister à ces charmantes chouquettes, moelleuses et saupoudrées de grains de sucre bien croquants.
-
-
Au sein du laboratoire, les échelles regorgent de gourmandises finies ou en devenir…
-
-
Farine de Tradition des Moulins Bourgeois, Verdelot (77)
-
-
A côté de l’entrée, un choix de salades et sandwiches frais nous accueillent. Diversité et créativité sont au programme.
-
-
Des croissants « maison » bien dorés et croustillants !
-
-
Les pains burger, initialement vendus garnis, sont depuis peu proposés nature. Denses et fermes mais moelleux, ils constituent une base idéale pour un repas simple et rapide.