Une fois n’est pas coutume, j’écris ici un billet un peu plus personnel, puisqu’il s’agit de mon activité professionnelle … Ou plutôt de son absence.
En effet, depuis plus d’un an que j’écris ici quotidiennement, je n’ai pas exercé d’autre activité et je ne vous cache pas qu’à force, l’ennui finit par me guetter. Non pas qu’être painrisien soit ininterressant, bien au contraire : c’est une fabuleuse source d’échanges et de rencontres. Au fil des mois, j’ai découvert des hommes et des femmes passionnants, ainsi qu’un univers particulièrement riche. Pas toujours facile, parfois assez exigeant, mais rempli d’opportunités d’apprentissage et d’évolution personnelle. J’étais loin de l’imaginer quand j’ai commencé, et même si j’ai pu faire des erreurs, je ne regrette vraiment pas le chemin parcouru. Il est de taille, d’ailleurs ! Plus de 400 billets, autant dire une quantité de texte impressionnante, qui me surprend moi même.

Malgré tout, le temps passe, et il faut que je pense à faire quelque chose de ma vie… C’est dans l’ordre des choses, je suppose. Ainsi, j’écris ce billet pour annoncer que je suis à la recherche d’un emploi. Toute la question réside sur ce que je pourrais faire. Avant de courir le pain dans les rues de Paris, j’ai été successivement hébergeur de sites internet, développeur web, puis gros changement, puisque je suis passé dans le secteur de la gastronomie en rejoignant les équipes de ‘maisons prestigieuses’ parisiennes… Après un court détour du côté du divertissement chez Disneyland Paris. Tout cela pour vous donner une idée de ma polyvalence et du fait que je ne suis pas uniquement centré sur le pain.

Dynamique, créatif et impliqué, j’essaie toujours d’apporter une touche sensible et différente dans mes actions. Je pense par ailleurs être parvenu à le prouver ici…

Ainsi, si vous avez des idées ou des opportunités à me proposer, je suis preneur. Sachez simplement que je ne cherche rien de particulier, je n’ai pas de haute idée de moi même, et un métier d’accueil ou de vente me conviendrait très bien en définitive : rien de plus agréable pour moi que de me dire que par un sourire, un produit de qualité, j’apporte un peu de plaisir aux gens. C’est ce que je tente de faire ici, et je crois que c’est un peu ce qui me fait marcher dans la vie.

Je vous remercie par avance !

Nous ne sommes jamais conscients de notre chance, du moins, nous ne parvenons jamais à en saisir l’acuité. Certainement car les éléments qui font que nous devrions nous estimer heureux de ce que nous avons se fondent dans le quotidien, se perdent dans le bruit du monde. Cela ne manque pas d’avoir tout une somme de conséquences plus ou moins désagréables : on a plutôt tendance à se plaindre plutôt qu’à regarder le positif, et au final, on prend le risque de mettre en péril ce qui constitue nos forces et nos atouts.

Parmi ces choses que l’on a trop tendance à négliger, voire à malmener, il y a notre patrimoine culinaire et la façon dont les « institutions » qui doivent le partager le font au quotidien. Malheureusement, à Paris, il y a beaucoup à dire en la matière. Les grandes maisons ne manquent pas, je n’ai pas besoin de citer de noms, ils viennent naturellement à l’esprit.
Ce qui est assez regrettable, c’est que sous la dorure se cache un quotidien souvent peu enviable : créations sans intérêt, produits de qualité médiocre, à la fraicheur et à l’aspect parfois… discutables. Je me faisais la réflexion en passant chez Ladurée cette semaine, où les pâtisseries sont souvent malmenées malgré leurs prix particulièrement élevés. D’autres maisons se sont enfermées dans un classicisme presque forcené, avec un renouvellement très faible des créations. Pourtant, il faudrait savoir vivre avec son époque, savoir mettre de la fraicheur dans notre « capital » pour le renouveler.

Au final, en observant tout cela, il me vient à l’esprit l’image d’une pente douce, sur laquelle nous serions en train de glisser lentement. Certes, le chemin pris par des entreprises sur le déclin jusqu’alors pourrait nous inviter à espérer, à l’image de Fauchon, qui met en oeuvre une vraie politique de « retour » à la qualité ces derniers mois. Seulement, on ignore encore trop la vraie responsabilité que l’on peut détenir. En effet, il n’y a pas qu’une question de qualité pour nous, français, mais bien de l’image que l’on renvoie auprès des étrangers et des touristes qui viennent visiter notre capitale… et participent au fonctionnement de notre économie. Ils arrivent les yeux pleins d’étoiles, en suivant leurs guides, sans avoir de réelle culture de ce qui est bien et moins bien. Les chemins sont tout tracés, et assurent le fonctionnement de quelques marques mises en avant grâce à leur capacité à communiquer. Seulement, cela ne fait pas tout.

A titre personnel, je suis assez écoeuré par ce « rêve mensonger » que l’on cultiverait presque en France. Mensonger, il l’est sur tous les plans, à tous les niveaux : qualité, prix mais aussi humain. Dans quelles conditions travaillent les salariés au service de ces « grandes » entreprises ? Bien souvent, elles sont difficiles, voire écrasantes, que ce soit en production ou en boutique, à l’accueil. Ainsi on vend du rêve et du plaisir en créant des situations plutôt désagréables, voire… du malheur. Vous voyez, tout est une question de responsabilité, en l’occurrence elle est sociale. Ces institutions doivent prendre conscience du fait qu’elles vivent dans une communauté, et que dès lors il faut assumer le rôle que cela implique.

Malheureusement, on ne peut pas dire que Paris prenne vraiment ce chemin là. Au contraire. Avec le temps, je vois les prix augmenter, rarement la qualité et le plaisir dans les yeux des gens derrière le comptoir. La meilleure façon de parvenir à recréer un certain équilibre serait certainement de se détourner de ces « chemins », d’aller à la rencontre de vrais artisans authentiques, parfois un peu cachés, noyés dans la masse. C’est là toute la beauté de cette ville : elle nous offre de grandes possibilités, et il faut savoir les saisir. Mon rêve ? Donner la capacité à chacun de pouvoir le faire, locaux comme touristes. Il y a du travail… mais soyons un peu iconoclastes et pleins d’espoir. Responsables, tout simplement.

Certains comportements m’étonneront toujours. Parmi eux, la capacité que peuvent avoir les gens à effectuer – de façon répétée – la même tâche au même moment, ce qui a pour effet de créer des phénomènes d’engorgement dès lors qu’il s’agit de lieux publics ou de boutiques. Le pire dans tout cela, c’est que malgré l’expérience (forcément peu agréable) que chacun peut en retirer, chacun réitère la chose avec la même façon de faire, sans se dire qu’il pourrait être intelligent d’agir différemment ou à un autre moment.

Parmi ces sources d’étonnement, ma préférée reste sans doute celle qui m’est donné d’observer tous les dimanches, quand les parisiens sortent de leur torpeur matinale… C’est tout un spectacle. La capitale, qui était alors complètement endormie, et ce jusqu’à près 10h, s’éveille brusquement dans les quartiers les plus commerçants. Un peu comme s’ils avaient complètement oublié de faire leurs courses le reste de la semaine, comme s’ils leurs placards, réfrigérateurs et… huches à pain étaient complètement vides, les habitants de cette fameuse ville lumière se précipitent dans les boutiques ouvertes le dimanche pour y remplir leurs sacs. S’en suivent de nombreuses minutes d’attente, des vendeurs exaspérés, et dans le cas des boulangeries ou pâtisseries… des présentoirs parfois bien vides. Difficile en effet de répondre à une telle demande en aussi peu de temps : façonner des baguettes, des pains, cela prend forcément du temps et même si nos amis artisans ont une certaine expérience de ces « flux » hebdomadaires, il demeure difficile de les prévoir précisément. Trop produire présente toujours le risque de perdre ou de proposer des produits à la fraicheur discutable… et quand on connaît la durée de vie d’une baguette, cela va vite.

En réalité, je regarde tout cela d’un air amusé autant qu’agacé. J’ai du mal à comprendre un tel empressement, car on ressent dans les files d’attente une certaine tension, mal dissimulée sous l’air faussement détendu que l’on aime prendre le dimanche. Ce jour devrait être dédié au repos, à l’apaisement, mais on ressent tout de même le besoin de continuer dans ce rythme effréné qui nous poursuit déjà le reste de la semaine… Alors qu’il serait tellement plus simple de profiter de moments de plaisir en famille, d’une matinée calme, en faisant ses achats un peu plus tôt dans la semaine. Quant au pain ? Même chose. C’est justement une très belle occasion de découvrir les qualités que peut avoir un pain dès lors qu’il a vieilli. Ainsi, il suffirait d’acheter la veille, voire l’avant-veille, un bon quart de tourte de seigle, de pain au levain chez un des très bons artisans que compte la capitale. Il ne reste plus qu’à le trancher le jour-dit, en l’occurrence le dimanche, le toaster légèrement selon les goûts, et voici la base d’un repas détendu, décliné autour des thèmes du plaisir et du partage… Quant aux pâtisseries que l’on voudrait aller acheter ? Là encore, je serais tenté d’inciter à ne pas céder à la ‘folie du dimanche matin’, et de simplement déguster un gâteau de voyage (cakes, financiers, …) ou une gourmandise toute simple que l’on aurait confectionné avec les siens, et qui aurait alors le goût de l’amour mis à l’intérieur.

Bien sûr, l’attrait des viennoiseries du dimanche matin demeure, mais elles sortiraient presque des cas que je décris, puisque ce plaisir matinal touche plus souvent une population de lève-tôt, qui se rendent alors dans les boulangeries à d’autres horaires, moins chargés, que la mi-journée.
Souvenons-nous aussi qu’à une époque pas si lointaine, les commerces n’ouvraient que très peu le dimanche, à peine le matin, et que nous vivions plutôt bien de cette façon. Certes, vous me répondrez que cela correspond à une demande, que tout le monde n’a pas le temps le reste de la semaine, que nous vivons une époque agitée et furieuse… justement. Arrêtons nous un peu, appuyons sur le bouton « stop/pause », et regardons juste passer le temps. Renonçons à cette folie du pain dominicale !

Billets d'humeur

27
Avr

2012

(in)Différences

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Il y a des jours où l’on se sent plus fatigué par la bêtise que d’autres. Où cette société de l’apparence, de la démonstration est plus difficile à supporter. Peut-être que ce vendredi est un de ceux-là, peut-être pas, après tout. Toujours est-il que je ne parviens pas à m’enlever de la tête que tout cela finit par avoir un caractère insupportable, invivable.

Au final, tout ne serait qu’une question de différence, de différences même. Différences entre individus, d’abord, mais également entre deux mondes qui s’opposent et ne peuvent parvenir à s’accorder, puisque l’un tente résolument d’écraser l’autre. Vous comprenez, la différence est mal acceptée, et il faudrait parvenir à la faire taire par tous les moyens possibles.

Quand je regarde ce qui m’entoure, je vois beaucoup de tristesse, mal cachée par des conventions et de fâcheuses tendance à vouloir montrer à quel point notre vie est formidable. Comme si cela devait faire rêver les autres que de dire ou d’afficher que l’on visite les plus grandes tables, déguste les mets les plus fins, comme si tout ce luxe, cet encombrement, se rapprochait de la « vraie vie », du quotidien malheureusement bien triste que connaissent des milliers, que dis-je, des millions de gens un peu partout, en France ou ailleurs. Je me lève le matin, 4h50, je me dis que j’ai de la chance, parce que je le fais librement, sans contrainte autre que celle que je me fixe, sans la peur au ventre ou l’obsédante menace de ne pas parvenir à nourrir une famille. Je suis un privilégié, je le sais, pourtant ça ne m’empêche pas de vouloir le dépasser, de chercher à partager et à donner un peu de plaisir quotidien à ceux qui n’ont pas forcément autant de chance. C’est idiot, mais quand un boulanger, un pâtissier ou qui que ce soit d’autre me remercie pour l’un de mes articles, simplement parce que cela lui a fait plaisir que la qualité de son travail soit reconnue, je me dis qu’au moins ma journée n’aura pas été tout à fait inutile, et qu’elle aura au moins permis d’éclairer celle d’une personne dont la tâche est difficile, parfois décourageante.

Pourquoi des artisans qui sont justement dans la différence, dans le savoureux, dans l’authentique, doivent-ils être écrasés comme ils le sont par « la masse » des médias et de la communication ? Cela ne profite encore et toujours qu’à une élite, à quelques privilégiés qui disposent des moyens nécessaires pour être mis en avant, pour créer la « tendance ». Les exemples ne manquent pas, et ce même en boulangerie, certes dans une moindre mesure. Citer des noms serait bien inutile, ne rentrons pas dans ces jeux là…

Le temps passe, la lassitude grandit. Peut-être un jour sera-t-elle trop forte, peut-être déciderai-je de m’arrêter. De rentrer à mon tour dans le lot de l’indifférence, du quotidien quotidien, sans chercher à changer les choses, à montrer qu’il existe du beau que chacun peut s’offrir et éclairer simplement ses journées, remettre un peu de couleurs dans ce monde tout gris (et pas seulement par la météo, il fallait bien que je l’insère, celle-là). En attendant, je serre les dents, je continue à marcher et à affirmer les différences, à défendre cet état d’esprit que je pense indispensable pour parvenir à construire « autre chose », en marge de ces univers brillants et attirants uniquement en apparence, car il y a beaucoup de faux là-dedans. Peut-être pas les produits, car ces milieux savent bien exploiter le « vrai » savoureux pour le mettre à leur service, mais humainement, dans la relation entretenue avec le reste du monde. Tout cela n’est au final qu’une question de liberté… et de différence. Sans indifférence.

Débroussailler, éclairer, chercher l’authentique et le réellement savoureux derrière les apparences, voilà une grande part du travail painrisien auquel vous pouvez prendre part quotidiennement ici-même. C’est un engagement, un mode de pensée, et même si cela n’est pas toujours facile à faire ni à défendre, l’important est de rester convaincus de l’intérêt de cette « tâche » qui ne manque pas d’ampleur… car en la matière, Paris concentre les lieux tendance, plus concentrés sur l’apparence et le concept que sur la qualité des prestations. Pour cela, il savent s’accompagner de charmantes agences de relations publiques, qui distillent la bonne parole auprès des personnes potentiellement « influentes »… Plus le temps passe et plus tout cela me fatigue. Il faut croire que j’ai besoin de vacances.

Malgré tout, on peut parfois se tromper, se laisser aveugler et écouter un peu trop les belles histoires que l’on nous raconte. Cela m’est arrivé dans le cas de Popelini. En effet, j’avais écrit un article plutôt enthousiaste au sujet de ce concept dédié aux choux à la crème, il y a un peu moins d’un an. J’ai parfois un peu trop tendance à vouloir encourager les jeunes entreprises et les personnes qui oeuvrent derrière, car l’entrepreneuriat n’est pas une chose aisée… Forcément, la conséquence peut être d’en oublier l’essentiel, en l’occurrence… le goût et la qualité.

Popelini, rue Debelleyme

C’est en effet sur ce point que le bât blesse dans ces charmantes boutiques du 3è et depuis quelques jours du 9è arrondissement. Visuellement, ces petits choux biens dodus ont pourtant tout pour plaire : présentés dans un écrin soigné, mis en avant dans des présentations variées, déclinés en de nombreuses saveurs dont certaines sont périodiques ou même « du jour », plutôt élégants avec leurs couleurs vives, emballés avec de biens jolies boîtes que l’on peut presque amener en cadeau à des amis lors d’un repas… Seulement, il ne s’agit là que de visuel, d’apparence. Cela semble être le cheval de bataille de Lauren Koumetz et son équipe. Il faut dire que la jeune entrepreneuse a été à bonne école : conseillée et accompagnée par Christophe Michalak, tout comme l’ont été ses parents dans le développement de leur marque ‘lette macarons à Los Angeles, elle a sans doute reçu le goût du visuel poussé à l’extrême du très réputé chef pâtissier.

Lorsque l’on passe à la dégustation, après un passage dans la nouvelle boutique de la rue des Martyrs, c’est là que l’on se rend compte du problème : la pâte à choux, certes légèrement craquante sur le dessus, est sèche, elle manque singulièrement du moelleux que l’on aimerait y trouver, mais ce n’est pas le seul reproche à adresser au sujet de ces pâtisseries. Certains parfums se défendent honorablement, à l’image du citron, bien parfumé, ou du praliné. D’autres ne parviennent pas à convaincre : entre un café plutôt amer, un pistache-griotte, un chocolat au lait-fruit de la passion aux confits de fruit quasi-absents ou encore un rose-framboise mal équilibré, il y a de quoi être déçu. La déception est d’autant plus importante que l’épaisse couche de fondant surmontant le chou est très sucrée et écrase le parfum de la crème.
Bref, vous l’aurez compris, la qualité de réalisation ne m’a pas convaincu, d’autant que le tarif unitaire est assez élevé.

Dès lors, il me paraît un peu déplacé d’ouvrir une seconde boutique, même si je peux comprendre qu’il faille développer la marque et suivre le plan de marche sur lequel les investisseurs impliqués dans ce projet ne doivent pas manquer de pousser. Bref, pas vraiment le temps pour le ou la chef pâtissier (mise à jour 01/05/2012 : Alice Barday, la chef d’origine, a quitté l’entreprise en janvier 2012) de travailler sur la qualité des produits… il faut faire du volume, d’autant que la demande est importante : il n’est pas rare de trouver porte close avant l’heure officielle de fermeture, pour raison d’absence de marchandise à proposer. Comme quoi, l’effet « tendance » bat son plein, comme un pied de nez au macaron. A Paris, l’important est d’être « à la pointe » de la mode. D’ailleurs, Arnaud Delmontel, le nouveau voisin de Popelini dans le 9è arrondissement, l’a bien compris : l’artisan a intégré dans sa nouvelle « collection » une gamme… de choux ! A défaut d’avoir de la créativité, il faut bien avoir du culot.

Dans tous les cas, gardons toujours la tête froide et concentrons-nous sur l’essentiel. C’est de cette façon que l’on parvient à trouver des produits savoureux, au delà de tout effet de masse.

Popelini, 29 rue Debelleyme – 75003 Paris (métro Saint Sébastien Froissart, ligne 8) / tél : 01 44 61 31 44
et, depuis le 5 avril : 44 rue des Martyrs – 75009 Paris (métro Notre-Dame de Lorette, ligne 12)
site web : http://www.popelini.com

Que c’est étrange, la vie. Elle parvient à créer des parallèles entre des choses, des matières, des éléments qui paraîtraient pourtant éloignés de prime abord. Chaque jour qui passe est une occasion d’apprendre, de découvrir mais surtout de redécouvrir. Dépasser ses idées reçues, sortir des prisons et des murs que l’on élève… Parler de liberté, l’écrire sur les murs, et sur le pain.

Le pain nous rend libres, tout d’abord en nous nourrissant. De cette façon, il nous apporte l’énergie nécessaire pour agir, réfléchir, faire des choix… vivre, tout simplement, sans être esclaves d’une quelconque faiblesse. Le problème se situe sur l’inégalité face à l’accès à cet aliment de première nécessité : encore trop d’hommes en sont privés, tout comme dans un sens ils sont privés de liberté. Pour beaucoup condamnés à souffrir et sans perspective d’un avenir « meilleur », on se dit que leur donner un simple morceau de pain serait bien dérisoire… Non, il ne faudrait pas leur donner, mais leur apprendre à le faire, à le reproduire, à faire grandir cette idée que derrière un aliment simple et universel, il y a de nombreuses valeurs : le partage, l’accessibilité, le beau, le bon… et au final cette liberté sous-jacente.

Je le dis souvent, mais au delà d’une nourriture du corps, le pain doit aussi constituer une nourriture de l’esprit. Par sa force d’évocation, là encore, il est vecteur de liberté. En le respirant, en le dégustant, on s’évade, on fait appel à nos souvenirs autant qu’à nos aspirations, voilà quelques instants de liberté, offerts « simplement » par une expérience sensorielle. Il faut simplement en prendre le temps, le temps d’apprécier les choses, de les saisir un peu plus qu’un instant, que par un regard fugace. Le problème, c’est que là encore nous ne sommes pas égaux : tout le monde n’a pas la chance d’avoir un bon boulanger en bas de chez soi, ni le temps d’aller un peu plus loin pour trouver un bon artisan. Ainsi donc la liberté, tout comme le temps, serait un luxe ?
Luxe ou état d’esprit… Cette liberté n’est pas évidente, c’est un combat, autant vis à vis de soi même que du reste du monde. Quand bien même on aurait toutes les cartes en mains pour la saisir, pour la croquer comme on croque une baguette de pain, en serions-nous capables ? Il faut faire preuve de clairvoyance, d’ouverture d’esprit et le vouloir, aussi. Cela peut paraître un peu idiot, oui, tout le monde voudrait être libre, de prime abord. En réalité, je pense que nous avons plutôt tendance à nous complaire dans des carcans confortables, ce qui signifie en définitive que la liberté que l’on prône est tout à fait virtuelle.

Rompre nos habitudes, comme on rompt le pain : en toute simplicité, comme si cela était naturel, alors qu’en réalité c’est éminemment complexe. Ca n’en est que plus beau, on ne peut que mieux savourer une fois dépassées les barrières de l’apparence. Il faut y mettre de l’amour, j’en reviens toujours à ça, l’amour parviendra alors à sublimer le quotidien comme il sublime le pain lorsqu’on le réalise avec, et au final il parviendra à réaliser cette fameuse liberté tant désirée et dessinée.

Cela vous paraîtra peut-être n’avoir ni queue ni tête, c’est simplement un des méandres de la vie, un court manifeste écrit sur un coin de nappe en passant, sans aucune autre contrainte que celle de la volonté d’inciter le monde à changer, à s’ouvrir et au final à devenir plus libre. Vous voyez, lors des récentes révolutions arabes, le pain était au centre des préoccupations : les insurgés voulaient du pain, de la liberté et de la justice sociale… Même si j’ai le premier élément, je n’ai pas encore réussi à saisir les deux autres. Il s’agit d’une histoire vraie. Elle ne saurait être parfaite.

Billets d'humeur

06
Avr

2012

Un sourire

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Je t’ai souri, là, simplement. Ce sourire, tu me l’as rendu, mais au passage tu l’as enrichi, changé, transformé, tu l’as complété de toute ta singularité, de ton passé, de ton présent, peut-être même un peu de ton avenir… Cet échange n’aura duré qu’une seconde, et pourtant il pourra rester gravé dans nos mémoires, comme si ce simple mouvement avait un caractère d’exception, une force particulière.

Comme si, non, en réalité, si on y pense, c’est plus que ça : c’est effectivement le cas. Tellement anodin mais pourtant de plus en plus rare dans notre société moderne, le sourire en deviendrait presque un événement. Pourtant, nous en serions presque de plus en plus demandeurs, pris dans cette grisaille ambiante.
Je parle dans chacun de mes billets au sujet des boulangeries et lieux divers que je visite de l’accueil. C’est, à mon sens, un élément essentiel de l’expérience client dans un lieu tel que celui-ci. Au delà de la connaissance des produits, de la maîtrise des différents modes de fabrication, de toute cette technique boulangère et pâtissière, il y a le savoir-être, cette capacité à partager, à donner… à sourire. On peut passer sur beaucoup de choses dès lors que l’on nous offre cet accueil.

La boulangerie est bien plus qu’une simple boutique, c’est un lieu de vie. Un élément essentiel du lien social. Un endroit ou peuvent encore s’échanger des sourires simples et sincères : celui des enfants qui sont émerveillés devant les vitrines, celui des adultes qui redécouvrent de beaux produits ou partagent simplement avec le personnel. En effet, on ne va pas seulement chercher son pain ou quelques gourmandises, on vient chercher un contact humain. Il ne faut ni l’oublier, ni le perdre. Pour certaines personnes, cela constituera les seuls instants de communication dans une journée, c’est dire combien ils sont importants. J’aimerais parfois que les personnels de vente en aient mieux conscience et aient à coeur d’assumer leur rôle avec plus de présence et de prestance. Malheureusement, la culture du service n’est pas toujours une valeur partagée par les salariés, voire même par les entreprises.
En réalité, ce sourire va plus loin que la simple notion de service. Si c’était le cas, il serait bien trop souvent feint et n’aurait donc aucune valeur. Il n’a de sens que s’il correspond à un vrai sentiment, à une volonté de s’ouvrir à l’autre. Ce n’est pas forcément donné à tout le monde, car on peut aussi préférer ignorer le monde qui nous entoure afin de se concentrer sur sa seule personne… un peu triste, n’est-ce pas ?
Difficile de se priver de cette chaleur humaine, de ces moments de plaisir simple.

Le sourire peut également prendre d’autres formes. On peut tout à fait le retrouver dans des produits, dans une façon de concevoir les choses. Un détail, une forme, quelques mots peuvent parvenir à transmettre le sourire, à le recréer chez les autres. Vous voyez, j’essaie parfois de le faire moi-même au travers de mes articles, au travers de quelques notes un peu décalées. Pour un artisan, cela pourra passer par des façonnages originaux, par des saveurs particulières, ou encore des textures surprenantes. L’important, c’est encore et toujours de toucher le coeur des gens… Y’a-t-il vraiment une plus belle vocation que cela ?

Demain, quand vous irez dans votre boulangerie de quartier ou dans celle où vous aurez choisi de courir le pain, prenez la peine de sortir de cette grisaille habituelle, souriez… Même s’il fait gris, cela fera un peu de soleil, autant pour vous que pour les personnes en face de vous. Qui sait, ce sera peut-être l’occasion de nouvelles rencontres, de découvertes. Un sourire, rien qu’un sourire… voilà qui n’est pas un sous-rire.

Billets d'humeur

31
Mar

2012

Quelques miettes savoureuses

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Des miettes, là, sur la planche à pain. Ces quelques restes de croûte écartés par la force de compression du redoutable couteau se destineront sans doute à la poubelle, peut-être sera-t-on tenté d’en saisir quelques unes du bout de nos doigts, pour quelques instants de gourmandise fugace. Juste sentir craquer sous nos dents ces morceaux insignifiants de prime abord. Ce parfum de torréfaction que l’on peut parfois retrouver avec les pains bien cuits.

Ces miettes ne sont rien, mais en réalité elles sont tout. Elles concentrent ces détails, ces notes qui font que la vie a du goût. Miettes de vie, miettes d’envie. Ce qui pourrait bien rester lorsque l’on a tout perdu. On voudrait bien les effacer d’un coup de manche, mais elles demeurent, comme incrustées dans nos esprits et nos coeurs.
Des détails. Quelques images, des clichés, des instantanés. Cela pourrait être bien peu de choses, mais c’est sans doute ce qui compte le plus pour nous. Ces miettes, ces bribes, peuvent nous inspirer autant que nous détruire. On se doit d’attacher de l’importance aux détails, bien sûr, mais il faudrait savoir rester dans la mesure, dans le domaine du raisonnable. Difficile dès lors que l’on est humain.

Le problème, c’est quand ces miettes sont plutôt liées à un processus d’effritement, à une perte de consistance. En séchant, le pain peut alors se décomposer, des morceaux peuvent s’en détacher et on commence alors à comprendre que la fin est proche, qu’il ne sera bientôt plus possible de le consommer. L’esprit aussi peut tomber en miettes. Là, il ne sera plus question de saveur, mais de perte, d’oubli, d’un éloignement irréversible avec soi-même. Eloignement vis à vis des autres également, et du monde plus généralement. Difficile de les rattraper, ces miettes, de parvenir à recoller les morceaux pour recomposer l’ensemble qui se tenait là auparavant. Un travail de fourmi – vous savez, ces spécialistes des miettes – qui est bien rarement couronné de succès.

Ce à quoi je veux en venir en écrivant tout cela, c’est que nous ne devons pas oublier que notre monde, et nous-mêmes, sommes avant tout constitués d’une infinité de petits rouages, de ces fameuses miettes, qui ne sauraient s’accorder si l’on décidait d’adopter une vision trop globale, trop généraliste de l’homme et de son environnement. Si jamais on décidait de ne plus récupérer ces fragments de vie pour tenter de leur donner du sens, nous serions très certainement perdus. Pourtant, c’est le chemin vers lequel on tend, un monde où tout serait aseptisé, où le pain, lors de la coupe, ne laisserait plus ces petits éléments qui marquent son passage dans les lieux, dans les bouches aussi. A la place, un océan de platitude et d’uniformité, de propreté et de certitudes. N’oublions pas que nous sommes tous des miettes, avant toute chose. De formes, de couleurs, de consistance différentes, mais la nature de la chose ne change pas. Cet état nous impose de rester humbles, respectueux de nos semblables qui s’activent à nos côtés pour exister et ne pas être complètement noyés dans la masse, puis jetés négligemment à la poubelle, broyés par un système qui les dépasse. Broyer des miettes, j’avoue que l’idée et l’image ont un petit côté effrayant : une sorte de processus sans fin, visant à parvenir à une mouture toujours plus fine. Une sorte de farine, au final, mais farine pour faire quoi ? Un nouveau pain ? Un nouvel ensemble que l’on voudrait à nouveau diviser, déguster, détruire puis finalement oublier ?

N’allons pas trop loin, gardons les pieds sur terre. Contentons nous de regarder les miettes de pain comme des amies bienveillantes, sans plus de complications ou de symboles obscurs. Vivons, tout simplement.

Billets d'humeur

18
Mar

2012

Mes pains préférés

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Il y a des pains auquel on vient et on revient, par envie et par plaisir. Ce sont eux que l’on retrouve le plus souvent à ma table, parce qu’ils expriment des arômes, des goûts, qui accompagnent mes repas et satisfont mes attentes en fonction des moments (petit-déjeuner, déjeuner, goûter ou diner…). Ils sont tous différents, je vais donc essayer de les ranger dans des catégories qui pourront refléter leurs caractères.

Pains de « tradition »

Mon Pain Préféré, La Gambette à Pain (vendu en parts de 250g, 2 euros) – Je crois que ce pain pourrait difficilement mieux porter son nom ! Entre sa croûte dorée exprimant une odeur de fumé et des arômes complexes, une mie extrêmement alvéolée et à l’humidité bien dosée, il exprime un caractère assez unique et accompagne l’ensemble des repas.

Torsade Alésiane au Blé noir (vendu en deux formats, 1,30 euros le petit format de 250g, 2,30 euros le grand format de 500g) – Certes, ce n’est plus exactement un pain de tradition puisque il est roulé dans de la semoule de blé noir, cependant, il n’en demeure pas moins réalisé à partir de farine de tradition et en conserve les caractéristiques. La note apportée par le blé noir est vraiment agréable, les grains craquent sous la dent et nous emmènent en Bretagne, on retrouve la saveur des fameuses galettes… Une noix de beurre salé et le tableau est complet ! De plus, son façonnage en torsade lui confère une mie à la texture assez particulière, assez moelleuse.

Baguettes de tradition

Une baguette de tradition, ce n’est pas acide, attention ! Au programme, un pain tout en douceur, tout en croûte… à déguster sans façon.

Gontran Cherrier (1,10 euros la pièce de 250g) – La baguette de tradition de Gontran Cherrier possède son caractère qui s’exprime au fil des heures. Certes bonne, craquante et légère peu de temps après avoir refroidie, elle devient plus complexe en ayant attendu. Sa croûte fine exprime des notes de céréales torréfiées persistantes, la mie est moelleuse sans être trop humide, belle présence en bouche… Une expérience gourmande et accessible. Attention toutefois à la demander bien cuite, elles sont parfois un peu blanches.

Maison Pichard (1 euro la pièce de 250g) – La fameuse baguette Pichard, c’est tout simplement… du lait ! Un bel arôme lactique, un pain tout en douceur et en longueur, puisque son façonnage plutôt original lui confère une grande finesse. Excellente conservation, grâce à sa fermentation prolongée et à sa cuisson dans le superbe four Gueulard que la maison a fait construire sur mesure.

Le Grenier de Felix (1,10 euros la pièce de 250g) – Cette « Reine des Blés » (farine de tradition française Label Rouge des Moulins Bourgeois) exprime un beau goût de crème, accompagné par une croûte bien fine et craquante. La mie moelleuse rend le tout très régressif et addictif.

Pains sur levain

De l’acidité, oui, mais point trop n’en faut : il faut savoir rester modéré et garder une certaine douceur.

Pain de Clichy, Rodolphe Landemaine rue de Clichy (vendu au poids) – Une acidité relativement présente, mais surtout de sublimes cuissons et une croûte bien craquante et présente, des arômes complexes et presque floraux, le pain de Clichy n’est pas un pain « de campagne », à mi-chemin entre la tradition et le levain, une belle réussite.

La Paume, 134 RdT & Stéphane Henry – La Paume, mise au point en collaboration entre les Moulins Bourgeois et le chef étoilé Alain Passard, est un pain sur levain très doux, un « pain de table » de très bonne tenue, d’excellente conservation. Il n’exprime pas forcément un parfum très soutenu mais sait accompagner tous les mets et s’accommode très bien d’une noix de beurre salé.

Pain à l’épeautre, La Gambette à Pain & Dominique Saibron – L’épeautre est une céréale intéressante, par un léger apport d’acidité et de parfum. Chez Jean-Paul Mathon (en tourte, vendue en parts de 250g) et Dominique Saibron (vendu en pains de 500g), la farine utilisée est certifiée Biologique et est sublimée par des levains bien maîtrisés.

Pains variés

Comme chaque artisan a ses spécialités, que j’ai parfois du mal à classer les pains que je déguste, voici la « catégorie » fourre-tout par excellence, un pot-pourri bien loin d’être pourri…

Gontran Cherrier : baguette au curry, baguette encre de seiche-graines de nigelle, pain aux épices zaatar, pain pignons-romarin, pain à la châtaigne, pain seigle-miso – Dans le 18è arrondissement, Gontran Cherrier propose une gamme assez unique et diversifiée de pains, entre épices, herbes, farines diverses… La production est parfois un peu irrégulière (certains pains ont tendance à être trop humides de temps en temps), mais cela ne manque jamais de goût et on retrouve bien l’approche gourmande de cet artisan voyageur.

La Gambette à Pain, Jean-Paul Mathon : la Bise de Lin (surprenant parfum de noisette… alors que ce ne sont que des graines !), la Marguerite & la Tourte de Seigle du Vendredi – Gambetta a tenté de fuir Paris en Montgolfière, mais nous avons bien envie d’y rester ! Sur l’avenue Gambetta, M. Mathon propose des pains aux cuissons superbes et des spécialités toujours soignées et une belle régularité de production, avec une excellente conservation.

134 RdT, Benjamin Turquier : le Vannetais (chocolat blanc, comme un bonbon vanillé, cela fond en bouche !), le Schwartzbrot (pain noir Allemand) : Benjamin Turquier propose une sympathique gamme de pains gourmands et sucrés, autour du chocolat et des fruits. Belles cuissons, bonne maitrise de l’hydratation pour des créations moelleuses et parfumées.

Rodolphe Landemaine : le Pain Irlandais à la Guinness (douces notes maltées, mie soyeuse) – Malheureusement, ce fameux pain à la Bière n’est plus disponible pour le moment, en raison d’une rupture sur la Guinness… Il faudra donc attendre pour goûter à ce pain à la mie sombre, moelleuse et douce, avec ses agréables notes maltées. A noter également une belle gamme de pains « gourmands » dans ses boutiques de la rue des Martyrs et à proximité du métro Voltaire.

La Badine de Martine, Patrick Desgranges : le pain au Kamut, le pain à la Châtaigne – Patrick Desgranges propose une très large gamme de pains spéciaux, autour des variations de farine (sarrasin, petit & grand épeautre, seigle, complet… tout y passe !). Des façonnages élégants, une acidité relativement présente et une humidité parfois excessive, ce qui limite la conservation des produits. Cependant, le pain au Kamut et son beau parfum de noisette est irrésistible. Même constat à Sceaux chez Franck Debieu, d’ailleurs.

Du Pain et des Idées : Campagne Miel-Noix-Moutarde, Cacao-Noix-Canneberges – Les créations de Kenji Kobayashi sont de vraies pépites d’aboutissement et de saveur, en plus d’offrir des grignes quasi-artistiques. On y sent une grande finesse, une volonté d’équilibre et au final des pains très gourmands.

Bread & Roses : Pain Puissance 10 (10 farines dans un même pain !), pain de Sarrasin au levain de Sarrasin, pain de Maïs, Soda Bread – Les deux adresses de Philippe Tailleur proposent une belle gamme de pains biologiques, réalisés avec soin et proposant des saveurs agréables. Mention spéciale pour le pain Puissance 10 qui offre une large palette de parfums, différente à chaque bouchée.

Benoît Maeder : les bretzels au pavot ou au cumin – Dans sa boulangerie du 15è arrondissement, Benoît Maeder nous ramène un peu d’Alsace avec des bretzels généreux et extrêmement moelleux, déclinés en différents « parfums ». Je n’ai pas trouvé mieux à Paris, que ce soit en terme de fraîcheur ou de variété.

J’en oublie certainement un grand nombre… mais cela fait déjà une belle liste, et pour moi – et j’espère pour vous par la même occasion ! – de belles occasions de varier les plaisirs au quotidien.

Billets d'humeur

10
Mar

2012

Paris, tendance mouton

6 commentaires

Ma vraie vocation, dans la vie, ce serait éleveur de troupeau. Vous savez, les transhumances, les alpages, les grands espaces, cette solitude, perdu parmi ces bêtes. Se lever le matin et profiter du paysage. Laisser le temps filer, tout simplement. Chaque région a ses troupeaux. Ils prennent des formes différentes, sont plus ou moins agités et ont des caractères plus ou moins poétiques.

A Paris, ce sont les hommes, femmes, résidents ou touristes qui se rassemblent et forment un assemblage – certes disparate – plutôt agité, souvent bruyant, et très pressé sans être rapide. Comme si la « ville lumière » exerçait sur eux une pression et une force incroyables.
Au final, cela semble les porter à agir de façon relativement peu rationnelle, à se presser aux mêmes endroits aux mêmes moments… ce qui, en plus de renforcer cette impression de « troupeau », les conduit à attendre encore et encore, ce qui ne manque pas d’échauffer les esprits.

Tenez, un exemple concret : ce week-end, « the place to be », c’est certainement le « Carnaval Colette », organisé à l’occasion des 15 ans du fameux concept-store de la rue Saint-Honoré. Au programme, une belle brochette de marques toutes plus tendance les unes que les autres, quelques rendez-vous ponctuels au fil des deux jours… et surtout beaucoup de monde, de l’attente pour entrer, et des ballons bleus qui trainent un peu partout. Vu la foule, personne ne profite de rien, mais on pourra dire « j’y étais ». Voir – ou plutôt ne rien voir – et être vu. Le propre de la tendance parisienne.

Peu à peu, le goût des adresses authentiques se perd, il n’y a pas besoin de chercher puisque l’on nous dit où il faut être, ce qu’il faut consommer et de quelle façon. Dans ce jeu, c’est à qui aura la meilleure agence de Relations Publiques, puisque ce sont elles qui font et défont les tendances. Communiqués de presse, portages divers, organisation d’événements dédiés aux divers blogueurs, journalistes et influenceurs… Tout est bon pour parvenir à leurs fins. Après tout, quoi de plus normal, elles ne font que leur travail. Simplement, dans ce même travail, l’objectif est de mettre en avant des clients au détriment de ceux qui n’ont pas les moyens de déployer tout cet arsenal médiatique.

Le cas de la boulangerie est symptomatique : la plupart des artisans n’auront jamais la possibilité d’accéder à de telles prestations, et ils sont donc condamnés à demeurer « dans l’ombre » de quelques boulangers. Pourtant, leur travail est souvent de meilleure qualité, on se sent mieux dans leurs boutiques et on profite tellement mieux de l’ensemble. En réalité, on en profite vraiment, tout simplement. L’effet pervers de la tendance et de la mode, c’est que beaucoup se laissent porter par des avis positifs recueillis ici ou là, sans que l’on apprécie particulièrement le produit au final. C’est bon parce qu’on nous a dit que cela devait l’être. Dès lors, il faut s’extasier, chanter les louanges, déposer un peu de bave au sol, c’est le minimum que l’on puisse faire pour reconnaître le caractère exceptionnel de l’endroit. Parmi les derniers exemples en date, l’emballement autour des ‘burgers gourmet’, avec une pluie de restaurants ouverts les uns à la suite des autres. Blend, le Camion qui Fume, … Il fallait en être, au risque de paraître ringard, même si tout cela est un peu… lourd, à plusieurs points de vue.

Les guides et blogs participent allègrement à ce « mouvement », en tant que pourvoyeurs de bon goût. Sans vouloir me défendre d’agir de façon totalement différente, j’espère tout de même m’inscrire dans une autre démarche, en cherchant justement à « découvrir » et pas seulement à suivre et recopier les communiqués de presse sans forcément visiter les lieux-dits. Ca n’est pas toujours facile, puisqu’il faut réfléchir, essayer et parfois vivre quelques expériences plutôt désagréables… mais la vie n’est pas parcours pavé d’or, et c’est certainement en se trompant que l’on apprend à mieux apprécier lorsque l’on trouve un vrai bon produit, une vraie bonne adresse. Tout le monde ne peut pas se le permettre, faute de temps – et le temps est un luxe dans nos sociétés modernes -, pour autant il faudrait certainement que l’on se donne à nouveau la possibilité d’ouvrir un peu le champ de nos possibles, de nos envies, de nos sens… sans quoi l’on finira par vivre dans une cité complètement aseptisée, dominée et régie par le bon vouloir de quelques instances médiatiques et financières. Des créateurs de troupeaux, des éleveurs de mouton… Un programme bien peu réjouissant.