niLe chauvinisme, ainsi que toutes les formes de préférence nationale non basées sur des critères objectifs et rationnels, ne fait vraiment pas partie des modes de pensée que j’apprécie ou encourage. Au contraire, j’aurais tendance à penser que c’est en regardant avec bienveillance ce que font nos voisins étrangers qu’on peut comprendre les points où l’on doit progresser, mais aussi ceux qui font nos forces et nos spécificités. Certains économistes s’étaient opposés sur de grandes théories que sont les avantages comparatifs ou absolus. Je ne suis ni Ricardo, ni Smith, mais plus qu’une approche uniquement basée sur l’aspect économique de nos vies, il me semble pertinent de raisonner également en terme d’humain, de culture, d’état d’esprit, de patrimoine. D’autres peuples sont peut-être plus performants et moins chers quand il s’agit de produire du pain -preuve en est du bas coût des baguettes polonaises qui envahissent les linéaires de la grande distribution-, mais ils ne possèdent pas cette approche unique du pain, développée depuis des siècles sur notre territoire.

En me rendant en Allemagne, j’ai essayé de m’imprégner de la culture boulangère locale. Avant de visiter le salon Südback 2016 fin octobre, il me semblait indispensable de parcourir les rues de Stuttgart afin de mieux comprendre comment la population appréciait et consommait le pain.

Le constat est assez éloquent : l’offre artisanale est devenue quasi inexistante, ou fait confiance aux industriels pour lui fournir des solutions préconçues. Le consommateur n’a pas vraiment de choix : face à une offre complètement uniformisée, son goût finit par épouser celui proposé par les grandes marques, voire n’y prête plus aucune attention. La situation est sans doute assez différente dans d’autres régions d’Allemagne, moins riches et matérialistes. Il est assez troublant de penser que des populations possédant plus de moyens n’y consacrent que peu d’attention à leur alimentation, et le trait est particulièrement marqué au sein de ce peuple germanophone. Néanmoins, on peut espérer que la tendance finisse par s’inverser avec les scandales alimentaires, la prise de conscience de l’importance du respect des ressources ou de la nécessité d’adopter un régime plus sain pour une meilleure santé.

En attendant, certains continuent à profiter du modèle actuel. Aux premières loges, les acteurs fortement représentés dans ce salon, à commencer par Bäko, qui compte parmi les entreprises incontournables du secteur dès lors qu’on parle de boulangerie en Allemagne.
Si nous connaissons les coopératives céréalières, aucune n’est orientée sur le seul secteur boulanger en France. C’est le cas de Bäko : ce « guichet unique » compte ainsi de nombreux artisans parmi ses sociétaires et a développé un savoir-faire particulièrement étendu, en intégrant des services de logistique, de marketing, de R&D, … quitte à acquérir au fil du temps une position quasi-hégémonique qui me paraît assez peu souhaitable : en effet, les fournisseurs doivent être référencés auprès de cette centrale pour s’adresser aux boulangers, avec des prix fixés par l’intermédiaire de la coopérative. Tout y passe : matériel (four, agencement, nettoyage…), emballages, fournitures diverses (boissons, chocolat, charcuterie, …) et bien sûr farine. On retrouve d’ailleurs parmi leurs partenaires les Grands Moulins de Paris, qui étaient présents sur le salon pour présenter leur savoir-faire. S’ils ont choisi de prendre en charge le démarchage et la relation commerciale avec les boulangers, ils n’en demeurent pas moins dépendants de Bäko et de son maillage du territoire allemand.


Inévitablement, une telle entité influe sur la façon d’agir des artisans et créé une certaine uniformité sur le marché… ce qui finit par le rendre terne et sans vie. Est-ce là la seule cause de la disparition progressive des boulangeries en Allemagne ? Sans doute pas.

On a tous en tête l’image de ces gros pains sombres, à la mie serrée et riche en céréales. Souvent associée à la culture du pain des pays de l’Est, elle faisait la part belle au travail du seigle et de l’épeautre. Ces territoires ont ainsi développé une riche expertise autour de ces farines aux nombres qualités gustatives et nutritives. Malheureusement, ces produits ont pu être réalisés facilement par l’industrie et donc distribués très largement. On peut critiquer notre baguette française, mais elle a participé à maintenir le grand nombre de boulangeries que l’on connaît encore aujourd’hui (pour combien de temps d’ailleurs ?). Au passage, les ingrédientistes se sont emparés du sujet et ont réalisé de nombreuses préparations faciles à mettre en oeuvre pour chaque type de pain. Ils ne se sont pas limités à ces seuls produits mais ont développé au fil du temps un catalogue impressionnant : un mix pour chaque pain, si bien que la plupart des boulangers allemands ne savent plus travailler de farines brutes. Ireks, Agrano, Jung Zeelandia, uldo, Backaldrin, Komplet… certains noms sont déjà bien connus chez nous, mais ils font office de véritables parrains sur ces terres. La taille de certains de leurs stands laisse d’ailleurs songeur, tant les moyens déployés sont importants et dénotent de capacités financières très solides.

En dehors des gros sous, deux points sont incontestables : ces entreprises germaniques ont une réelle culture de l’accueil et de l’innovation. On sentait dans les allées une ambiance chaleureuse et une ferme volonté de faire des affaires, chose nettement moins marquée dans un salon pourtant réputé comme Europain. Serions-nous, en France, malgré un public et des exposants internationaux, trop pris par des courants latins teintés de désinvolture ? Je ne parviens pas m’y résoudre mais le constat est triste : nous aurions tant de choses intéressantes à dire et à montrer, encore faudrait-il que notre filière en soit capable.
Pour l’innovation, la puissance des fabricants de matériel parle d’elle-même : Werner, Wiesheu, Wachtel, Miwe et des dizaines d’autres aux activités parfois entièrement centrées autour des besoins industriels, que ce soit en cuisson, découpe, façonnage, nettoyage… la qualité de leurs équipements n’est plus à prouver et de nombreuses entreprises françaises devraient s’en inspirer au vu de leurs performances discutables. La Recherche et Développement se porte aussi sur le produit final avec un suivi toujours plus pointu des tendances culinaires. Même si tout cela demeure très opportuniste et enrobé par des dizaines d’additifs, notamment quand il s’agit de sans-gluten, je reste respectueux de la dynamique intellectuelle et de la veille permanente entretenue.
Dans le même registre, la qualité des agencements proposés est remarquable : le style est plus élégant qu’en France, et les matériaux nobles comme le bois ont droit à la place qu’ils devraient toujours avoir en boulangerie. Même si les produits à présenter ne sont pas beaux ni bons, l’oeil est tout de même attiré.

Moi aussi j’aimerais vous faire un bisou, amis allemands. Je vous aime bien, mais je n’aime pas votre boulangerie. J’espère que vous ne m’en voudrez pas.

Parlons de goût, d’ailleurs, car il y aurait beaucoup à dire en la matière. Vous connaissez mon abnégation, mon goût du risque, mon absence de limites pour toujours mieux vous informer. Alors oui, j’ai goûté. J’ai dégusté, pour ainsi dire. Peu importe la couleur, la forme, les ingrédients inclus ou exclus, j’avoue ne rien avoir trouvé d’intéressant. Les amateurs de sel devaient être satisfaits au vu des taux certainement très élevés présents dans beaucoup de produits. Quand on sait les conséquences sur la santé à long terme, il y a tout de même quelques questions à se poser sur la conscience -ou plutôt l’absence de- de tous ces entrepreneurs aux dents longues.

Nous avons beaucoup à faire pour parvenir à assurer la subsistance de notre modèle de boulangerie artisanale, et plus globalement l’idée d’une alimentation naturelle et non calibrée par l’industrie. C’est un engagement quotidien, et il tient à chaque maillon de la chaine de continuer les efforts pour y parvenir : nos actes de consommations sont tout aussi militants que la façon de travailler de nos boulangers. Si l’on y rattache des valeurs, des idées, des visions, que nous les partageons et que cela s’unit en un projet commun, je suis persuadé que cela peut trouver du sens.

2 réflexions au sujet de « Une visite au salon Südback 2016 : la boulangerie de l’est serait-elle complètement à l’ouest ? »

  1. J’ai l’habitude d’aller en Allemagne tous les ans. C’est un pays que j’aime beaucoup, mais l’omniprésence de la boulangerie industrielle m’attriste à chaque visite. J’ai tellement peur que la France finisse pareil…

  2. Bonjour cher Painrisien,

    Tout d’abord merci pour cet article qui permet d’ouvrir les esprits boulangers à bien des égards trop étroits dans notre beau pays.
    Je me permets de commenter votre article car je connais très bien la boulangerie des deux côtés du Rhin. C’est pourquoi je voudrais revenir sur plusieurs points :
    1- L’état du marché actuel :
    Petit retour en arrière, en 1990 l’Allemagne comptait à peu près le même nombre de boulangers artisans par habitants que la France. Dans ce pays en pleine réunification et culturellement industriel les boulangers ont amorcé un processus de concentration des acteurs qui a continué jusqu’au milieu des années 2000. Aujourd’hui il ne restent que 5000 artisans représentatifs. Le reste du marché appartient donc aux industriels. Mais la question est de savoir ce que l’on entend par industriels. J’y reviendrai plus tard. Les réseaux de boulangeries sont très nombreux et donc assez variés, le régionalisme étant très marqué dans ce pays. On peut les classer schématiquement ainsi :
    – artisans XXL : jusqu’à 20 points de vente
    – demi-industriels : jusqu’à 50 points de vente
    – franchises : 30 à 200 points de vente
    – leaders (base industrielle) : jusqu’à 400 points de vente

    2- Les acteurs :
    L’outil de production allemand répond généralement à la définition : le top du top. Ce qui se résume à un cahier des charges : produire le meilleur au moindre coût. L’Allemand est exigeant ordonné et fier, mais surtout il est commerçant et conquérant dans l’âme. La logique entrepreunariale est essentielle si on veut voir la boulangerie allemande par le bon prisme.

    3- Industrialisation
    Nous y voilà, le gros morceau. Votre article laisse à penser que l’offre boulangère est standardisée, chimiquement équilibrée et rébarbative. Laissez-moi vous dire que NON. Un salon et une petite dizaine de points de vente en centre-ville d’une ville bourgeoise et dynamique ne permet pas de tirer de conclusion. D’abord parce que sur un salon (j’en compte plusieurs dizaines des deux côtés de la frontière) on présente beaucoup plus les nouveautés que les classiques. Par définition c’est un endroit pour sentir les tendances mais pas voir la réalité du business quotidien. Ensuite parce que les centres-villes et leurs loyers exhorbitants ont chassé les outils de production (gourmands en surface commerciale), c’est la victoire des terminaux de cuisson.
    Maintenant pour mieux appréhender les acteurs de ce marché, il vaut mieux aller les rencontrer entre le pétrin et le four, dans le fournil. Pour y être rentré plusieurs fois on est loin de l’image de l’industrie. Considérons que c’est plutôt un fournil XXL avec pêle-mêle : des fours à soles, des fours à chariots (rotatifs et fixes), des pétrins à cuves amovibles, des chambres de fermentation à chariots, des faconneuses, des tapis convoyeurs, des enfourneurs automatisés et des boulanger-es, beaucoup de boulanger-es, qui façonnent divisent lament mettent en caisse pétrissent, touchent, regardent et gouttent, brefs des boulangers.

    4- la qualité
    Par définition la qualité est subjective, il y a des amateurs de baguette filet pas très cuite. Notre culture élitiste nous contraint à toujours vouloir considérer la masse, l’homogénéité sous un aspect négatif. Malheureusement il faut parfois reconnaître qu’une diviseuse japonaise , une façonneuse belge et un four à soles allemand produisent une bonne baguette de tradition française, à raison de 800 baguettes par heure et avec seulement 2 boulangers. Voilà ce qui nous amène à retrouver du pain de tradition française dans des resto U, à volonté et pour pas cher.

    5- conclusion
    La boulangerie artisanale n’est pas la garante d’une qualité induplicable, l’industrie n’est pas la garante de la production de masse standardisée et dangereuse pour la santé. La nuance est nécessaire pour décrire un marché allemand beaucoup plus diversifié exigeant et évolutif que l’on ne le pense. De plus les prix en boulangerie sont généralement plus bas (10-15%) qu’en France., l’offre bien plus large et la dynamique du marché bien meilleure.

    Bonne continuation à vous et au plaisir de vous lire.

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