J’ose croire que le monde serait meilleur si les adultes gardaient leurs yeux d’enfant, s’ils laissaient un peu de côté le renoncement qui nous rend vieux petit à petit. L’important, c’est de toujours garder cette lumière au fond du regard, de s’étonner de choses simples et aussi de remettre du rêve dans le quotidien…
Ainsi, quand je pars de chez moi pour aller courir pains et gourmandises à travers Paris, c’est un peu comme si j’allais à la rencontre d’un univers rempli de fées ou de sorcières (le personnel de vente n’est pas toujours très égal), de magiciens ou d’apprentis sorciers oeuvrant dans des fournils et laboratoires, comme autant de fabriques comparables à la fameuse chocolaterie de Willy Wonka. Je me sens un peu comme Charlie, voyez-vous, d’ailleurs où suis-je ?
Perdu, perdu, dans cette grande et à la fois si petite ville qui prend parfois des allures de monstre, rugissante et violente, j’aimerais trouver un peu de douceur, je me réfugie alors dans une échoppe aux douces effluves sucrées avant de repartir à l’aventure. Ces vitrines, ces gourmandises me rappellent la douceur insouciante avec laquelle je pouvais regarder le monde étant petit. Du rêve, juste du rêve, toujours plus de rêve. Le problème, c’est que l’on comprend vite que tout cela n’est parfois qu’apparence, dorures et paillettes. L’enfant se perd alors en désillusions et déconvenues. Un certain renard avait enseigné à un Petit Prince bien connu qu’on ne voyait bien qu’avec le coeur, l’essentiel étant invisible pour les yeux.
Je me sens un peu comme ce Petit Prince. J’ai essayé d’apprivoiser ce renard, d’entretenir cette rose si coquette. Seulement voilà, la vie est ainsi faite, et les choses finissent par vous échapper, inévitablement. Alors on court après, sans relâche, sans bien savoir pourquoi on le fait. L’objet de notre quête, si matériel de prime abord, ne serait-il pas plus profond ? L’enfant que je suis a choisi le pain, oui, mais le pain dans cette ville – cela ne pouvait pas être anodin.
Au fil des mois, la dame sur laquelle je me promène m’a amené des rencontres. J’ai pu faire entrer d’autres enfants dans ma cour de récréation, partager avec eux quelques billes de sucre ou de sel. Ensemble nous avons partagé, et nous continuons à le faire, un univers de rêves et de sourires.
Les sourires. Le plaisir. C’est certainement ce qui marque le plus, ce que l’on recherche. Quel enfant n’aspirerait-il pas à être heureux ? Seulement, il ne faut pas voir cela comme un accomplissement, non, bien au contraire, c’est une lutte quotidienne, un objectif autant qu’une bataille qui pourrait être perdue d’avance… Elle le serait si nous en avions une vision purement individualiste, comme c’est parfois le cas. L’enfant doit apprendre à s’insérer dans le monde, à comprendre que l’autre présente de l’importance et de l’intérêt, que sans lui, il n’existerait peut-être même pas. Si je garde espoir, si je parviens à rester un enfant et à conserver ce regard, c’est parce que justement je vois tous les jours des gens prêts à donner, à partager. C’est ça, le pain, du moins c’est ce que cela devrait être. Une communauté de gens passionnés, amoureux.
De l’amour, de la tendresse… On en revient toujours à ça. Rien ne remplace celui apporté par une mère, de par son caractère exclusif et inconditionnel. On se contente juste de chercher des dérivatifs, des moyens de compenser l’absence, le manque. Nos yeux cherchent dans ces mies tendres et généreuses quelques instants d’oubli, de plénitude, de simplicité. L’artisan les pétrit, les façonne, y met un peu d’amour… et on vient juste le cueillir, comme les enfants cueillent les pâquerettes à l’arrivée du printemps.
Les saisons passent, les heures aussi. L’enfant voit la fleur se refermer, puis se faner. Paris se vide, s’éteint. Restent alors les lumières, les quais vides, un peu de tristesse. Malgré la pénombre, l’esprit et l’espoir demeurent. Demain sera un jour nouveau… et mes yeux seront neufs comme ceux d’un nourrisson. Un Petit Prince, je vous disais…