Ouvrir sa porte à autrui n’est pas un acte anodin. On montre un peu de son intimité, on dévoile des détails qui en disent long sur nos petites histoires, on prend à chaque fois le soin de ranger ce qui dépasse un peu trop, de faire du ménage… Comme s’il fallait donner une image parfaite et idéalisée de notre façon de vivre, et dans une certaine mesure, des personnes que nous sommes réellement. La plus belle façon de recevoir quelqu’un est de le faire avec bienveillance, chaleur et honnêteté. Dès lors, même si tout n’est pas aligné, qu’il reste quelques zones de désordre, le regard de l’autre sera généralement bien plus indulgent. Le contact ainsi créé sera d’autant plus durable et intéressant. Cet endroit, cette maison, que l’on voyait sienne devient « nôtre », des échanges s’y créent, et la notion de lieu de vie prend tout son sens.
A Nozay (44), la famille Bourseau entretient depuis plusieurs années une tradition de partage et d’hospitalité en accueillant dans leurs moulins les artisans boulangers ainsi que le grand public. En 2016, ils ont fait le choix d’organiser un événement sensiblement différent, puisqu’il ne s’adressait qu’à leurs clients. Ainsi sont nées les Artisanales, façon élégante de nommer ces portes ouvertes, pendant lesquelles les boulangers et leurs partenaires ont pu se rencontrer dans un climat convivial. 4 jours -du 18 au 21 septembre- rythmés par les visites des installations, les sorties en Segway, les parties de baby-foot, … mais aussi et surtout la transmission auprès des visiteurs du positionnement et des convictions de l’entreprise.
Si le moulin de la Villatte a été acquis par les Bourseau en 1973, la tradition meunière s’est transmise de génération en génération depuis près de deux siècles (à partir de 1825) pour arriver jusqu’à Franck et Christophe, actuellement à la tête de l’entreprise. Leur père avait bâti ici les fondations de leur projet, aussi bien au travers de l’outil de production que des valeurs qui forment la colonne vertébrale d’un meunier et orientent sa façon d’agir sur un marché toujours plus concurrentiel.
Avant la reprise, l’activité était particulièrement timide ici : à la reprise, à peine 600 tonnes de farine étaient produites chaque année. Autant dire que la progression a été fulgurante, puisque c’est aujourd’hui 27000 tonnes annuelles qui sont expédiées à la clientèle. Cette dernière se compose pour moitié d’industriels (biscuiterie, brioches, crêperies, pizzas, …) et d’artisans boulangers. Il n’a jamais été question de livrer la grande distribution ou les réseaux de boulangerie, par souci de cohérence et de respect.
Les deux frères ont pris la décision d’orienter leurs efforts sur l’artisanat et ainsi d’augmenter progressivement la part qu’il représente dans son volume d’écrasement. Cela fait suite à un double constat : l’industrie n’a de cesse de négocier les tarifs, ce qui ne permet pas de continuer à se développer sereinement du fait de marges réduites, et le caractère humain et riche des relations entretenues avec la clientèle de boulangers est une source de motivation et de progrès permanent pour les équipes de la minoterie.
La passion qui anime les femmes et les hommes qui travaillent ici a pu s’exprimer pleinement pendant ces Artisanales, même si c’est déjà le cas au quotidien sur le terrain. En filigrane de cet engagement sincère, c’est celui de Bernard Bourseau, ce fameux « père » que l’on retrouve cité à de nombreuses occasion, qui s’exprime encore aujourd’hui. Son choix de remettre en activité un moulin à meules par lui même (avec des pièces d’époque), en 1999, dénotait d’une réelle passion pour son métier, mais aussi d’une vision de long terme : tout en inscrivant son entreprise dans la modernité, il a su conserver un ancrage dans les traditions de la profession : en sachant d’où l’on vient et qui l’on est, on sait mieux où l’on va. De plus, les qualités aujourd’hui reconnues et valorisées des farines moulues à la meule de pierre, que ce soit sur le plan gustatif ou nutritionnel, ont rendu cet investissement réellement pertinent.
Le moulin à cylindres a été entièrement transformé il y a cinq ans pour doubler sa capacité de production : le nouvel outil, installé par MillService avec du matériel turc, peut à présent fabriquer 5 tonnes de farine par heure. A cela s’ajoute une unité dédiée à la production de farines biologiques sur cylindre, située à St-Omer de Blain. Franck Bourseau assure aujourd’hui la direction technique de ces installations.
On peut disposer des meilleurs outils, le résultat reste avant tout lié aux humains et aux choix qu’ils réalisent. Ici, c’est celui de la qualité qui a primé : de par un approvisionnement local des céréales (toutes issues de la région Ouest) et l’engagement dans des filières de qualité (CRC, Label Rouge, Agriculture Biologique), les frères Bourseau se sont différenciés de leur concurrence et participent au dynamisme de la boulangerie artisanale des régions sur lesquelles ils sont présents. En rejoignant le Club le Boulanger, ils ont fait le choix de s’inscrire dans la démarche de labellisation Bagatelle (Label Rouge) sur la baguette de Tradition française. Si certains meuniers se contentent du service minimum et ne mettent aucune conviction ni moyens dans ce processus, les équipes commerciales, menées par Christophe, ont réalisé un travail de grande ampleur ces dernières années et comptent aujourd’hui parmi les plus dynamiques en terme de nouveaux adhérents.
Il n’existe aucune recette miracle pour aboutir à de tels résultats, si ce n’est de mettre en cohérence l’ensemble des actions de l’entreprise pour fédérer autour d’elle des clients fidèles et partageant les mêmes convictions. Les Artisanales font partie d’une vision globale : en accueillant les boulangers en dehors de leur fournil et en leur présentant des solutions concrètes pour leurs affaires, on peut mieux leur transmettre les clés pour les faire réussir demain.
La « Boulangerie de mon Père » était ainsi un lieu privilégié pour mettre en oeuvre de bonnes pratiques en terme d’aménagement du point de vente et valorisation des produits. Catherine a été particulièrement impliquée dans ce projet, en réalisant la décoration de cette boutique éphémère et en assurant sa tenue pendant 4 jours. C’est également elle qui poursuit le travail sur le terrain, en réalisant des audits de magasin et en organisant les différentes opérations d’animation chez les artisans. Ce service est porteur d’une grande valeur ajoutée, car beaucoup d’entreprises se porteraient mieux si la vente était à la hauteur de la qualité des produits.
La communication est également un axe de travail central pour la profession. A Nozay, c’est Séverine qui prend en charge ce sujet, en partenariat avec des agences de création graphique, et développe des outils très pertinents pour valoriser l’identité de chaque artisan tout en leur apportant un solide support pour la défense de leurs engagements (labels, fait maison, …) et la vie de la boutique au travers d’opérations saisonnières (galette des rois, pains de saison, …).
Plutôt que d’imposer des carcans comme cela a trop longtemps été le cas, notamment au sein des grands groupements et réseaux de boulangerie, la personnalisation est ici le maître mot et le canevas ainsi tracé ne demande qu’à être pris en mains par les boulangers.
Comme je l’écris souvent, il ne sert à rien de raconter des histoires si elles n’ont pas de fond, si on se contente de les utiliser pour dresser des écrans de fumée. La démarche entreprise par la Minoterie Bourseau ne serait pas complète sans un accompagnement technique et la mise à disposition de recettes et procédés qualitatifs pour les artisans boulangers. Toute l’équipe de démonstrateurs -Arnaud, Julien et Mickaël, accompagnés pour les Artisanales par le Meilleur Ouvrier de France Mickaël Morieux- a à coeur de partager avec la clientèle un savoir-faire riche et basé, dans la plupart des cas, sur l’utilisation du levain naturel. Bien sûr, le meunier propose également une gamme de pré-mixes (la gamme Terroir), mais elle n’est pas mise en avant : le travail des farines brutes est privilégié,que ce soit grâce à des mélanges réalisés chez l’artisan ou au moulin pour la gamme Secrets de mon père -qui facilite la tâche au fournil en proposant des assemblages équilibrés-.
La Tourte de mon Père (réalisée à partir d’une farine de meule T80 certifiée Label Rouge, la Minoterie Bourseau étant parmi les premières à avoir rejoint la démarche sur ce produit), le Pain de mie moelleux sur base d’empois d’amidon (méthode japonaise), la Brioche longue conservation, tourte de Seigle une large gamme de pains Biologiques aux farines variées (grand épeautre, engrain, 4 sous…) ou bien sûr la baguette de Tradition Bagatelle, le fournil du moulin n’aura pas chômé pendant 4 jours pour garnir la boutique et proposer aux visiteurs des dégustations permanentes, le goût restant le meilleur moyen de convaincre de l’intérêt d’un produit. La viennoiserie n’était pas en reste : classiques ou créatives, elles bénéficiaient toutes d’un riche savoir-faire, servi par une farine de gruau de grande qualité. Cette dernière est écrasée par les Moulins Foricher, grâce à des relations privilégiées et basées sur des valeurs communes.
D’ailleurs, connaissant maintenant les deux entreprises, les femmes et hommes qui les composent et leurs portes ouvertes respectives, il est impossible de ne pas y voir des similitudes. Elles partagent bien sûr la marque Bagatelle, mais les faits nous ont montré que ce n’était pas un marqueur d’engagement sincère dans une démarche orientée en faveur de l’artisanat. Que ce soit dans le format de leurs événements, leur dynamisme permanent sur le terrain et les marqueurs sincères de leur volonté d’entretenir une vision de long terme, au delà de l’affairisme ou de la course aux prix de certains, les familles Bourseau et Foricher contribuent toutes deux à nous montrer que l’on peut grandir et continuer à fournir une farine et des services de qualité, mais aussi le sentiment pour chaque client d’appartenir à une grande famille. Celle des passionnés du bon pain, celui qui nourrit le corps et l’esprit.