Il est de plus en plus question de la proximité de l’approvisionnement de nos matières premières : en effet, pendant longtemps, nous avons pris la mauvaise habitude d’aller loin – parfois très – pour aller chercher des fruits, légumes, céréales et autres denrées, multipliant ainsi les dépenses énergétiques, oubliant le respect de la saisonnalité et le vrai goût des produits. Cette quête effrénée de l’exotisme et de la maîtrise des éléments devait bien arriver à son terme un jour ou l’autre, et cela commence à être le cas.

Parmi les acteurs de ce changement, on compte Fabien Rouillard, le chef pâtissier de chez Fauchon. J’ai déjà eu l’occasion de vous en parler, mais je trouve que l’engagement pris par cet homme dans un véritable changement au sein de la pâtisserie de cette grande maison parisienne est intéressant et mériterait de trouver un écho dans d’autres établissements gourmands.
Si le chef en est arrivé là, c’est avant tout une question de parcours. A 39 ans, il n’est pas arrivé à la tête des équipes sucrées de Fauchon par hasard. Cuisinier d’esprit et de formation, il est devenu pâtissier de terrain sans pour autant perdre tout ce qui fait l’intérêt de l’univers de la restauration, à savoir la capacité à mettre en oeuvre des ingrédients issus du marché, au meilleur de leur forme. Difficile de faire pareil en pâtisserie « boutique », puisqu’il faut assurer une gamme et une qualité constante au quotidien, mais on peut tout à fait respecter le produit, le travailler sans le dénaturer.
C’est ainsi qu’il a évolué au sein des cuisines du Lucas Carton, le restaurant d’Alain Senderens, ou encore du Sketch de Pierre Gagnaire à Londres. Des expériences et des hommes différents, qui s’ajoutent à l’expertise déployée au sein de CCDessert, l’entreprise de conseil qu’il a fondé pour accompagner les acteurs de l’agro-alimentaire dans cette fameuse démarche de « réduction des distances ». Passé l’épisode malheureux de Pilêo, le gâteau-chapeau créé par le chef, le parcours de ce passionné est tout à fait remarquable.

Aujourd’hui, c’est au service des gourmands de la place de la Madeleine qu’il déploie son savoir-faire. Fauchon l’a « appelé » l’an passé pour succéder à Christophe Adam – une opportunité à saisir. Chose qu’il n’a pas manqué de faire, et avec brio. En quelques mois, il est parvenu à imprimer un véritable changement chez cette belle endormie pâtissière. Bien sûr, cela ne s’est pas fait sans le soutien des équipes en place, qui ont particulièrement bien suivi et adhéré à cette volonté. Des biscuits à la farine de riz, des purées de fruit très légères, … de nouvelles habitudes à prendre qui portent aujourd’hui leurs fruits : moins de sucre, moins de perte, et surtout des chiffres encourageants en terme de ventes (+10% sur la pâtisserie ces derniers mois d’avril/mai).

Régulièrement, Fabien Rouillard se rend à Rungis pour échanger avec ses fournisseurs et sélectionner les variétés de fruit qui seront la base de ses futures créations. Voici tout l’intérêt de la démarche : la matière première est reine et c’est le pâtissier qui s’adapte. Ainsi, il doit tenir compte du fait qu’il n’y a pas qu’un seul Abricot Bergeron, et faire évoluer sa recette au fil des semaines et des arrivages. Un exemple ? Le fraisier « Biarritz » intégrait en début de saison des fraises gariguettes, plus grosses que les maras des bois utilisées à présent. Ainsi, le gâteau n’en intègre plus trois mais cinq par tranche… Des détails qui ont leur importance.
Avec la météo capricieuse de ces dernières semaines, les fruits prennent du retard et pourraient compromettre le calendrier initialement prévu dans l’ordre des créations de la collection pâtissière du chef. Ce mardi, il venait présenter sa démarche dans le cadre d’une formation proposée à la SEMMARIS à des enseignants. L’occasion d’aller voir et goûter les abricots proposés par les Vergers Saint-Eustache, l’un des fournisseurs de la maison Fauchon. Cela ne dispense pas M. Rouillard de voyages réguliers dans la France entière pour aller à la rencontre des producteurs sélectionnés, afin de toujours mieux les impliquer dans cette démarche qualitative.

L’opérette, le fameux opéra à base de pêche présenté au début du Printemps pourrait bien être retardé si les fruits n’étaient pas à la hauteur des exigences de qualité du chef : hors de question de proposer un produit dont la « matière première » est médiocre, ce qui aurait pour conséquence de devoir augmenter le taux de sucre pour donner du goût.

Bien sûr, cela serait plus compliqué si le contexte était différent : il s’agit ici de régler les approvisionnements pour une seule boutique, avec une clientèle disposant des moyens permettant une sélection pointue des matières premières. Fabien Rouillard le dit lui-même : il se fait « plaisir », grâce aux moyens à sa disposition… nous ne nous en plaindrons pas, puisque les produits seront ainsi plus savoureux.

Si l’on vivait dans un monde parfait, les origines des fruits seraient clairement indiquées pour chacune des pâtisseries présentées au sein des échoppes gourmandes de notre capitale… Libre à chacun de faire son choix en conséquence, de cette manière ! Pourquoi pas des gâteaux « locaux », après tout ?

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