18
Sep
2012
Chez les Rouget, on sait, on sait faire, mais on sait aussi faire faire
10 commentairesLa vie est faite de rencontres, dont certaines sont plus marquantes que d’autres. Ce que j’aime avec la boulangerie, c’est que l’on a la possibilité de rencontrer des produits avant des hommes, et que l’on accède ainsi à leur sensibilité profonde, car dans chacun de leurs produits se retrouve un peu de leur âme et de leur nature. Vous comprendrez pourquoi j’ai souvent tendance à fustiger les mélanges « prémixes » développés par les meuniers : certes, ils facilitent le travail du boulanger, mais comment peut alors se produire cette rencontre, cet enrichissement des sens ?
Cette boulangerie de Beaumont-sur-Oise, on m’en avait parlé, à plusieurs reprises. Un fou de pain, me disait-on. J’avais été le constater par moi-même, j’avais fait un voyage dans son univers, et plus loin encore, dans le détroit du Bosphore… Une rencontre gustative, certes, mais également un terrible goût d’inachevé et d’approximatif, car je n’avais pas pu toucher l’homme et son engagement quotidien. Un acte manqué qui devait être réparé… ce qui est à présent le cas.
Chez Christophe et Sylvie Rouget, la boulangerie est bien plus qu’un métier ou même une histoire de famille. Non, cela va plus loin : dès lors que l’on pénètre ici, c’est un peu comme si l’on rejoignait une tribu, une communauté… Un lien fort qui trouve ses symboles au quotidien. Ainsi, quand l’un de ses membres la quitte, souvent à l’insu de son propre gré, cela ne laisse pas indifférent : on me parlait d’un pilote de ligne récemment décédé, ce qui n’avait pas manqué de provoquer l’émoi au sein du personnel de vente… Des histoires, oui, toujours des histoires, mais la boulangerie n’existerait pas sans elles.
Tout cela forme une vie, un quotidien sans cesse changeant. Christophe Rouget n’est pas un artisan renfermé dans son fournil, bien au contraire : son pain exprime sa soif de partage et d’échange. Ainsi, on retrouve dans sa boutique des produits qui ont une histoire. La Tresse Saint-Gilles ? Un clin d’oeil à son ami David Sausseau, implanté à La Réunion. Le pain Noémia ? Une création dédiée à la fille d’un confrère, qui souhaitait un goûter sans ajout de sucre. Des recettes qui voyagent et sont reprises dans d’autres boulangeries.
Tout cela se résume en une phrase : savoir, savoir faire, et savoir faire-faire. C’est pour cela que l’on retrouve tant d’apprentis au sein du fournil de la maison : ces jeunes sont les chefs d’entreprise potentiels de demain, et il faut leur transmettre cette connaissance et ce goût pour un pain de qualité, produit dans des conditions irréprochables.
Parlons-en, des conditions et du cadre, car ils sont des éléments particulièrement forts ici. A leur arrivée à Beaumont en 1995, les Rouget ont repris une ancienne affaire Banette, dans laquelle ils ont petit à petit inscrit leur marque tout en mettant en avant l’histoire du lieu. Le faux-plafond de l’époque a ainsi vite disparu pour retrouver ses dessins d’époque… et ces fameux blés et coquelicots. Pourquoi ces fleurs ? Tout simplement car, à l’époque, les champs n’étant pas traités, les coquelicots y proliféraient naturellement. On les retrouve ainsi en « fil rouge » dans l’ensemble de l’établissement, en fer forgé sur les vitrines, mais aussi dans les diverses fresques qui ornent les murs.
Impossible de rester indifférent devant ce goût du détail et du dessin. Que ce soit au fournil, dans les couloirs, ou encore au laboratoire de viennoiserie et de pâtisserie, de magnifiques peintures accompagnent le personnel au quotidien. Rien d’anecdotique là dedans, puisqu’elles racontent des histoires : celle de la boulangerie tout d’abord, mais aussi celle des ingrédients mis en oeuvre dans les produits. Une façon originale de toujours transmettre du savoir-faire. Quelques détails qui en disent long sur la capacité à voir toujours plus loin de notre artisan.
Voir plus loin, oui, c’est ce qui guide Christophe Rouget dans l’ensemble de ses actions. Que ce soit en rénovant l’ensemble de ses locaux pour les rendre irréprochables et pleinement exploités, en développant des gammes de produits gourmands et accessibles pour faire face à la concurrence de chaines telles que la Boulangerie de Marie – récemment implantée à proximité -, ou même en fidélisant dans son entreprise ses meilleurs apprentis et ouvriers… Nous avons affaire à un chef d’entreprise responsable et dynamique, peut-être des restes de la formation de gestion et de comptabilité que son père lui avait imposé. Dans cette famille originaire du Nord, la boulangerie est une affaire de famille (on retrouve d’ailleurs le frère au tourage), même si cela a parfois des mauvais côtés : cette étude des calculs et autres règles de gestion a en effet privé notre artisan de toute possibilité d’apprentissage en boulangerie, le réorientant de fait vers un CAP de Pâtissier et le « condamnant » à un statut d’autodidacte dans son coeur de métier.
Cela importe bien peu, car j’aimerais souvent voir des autodidactes aussi méticuleux et rigoureux que lui. De la rigueur, il y en a dans ses préparations : la farine torréfiée, incorporée selon des grammages très précis dans les recettes, est fabriquée « maison » au travers d’un processus méticuleux, tout comme pour la nougatine incorporée dans le pain Bosphore. De la folie, vous trouvez ? Non, au contraire, beaucoup de clairvoyance à mon sens.
Une même clairvoyance qui l’a amené dès le début à s’engager aux côtés d’acteurs engagés tels que la famille Foricher et le Club le Boulanger, défenseurs d’une farine Label Rouge, produite en Culture et Rendements Contrôlés (CRC). Si aujourd’hui ces démarches trouvent de l’écho auprès d’un public toujours plus large, c’était bien loin d’être le cas il y a 15 ans. Pour autant, notre artisan voudrait rendre les spécificités de ce processus plus lisibles pour le grand public… Le partage, toujours le partage.
Le partage passe aussi par des prix particulièrement abordables, avec une baguette de pain courant – très soignée – proposée à 0,80€, et une Tradition à 1€. Malgré l’augmentation du coût des matières premières, Christophe Rouget tient à maintenir ces tarifs, qui représentent pour lui une véritable porte d’entrée pour des clients qui seront ensuite prêts à dépenser un peu dans des achats « de plaisir », qui contribueront au chiffre d’affaires de la boutique. Donner pour recevoir, une pratique qui a fait ses preuves depuis bien longtemps.
D’ailleurs, le boulanger voudrait continuer à donner longtemps, même si c’est aujourd’hui son corps qui lui fixe des limites. Passionné de sport en plus de son métier, la fatigue ne manque pas de se faire ressentir. Cela l’incite sans doute à être moins catégorique qu’il avait pu l’être par le passé, à tenter de parvenir à des compromis pour continuer à avancer… et à faire avancer. Donner de la latitude à ses apprentis, voire à terme leur « offrir » une seconde boulangerie où exercer leur talent… L’histoire continuera à s’écrire pour cette communauté boulangère, et nous en serons pour la suivre avec attention.
Infos pratiques
39 rue Basse de la Vallée – 95260 Beaumont-sur-Oise (gare de Persan-Beaumont, Transilien ligne H) / tél : 0134700290
ouvert du jeudi au lundi de 6h à 19h30. (ouverture le mardi également à partir d’octobre)