Il y a des individus qui font plus parler que d’autres. Sans doute est-ce lié à leur façon d’agir, généralement plutôt décomplexée : si l’on se soucie trop souvent de ce que le reste du monde pensera de nos actes, il faudrait au contraire savoir s’en détacher pour enfin prétendre à une quelconque liberté. Ma conviction est que le caractère positif ou négatif des propos entretenus à notre sujet importe peu. Dans ce monde en mouvement perpétuel, souvent empreint d’une agressivité et d’une morosité latents, le plus difficile est tout simplement… d’exister. Exister pour continuer à avancer, à tracer sa route, en partageant son projet et sa vision avec force et conviction.
Bertrand Girardeau s’est inscrit dans cette voie très jeune : si la meunerie est avant tout une histoire de famille, les aléas de la vie l’ont conduit à s’investir très tôt dans l’entreprise familiale. Suite au décès prématuré de son père, c’est avec sa mère qu’il prendra la suite à la tête de cette entreprise en 1981. Ensemble ils vont perpétuer une tradition débutée dès 1895, avec l’acquisition du moulin du Feuillou. En parlant de tradition… française, celle-ci, le meunier s’y inscrira pleinement en rejoignant la Générale des Farines et contribuera ainsi au sursaut qualitatif connu par la boulangerie artisanale suite à l’adoption du décret pain.
Seulement, plutôt que de tracer une ligne droite, de continuer pleinement dans la voie tracée par ses ancêtres, celui qui se décrit lui-même comme un meunier-entrepreneur-constructeur a pris le parti de prendre des virages, d’aller vite, de grandir et de faire rugir -parfois un peu trop, jugeront certains- les moteurs de son entreprise. Sans doute est-ce lié à sa seconde passion, la course automobile.
Il faut dire que pour devenir l’un des acteurs majeurs de la meunerie française – Girardeau fait partie du « top 10 » des entreprises du secteur, aux côtés d’acteurs tels que les GMP, Soufflet, les Grands Moulins de Strasbourg, Evelia/Terrena, Axiane… -, il aura fallu y aller… pleins gaz. Le site historique du Feuillou, en bord de Sèvre, est rapidement devenu trop étroit. C’est ainsi qu’est né le Fromenteau, véritable tête du pont des « Moulins Associés », avec une capacité d’écrasement de 450 T / jour.
Pour Bertrand Girardeau, hors de question d’utiliser le mot « groupe » pour qualifier l’ensemble qu’il a bâti. La dénomination de Moulins Associés est défendue avec vigueur par l’entreprise, pour valoriser les spécificités de chacun des sites de production. Ainsi, en plus des 2 outils à Boussay, l’entreprise compte aujourd’hui 3 implantations supplémentaires : les Minoteries du Château à Ernée (53), la Minoterie du Bocage à Binic (22) et la Minoterie Corouge à Réguigny (56). Cette dernière est dédiée à l’écrasement du blé noir (ou sarrasin), avec un véritable savoir-faire associé à cette céréale au multiples visages – IGP Bretagne, Bio, d’importation…
Au total, ce sont plus de 830 T / jour de céréales qui peuvent être écrasées.
Cette grande capacité n’aurait pas de sens si elle avait été uniquement destinée à l’artisanat boulanger. L’industrie représente le plus important vecteur de volume pour la meunerie, et c’est pourquoi l’entrepreneur s’est tourné vers ce marché. Ses équipements lui permettent de réaliser des farines sur-mesure pour ses clients, notamment grâce à des stations de mélange hautement capacitives ainsi qu’à un stockage blé important.
Si ce choix a pu être critiqué, notamment car il compte dans sa clientèle la chaine Ange, ce positionnement est aujourd’hui assumé par l’entreprise, qui met en avant le fait que ces investissements profitent à tous, et que l’exigence des industriels fait avancer les process et donc la qualité de la farine. Cela impose également une véritable rigueur dans la maitrise des coûts et de la chaine logistique. En revanche, le service et donc l’essentiel de la force humaine déployée chez Girardeau sont dédiés aux artisans boulangers.
S’il y a bien un sujet sur lequel le meunier « multi-régional » s’est investi et a investi, c’est celui-ci : l’accompagnement et l’offre de services ont été placés au coeur de sa stratégie, et il s’est entouré pour cela de professionnels aguerris. Pour l’équipe commerciale, c’est Jean-Christophe Paturel – qui a oeuvré pendant plus de 10 ans aux Moulins Rioux – qui dirige les opérations.
L’équipe de démonstrateurs est bâtie sur de véritables piliers que sont Mickaël Chesnouard – Meilleur Ouvrier de France 2011 – et Fabrice Guéry – Compagnon du Devoir et présent depuis plus de 10 ans dans l’entreprise. Avec des boulangers talentueux tels qu’Olivier Coquelin, Frédéric Kerberenes, Fabrice Vuffray ou encore le dernier arrivé, Cédric Béziat, ils partagent avec la clientèle de la Minoterie Girardeau un savoir-faire riche et reconnu. Pains sur levain naturel, viennoiseries, … la maitrise technique rejoint la créativité et inspire les artisans.
La particularité de l’Atelier m’alice est d’être ouvert à tous : en effet, les formations peuvent être suivies par des professionnels de tous horizons. C’est une véritable vitrine du savoir-faire de l’entreprise, mais aussi un formidable outil pour partager et faire grandir une base de compétences que l’on doit chercher avant tout à protéger. Il s’agit, je pense, de l’un des enjeux majeurs du secteur pour les prochaines années et de telles initiatives doivent se développer pour y répondre. Des partenariats avec l’INBP sont d’ailleurs en cours de mise en place, notamment pour mettre en place une formation spécifique pour les équipes de vente. L’offre m’Alice s’étend bien au delà de la production et traite également des problématiques liées à la communication, à la gestion, …
L’espace aménagé depuis 4 ans valorise pleinement l’engagement de l’entreprise, puisqu’il accueille également le siège de la Minoterie Girardeau et de ses Moulins Associés. Chaque visiteur passe ainsi devant ce grand fournil vitré qui nous rappelle que c’est ici que se trouve l’essentiel : sans ces fournils et le travail assidu des femmes et hommes qui y oeuvrent, la boulangerie artisanale n’est pas grand chose.
L’enjeu pour une telle entreprise est à présent de parvenir à maintenir le niveau de qualité et de proximité qu’il met en avant et qui ont fait son succès. La forte croissance de ces dernières années rend forcément la chose plus compliquée, et c’est justement sur ces facteurs humains que l’on peut concentrer aujourd’hui la plupart des reproches aux acteurs de grande taille présents sur le marché. Il appartient donc à Bertrand Girardeau et à ses équipes de prouver que l’on peut tracer une autre route, tout en étant présent sur des marchés aussi différents que l’industrie et la boulangerie artisanale. La structure mise en place, où chaque moulin garde une certaine indépendance, permet sans doute de conserver une taille « correcte » pour chacun, même s’il faut que les moyens humains soient adaptés.
Le défi ne manque pas d’intérêt, mais il faut garder à l’esprit qu’il ne fait pas qu’engager la minoterie : ses clients sont en première ligne pour juger des évolutions, avec toutes les implications que cela peut représenter pour leur activité. Voilà un sujet à suivre avec intérêt dans les prochaines années.