Peut-on mesurer la véritable solidité d’une statue ou d’un immeuble en regardant sa tête, son sommet ? Il suffirait alors d’élever un édifice imposant de par sa taille, ses formes ou ses couleurs. En réalité, tout se joue beaucoup plus bas : les pieds et fondations ont un rôle bien plus central dans la pérennité de l’ouvrage… mais voilà, ce ne sont certainement pas les éléments qui nous attirent le plus, à la fois parce qu’il faut faire plus de recherches pour bien les juger, parfois creuser un peu, et que ce n’est tout simplement pas très beau. Nous en revenons à un problème récurrent de nos sociétés, où l’on privilégie l’esthétique et la facilité au détriment de la solidité. Pourtant, bâtir des modèles résilients n’aurait à peu près que des avantages à long terme, parmi lesquels celui de nous défaire progressivement d’une certaine dépendance aux croyances et à l’irrationnel dans nos façons d’agir.

Dans cette attente, qui risque d’être longue, notre paysage est peuplé de colosses aux pieds d’argile. On pouvait compter parmi eux le salon Europain, qui n’avait cessé de perdre de son importance au fil des 8 dernières années. Je me souviens encore de ma première édition, où les acteurs en présence rivalisaient de moyens pour affirmer leur grandeur. Entre temps le monde a changé, et les organisateurs de l’événement que sont EKIP et GL Events n’ont pas su mener les évolutions nécessaires pour maintenir l’attractivité du salon. Le cru 2018, toujours positionné au Parc des Expositions de Villepinte, avait sans doute atteint l’apogée de la déprime : morosité palpable, grands noms absents, faible attractivité du contenu « éditorial », allées clairsemées, … Il était temps d’engager ce qui s’apparentait alors à une opération de sauvetage.

Le stand des Moulins Soufflet… ou plutôt le corner, au vu de sa taille très réduite.

Son nom de code ? « New » Europain. Bon, je vous rassure, pas de révolution : on prend les mêmes et on recommence, si ce n’est le rapatriement à Paris Expo – Porte de Versailles. Le format réduit -limité au hall 1 du parc- lui donne en définitive le visage d’un salon régional, ce qui correspond mieux aux attentes des visiteurs et exposants en terme de proximité et de qualité des échanges. Cette dimension s’est confirmée par les chiffres, avec moins de 40000 visiteurs sur 4 jours pour environ 450 exposants. La taille des stands traduisait d’ailleurs bien que ces derniers avaient bien intégré cette idée dans leurs investissements : fini les larges espaces, bonjour les formats compacts (allant jusqu’au timbre poste pour les Moulins Soufflet, dont la présence était plus qu’anecdotique), à quelques exceptions près.

Difficile de passer à côté des Moulins Bourgeois : un tube Citroën à leur couleurs avait été disposé à l’entrée, avec chaque matin des dégustations.

Il faut dire qu’Europain garde encore pour certains un caractère stratégique, ou est une façon d’affirmer (si c’était bien nécessaire !) leur domination sur le secteur francilien, à l’image des Moulins Bourgeois, dont la présence (avec un camion à l’entrée puis au travers d’un (trop) large stand) finit par être… ostentatoire. Beaucoup se sont questionnés sur les dates choisies pour l’événement : du 11 au 14 janvier, soit en plein pendant le second week-end de l’Epiphanie, lequel avait une importance toute particulière pour les artisans. Dès lors, il semblait difficile pour eux de faire le déplacement.
Si l’organisateur a parfois justifié ce positionnement par la disponibilité des pavillons chez VIParis, on peut aussi y voir la pleine expression de la phrase reprise en fil rouge sur le dispositif de communication déployé par le salon : « entreprendre en boulangerie-pâtisserie ».

Le remplissage des allées avait parfois ses limites : comment suggérer à un boulanger d’installer un tel dispositif dans sa boutique ?!

Cette orientation avait été décrite dès la présentation presse organisée en amont du salon, où l’on nous avait décrit une bien curieuse image du métier : pour être un artisan boulanger « progressiste » aujourd’hui, il faudrait avoir plusieurs boutiques, un chiffre d’affaires annuel supérieur à 500 k€ et une équipe en conséquence… en plus de s’orienter massivement vers des activités de restauration. Europain se positionne ainsi au service d’investisseurs, de reconversions et autres profils qui voient dans la boulangerie une potentielle source d’affaires et de profits, tout en séduisant les artisans portant peu d’intérêt aux fondamentaux de leur métier, à commencer par le pain lui même. Je ne remets pas en question la nécessité d’être un véritable entrepreneur pour réussir dans un contexte de concurrence exacerbée, avec des paramètres économiques toujours plus exigeants. Cependant, à s’éloigner autant de ce qui faisait la richesse et la cohérence -son savoir-faire, notamment !- même d’une profession, on la détruit à long terme. Dès lors, un salon qui devrait être l’image du secteur devient en définitive un outil de communication au service de quelques puissants, qui trouvent leur intérêt à cette évolution : en effet, elle demande moins de ressources qualifiées et correspond tout à fait au positionnement qu’ils ont adopté depuis plusieurs années. Cela fait aussi, par ricochet, le lit de l’offre industrielle ou semi-industrielle, laquelle était fort bien représentée par son porte drapeau qu’est la FEB -Fédération des Entreprises de Boulangerie-. Ce discours qui marginalise peu à peu les artisans « traditionnels » est aussi lassant qu’il représente un péril pour le maintien d’une véritable boulangerie artisanale.

Voilà la boulangerie du futur. Bon, espérons que c’est encore à l’état d’embryon…

Il suffisait de visiter le « concept » Europain Lab (répondant au doux nom de Muse… laquelle ne m’inspirait pas du tout, je l’avoue !) pour se convaincre du fait que ces individus, accompagnés par des armées de consultants et même d’enseignants, ont une vision bien particulière de la « boulangerie du futur ». J’avais été interpelé par cette dénomination au cours de la présentation presse du salon, et certains ne sont pas privés pour reprendre la chose sans la moindre once d’esprit critique. Le « reportage » récemment diffusé sur M6 dans le cadre de l’émission 66 Minutes en était un excellent exemple : le sujet avait été comme livré clés en mains aux « journalistes », lesquels se sont engouffrés dans la brèche d’un progressisme que je qualifierais de lugubre et glissant. Deux axes majeurs étaient mis en avant : le snacking et le digital. Sur le premier point, l’offre développée pour l’occasion par l’institut le Cordon Bleu était sans doute très qualitative, mais peu rationnelle au vu des dressages éminemment graphiques proposés. Tant qu’à se positionner sur le salé, il me semblerait plus opportun d’inciter le boulanger à rester dans un périmètre qu’il maitrise, sans s’orienter vers de la cuisine à proprement parler : c’est un métier sur lequel il n’est ni légitime, ni compétent, sauf cas exceptionnels.

Quelques créations salées proposées au sein de MUSE. Si on ne peut que saluer le travail réalisé sur le dressage, il y a bien peu de chances que les boulangers se lancent dans de telles réalisations… et fort heureusement !

Quant au digital, cette obsession de la file d’attente me paraît assez malsaine : on peut bien sûr essayer de créer une nouvelle expérience client (laquelle donnerait une nouvelle place au conseil et valoriserait mieux le personnel de vente) au sein des lieux de vente, mais je ne pense pas que la solution se trouve du côté d’imposantes bornes de commandes (similaires à celles proposées par… les mastodontes de la restauration rapide, beau mélange des genres !) ou de QR codes disséminés sur les produits, lesquels étaient présentés en totale proximité des clients, une pratique qui serait sans doute fort appréciée par les services de l’hygiène (!). Une boulangerie où les vendeurs seraient tous équipés d’une tablette pour prendre les commandes m’apparaît plus être une vision d’horreur que de progrès : est-ce vraiment dans un tel monde que nous souhaitons vivre ? N’y a-t-il pas plus de sens au travers d’un réel contact humain, avec un échange sans outil tiers ?

Pour commander les produits au sein de l’espace MUSE, des QR Code étaient disposés sur chacun d’entre eux… pour un rendu visuel et une praticité discutables. On pouvait aussi utiliser des bornes de commande disposées à l’entrée de l’espace.


Le pain, quant à lui, n’avait trouvé sa place dans cet univers déstructuré qu’au travers de panières presque cachées ou d’une curieuse tour, laquelle ressemblait plus à une nature morte qu’à un étal incitant à l’achat (pouvait-on d’ailleurs l’acheter ?). Signe du malaise, certains des partenaires du « concept’ cachaient mal leur désaccord avec les orientations prises.

Avant de parler de futur, je pense qu’il serait intéressant de se re-pancher sur les fondamentaux du commerce, et notamment l’attractivité des étalages… car là nous n’y sommes pas du tout, et je ne parle même pas du pain qui ne semble pas vraiment mis en vente.

C’est dans ce contexte que la Confédération Nationale de la Boulangerie et Boulangerie-Pâtisserie Française présentait sa nouvelle marque « Boulanger de France », développée par l’organisme depuis quelques mois. On passera sur le caractère plutôt amateur de la communication, pourtant chèrement facturée aux adhérents, pour s’intéresser au fond de la chose. Difficile de critiquer toute initiative visant à valoriser le fait maison et l’exigence vis à vis de sujets d’importance tels que la sélection des matières premières, la qualité des procédés de transformation et des recettes ou encore la transmission du savoir-faire.

Le stand de la confédération avec le fameux logo Boulanger de France.

Pour autant, le coût du dispositif (620 euros HT avant le 31/12/2020, puis 1000 euros après cette date (!), les deux ans pour les non-adhérents du syndicat, moitié moins pour les autres) a de quoi poser quelques questions, quand bien même l’ensemble est audité puis certifié par un organisme indépendant (Veritas). Il faut bien comprendre que cette nouvelle marque n’a aujourd’hui que peu de valeur : elle n’en aura que lorsqu’elle aura rallié de nombreux artisans et acquis une forte notoriété auprès des consommateurs (au prix de lourds investissements en communication)… ce qui est naturellement freiné par cette tarification. Perdue dans la masse de labels et autres démarches déjà existantes, l’étiquette Boulanger de France (laquelle est payante en plus des frais d’adhésion) risque d’être noyée.
Je ne me lancerai pas dans une réflexion trop poussée sur les intentions du syndicat pour le lancement de ce dispositif, même s’il est clair que c’est un moyen de reprendre de l’influence sur la profession et d’engranger des adhérents. Est-ce une bonne méthode pour y parvenir ? Je ne pense pas. Tout simplement parce que le temps des injonctions est révolu : il ne suffit pas de dire aux artisans de fabriquer maison (et encore, même pas l’ensemble des produits mis en vente dans leurs boutiques, puisque le « label » tolère quelques références industrielles, comme si c’était utile !) pour qu’ils s’y astreignent. Il ne suffit pas d’inscrire dans une charte que la formation des apprentis est indispensable, que la sélection des matières premières fait partie intégrante de leur métier.
Non, ce qu’il manque aujourd’hui, c’est un socle commun de valeurs qui définit un Artisan Boulanger, et ce qui le rattache à cette profession. Si j’avais défini quelques grandes lignes dans mes billets précédents (ici ou ), je pense que nous devons nous saisir de l’opportunité offerte par ce contexte concurrentiel et de bouleversement des habitudes alimentaires pour transformer en profondeur nos pratiques et notre modèle, afin de devenir de véritables acteurs du mieux manger… autant dire qu’il s’agit d’intégrer une éthique de travail qui ne se transmet pas par des labels, qui sont en définitive autant d’étiquettes destinées à masquer de profonds manques d’intention portée au métier et à la clientèle. Un véritable travail est à mener dans la formation des jeunes et l’accompagnement des artisans pour leur permettre de s’approprier ou de se réapproprier cette démarche intellectuelle, et c’est à mon sens dans cette voie que le syndicat devrait s’impliquer… mais les efforts à fournir sont autrement plus importants.

Un sac de farine Sénone sur le stand des Moulins Dumée : les logos Label Rouge et CRC y sont bien visibles. Si l’entreprise écrasait déjà des blés CRC pour certains de ses clients industriels comme Saint Michel, les artisans ne bénéficiaient pas encore de leur ‘engagement’ dans la démarche. C’est à présent chose faite.

En définitive, on en revient toujours à la même idée : s’acheter une image de vertu à bon compte est devenu une grande tendance, pour ne pas dire la norme. Pour s’en convaincre, il suffisait de regarder du côté de quelques stands. La meunerie française s’est fait une spécialité d’occulter ses pratiques peu avouables en mettant en avant ses « démarches filières » : tout le monde fait du Bio, du Label Rouge ou du CRC. J’avais déjà dénoncé cette pratique il y a deux ans, en ne doutant pas que cela continuerait encore. Cela touche maintenant des spécialistes de la farine discount, tels que les Moulins Dumée, qui annonçait le lancement de Sénone, sa farine Label Rouge-CRC. Certains ont commencé à lancer leurs propres démarches qualité, à l’image des Moulins Viron, qui s’est engagé dans la création d’un « blé Eco-Responsable », en partenariat avec des coopératives et les pouvoirs publics. L’enjeu est notamment de préserver les réserves d’eau (moins de chimie et d’azote, suppression de substances controversées), mises à mal par des pratiques de culture intensives très présentes en Beauce. Banette a, de son côté, dégainé son adhésion à la Charte de Production Agricole Française pour l’ensemble de ses farines. Bref, autant dire que notre meunerie n’a jamais été aussi verte.

Le stand Banette avec son large espace d’accueil.

Pour rester sur Banette, leur stand affichait fièrement la nouvelle identité du groupement, Europain étant pour eux une occasion toute trouvée de reprendre la parole sur le secteur francilien après avoir été malmenés par le départ des Moulins Familiaux (Chars, Cherisy, Paul Dupuis). La bannière est aujourd’hui portée sur le territoire par les Moulins Secrets d’Artisans, la nouvelle émanation du groupe coopératif Axereal, née de la volonté de regrouper Axiane Meunerie et Dijon Céréales Meunerie sous la même enseigne. On peut saluer la nette évolution de la qualité des produits proposés pour l’événement, avec notamment une gamme de pains à partir de farines brutes telles que le Khorasan ou le petit épeautre, ainsi qu’un travail autour de la viennoiserie maison. Le MOF Joël Defives intervient de façon régulière pour accompagner le groupement et ses artisans dans le développement de ces références plus qualitatives et qui s’inscrivent en marge des « traditions » Banette, lesquelles étaient plutôt basées sur des préparations que sur le savoir-faire de l’artisan. Le chemin sera sans doute long pour parvenir à faire évoluer les adhérents du groupement, mais cela dénote tout de même d’un certain dynamisme intellectuel et d’une lucidité vis à vis de l’évolution du marché, deux éléments que l’on ne peut malheureusement pas créditer à de nombreux acteurs du marché…

En définitive, Menlog avait bien résumé le salon : Europain ? Pas besoin d’en faire des caisses !

Vous l’aurez compris, ce « nouvel » Europain n’avait en définitive pas grand chose de révolutionnaire. Cela reste bien sûr pour la profession une occasion de se retrouver, avec les immanquables concours et quelques tables rondes traitant de tendances animant une petite partie du métier… mais l’événement ne regagnera jamais son prestige passé, sans que l’on puisse vraiment s’en plaindre.

  • Plusieurs start-ups étaient présentes sur le salon, avec une petite zone dédiée. Parmi elles, on comptait Yumgo, une alternative végétale aux blancs d’oeufs. Elle se distingue des autres propositions de ce segment de marché par sa simplicité d’utilisation : les recettes n’ont pas à être modifiées.
  • Les solutions anti-gaspillage, très en vogue à notre époque, étaient mises en avant sur le salon. Ici une solution permettant de transformer le pain invendu.
  • Sur le stand Agrano, les produits « recommandés par les Ambassadeurs du pain » avaient une bonne place. Si j’ai beaucoup de respect pour le travail réalisé par cette association autour de la fermentation et du retour d’un pain nutritif, je ne souscris pas à ces « liaisons dangereuses » qui nuisent à la lisibilité de leur discours.
  • Même le stand Metro avait pris le format d’un ticket… de métro.
  • L’espace dédié à la Coupe du Monde de Boulangerie, où les chinois ont été décorés.
  • Communiquer c’est bien, mais écrire que les blés biologiques sont cultivés à 10km du moulin me semble un peu léger : au vu de la tension en approvisionnement sur les blés biologiques et les volumes d’écrasement réalisés par les Moulins Familiaux, il me semble peu probable que l’ensemble des grains soient achetés aussi près.
  • Les Moulins Fouché présentaient leur nouvelle référence de farine, la Bio T65, réalisée à partir de blés locaux. L’entreprise est à présent menée par Hugues Robert, un transfuge des Moulins Soufflet, qui sera chargé de prendre la suite de Vincent Fouché en appliquant la trajectoire souhaitée par Bertrand Girardeau, qui compte bien emmener le site essonnien dans le sillage de ses autres entités. Autant dire que le challenge est de taille au vu de l’intensité concurrentielle sur le territoire francilien, de l’inertie au changement au sein des forces de ventes ainsi que de la difficulté à changer les habitudes des clients artisans.
  • La traditionnelle meule de présentation des pains de la gamme Suire.
  • Parmi les nouveautés présentées sur le stand Moulins Bourgeois, une « farine fine de blé dur », laquelle avait servi à la confection de la « Durum », une baguette à la mie jaune vif. Au regard de l’expérience de la Mie’Nutie, développée par les Moulins Pyrénéens il y a déjà plusieurs années, on peut légitimement se poser la question de l’adhésion que remportera un tel produit auprès des artisans boulangers. Cette farine gagnerait sans doute à être proposé comme ingrédient d’incorporation, pour colorer des mies ou apporter des notes sucrées, ainsi que dans des usages pâtissiers.
  • Un stand très sobre pour les moulins Viron, sans fournil et principalement destiné à présenter leur travail sur la filière (avec la démarche blé éco-responsable) ainsi que les essais engagés autour des blés anciens.
  • Une bonne idée sur le stand Moulins Secrets d’artisan : une déclinaison de gourmandises boulangères à base de farine de petit épeautre : Cake aux fruits, cookies…
  • Pour certains, les salons se suivent et se ressemblent. J’ai l’impression de revoir le même stand chez Trottin depuis de nombreuses années… ce qui ne traduit pas un grand dynamisme intellectuel, plutôt inquiétant pour leurs clients artisans.
  • S’il y a bien un meunier qui joue de son image de « trublion », c’est bien Foricher. Pour Europain 2020, cela se résumait en quelques phrases placées sur le stand, avec notamment l’évocation à leur ‘engagement’ et à leurs ‘convictions’. Si tout cela séduit encore un public de boulangers en recherche d’un partenaire proche d’eux et apte à leur apporter des services pertinents pour favoriser leur développement, on peut légitimement se poser la question de la véracité de cet accompagnement quand on voit l’absence de nouveauté flagrant sur le stand et plus globalement le dogmatisme de l’entreprise. Elle n’a pas ou peu fait évoluer son approche et ses gammes, restant arc-boutée sur le Label Rouge et sa « fameuse » baguette Bagatelle, laissant le soin à ses partenaires d’écraser les farines Biologiques, lesquelles semblent proposées sans grande conviction. On se demande dès lors quelles sont justement ces fameuses convictions, mis à part celle répétée à l’envie que les boulangers ont besoin de leur meunier pour vivre et inversement… ce qui me semble erroné en plus de traduire une certaine forme d’arrogance très déplacée. J’ai longtemps cru en la capacité du meunier à évoluer et à porter une vision d’avenir de la boulangerie artisanale, emmenant ainsi ses clients dans une logique vertueuse… Je suis aujourd’hui assez désabusé vis à vis de ce que je considère comme un gâchis, tant l’image et la clientèle étaient beaux.
  • Bagatelle a perdu un membre d’importance : les Moulins Associés (appartenant à Bertrand Girardeau) ont quitté le Club le Boulanger et ont lancé des farines CRC/Label Rouge sans la fameuse marque, en plus de développer leur propre démarche qualité. Si la « seule baguette de tradition française certifiée Label Rouge » reste encore portée par quelques meuniers (Foricher, Bourseau, Trottin, Maury…), on peut tout de même s’interroger sur son avenir du fait de son incapacité à se remettre en question et à évoluer : son marketing et son fonctionnement n’ont pas bougé depuis bien des années. Au vu de l’évolution du marché en parallèle, il serait grand temps de se remettre au travail.
  • Les viennoiseries sur le stand Banette, avec des références mises au point par le MOF Joël Defives.
  • Le stand Moulins Secrets d’Artisans avec la présentation des différentes gammes et services (farines Lemaire, installation, marketing…)
  • Les farines Bio Lemaire sont repassées cette année sur un engagement d’approvisionnement 100% français. Au vu des tensions sur le marché du blé Biologique, il faudra voir si une telle posture pourra être tenue sur le long terme.
  • Le stand des Moulins Familiaux ressemblait assez à celui proposé pour Europain 2018. Les différences notables étaient la présence d’un pétrin manuel pour réaliser des démonstrations ainsi qu’un espace dédié à l’Académie des Moulins Familiaux et son offre de stage, ainsi qu’à la nutrition… un sujet curieusement traité avec des pré-mixes (Vertueux et Vertuchok), ce qui me semble pour le moins déplacé quand on sait que les produits les plus digestes et nutritifs sont ceux qui ont été réalisés avec le plus de savoir-faire en terme de fermentation… Autant dire que nous n’y sommes vraiment pas quand il s’agit simplement de mettre de la poudre et de l’eau dans un pétrin.
  • Du fait de la tenue de l’événement en pleine Epiphanie, plusieurs stands réalisaient des galettes des rois… à l’image de l’INBP, avec quelques propositions créatives.
  • Le Bio, CRC et autres étaient bien mis en avant sur le stand Vandemoortele, qui les utilise pour afficher son « engagement » qualité.

Chaque jour, nous jouons le grand film de la vie. Le script est souvent assez confus, les rôles mal attribués, le metteur en scène absent et le producteur quelque peu fantasque, mais cela ne nous empêche pas de vouloir encore et toujours endosser les costumes qui font de nous de grands acteurs. La question profonde que chacun devrait se poser avait été habilement introduite par Jean-Paul Sartre dans L’Etre et le Néant par l’évocation d’un garçon de café jouant malhabilement son rôle. A l’inverse du plateau -qui ne pourra jamais se défaire de sa condition tristement plastique ou métallique, c’est un « être-en-soi »-, ce jeune homme est un être-pour-soi, une conscience, sans forme ni stabilité. Dès lors, comme nous ne pouvons nous résigner à n’être rien, nous devons échapper à notre propre néant en tentant d’agir avec le plus de cohérence vis à vis de nos capacités et aspirations… et donc en les recherchant.

La façade donnant sur la rue, avec l’entrée de la boutique. A gauche, un artisan boulanger… fort heureusement client de la meunerie voisine !

Si certains essaient de donner un titre au film, comédie, tragédie ou feuilleton, ils peuvent aussi trouver une source quasi-inépuisable d’inspiration dans le catalogue des oeuvres les ayant précédé. Le clin d’oeil pouvant être difficilement vu comme plagiat, il est alors sympathique. Dans le cas des Moulins de Versailles (78), je pense naturellement à « Un indien dans la ville ». D’indien à meunier il n’y a qu’un pas, même si beaucoup se prennent plutôt pour des cowboys, faisant ainsi du marché de la boulangerie un véritable far west.
Il n’est pas courant de rencontrer des minoteries dans des villes telles que Versailles. En effet, beaucoup d’entreprises du secteur se sont installées dans des zones rurales et elles concentrent à elles seules la plupart de l’activité du territoire. Bien sûr, on connaît de grands moulins comme ceux de Corbeil, Strasbourg ou anciennement de Paris. Ici, dans le quartier des Chantiers, juste à côté de la gare du même nom, le moulin Chaudé défend son identité de meunier versaillais depuis 1905, année au cours de laquelle Georges Chaudé choisit de s’installer dans la cité royale.

L’extérieur du moulin témoigne de son histoire avec des inscriptions au style très « rétro ».

Si l’aventure meunière yvelinoise de la famille débute à cette période, ce n’est que la poursuite d’une tradition familiale entretenue de longue date : les ancètres ont oeuvré en meunerie en Essonne, notamment à Etampes et Yerres,.. mais leur patronyme commun témoigne d’un ancrage profond dans ce métier : « Chaudé » signifierait « moudre » en langue d’Oc, laissant supposer que la farine coule dans les veines de cette famille depuis le Moyen-Age.
Avoir un héritage est une chose formidable : c’est en ayant des racines que l’on peut savoir d’où l’on vient, pour essayer de déterminer où l’on va. Cependant, le poids accumulé au fil du temps peut être un lourd fardeau, d’autant plus dans les métiers liés à la boulangerie : les traditions ont en effet tendance à s’y ancrer profondément, sans que l’on parvienne à bien s’en défaire.

Cela fait partie des défis auxquels Romain Chaudé doit faire face. Il a repris la tête de l’entreprise courant 2017, l’année de ses 30 ans, lors du départ de son oncle. Ce choix lui est apparu comme une évidence, car le moulin aurait arrêté de fonctionner s’il ne l’avait pas fait. Il a quitté une carrière prometteuse dans les travaux publics pour revenir à ses fondamentaux. Cela peut sembler à contre-courant de notre époque, où l’on valorise plus les réussites sociales, mais les aspects sentimentaux et humains ne devraient pas être négligés pour autant. Baigné depuis son plus jeune âge dans l’ambiance si particulière qu’entretient un moulin, le jeune homme tient à présent les rennes de cette minoterie atypique. En effet, sa localisation l’a incitée naturellement à développer la vente auprès des particuliers, et plus particulièrement dans sa boutique située au rez-de-chaussée du bâtiment. On y retrouve les farines et mélanges du moulin, mais également de nombreux produits d’épicerie sucrés ou salés. Tout en accentuant son ancrage dans le territoire, ce lieu de vente ouvert sur la ville a renforcé la relation avec la clientèle locale et représente une part importante du chiffre d’affaires des Moulins de Versailles.

La boutique

Cette évolution était sans doute essentielle pour assurer la pérennité de l’entreprise et payer les salaires des 7 personnes qui y oeuvrent aujourd’hui. La clientèle d’artisans boulangers s’est tarie au fil des années et le moulin est bien loin d’utiliser pleinement ses capacités d’écrasement, au point de ne tourner qu’une fois par semaine. Il faut dire que l’outil est relativement moderne : les engins à cylindre Schneider-Jacquet -une des rares marques françaises de meunerie !- datent des années 80. L’ensachage reste assez manuel mais il serait possible de redévelopper la livraison aux professionnels sans difficulté.

Les engins à cylindres

Je parlais précédemment d’héritage, et le choix de la famille de rejoindre le groupement Festival fait partie à mon sens des éléments les plus difficiles à porter aujourd’hui. Bien sûr, l’entité apporte un certain nombre de services, notamment en terme d’analyse des farines, mais elle contribue à noyer des petites structures telles que celles-ci dans un bassin rempli de requins aux capacités financières importantes. La seule voie de salut serait-elle la développement d’une identité propre, forte et singulière ? C’est en tout cas une des pistes qui s’offrent à Romain Chaudé.

Les engagements de la famille sont résumés sur une ardoise : locavorisme, qualité, convivialité.

Le jeune chef d’entreprise a déjà exploré l’idée en lançant des produits valorisant l’appartenance au territoire versaillais, comme la « Fine Fleur Versaillaise », qui n’a pas trouvé l’écho attendu auprès des artisans locaux. Une farine 100% pur blé est également proposée, en plus du catalogue de mélanges que l’on retrouve généralement dans une minoterie. Si la famille a pris soin de s’approvisionner en blé au plus près de son moulin -dans un rayon de 100km autour de Versailles-, elle n’est pas parvenue à trouver d’élément suffisamment fort pour se faire une place aux côtés des acteurs dominants du marché francilien, à l’image de nombreux autres petits meuniers. Leur taille ne leur permet pas de développer leur flotte commerciale ou même d’embaucher des démonstrateurs, ce qui limite d’autant leur capacité à déployer leurs idées et produits.

Ce n’est pas une raison pour être défaitiste : les meuniers de petite taille peuvent exister en se différenciant, et cela passe aujourd’hui par l’engagement et l’orientation vers des démarches qualitatives. Romain Chaudé réfléchit ainsi à des projets de farines de blés, notamment issus de l’agriculture Biologique, spécifiques, répondant aux attentes d’artisans exigeants et passionnés. Il travaille dans la même logique avec des biscuitiers et restaurateurs pour fédérer autour de son entreprise des professionnels sensibles à son positionnement. Un important travail pour redynamiser la communication est également à mener, tout comme sur le sujet de la prospection auprès des boulangers. Même si l’intensité concurrentielle présente sur le marché rendra la tâche ardue, on ne peut que souhaiter aux Moulins Chaudé de trouver leur place durablement dans le paysage boulanger francilien, comme ils l’ont déjà fait auprès des consommateurs.

Ouvrir sa porte à autrui n’est pas un acte anodin. On montre un peu de son intimité, on dévoile des détails qui en disent long sur nos petites histoires, on prend à chaque fois le soin de ranger ce qui dépasse un peu trop, de faire du ménage… Comme s’il fallait donner une image parfaite et idéalisée de notre façon de vivre, et dans une certaine mesure, des personnes que nous sommes réellement. La plus belle façon de recevoir quelqu’un est de le faire avec bienveillance, chaleur et honnêteté. Dès lors, même si tout n’est pas aligné, qu’il reste quelques zones de désordre, le regard de l’autre sera généralement bien plus indulgent. Le contact ainsi créé sera d’autant plus durable et intéressant. Cet endroit, cette maison, que l’on voyait sienne devient « nôtre », des échanges s’y créent, et la notion de lieu de vie prend tout son sens.

Enseigne, Les Artisanales, Minoterie Bourseau, Nozay (44)

A Nozay (44), la famille Bourseau entretient depuis plusieurs années une tradition de partage et d’hospitalité en accueillant dans leurs moulins les artisans boulangers ainsi que le grand public. En 2016, ils ont fait le choix d’organiser un événement sensiblement différent, puisqu’il ne s’adressait qu’à leurs clients. Ainsi sont nées les Artisanales, façon élégante de nommer ces portes ouvertes, pendant lesquelles les boulangers et leurs partenaires ont pu se rencontrer dans un climat convivial. 4 jours -du 18 au 21 septembre- rythmés par les visites des installations, les sorties en Segway, les parties de baby-foot, … mais aussi et surtout la transmission auprès des visiteurs du positionnement et des convictions de l’entreprise.

Sur cette photographie d'époque, on voit le moulin tel qu'il était à l'époque de sa reprise. Les circulations n'étaient pas faciles : avec une seule voie d'accès, les camions entrants et sortants se gênaient rapidement. Le site a été ensuite réaménagé pour offrir un meilleur confort de travail.

Sur cette photographie d’époque, on voit le moulin tel qu’il était à l’époque de sa reprise. Les circulations n’étaient pas faciles : avec une seule voie d’accès, les camions entrants et sortants se gênaient rapidement. Le site a été ensuite réaménagé pour offrir un meilleur confort de travail.

Si le moulin de la Villatte a été acquis par les Bourseau en 1973, la tradition meunière s’est transmise de génération en génération depuis près de deux siècles (à partir de 1825) pour arriver jusqu’à Franck et Christophe, actuellement à la tête de l’entreprise. Leur père avait bâti ici les fondations de leur projet, aussi bien au travers de l’outil de production que des valeurs qui forment la colonne vertébrale d’un meunier et orientent sa façon d’agir sur un marché toujours plus concurrentiel.

L'engagement de Bernard Bourseau est décrit largement dans le moulin et traduit bien le profond respect que portent aujourd'hui Franck et Christophe à leur père. Plus qu'un hommage, c'est un engagement : celui de continuer la voie qu'il avait tracé ici.

L’engagement de Bernard Bourseau est décrit largement dans le moulin et traduit bien le profond respect que portent aujourd’hui Franck et Christophe à leur père. Plus qu’un hommage, c’est un engagement : celui de continuer la voie qu’il avait tracé ici.

Avant la reprise, l’activité était particulièrement timide ici : à la reprise, à peine 600 tonnes de farine étaient produites chaque année. Autant dire que la progression a été fulgurante, puisque c’est aujourd’hui 27000 tonnes annuelles qui sont expédiées à la clientèle. Cette dernière se compose pour moitié d’industriels (biscuiterie, brioches, crêperies, pizzas, …) et d’artisans boulangers. Il n’a jamais été question de livrer la grande distribution ou les réseaux de boulangerie, par souci de cohérence et de respect.
Les deux frères ont pris la décision d’orienter leurs efforts sur l’artisanat et ainsi d’augmenter progressivement la part qu’il représente dans son volume d’écrasement. Cela fait suite à un double constat : l’industrie n’a de cesse de négocier les tarifs, ce qui ne permet pas de continuer à se développer sereinement du fait de marges réduites, et le caractère humain et riche des relations entretenues avec la clientèle de boulangers est une source de motivation et de progrès permanent pour les équipes de la minoterie.

Une belle présentation de gourmandises dans la Boulangerie de Mon Père. Le choix de disposer les produits sur un seul niveau, à la hauteur du client, est particulièrement pertinent : cela suscite une envie immédiate.

Une belle présentation de gourmandises dans la Boulangerie de Mon Père. Le choix de disposer les produits sur un seul niveau, à la hauteur du client, est particulièrement pertinent : cela suscite une envie immédiate.

La passion qui anime les femmes et les hommes qui travaillent ici a pu s’exprimer pleinement pendant ces Artisanales, même si c’est déjà le cas au quotidien sur le terrain. En filigrane de cet engagement sincère, c’est celui de Bernard Bourseau, ce fameux « père » que l’on retrouve cité à de nombreuses occasion, qui s’exprime encore aujourd’hui. Son choix de remettre en activité un moulin à meules par lui même (avec des pièces d’époque), en 1999, dénotait d’une réelle passion pour son métier, mais aussi d’une vision de long terme : tout en inscrivant son entreprise dans la modernité, il a su conserver un ancrage dans les traditions de la profession : en sachant d’où l’on vient et qui l’on est, on sait mieux où l’on va. De plus, les qualités aujourd’hui reconnues et valorisées des farines moulues à la meule de pierre, que ce soit sur le plan gustatif ou nutritionnel, ont rendu cet investissement réellement pertinent.

Le moulin installé par MillService. Pour l'anecdote, le fameux constructeur suisse Bühler avait été contacté par la famille Bourseau pour obtenir une proposition. Ce dernier n'a pas souhaité donner suite à la demande, considérant le projet trop petit. Une attitude assez hautaine et détestable, en plus d'être irrespectueuse d'une entreprise souhaitant se développer.

Le moulin installé par MillService. Pour l’anecdote, le fameux constructeur suisse Bühler avait été contacté par la famille Bourseau pour obtenir une proposition. Ce dernier n’a pas souhaité donner suite à la demande, considérant le projet trop petit. Une attitude assez hautaine et détestable, en plus d’être irrespectueuse d’une entreprise souhaitant se développer.

Le moulin à cylindres a été entièrement transformé il y a cinq ans pour doubler sa capacité de production : le nouvel outil, installé par MillService avec du matériel turc, peut à présent fabriquer 5 tonnes de farine par heure. A cela s’ajoute une unité dédiée à la production de farines biologiques sur cylindre, située à St-Omer de Blain. Franck Bourseau assure aujourd’hui la direction technique de ces installations.

De la farine... et des hommes ! Pour le rappeler, des photos des collaborateurs de l'entreprise avaient été disposé sur un large mur à l'occasion des Artisanales.

De la farine… et des hommes ! Pour le rappeler, des photos des collaborateurs de l’entreprise avaient été disposé sur un large mur à l’occasion des Artisanales.

On peut disposer des meilleurs outils, le résultat reste avant tout lié aux humains et aux choix qu’ils réalisent. Ici, c’est celui de la qualité qui a primé : de par un approvisionnement local des céréales (toutes issues de la région Ouest) et l’engagement dans des filières de qualité (CRC, Label Rouge, Agriculture Biologique), les frères Bourseau se sont différenciés de leur concurrence et participent au dynamisme de la boulangerie artisanale des régions sur lesquelles ils sont présents. En rejoignant le Club le Boulanger, ils ont fait le choix de s’inscrire dans la démarche de labellisation Bagatelle (Label Rouge) sur la baguette de Tradition française. Si certains meuniers se contentent du service minimum et ne mettent aucune conviction ni moyens dans ce processus, les équipes commerciales, menées par Christophe, ont réalisé un travail de grande ampleur ces dernières années et comptent aujourd’hui parmi les plus dynamiques en terme de nouveaux adhérents.

Le mur de Tourtes

Le mur de Tourtes

Il n’existe aucune recette miracle pour aboutir à de tels résultats, si ce n’est de mettre en cohérence l’ensemble des actions de l’entreprise pour fédérer autour d’elle des clients fidèles et partageant les mêmes convictions. Les Artisanales font partie d’une vision globale : en accueillant les boulangers en dehors de leur fournil et en leur présentant des solutions concrètes pour leurs affaires, on peut mieux leur transmettre les clés pour les faire réussir demain.
La « Boulangerie de mon Père » était ainsi un lieu privilégié pour mettre en oeuvre de bonnes pratiques en terme d’aménagement du point de vente et valorisation des produits. Catherine a été particulièrement impliquée dans ce projet, en réalisant la décoration de cette boutique éphémère et en assurant sa tenue pendant 4 jours. C’est également elle qui poursuit le travail sur le terrain, en réalisant des audits de magasin et en organisant les différentes opérations d’animation chez les artisans. Ce service est porteur d’une grande valeur ajoutée, car beaucoup d’entreprises se porteraient mieux si la vente était à la hauteur de la qualité des produits.

La Boulangerie de mon Père, vue de l'extérieur. C'est autour d'elle qu'avait été aménagée un espace de convivialité, où tout le monde pouvait se retrouver pour passer un moment agréable.

La Boulangerie de mon Père, vue de l’extérieur. C’est autour d’elle qu’avait été aménagée un espace de convivialité, où tout le monde pouvait se retrouver pour passer un moment agréable.

La communication est également un axe de travail central pour la profession. A Nozay, c’est Séverine qui prend en charge ce sujet, en partenariat avec des agences de création graphique, et développe des outils très pertinents pour valoriser l’identité de chaque artisan tout en leur apportant un solide support pour la défense de leurs engagements (labels, fait maison, …) et la vie de la boutique au travers d’opérations saisonnières (galette des rois, pains de saison, …).

Quelques affiches présentées dans la Boulangerie de Mon Père : la plupart sont personnalisées pour le client.

Quelques affiches présentées dans la Boulangerie de Mon Père : la plupart sont personnalisées pour le client.

Plutôt que d’imposer des carcans comme cela a trop longtemps été le cas, notamment au sein des grands groupements et réseaux de boulangerie, la personnalisation est ici le maître mot et le canevas ainsi tracé ne demande qu’à être pris en mains par les boulangers.

Au fournil du moulin, les baguettes sortaient nombreuses pour satisfaire la gourmandise des visiteurs.

Au fournil du moulin, les baguettes sortaient nombreuses pour satisfaire la gourmandise des visiteurs.

Comme je l’écris souvent, il ne sert à rien de raconter des histoires si elles n’ont pas de fond, si on se contente de les utiliser pour dresser des écrans de fumée. La démarche entreprise par la Minoterie Bourseau ne serait pas complète sans un accompagnement technique et la mise à disposition de recettes et procédés qualitatifs pour les artisans boulangers. Toute l’équipe de démonstrateurs -Arnaud, Julien et Mickaël, accompagnés pour les Artisanales par le Meilleur Ouvrier de France Mickaël Morieux- a à coeur de partager avec la clientèle un savoir-faire riche et basé, dans la plupart des cas, sur l’utilisation du levain naturel. Bien sûr, le meunier propose également une gamme de pré-mixes (la gamme Terroir), mais elle n’est pas mise en avant : le travail des farines brutes est privilégié,que ce soit grâce à des mélanges réalisés chez l’artisan ou au moulin pour la gamme Secrets de mon père -qui facilite la tâche au fournil en proposant des assemblages équilibrés-.

Les pains réalisés à partir de farines Biologiques.

Les pains réalisés à partir de farines Biologiques.

La Tourte de mon Père (réalisée à partir d’une farine de meule T80 certifiée Label Rouge, la Minoterie Bourseau étant parmi les premières à avoir rejoint la démarche sur ce produit), le Pain de mie moelleux sur base d’empois d’amidon (méthode japonaise), la Brioche longue conservation, tourte de Seigle une large gamme de pains Biologiques aux farines variées (grand épeautre, engrain, 4 sous…) ou bien sûr la baguette de Tradition Bagatelle, le fournil du moulin n’aura pas chômé pendant 4 jours pour garnir la boutique et proposer aux visiteurs des dégustations permanentes, le goût restant le meilleur moyen de convaincre de l’intérêt d’un produit. La viennoiserie n’était pas en reste : classiques ou créatives, elles bénéficiaient toutes d’un riche savoir-faire, servi par une farine de gruau de grande qualité. Cette dernière est écrasée par les Moulins Foricher, grâce à des relations privilégiées et basées sur des valeurs communes.

Dans le moulin à meules, le bois reste omniprésent.

Dans le moulin à meules, le bois reste omniprésent.

D’ailleurs, connaissant maintenant les deux entreprises, les femmes et hommes qui les composent et leurs portes ouvertes respectives, il est impossible de ne pas y voir des similitudes. Elles partagent bien sûr la marque Bagatelle, mais les faits nous ont montré que ce n’était pas un marqueur d’engagement sincère dans une démarche orientée en faveur de l’artisanat. Que ce soit dans le format de leurs événements, leur dynamisme permanent sur le terrain et les marqueurs sincères de leur volonté d’entretenir une vision de long terme, au delà de l’affairisme ou de la course aux prix de certains, les familles Bourseau et Foricher contribuent toutes deux à nous montrer que l’on peut grandir et continuer à fournir une farine et des services de qualité, mais aussi le sentiment pour chaque client d’appartenir à une grande famille. Celle des passionnés du bon pain, celui qui nourrit le corps et l’esprit.

Exercer un métier ne sous-entend pas qu’on le fera toujours de la même façon, que l’on s’inscrit dans une routine immuable. Au contraire, notre monde allant de plus en plus vite, il faut souvent se réinventer et donner un nouveau sens aux mots pour continuer à faire vivre son activité. C’est un challenge passionnant, sans doute risqué et parfois usant, mais il donne la possibilité aux plus agiles de se distinguer nettement et d’aller plus loin, d’écrire leur histoire singulière en marge de toute pré-détermination liée au passé. Cette liberté nouvelle doit s’apprivoiser, car les risques d’erreur sont grands et les conséquences nombreuses.

Moulin des Gauthiers, Moulin Matignon, Château-Landon (77)

Gilles Matignon est issu d’une famille de meuniers, dont le patronyme n’est sans doute pas étranger aux fins connaisseurs du secteur. A une époque, il y avait en effet 5 moulins Matignon en Seine-et-Marne. Le plus connu reste celui situé à Malesherbes, dont l’implantation date de 1925. Il a pris un chemin très conventionnel en adhérant au groupement Banette et en livrant artisans boulangers, GMS et industriels.
Une voie dans laquelle le Moulin des Gauthiers, situé à Château-Landon (77) aurait bien eu du mal à s’engager : de par sa petite taille (avec notamment deux silos de 50t pour le stockage blé), l’outil de production limite forcément les possibilités… mais ce n’est pas toujours un mal, quand on voit ce que peuvent pousser à faire de grosses machines.

Au bord du Fusain

Au bord du Fusain

L’histoire commence ici, au bord du Fusain, il y a quelques siècles. Des photographies d’archive présentent le moulin historique et nous amènent à penser que des hommes ont, très tôt, cherché à apprivoiser la force hydraulique présente sur ce terrain pour écraser des céréales. Le bâtiment que l’on connaît aujourd’hui date de 1860. La famille Matignon prend possession des lieux en 1912. Le grand-père de Gilles, issu d’une fratrie de 4 meuniers, entreprend par la suite de transformer cet ancien moulin à meule (2 paires furent en activité sur le site) en outil moderne : il acquiert des engins à cylindre et les assemble lui-même. L’opération durera trois ans et lui permettra d’affirmer fièrement sa connaissance exhaustive de l’ensemble, ayant participé à l’installation de la moindre latte de plancher.

Le moulin à cylindres

Le moulin à cylindres

Ce travail de mécanisation a permis non seulement d’accroitre considérablement la capacité d’écrasement du moulin, mais aussi de permettre au meunier de mieux se concentrer sur la satisfaction de ses clients au travers d’un produit de qualité, servi par des approvisionnements en blé plus sélectifs et à une meilleure régularité. Auparavant, le temps accaparé par la gestion mécanique ne laissait que peu de latitude à la progression sur ces sujets.

Des sacs multicolores.

Des sacs multicolores.

L’histoire continue de s’écrire avec la reprise par la troisième génération : le père de Gilles reprend la tête de l’entreprise en 1963, après son retour de la guerre d’Algérie. Il entretiendra l’affaire et parviendra à la faire perdurer jusqu’à sa transmission en 2001. Pendant cette période, le secteur de la meunerie n’a eu de cesse de se concentrer, rendant la survie d’acteurs artisanaux particulièrement difficile. La guerre des prix menée par les grands acteurs contribue chaque jour à étouffer ces entreprises de petite taille, qui ont pourtant beaucoup à apporter à leurs clients : être meunier, c’est avant tout offrir du service et une relation humaine riche.
Gilles Matignon n’est pas issu du « sérail » de la meunerie : ayant suivi un cursus en BTS Action Commerciale, il est arrivé dans le métier avec un regard plus libre. C’est ainsi qu’il n’a pas hésité à prendre un véritable virage dans son activité depuis 2008.

Les farines, graines et autres ingrédients présentés avec des idées d'utilisation.

Les farines, graines et autres ingrédients présentés avec des idées d’utilisation.

En développant la vente directe aux particuliers avec de petits conditionnements, la fourniture des AMAP et en participant à plusieurs « Ruches », le meunier autodidacte s’est créé une nouvelle clientèle fidèle et prête à payer pour obtenir une farine de qualité. Pour les satisfaire, il a développé son offre Biologique et propose ainsi une large gamme de farines (maïs complet, seigle, sarrasin, petit épeautre, Kamut, blé T65, T80, pâtissière…) et de mélanges prêts à l’emploi, avec des propositions de recettes gourmandes. L’approvisionnement en grains est le fruit d’un travail minutieux. Le blé conventionnel est acheté auprès de la Coopérative de Château-Landon, tandis que le Bio est sélectionné directement chez les agriculteurs. Au delà d’une céréale, il s’agit de mettre un visage derrière le produit et de pouvoir valoriser cette démarche auprès du consommateur. Plusieurs des sacs de farine sortant du Moulin des Gauthiers indiquent ainsi le nom du producteur des grains utilisés pour la mouture.

C'est devenu une tradition : chaque année, pour les journées du patrimoine, Gilles Matignon organise les portes ouvertes de son moulin. Cette opération est importante pour lui car il souhaite s'inscrire durablement dans la communauté qui l'entoure. Il peut ainsi partager sa vision engagée de la meunerie.

C’est devenu une tradition : chaque année, pour les journées du patrimoine, Gilles Matignon organise les portes ouvertes de son moulin. Cette opération est importante pour lui car il souhaite s’inscrire durablement dans la communauté qui l’entoure. Il peut ainsi partager sa vision engagée de la meunerie.

En parallèle, les relations avec des boulangers à proximité ont été renforcées, tout en cherchant à livrer d’autres types de professionnels : pâtissiers (Gilles Marchal ne jure que par ses farines, notamment pour sa récente biscuiterie), pizzaïolos, restaurants, … En s’adaptant sans cesse à leurs besoins, cette petite minoterie  a fédéré autour d’elle un noyau fidèle de clients. Cela lui a permis de grandir : Gilles Matignon était seul avec un livreur en 2001, cinq personnes travaillent ici aujourd’hui. Le chef d’entreprise s’occupe des approvisionnements en blé, du commercial et supervise la production. Il est secondé dans cette tâche par un employé meunerie. Sa femme, Séverine gère le magasin de détail de farines et des produits locaux ainsi que la production des sachets de farine. Sa mère officie au secrétariat et à la comptabilité.

Le process de mouture schématisé sur un tableau. Gilles Matignon réalise l'ensemble de ses farines sur cylindre et réincorpore les différents types d'issues en fonction des farines à réaliser. Il incorpore également dans certaines farines des ingrédients supplémentaires (gluten, farine de blé malgré, amylases...) tout en respectant des doses très faibles (à peine 5g d'acide ascorbique au quintal pour la farine destinée à la réalisation du pain courant).

Le process de mouture schématisé sur un tableau. Gilles Matignon réalise l’ensemble de ses farines sur cylindre et réincorpore les différents types d’issues en fonction des farines à réaliser. Il incorpore également dans certaines farines des ingrédients supplémentaires (gluten, farine de blé malté, amylases…) tout en respectant des doses très faibles (à peine 5g d’acide ascorbique au quintal pour la farine destinée à la réalisation du pain courant). C’est le savoir-faire du meunier et la sélection des variétés qui compte pour aboutir à un produit de qualité. A l’inverse des grands meuniers, ici, pas de laboratoire d’analyses. Si quelques lots sont envoyés pour contrôle à un organisme extérieur, les tests de panification sont pour la plupart effectués par les clients : la sensibilité et le savoir-faire de chacun sont sollicités et la relation d’artisan à artisan est essentielle.

Cette progression récompense un engagement et des convictions : il fallait croire en cette terre et en ce paysage tranquille pour parvenir à écrire l’avenir. Même si le Gâtinais a toujours été réputé pour la qualité de ses terres et sa capacité à fournir des blés et orges de qualité (d’ailleurs très réputés en malterie), notamment grâce à un sol argilo-calcaire, cela n’a pas empêché les artisans meuniers de disparaître. Ici, à Château-Landon, on résiste encore et on ne manque pas une occasion de rappeler qu’il faut donner un sens citoyen à ses actes d’achat : en faisant confiance à de petites entreprises, le consommateur développe un tissu économique local. Espérons que nous serons toujours plus nombreux à en prendre conscience.

Infos pratiques

Moulin des Gauthiers – 77570 Château Landon
ouvert du lundi au jeudi de 8h à 12h et de 13h30 à 19h00, le vendredi de 8h à 12h.
site internet : http://farines-77.fr

En arrivant dans certaines villes, je suis frappé par l’état du marché de la boulangerie. Le constat est souvent le même : des artisans de centre-ville ne se sont pas remis en question, profitant de leur emplacement privilégié jusqu’alors, et continuent de vendre des produits médiocres dans des boutiques d’un autre âge. Ils se placent ainsi dans des situations particulièrement fragiles, car l’arrivée d’une concurrence plus dynamique les mettra forcément en difficulté. C’est l’histoire de la vie qui se rejoue devant nos yeux à chaque fois, celle d’un prédateur et d’une proie. La seule question est de savoir qui court le plus vite, qui sera le plus rusé.

A Blois, lors de mes premières visites au printemps 2015, j’ai vite senti l’ambiance morose qui pesait chez les artisans. La plupart des affaires étaient sur le déclin, et Feuillette a marqué la ville de son empreinte… tout d’abord en s’installant dans le centre, puis à présent en périphérie, à La Chaussée Saint-Victor.
Pour autant, ces derniers mois ont marqué un certain changement avec de nouveaux arrivants et l’évolution d’acteurs plus anciens.

Boulangerie Marlau, Blois

C’est à côté de la gare que la seconde boulangerie Marlau a ouvert ses portes en mai 2015, en lieu et place d’un restaurant (10 avenue du Docteur Jean-Laigret). Grâce à son emplacement très passant et à un agencement très soigné, la boutique du couple Gressent peut espérer connaître le même succès que sa grande soeur de Chailles.

La gamme snacking est particulièrement étendue... mais mon regard se porte plutôt sur le décor.

La gamme snacking est particulièrement étendue… mais mon regard se porte plutôt sur le décor.

Ne nous méprenons pas : ici, le snacking reste l’activité principale, même si l’artisan s’engage à réaliser l’ensemble de ses produits. Globalement, les gammes sont maîtrisées, avec une pâtisserie simple et honnête, une viennoiserie variée et bien réalisée… mais des pains sans trop de relief, avec notamment de grosses pièces aux ingrédients plutôt compactes et des baguettes de Tradition au façonnage pour le moins étrange.
Le plus marquant reste ici à mon sens la boutique et son univers très soigné, avec des décors élaborés à base de bois et d’illustrations façon répliques d’époque. Cela contribue à donner au lieu un vrai cachet, sans pour autant tomber dans des excès regrettables.

Vue large de la boutique Marlau.

Vue large de la boutique Marlau.

Anaïs & Renan Picart, Blois

Dans le centre-ville, Anaïs et Renan Picart ont profité de l’été pour s’installer au 7 rue du Commerce, en pleine zone piétonne. Issus d’un parcours en reconversion, ils ont quitté les salles de marché pour lui -Renan a passé plus de 10 ans au sein de la Société Générale- et le milieu de l’orthodontie pour elle.

Pain, Anaïs & Renan Picart, Blois

Le choix de la boulangerie s’est effectué de façon très pragmatique : le couple cherchait en effet un secteur riche en opportunités -en France comme à l’étranger- et permettant de vendre un produit accessible à tous, de façon immédiate. Après s’être intéressés un temps à un projet de sandwicherie, ils sont partis en quête d’un fonds de boulangerie à reprendre. Après en avoir passé plusieurs en revue avec l’aide de leur partenaire meunier, Foricher les Moulins, le choix de Blois a fini par s’imposer grâce à une équation emplacement-prix-perspectives favorable. Restait à transformer l’outil, une formalité réalisée avec l’aide de Polystyl Agencement au cours du mois de juillet.

Snacking, Anaïs & Renan Picart, Blois Il leur reste encore à s’approprier cette boutique moderne, notamment en approfondissant leurs gammes de produits, certaines étant superficiellement traitées. On appréciera la volonté du jeune artisan, formé à l’EBP et diplômé des CAP de Boulanger & Pâtissier, de travailler des farines pures, avec du levain naturel et en respectant les cycles de fermentation.

Viennoiserie, Anaïs & Renan Picart, Blois

Maison Allirol, Blois

En traversant la Loire et le superbe pont qui la surplombe, on finit rapidement par arriver face à la Maison Allirol. Aurélie et Cédric sont installés au 27 avenue du Président Wilson depuis plusieurs années et ont donné un nouvel élan à leur boutique cet été. Ils ont fait le choix de développer la consommation sur place avec un nouvel espace dédié à cet effet, dans un cadre où beige, gris et cyan se mélangent plutôt élégamment.

Zone snacking, Maison Allirol, Blois Cela n’a pas remis en question le positionnement qualitatif de l’artisan, engagé dans la charte viennoiserie 100% maison du Loir-et-Cher, qui travaille ses pains sur levain naturel avec une belle gamme, laquelle compte plusieurs grosses pièces à la coupe, et une baguette de Tradition de qualité -croûte bien craquante, mie alvéolée- pour seulement 0,95€. La viennoiserie n’est pas en reste, et la pâtisserie, assez classique, se renouvelle de façon fréquente et en déclinant des produits de saison. Ce que je comprends moins, c’est le choix de se positionner sur le terrain de la promotion permanente : 3+1 sur la Tradition ou le croissant, cela ne valorise pas le travail réalisé par l’équipe et la sélection des matières premières. 

Pâtisseries, Maison Allirol, Blois

Ces changements vont dans le bon sens : ils donnent l’image d’une boulangerie moderne et sensible aux attentes des consommateurs, notamment en terme de qualité de service et de mise en valeur des produits. Au delà du savoir-faire, nos artisans manquent trop souvent de savoir-vendre et ces trois exemples nous montrent bien qu’on peut associer les deux et ainsi créer une dynamique vertueuse au sein de l’entreprise. C’est ainsi que nos boulangers peuvent faire face à de grandes chaines de boulangerie, sans trahir leurs engagements et leur état d’esprit.
Le mouvement devrait d’ailleurs se poursuivre avec l’arrivée d’Olivier Grimaud et de sa future boutique les Gourmandises d’Olivier, au 6 rue Roger Dion. L’artisan, que l’on connaissait déjà à Chateau-Renault (37), a choisi cette zone commerciale pour s’implanter et appliquer ici son savoir-faire reconnu, notamment pour ses viennoiseries (1er prix du croissant au beurre d’Indre-et-Loire en 2016). A suivre.

Visites

16
Juin

2016

J’ai remonté la filière Nicot

J’ai une certaine admiration pour les pilotes automobile, pour leur capacité à prendre des virages serrés à des vitesses élevées. A chaque fois, ils prennent le risque de finir dans le décor, ou pire, dans un mur. Calculer l’angle, tourner le volant au bon moment, … les réflexes sont mis à rude épreuve, et une bonne dose de sang froid est nécessaire pour continuer la route. Je me dis que certains chefs d’entreprise ou responsables divers endossent à peu près le même rôle, à cela près qu’ils engagent beaucoup plus d’individus de par leur façon d’agir. Un virage raté, et ce sont parfois des milliers de personnes dans le mur, le ravin, que sais-je encore. Pour autant, il ne faut pas reculer, mais au contraire toujours assumer ses responsabilités… regarder devant.

Camion de livraison, Portes Ouvertes Nicot Meunerie, Chagny (71)

La famille Nicot a-t-elle des talents de pilote insoupçonnés ? Elle devra nous le trouver, mais le virage pris récemment par Nicot Meunerie laisse à penser que l’entreprise souhaite marquer un net changement dans sa stratégie. En effet, elle a rejoint les démarches CRC et Agri-Ethique pour développer sa responsabilité sociale et environnementale, tout en garantissant aux artisans et à leurs clients la qualité des céréales utilisées pour l’élaboration des farines. Seulement, on a beau avoir le volant entre les mains, comme c’est le cas de Jean-Philippe Nicot depuis 2012, il ne répond pas toujours aussi bien qu’on l’aimerait : les commandes de direction peuvent subir le poids de l’inertie, ou tout simplement être parasitées par des éléments extérieurs…

Moulin Joseph Nicot, Portes Ouvertes Nicot Meunerie, Chagny (71)

L’histoire fait partie des obstacles possibles : c’est bien de savoir d’où l’on vient, mais quand il s’agit d’une entreprise fondée en 1872 comme c’est le cas ici, les habitudes peuvent être solidement ancrées. Philibert Nicot, puis ses fils Joseph et Philippe et maintenant Jean-Philippe et Emile, n’a eu de cesse de développer les activités du groupe : la meunerie bien sûr, mais aussi l’alimentation animale sous la marque Philicot. La famille est restée présente dans les deux secteurs, ce qui fait aujourd’hui figure d’exception dans un paysage où les acteurs se sont généralement désintéressés d’au moins une des deux activités. Avec ses 4 moulins et 3 sites logistiques et commerciaux, Nicot Meunerie s’est positionnée parmi les entreprises incontournables du secteur dans les régions Franche Comté, Bourgogne, Rhône-Alpes, Auvergne, Provence Alpes-Côte d’Azur, avec plus de 115.000 tonnes de farines écrasées par an et 1500 clients artisans, ce qui l’inclut naturellement dans le top 10 de la meunerie française.
Le chiffre d’affaires est réalisé par la vente de farine aux artisans (environ 70%) et aux industriels (environ 30%), avec notamment une activité de mouture ‘à façon’ pour d’autres meuniers.
Dans les années 80, la famille s’est impliquée dans la création d’Unimie-Banette et reste encore aujourd’hui l’une des clefs de voute du groupement.

Le fournil éphémère où étaient présentés les produits aux clients de Nicot Meunerie.

Le fournil éphémère où étaient présentés les produits aux clients de Nicot Meunerie.

Le site de Chagny -nommé Moulin Joseph Nicot- accueillait du 5 au 9 juin des portes ouvertes dont l’objectif était de présenter les actualités du meunier, les nouveaux produits mais aussi l’ensemble de la filière dans laquelle les moulins Nicot sont inscrits. En effet, la quasi totalité des blés écrasés par le groupe sont originaires de Bourgogne (excepté les blés de force), et c’est pourquoi les partenaires Interval, Bresson et Bourgogne Sud étaient de la partie pour faire visiter leurs installations (le silo de Beaune, notamment) et ainsi donner une vision d’ensemble aux artisans : en une journée, ils auront pu faire le chemin du grain au pain, ce qui est aujourd’hui indispensable pour comprendre les responsabilités de chacun dans la qualité du produit fini.

Le pain à la semoule de blé dur, la dernière nouveauté Nicot Meunerie.

Le pain à la semoule de blé dur, la dernière nouveauté Nicot Meunerie.

Parmi les dernières nouveautés mises au point par Nicot Meunerie, on trouve un pain à la semoule de blé dur, réalisé à partir d’une farine moulue à la meule de pierre… et d’un levain déshydraté de chez Philibert Savours. Je ne suis pas persuadé que ce type de produit corresponde précisément à un changement de cap, mais au contraire à la mise en oeuvre toujours renouvelée de vieilles recettes qui ont provoqué une perte de savoir-faire chez les artisans boulangers. Au delà de l’offre Banette, le catalogue produit de l’entreprise compte de très nombreuses références de ce type, et la présentation faite lors de ces portes ouvertes montrait bien leur sur-représentation au détriment de pains réalisés à partir de farines brutes. Pourtant, c’est uniquement au travers de ce type de produit que l’artisan parviendra à se distinguer durablement de sa concurrence, grâce à la qualité incomparable d’un pain réalisé dans le respect du savoir-faire boulanger et des matières premières.

Je pense que l'on peut encadrer ce slide car il résume bien la position de Banette vis à vis de toutes les autres démarches qualité développées sur le marché aujourd'hui. Non seulement c'est faux, mais cela montre la vraie difficulté pour des meuniers Banette à être cohérents dès lors qu'ils décident de rejoindre l'un de ces organismes en plus du groupement.

Je pense que l’on peut encadrer ce slide car il résume bien la position de Banette vis à vis de toutes les autres démarches qualité développées sur le marché aujourd’hui. Non seulement c’est faux, mais cela montre la vraie difficulté pour des meuniers Banette à être cohérents dès lors qu’ils décident de rejoindre l’un de ces organismes en plus du groupement.

A mon sens, les enjeux sont multiples. Il y a tout d’abord une vraie question de cohérence : comment défendre auprès de sa clientèle les bénéfices d’une démarche telle que le CRC alors même que Banette vante encore la suprématie de sa Filière Qualité ? Le discours des équipes commerciales dépendra donc de l’orientation que souhaite donner la famille à son développement, en marge ou non du groupement. Il semble pourtant difficilement concevable que Nicot Meunerie s’en éloigne, sinon quoi l’équation économique de nos brillants amis de Briare s’en trouverait profondément affectée…
Les artisans boulangers ont besoin d’être accompagnés par une vision claire et engagée de leur métier. Les meuniers, en tant que partenaires privilégiés, se doivent de leur apporter pour favoriser le développement de la filière à long terme.
Cette vision, pour la transmettre, il faut déjà l’avoir développée à partir de ses convictions. Or, la nature humaine étant ainsi faite, beaucoup iront vers la facilité à l’heure des choix d’orientation. Seuls ceux qui expriment dans leurs actes des aspirations profondes garderont le cap. L’avenir nous dira si c’est le cas pour Jean-Philippe Nicot et ses équipes.

Visites

23
Mai

2016

De retour à Beaugency (45)

Dans la vie, on a tous nos petites histoires, nos petits papiers. Etant enfant, on les passait à nos voisins, comme si le partage pouvait se faire librement, avec toute la légèreté qui caractérise ces âges… puis l’on grandit, jusqu’à devenir « adulte ». Toutes ces choses deviennent des broutilles, des détails à ranger dans de grands classeurs, puis à oublier soigneusement. Parfois cet empire de raison se fissure, il laisse alors s’échapper ce poids devenu trop lourd, les feuilles volent et c’est toute une vie qui se trouve emportée par ce tourbillon. L’automne, l’hiver, … les saisons seront longues, très longues, le temps de réapprendre à marcher, lire, partager… les petits papiers.

Sur le bord de la route, le Four à Bois de Karine et Franck Collas est bien visible. Les places de parking sont un atout non négligeable pour l'attractivité de leur commerce.

Sur le bord de la route, le Four à Bois de Karine et Franck Collas est bien visible. Les places de parking sont un atout non négligeable pour l’attractivité de leur commerce.

J’ai fait le chemin inverse. J’ai redonné de l’importance à ces mots que je négligeais, j’ai laissé le temps à l’adulte que je suis devenu d’écouter l’enfant que je n’ai pas été. Chaque jour, j’essaie d’écrire une histoire empreinte de simplicité et d’honnêteté, aussi bien vis à vis de moi que des autres.
L’an passé, j’avais pris le chemin du CAP Boulanger sur les rives de la Loire, en choisissant de suivre mon stage de pratique à Beaugency (45). Souvenez-vous, je vous avais parlé de la boulangerie de Karine et Franck Collas, le Four à Bois, il y a déjà deux ans et demi. L’espace de quelques semaines, je suis passé côté coulisses pour mieux appréhender le métier de boulanger…

Dans les rues de Beaugency

Dans les rues de Beaugency

Beaugency est une tranquille cité médiévale du Loiret, qui compte environ 7500 habitants. Son château et son centre typique en font une ville agréable, portée par le vif courant de la Loire. Positionnée sur la route des châteaux de la Loire, elle constitue une halte sympathique pour les touristes mais aussi pour des habitués, qui viennent passer leurs week-ends et vacances dans le secteur.
Le plus surprenant reste sans doute la concentration en boulangeries dans une commune de cette taille : elles sont aujourd’hui 7, ce qui laisse à chacun le loisir de sélectionner sa préférée… et créé une forte concurrence.

A quelques mètres du Four à Bois, un concurrent s'est installé et pratique une promotion permanente sur les baguettes de Tradition (3 achetées, 1 offerte), ce qui a rendu le démarrage du couple Collas plus difficile.

A quelques mètres du Four à Bois, un concurrent s’est installé et pratique une promotion permanente sur les baguettes de Tradition (3 achetées, 1 offerte), ce qui a rendu le démarrage du couple Collas plus difficile.

Dès lors, il n’a pas été évident pour le couple Collas de se faire une place dans ce paysage, d’autant plus qu’ils étaient vus comme des étrangers de par leur récente arrivée. Un autre professionnel a fait le choix de s’implanter sur le même axe routier, à quelques centaines de mètres du Four à Bois, et a ouvert ses portes pendant les travaux de ce dernier. Par un mécanisme de promotion permanente – trois baguettes achetées, une offerte -, il a su capter une clientèle sensible aux prix.

La qualité ne se décrète pas, elle se vit et se remarque ! L'équipe a été primée à de multiples reprises lors des concours professionnels, que ce soit pour la viennoiserie ou le pain. Le Four à Bois a également participé à l'émission "La Meilleure Boulangerie de France" sur M6, ce qui a contribué à lui donner de la visibilité et à faire reconnaître la qualité de ses produits.

La qualité ne se décrète pas, elle se vit et se remarque ! L’équipe a été primée à de multiples reprises lors des concours professionnels, que ce soit pour la viennoiserie ou le pain.
Le Four à Bois a également participé à l’émission « La Meilleure Boulangerie de France » sur M6, ce qui a contribué à lui donner de la visibilité et à faire reconnaître la qualité de ses produits.

Quand on a autant investi, réalisé d’importants sacrifices, pris des risques, … une telle situation aurait eu de quoi en faire chavirer plus d’un. Ils ont su garder le cap et rester fidèles à leurs convictions : la qualité de la prestation, que ce soit en terme de produit ou de service, avec des facilités de parking, ont contribué à les différencier du reste de l’offre locale.
Si l’offre de pains particulièrement accessible -avec en fer de lance la baguette de Tradition Bagatelle- a toujours été le point fort de l’endroit, la pâtisserie connaît les mêmes attentions avec une remise en question permanente sur les recettes et les créations, qui s’affinent grâce à des formations réalisées auprès de professionnels reconnus. Inévitablement, le traiteur connait aussi son succès, de par l’emplacement en bordure de route touristique.

Une gamme de pâtisseries fines, généreuses et variées

Une gamme de pâtisseries fines, généreuses et variées

Lorsque l’on fait le choix de développer ses gammes de cette façon, et ainsi de compter de nombreuses références à réaliser chaque jour, il faut parvenir à assumer l’enjeu de la régularité, du respect de la saisonnalité et de la sélection des matières premières. Le risque est de se faire dépasser par son projet et son envie de satisfaire toutes les demandes. L’artisan doit aussi savoir dire non, ne pas s’engager sur des terrains glissants.

Les baguettes de Tradition Bagatelle Label Rouge, façonnées à la main et cuites dans le fameux four Llopis.

Les baguettes de Tradition Bagatelle Label Rouge, façonnées à la main et cuites dans le fameux four Llopis.

Une des belles réussites du Four à Bois est aussi de s’être intégré dans la communauté qui l’entoure, notamment en livrant des écoles et en participant à des événements sur le thème de la gastronomie. Franck Collas s’implique beaucoup pour partager son exigence et sa vision du métier, que ce soit au sein des organismes professionnels, auprès du grand public ou en accueillant des apprentis. Salons, fête du Pain, … Toute l’équipe répond présent, comme c’était le cas pour le week-end de la Saint-Honoré où le four à bois du Château de Beaugency avait été rallumé. Au delà de son statut de commerçant, un artisan boulanger est aussi un acteur de la vie de la cité, à plus forte raison dans de petites villes. Beaucoup de professionnels devraient s’inspirer de cet exemple, car il faut parvenir à transmettre le goût du bon pain au plus grand nombre… et aux générations futures, que ce soit au sein des futurs ouvriers et patrons mais aussi des consommateurs.

J’ai été heureux de partager quelques semaines du quotidien de cette belle entreprise, où l’on fabrique tout. Que ce soit au façonnage des baguettes, au rafraîchissement des levains, à la préparation de la viennoiserie, au fonçage des tartes ou à l’incontournable pesée et préparation des matières premières, j’ai beaucoup appris. J’ai appris sur la boulangerie, j’ai appris à mieux appréhender la vie d’une entreprise artisanale, j’ai appris à exécuter chaque jour les mêmes tâches avec plus d’humilité et de sensibilité. J’en profite pour remercier David et Manon pour leur patience, car il faut bien dire que je n’étais sans doute pas le plus efficace des stagiaires.

Et puis il y avait aussi l’après. Ces balades au bord de la Loire. Le calme. Le calme. Encore le calme. Un peu de liberté, d’envie d’aller plus loin, voir un peu comment c’est là-bas. Avec le temps, on finit par comprendre que ce sont nos petits papiers, nos histoires, qui donnent aux paysages leurs couleurs singulières. Nos stylos deviennent alors des pinceaux pour écrire et peindre une toile unique.

Les bords de Loire

Les bords de Loire

Notre héritage peut parfois être un fardeau. Combien ont été écrasés d’être le « fils de » ou la « fille de » ? C’est un peu la même chose quand il s’agit de reprendre une entreprise familiale sans entrain, ou que les facilités ont rendu l’enfant un peu trop feignant. La transmission est un sujet central pour chacun d’entre nous, que ce soit personnellement ou professionnellement. Accepter de laisser son empreinte, c’est prendre le risque qu’elle ne soit pas toujours aussi positive qu’on le souhaitait. Si l’on a un minimum de bienveillance vis à vis de son prochain, il faut essayer de faire en sorte de ne pas trop charger le dos de ceux qui viendront après nous.

Benjamin et Adrien Pelletier sont nés dans une famille d’agriculteurs : la ferme d’Orvilliers, située à Broué, en Eure-et-Loir (28), se transmet depuis 5 générations. Cet héritage n’est pas neutre, et si de nombreux jeunes font le choix de se tourner vers d’autres horizons, ils ont au contraire choisi de reprendre le flambeau en 2012. Cela fait suite à des réflexions menées en parallèle, dans des parcours singuliers : Benjamin a appris la boulangerie en autodidacte dans le Jura, tandis qu’Adrien a suivi une formation d’ingénieur agricole, qui l’a conduit à découvrir l’agriculture Biologique, les semences paysannes, l’agroforesterie…

Dans la cour de la ferme d'Orvilliers

Dans la cour de la ferme d’Orvilliers

Dès lors, quoi de plus beau que de croiser à nouveau les deux chemins, qui plus est sur leurs terres d’origine ? Le projet d’une activité de paysans-meuniers-boulangers bio était né… en plein coeur de la Beauce, cette fameuse région autrefois surnommée « grenier à blé de l’Europe. Aujourd’hui, le grenier a été sérieusement mis à mal, et ses terres durablement affaiblies paient le lourd tribut de nos pratiques intensives… et abusives. Des initiatives comme celle développée à la Ferme d’Orvilliers sont donc particulièrement bienvenues.

Le four à biomasse et sole tournante Tayso

Le four à biomasse et sole tournante Tayso

Comme préalable à leur nouvelle activité, il aura fallu installer les équipements de meunerie  et de boulangerie. C’est dans l’ancienne bergerie qu’ils ont trouvé leur place, avec notamment un four à biomasse et sole tournante Tayso, une chambre de fermentation, le stockage des farines, le moulin à meule de pierre en granit …

Autour de la ferme, des champs à perte de vue. L'urbanisation n'a pas encore frappé à la porte de cette zone, et on aurait bien du mal à s'en plaindre !

Autour de la ferme, des champs à perte de vue. L’urbanisation n’a pas encore frappé à la porte de cette zone, et on aurait bien du mal à s’en plaindre !

Dans les champs, les céréales se répartissent sur 50 hectares. Blé, sarrasin, seigle, petit épeautre ou engrain, il y a là de quoi assurer une production auto-suffisante. Si des variétés modernes de blé sont aujourd’hui cultivées (avec du Camp Remy, notamment, même si ce dernier n’est plus si moderne !), une parcelle a été réservée pour des blés anciens, dits « de population ». La ferme travaille en collaboration avec l’INRA pour trouver un mélange équilibré, adapté au terroir de la ferme, qui permettrait de réaliser de bout en bout le « pain d’Orvilliers ». La réflexion va plus loin car les associés veulent conserver un pain accessible à tous, le confort de travail mis en place au fournil et le volume de production de farine pour continuer à la distribuer en sac. Ces évolutions devraient se mettre en place à l’avenir, en accord avec l’ensemble des personnes impliquées dans le projet.
En effet, les deux frères ne sont pas seuls, et leur engagement a notamment séduit Hélène, qui les a rejoint après un parcours en reconversion professionnelle. Cette ancienne infirmière a développé une véritable passion pour le levain et n’hésite pas à la partager lors de stages, auprès des adultes ou des enfants. Son implication permet aujourd’hui de réaliser des volumes de pain toujours plus importants.

L'espace de vente au fournil de la ferme d'Orvilliers

L’espace de vente au fournil de la ferme d’Orvilliers

La demande était « dormante » dans cette zone géographique : peu ou pas de bon artisan à proximité, une sensibilité de la population à consommer des produits plus sains et locaux… Dès lors, il n’en fallait pas plus pour faire de ce projet un succès. Les produits de la ferme d’Orvilliers sont distribués directement à la ferme les mardis et vendredis de 16h à 19h, mais également sur le marché de Dreux ou au travers d’AMAP, fermes et magasins bio. Pour autant, la vocation de cette aventure n’est pas d’essaimer partout, de développer de nombreux points de vente et de ne plus maitriser l’évolution de la structure, ainsi que la qualité des produits.

Le bâtiment refermant le fournil et l'ensemble des outils liés à la production du pain (meunerie, etc.)

Le bâtiment refermant le fournil et l’ensemble des outils liés à la production du pain (meunerie, etc.)

Ces derniers sont d’ailleurs de très bonne facture, avec une gamme courte mais savoureuse. Ici, pas de baguette, uniquement de grosses pièces à longue conservation. Cela s’applique tout autant pour la miche (et sa déclinaison au graines), le complet, le pain d’Olaf (style nordique, aux graines et farines de seigle, sarrasin et blé) ou le pur engrain (sur levain d’engrain). Les levains sont doux et relèvent subtilement les arômes des pains. Leur prix est particulièrement appréciable, d’autant qu’ils sont tous certifiés biologiques : la miche est ainsi vendue 5€/kg, ce qui montre bien l’intérêt de ces circuits courts, sans intermédiaire.
Seule exception à ce tableau locavore, un pain sans blé aux farines de riz -on n’en cultive pas encore dans la Beauce !-, lentilles et sarrasin, sans matières grasses ni épaississant. C’est un produit assez particulier, avec une texture se rapprochant plus du cake que du pain. Je n’adhère pas vraiment.
Une brioche est également proposée le vendredi.

Ici, on travaille en froid ! Les bacs de pâte reposent dans cette grande chambre de fermentation pour développer leurs arômes.

Ici, on travaille en froid ! Les bacs de pâte reposent dans cette grande chambre de fermentation pour développer leurs arômes.

Voilà une démarche porteuse de sens et créatrice de valeur, autant pour les consommateurs que pour les producteurs, avec un réel ancrage dans une terre riche en histoire… et l’engagement de deux frères.

Infos pratiques

Ferme d’Orvilliers – 28410 Broué (gare de Marchezais – Broué, Transilien ligne N) / tél : 06 13 35 38 49
site internet : http://www.fermedorvilliers.fr/

Comme le disait très justement Milhouse à Bart Simpson dans l’épisode Mes sorcières détestées de la fameuse série, se marrer c’est marrant. Si je ne vous ai pas assommés avec la hauteur de ma référence culturelle et que vous continuez à lire ce billet, bravo. Je voulais simplement dire que j’essaie de prendre les choses en souriant, et d’observer les tendances avec amusement plutôt que désespoir, même si ce n’est pas toujours évident. Nos grands vendeurs de conseil et autres farces et attrapes sont particulièrement prolixes dans leur domaine, tout en sachant fort bien marabouter des individus en recherche de nouveautés et inspirations.

460 idées pour créer votre entreprise, chouette !

460 idées pour créer votre entreprise, chouette !

Le Salon de la Franchise se tenait du 20 au 23 mars 2016 à Paris Expo Porte de Versailles. Non, non, il n’était pas question de se dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Au contraire, cela s’apparentait plutôt à un jeu de dupes, puisqu’en définitive leurs franchiseurs restent toujours les grands gagnants : leur marque se développe grâce aux entrepreneurs qui s’y adossent, et ils empochent les différents frais prévus par contrat. Bien sûr, ce n’est pas comme ça que les choses sont présentées : ils apportent un grand savoir-faire, une enseigne reconnue, des conditions d’achat négociées, une assistance pour la vie quotidienne des entreprises, … en bref, de véritables sauveurs pour entrepreneurs d’habitude si esseulés.

Les Fromentiers, l'Art et la Manière du bon pain. A ce moment précis, je commençais à avoir les yeux qui saignaient.

Les Fromentiers, l’Art et la Manière du bon pain. A ce moment précis, je commençais à avoir les yeux qui saignaient.

Dans le secteur de la boulangerie, les marques sont toujours plus nombreuses, avec des positionnements sensiblement différents mais une tendance toujours plus grande à développer des réseaux de ‘boulangeries artisanales’ et non plus de simples terminaux de cuisson. Ange, Feuillette, Louise, Moulin de Païou, Firmin, les Fromentiers et maintenant Marie Blachère… ils utilisent une législation trop permissive pour s’offrir à bon compte une image plus qualitative et « authentique » car le « pain » est réalisé sur place.

Le Stand Moulin de Païou, où l'on retrouvait l'une des splendides photographies utilisées pour la communication de la Minoterie Forest, à qui le concept appartient. Je ne sais pas si sa tête faisait fuir les visiteurs, mais le stand n'attirait pas les foules. "Réussissez dans la boulangerie sans être boulanger", quelle bonne idée.

Le Stand Moulin de Païou, où l’on retrouvait l’une des splendides photographies utilisées pour la communication de la Minoterie Forest, à qui le concept appartient. Je ne sais pas si sa tête faisait fuir les visiteurs, mais le stand n’attirait pas les foules. « Réussissez dans la boulangerie sans être boulanger », quelle bonne idée.

J’ai tout de même quelques doutes quant à la durabilité de telles entreprises : quand on connaît les difficultés que peuvent avoir les franchiseurs historiques à raccrocher tous les wagons, avec pourtant des produits complètement calibrés et un besoin en humain et en savoir-faire beaucoup plus faible chez les franchisés, cela semble plutôt prétentieux de vouloir y parvenir avec ce nouveau modèle. Il ne faut pas oublier le passé et notamment le triste exemple du Pétrin Ribeirou, créé en 1991, et qui a fini par renoncer à la franchise après de nombreux déboires.

Le Stand Marie Blachère ne manquait pas d'animation, avec la fabrication en continu, la dégustation permanente et le remplissage de poches, entendez par là qu'il était possible de repartir avec de nombreuses baguettes.

Le Stand Marie Blachère ne manquait pas d’animation, avec la fabrication en continu, la dégustation permanente et le remplissage de poches, entendez par là qu’il était possible de repartir avec de nombreuses baguettes.

La société est faite de cycles et de modes. Aujourd’hui, la boulangerie est vue par quelques acteurs comme un eldorado pour faire de l’argent facilement et rapidement. En attirant des entrepreneurs peu au fait de la réalité du métier et portés uniquement par l’appât du gain, on ne créé rien de durable, et pire encore : en cassant le marché par les prix, on détruit de la valeur.
J’entends à longueur de journée qu’il faut se positionner sur le snacking, que les français veulent manger toujours plus vite et que le pain devient un simple accessoire du sandwich. Cela fait rêver, et pourtant c’était clairement le parti pris par l’organisateur du salon de la Franchise : les enseignes de boulangerie et de fast-food étaient regroupées dans un même espace, créant de fait un lien logique, un raccourci facile et déplacé.

La formidable littérature de nos amis de chez Ange, Marie Blachère ou Le Duff / Fournil de Pierre.

La formidable littérature de nos amis de chez Ange, Marie Blachère ou Le Duff / Fournil de Pierre.

Si j’ai essayé de me marrer, je pense que quelques uns n’en ont pas fait de même. Pour marquer son arrivée dans le secteur de la franchise, Marie Blachère n’avait pas lésiné sur le moyens et avait tout simplement installé une copie conforme de leurs boutiques, avec fabrication sur place en continu. L’animation et la dynamique ainsi créés, additionnés à la notoriété acquise par la marque et ses 310 points de vente, attirait de nombreux passants… sans doute au détriment de ses voisins et concurrents.
De son côté, le groupe Le Duff essayait de porter la nouvelle identité du Fournil de Pierre, dont le repositionnement haut de gamme (avec des farines biologiques) a été amendé pour se contenter de la fabrication sur place, ce qui devrait permettre de suivre un plan de développement soutenu dans les prochains mois.

Le Stand Le Duff avec ses enseignes : Brioche Dorée, Fournil de Pierre, Bruegger's, Del Arte...

Le Stand Le Duff avec ses enseignes : Brioche Dorée, Fournil de Pierre, Bruegger’s, Del Arte…

Est-il bien nécessaire de faire l’article sur tous les concepts présents ? Des Fromentiers qui se présentaient comme une « grande famille » (sic) au Moulin de Païou dont le lien de filiation avec la Minoterie Forest en fait un simple débouché pour des farines d’une qualité discutable, en passant par Pomme de Pain qui retombe comme un Soufflet, le paysage n’avait rien de bien réjouissant, en définitive.

La Mie Caline a modernisé son image et demeure une enseigne assez bien implantée et dynamique dans les centres ville. Bien sûr il ne faut pas trop s'intéresser à la qualité des produits.

La Mie Caline a modernisé son image et demeure une enseigne assez bien implantée et dynamique dans les centres ville. Bien sûr il ne faut pas trop s’intéresser à la qualité des produits.

Franchement? J’aurais mieux fait d’aller voir des gens plus francs ailleurs en France. Quand je vous disais que se marrer, c’était marrant.

Les bonnes idées, les bons sentiments, n’échappent pas aux règles de la relativité : ce qui peut paraître bien pour soi ne l’est pas forcément pour l’autre, et la notion même de bien est tout à fait détournée chez certains individus. On en arrive ainsi à des situations surprenantes, où le discours tenu pourrait laisser paraître que tout va bien, que la communauté avance avec vertu et bon sens… alors que la réalité est tout autre. Il paraît que cela a même un nom, du marketing. Oups!

La fameuse devanture Banette, avec une affiche pour l'opération Barbagalette. A mon sens, le concept est aujourd'hui tout à fait dépassé : la marque prend complètement le pas sur l'artisan et ne lui laisse pas de possibilité de s'exprimer. Dès lors, sa clientèle ne l'identifie pas clairement comme un artisan indépendant. Le message est trouble. On pourra me dire que la rénovation d'une boutique avec ce concept fait progresser le chiffre d'affaires, tant mieux, mais ne serait-ce pas le cas sans ce marketing intrusif ?

La fameuse devanture Banette, avec une affiche pour l’opération Barbagalette. A mon sens, le concept est aujourd’hui tout à fait dépassé : la marque prend complètement le pas sur l’artisan et ne lui laisse pas de possibilité de s’exprimer. Dès lors, sa clientèle ne l’identifie pas clairement comme un artisan indépendant. Le message est trouble. On pourra me dire que la rénovation d’une boutique avec ce concept fait progresser le chiffre d’affaires, tant mieux, mais ne serait-ce pas le cas sans ce marketing intrusif ?

Je ne voudrais pas dresser un tableau trop sombre, vous savez bien que ce n’est pas dans mes habitudes. En 1979, les meuniers qui se sont regroupés au sein d’Unimie avaient là une bien belle idée : mettre en commun les efforts d’analyse des blés pour parvenir à améliorer la qualité de la matière première… et par la même occasion du pain. C’est ensuite qu’est apparue la marque Banette, un étendard sous lequel ces mêmes entreprises réunies ont développé une démarche plusieurs fois étendue au fil des années : il y a bien sûr eu la fameuse baguette aux bouts pointus, mais aussi la Filière Qualité Banette, le Comptoir Meunier, un marketing toujours plus prolixe, …

Dans l'entrepôt sont disposés de nombreux outils mis à disposition des artisans.

Dans l’entrepôt sont disposés de nombreux outils mis à disposition des artisans.

Aujourd’hui, la PME emploie une quarantaine de personnes, toujours à Briare. Ses activités principales se concentrent au niveau du Comptoir Meunier – où sont élaborés les fantastiques pré-mixes – et de la centrale d’achats, qui met à disposition des artisans une très large gamme d’outils pour animer leur point de vente.
Le groupement n’a plus grand chose à voir avec ce qu’il était au départ, même si ses couleurs et son apparence extérieure demeurent : la concentration progressive du secteur faisant, on trouve des acteurs de très grande taille (Axiane, Nicot) face à des entreprises beaucoup plus modestes. Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure Banette peut encore parvenir à emmener la meute dans la même direction, et si l’ensemble des membres du groupement s’y retrouvent…

Comment reconnaître une bonne Banette ?

Comment reconnaître une bonne Banette ? La spécificité du produit est d’être réalisée à partir de pâte fermentée, à l’inverse de nombreux pré-mixes qui incorporent des levains déshydratés-désactivés pour donner du goût. C’est une position entretenue de longue date par le groupement, qui souhaitait ainsi promouvoir le fait que l’artisan apportait du savoir-faire et du goût par la fermentation. Seulement voilà, compte tenu du manque d’application d’un grand nombre de « banetiers » qui générait des pâtes fermentées… très fermentées, Banette a mis en place la « Banette Chef », une préparation qui consiste ni plus ni moins à élaborer cette fameuse base de fermentation sans nécessiter de compétences particulières.

Si j’ai été invité à Briare, c’est sans doute parce que j’avais critiqué assez sévèrement l’opération organisée autour de la Banette au Carambar. Philippe Cavagna, Directeur Général de Maison Banette depuis plusieurs années (issu d’une formation marketing, il a notamment évolué au sein du groupe Soufflet), souhaitait m’expliquer sa vision et le positionnement de son entreprise. J’ai écouté religieusement, j’ai visité. Si on ne m’a pas montré le Comptoir Meunier, j’ai eu droit par contre à la grande fierté locale, l’Ecole Banette.

Ecole Banette, Banette, Briare (45)

Cette école accueille depuis 1993 des personnes en reconversion professionnelle, souhaitant entreprendre dans le secteur de la boulangerie artisanale. Elle délivre un diplôme reconnu par l’Etat, d’un niveau équivalent au brevet de maîtrise. La formation s’étend sur 6 mois, et comprend 4 mois complet à l’école, et 2 mois en stage. Ces derniers sont d’ailleurs obligatoires pour valider le diplôme, comme l’ensemble des modules. En effet, la production n’est pas le seul élément à maîtriser : la gestion et les techniques commerciales sont également au programme.
Après 133 sessions et des taux d’installation plus qu’honorables -Banette annonce que 82% des élèves formés possèdent aujourd’hui leur boulangerie-, la formule a, semble-t-il, fait ses preuves. On ne pourrait regretter que l’engagement qu’elle implique auprès de la marque et l’obligation d’ouvrir une boutique avec le concept associé.

Ils sont venus, ils ont vu... Sur un large mur, on peut dérouler l'historique des sessions de l'école Banette avec des photos de famille.

Ils sont venus, ils ont vu… Sur un large mur, on peut dérouler l’historique des sessions de l’école Banette avec des photos de famille.

Je pense que l’on touche d’ailleurs au véritable point sensible : Banette ne s’est pas renouvelée et est restée figée sur son approche centrée autour d’un nom et d’un marketing global. Si l’on reprend l’histoire de la boulangerie française, cela a permis à une époque de donner de la force à une démarche qualitative, et ainsi relever le niveau en créant une émulation positive. Je ne cherche pas à remettre en question cet impact positif, mais plutôt ce qui a suivi. Cette phase n’aurait du être que transitoire et le modèle aurait du évoluer pour laisser plus de place à l’identité singulière de chaque artisan. Cela n’a pas été le cas et le groupement persiste encore aujourd’hui à s’imposer… au risque de perdre ses membres et les consommateurs.

Des essais de panification sont réalisés quotidiennement au sein du fournil d'essai de Banette, à Briare. Les meuniers membres du groupement sont tenus d'envoyer leurs farines pour analyse afin de vérifier qu'elles correspondent au cahier des charges de la Filière Qualité Banette.

Des essais de panification sont réalisés quotidiennement au sein du fournil d’essai de Banette, à Briare. Les meuniers membres du groupement sont tenus d’envoyer leurs farines pour analyse afin de vérifier qu’elles correspondent au cahier des charges de la Filière Qualité Banette. C’est d’ailleurs le seul label qualité reconnu par le groupement, qui souhaite visiblement -comme pour le reste- faire bande à part. Si l’entreprise avait rejoint le Label Rouge en 1989, elle l’a quitté depuis bien longtemps.

En interne, on essaie de faire le ménage. Certains banetiers ont perdu leur sacro-saint certificat qualité Banette à la suite de visites mystères non concluantes, les critères de qualité se sont durcis, l’équipe d’inspecteurs a été renforcée. La démarche est intéressante car elle dénote d’une volonté initiale de porter des engagements sur le produit et la satisfaction client. Seulement, il ne suffit pas de faire des constats, il faut pouvoir apporter des réponses durables, et cela passe inévitablement par de la formation et du service humain. Or, quand les principaux outils se résument à des préparations prêtes à l’emploi ou des éléments marketing, la situation n’avance pas… et pire encore, finir par pourrir. Je ne prendrai pas de détour pour le dire : nous y sommes aujourd’hui, et des entreprises comme Banette devront assumer leurs responsabilités dans le sombre avenir qui attend de nombreux artisans, et plus globalement la filière de la boulangerie artisanale.

De véritables pièces de musée : les pétrins d'essai Artofex. A eux seuls, je trouve qu'ils sont assez parlants sur l'entreprise : forte d'une histoire, mais cela ne suffit pas. Il faut aujourd'hui apporter de véritables éléments différenciants en terme d'humain et de savoir-faire.

De véritables pièces de musée : les pétrins d’essai Artofex. A eux seuls, je trouve qu’ils sont assez parlants sur l’entreprise : forte d’une histoire, mais cela ne suffit pas. Il faut aujourd’hui apporter de véritables éléments différenciants en terme d’humain et de savoir-faire.

Il faut dire que quand l’on pratique le mélange des genres et que l’on développe une culture des positionnements illisibles, on doit bien s’attendre à avoir quelques retours de bâton. Je n’ai pas fait que visiter Briare, j’ai aussi pris mon bâton de pèlerin pour aller -cette fois en solitaire, sans invitation- découvrir l’Atelier Banette installé à Chartres. Le voyage fut instructif : entre 3+1 à foison, viennoiseries industrielles -surprenant quand on sait que Banette a défendu la viennoiserie maison dès 2008 avec sa démarche « Banette Premium » et bien sûr le charmant mélange allant avec-, lieu hybride entre cafétéria sans âme et boulangerie sans vigueur ni identité, je me suis posé de sérieuses questions sur la vision du marché que pouvaient avoir les têtes pensantes de l’entreprise. Ou plutôt non : j’ai tout simplement eu confirmation du fait qu’elles cherchaient à suivre des tendances pour survivre, sans plus avoir aucune prise sur leur propre destin. Ca serait sans importance si leurs actions n’avaient pas d’impact. Or, de nombreux artisans continuent de les suivre.

L'Atelier Banette à Chartres. Installé en périphérie de la ville, ce lieu n'a rien de bucolique. Son voisin ? Un centre Carglass.

L’Atelier Banette à Chartres. Installé en périphérie de la ville, ce lieu n’a rien de bucolique. Son voisin ? Un centre Carglass.

Ils les suivent sur le tour de France, dans des opérations de co-branding. Carambar l’année dernière, les Barbapapa dans les galettes pour l’épiphanie 2016, Grégory Cuilleron pour des gammes de sandwiches… Banette trouve ses cautions bien en dehors des terrains habituels de l’artisan boulanger. A tort, à raison ? Ma position sur le sujet n’a pas changé, malgré l’argumentaire bien huilé déroulé par Philippe Cavagna. On créé de l’animation, on utilise des marques connues et appréciées des consommateurs, … mais où est la lisibilité, la cohérence, les convictions ? C’est pourtant ce sur quoi de tels acteurs devraient s’appuyer pour agir. Je sais que je parle d’un monde parfait, qui tournerait rond. Nous en sommes bien loin.

Un des fournils de l'école Banette. Les locaux sont bien équipés et permettent aux élèves de se former dans de bonnes conditions.

Un des fournils de l’école Banette. Les locaux sont bien équipés et permettent aux élèves de se former dans de bonnes conditions.

La terre ne s’arrêtera pas de tourner. Progressivement les meuniers se défont de Banette, la relèguent en marque de second rang dans leur portefeuille. Axiane a son « Pain Boulanger », Maurey se démarque toujours plus de l’emprise du groupement dans ses moulins de Chars, Chérisy ou Paul Dupuis… Que restera-t-il à cette marque, à part de beaux souvenirs de grandeur ? C’est un peu l’histoire de la vie qui se rejoue devant nos yeux : à chaque fois, les espèces ont fini par être chassées par des prédateurs plus puissants. Cette fois, le meilleur ennemi de Banette est sans doute elle-même et son inertie. Il n’y a qu’à voir son incapacité à prendre le virage du digital : pas de communication fréquente sur les réseaux sociaux, une page Facebook en friche, un site internet sans actualité… Bienvenue en 2016.

Bref, vous l’aurez compris, à force de s’appuyer sur son histoire, Banette pourrait bien finir par en faire partie… au rang des oubliés.