J’ai parfois le sentiment étrange d’arriver trop tard. D’avoir raté de nombreux artisans, ou un certain « âge d’or » connu par certains pionniers du renouveau du pain, initié au début des années 90 par quelques artisans et acteurs convaincus. J’aurais eu du mal à suivre tout cela puisque je venais de naître, mais cela ne change pas grand chose au fait qu’en arrivant en 2011, ma vision de cette évolution reste très partielle.
Néanmoins, plutôt que de jouer à l’historien, je préfère voir vivre le pain au quotidien et être inscrit dans le présent ou l’avenir. Même s’il y a de très belles histoires, un véritable ancrage, mes yeux restent fixés vers demain.
Il aura fallu que j’aille dans le Loiret pour découvrir le travail de Franck Collas, alors qu’il a longtemps été installé près de chez moi, à Villebon-sur-Yvette. Ce boulanger passionné n’est pas un novice de la profession, et la qualité de ses produits avait d’ailleurs été remarquée au concours des Papilles d’Or, où il avait obtenu la seconde place en 2009. Depuis, l’artisan a eu l’occasion de découvrir des tours de mains variés, des entreprises diverses, grâce à des expériences en tant que commercial et démonstrateur en meunerie… et ainsi de mûrir son projet pendant plus de deux ans.
Les ouvriers boulangers doivent porter une attention particulière au foyer du four.
Difficile de greffer son univers et ses aspirations sur une pousse existante – qu’à cela ne tienne, c’est un bel arbre qui est sorti de terre à Beaugency, sur le bord de la départementale. Un arbre ? Pas exactement. Un Four à Bois, plus précisément. Construit par les ateliers J. Llopis, l’âtre ne manque pas d’allure, installé dans ce fournil flambant neuf. Le choix de ce mode de cuisson s’est imposé à Franck Collas afin de produire un pain de grande qualité : en effet, la chaleur est concentrée sur la sole et favorise naturellement la pousse du pain. Dès lors, il lui est possible d’hydrater de façon plus importante ses pâtes, sans risquer d’obtenir des produits compacts. On obtient au contraire des mies souples et légères, qui contrastent nettement avec les croûtes bien formées.
Le laboratoire, visible directement depuis les espaces de vente, accueille des professionnels rigoureux et impliqués.
En parlant de formation, c’est tout un savoir-faire qu’il faut transmettre à l’équipe de boulangers afin d’utiliser cet outil. En effet, l’humain est primordial pour la gestion des températures. Hors de question de confier la maîtrise de l’outil à quelques privilégiés : l’artisan tenait à ce que chacun puisse assumer les cuissons. Un challenge auquel ses ouvriers semblent se prêter avec plaisir, séduits par ce projet atypique.
Ce four est aussi un outil de partage inter-générationnel : en effet, un ancien boulanger, officiant à l’époque à Beaugency et âge aujourd’hui de plus de 70 ans, vient régulièrement apporter ses conseils… ayant lui-même manoeuvré un tel outil.
Côté pâtisserie, on reste dans des tons plus neutres, avec tout de même du bois sous les vitrines.
Ici, le bois est partout : sur les vitrines, et même dans la structure du bâtiment. Ses couleurs chaudes mettent particulièrement bien en valeur les produits en boutique, où Karine Collas et ses vendeuses officient. Deux univers, deux identités : les pains sont proposés sous la grande tour vitrée, tandis que le reste des produits – chocolats, pâtisseries et offre traiteur, occupent le prolongement. Une façon originale de rappeler que l’essentiel pour ce type de commerce doit rester son offre boulangère.
La boutique est baignée par la lumière naturelle.
Revenir à l’essentiel, voilà le souhait de ce couple en s’installant ici, à l’abri du bruit francilien. Difficile de faire ce choix dans une région où les loyers sont élevés, en plus de toutes les contraintes de place et d’aménagement qui existent. Attention, la situation n’en est pas pour autant idyllique : Beaugency compte déjà plusieurs artisans boulangers, dont un tout proche… lequel s’est installé après que les Collas aient développé leur projet d’implantation. La population, assez bourgeoise, n’est pas toujours très ouverte à la nouveauté et ne se prive pas pour le faire sentir : entre rumeurs et critiques, il faut parfois puiser dans ses ressources pour rester debout et continuer à avancer.
Pour autant, je ne suis pas trop inquiet quant à la capacité de Franck Collas et son équipe à relever ce défi. Tout d’abord grâce à un outil de production de haute volée, où rien n’a été laissé au hasard. Ensuite, ce sont le savoir-faire, l’engagement et les produits qui feront la différence.
Pour les deux premiers éléments, le talent de l’artisan n’est plus à prouver. Certaines de ses recettes ont été reprises par bon nombre de ses confrères… à l’image du fameux Flan à l’Ancienne, que vous appréciez peut-être sans le savoir dans votre boulangerie préférée. Pour l’anecdote, ici, il est cuit dans le four à bois, juste après son allumage à 2 heures du matin. En effet, la température au sein du foyer – environ 200°C – est alors idéale pour saisir le produit et lui assurer la texture crémeuse et fondante que l’on apprécie tant.
Sur le plan de l’engagement, le choix des matières premières parle de lui-même : aucun compromis sur la farine – Label Rouge et CRC -, le beurre et le sel -de Camargue, car il ne contient pas d’anti-agglomérant-. Pour le reste, la quasi-totalité des ingrédients sont faits maison. Les tomates séchées ? Le praliné ? Tout passe par le four à bois.
Chocolats maison
Le résultat ne manque pas de saveur. La gamme de pains, travaillée sur levain naturel, associe prix particulièrement accessibles et gourmandise. Que dire de la baguette de Tradition, vendue seulement 0,90€ pour 250g ? Crémeuse, craquante, juste relevée par un fond de levain sans acidité… Beaucoup de nos boulangers parisiens devraient s’inspirer du principe appliqué ici : préserver le caractère démocratique du pain.
La plupart des produits sont proposés à la coupe, à l’image du Terron et ses vives notes de sarrasin, tirant légèrement sur le miel en fin de bouche. Ce « classique » de la gamme Foricher, bien souvent malmené par chez nous, bénéficie de toutes les attentions : façonné en de grosses pièces, il lève dans une couche avant d’être enfourné. La gamme se poursuit entre tradition et créations : Tourte de Seigle auvergnate, pain aux cranberries, campagne, ciabatta habilement badigeonnée d’huile d’olive infusée aux herbes de Provence en sortie de four… sans oublier les brioches (nature, feuilletée…), viennoises, pains au Muesli et autres déclinaisons gourmandes.
La gamme traiteur
Malgré la taille du bâtiment et son emplacement en bordure de route, la volonté n’était pas d’en faire un salon de thé, même si quelques tables devraient faire leur apparition prochainement. Pour autant, les pâtisseries n’en sont pas négligées : Franck Collas insiste sur son savoir-faire boulanger, mais n’en honore pas moins les classiques, à l’image de son Paris-Brest, de ses religieuses, éclairs, millefeuilles et tartes. Quelques créations, dont des verrines et entremets divers, complètent le tout sans céder à une quelconque tendance tapageuse. Les propositions se construisent au fil des découvertes et des rencontres… en toute simplicité. Un trait que l’on retrouve dans les sandwiches – très élégamment entourés de raphia coloré -, quiches, hot-dogs, pizzas, fougasses et autres croques. A noter également les chocolats maison, où rocailles et rochers cohabitent avec de grandes plaques « au marteau ».
Un four à sole traditionnel a été installé pour la cuisson des bases de pâtisserie ainsi que des viennoiseries… même si ces dernières pourraient, à terme, rejoindre le four à bois.
Madame est en boutique et défend fièrement les créations de son époux, avec le sourire et le dynamisme qui sont les siens. Nul doute qu’elle parviendra, accompagnée de son équipe de vendeuses, à fidéliser la clientèle. Le charme des lieux, des femmes et des hommes qui y oeuvrent fera son effet, autant qu’il a pu le faire pour moi. Il y a dans cette grande boutique, baignée par la lumière naturelle comme un côté solennel, qui impose naturellement le respect. Cela fait du bien, parfois.
Infos pratiques
48 avenue de Blois – 45190 Beaugency (gare de Beaugency, accessible en TER) / tél : 02.38.88.00.00
ouvert tous les jours sauf mercredi de 6h45 à 20h, 19h30 le dimanche.
Avis résumé
Pain ? Cette boulangerie annonce d’emblée la « couleur » : ici, les produits sont cuits au four à bois, un gage de qualité autant que d’incertitude : cela reste en effet un outil difficile à maîtriser, où le savoir-faire des boulangers est essentiel. Maîtrise de la température en fonction du remplissage du four, de la rotation de la sole, … Autant d’éléments que Franck Collas surveille avec précision. Le résultat est de haute volée : grâce à des pâtes très hydratées, on obtient des pains léger, fondants et à l’excellente conservation. Reste à choisir entre la craquante Tradition labellisée (Bagatelle) à seulement 0,90€, les pains à la coupe (Terron au sarrasin, pain de campagne, tourte de Meule, …) ou les déclinaisons gourmandes aux noix, la ciabatta, entres autres propositions au Muesli et Complet CRC. Même si les cuissons sont parfois un peu courtes sur les petites pièces, le four exprimera son plein potentiel lorsque l’activité sera plus importante.
Accueil ? En boutique, c’est Karine Collas et son équipe qui assurent le service et partagent avec la clientèle l’engagement de la maison, que ce soit en terme de matières premières ou de démarche globale, qui trouve son prolongement dans ce bâtiment, dont la structure est en bois. Du bois pour un four à bois, ce n’est pas banal.
Le reste ? Les pâtisseries proposées ici savent rester simples tout en étant particulièrement équilibrées. Impossible de passer à côté du fameux Flan à l’Ancienne, légèrement tremblotant et très fondant, où les parfums de vanille et d’oeuf s’accordent harmonieusement. N’oublions pas pour autant les pâtes à choux, verrines, tartes et entremets, toujours bien finis et assaisonnés, la fleur de sel s’invitant souvent dans les compositions créatives. La gamme traiteur décline d’élégants sandwiches, délicatement enrubannés, quelques quiches ou pizzas. Quant aux viennoiseries, elles bénéficient d’une réalisation tout aussi impeccable.
Faut-il y aller ? Si vous en avez l’occasion, assurément. On m’avait proposé de venir visiter les lieux, ouverts au milieu du mois, sans connaître l’artisan, son parcours et son engagement. Difficile de ne pas être séduit, autant par le lieu que par les produits. Ici, chaque détail compte, sans pour autant tomber dans l’anecdote. En pénétrant dans cette vaste boutique, c’est un peu comme si l’on entrait dans une forêt… pas de pins, mais de pains. Au centre, le fameux four. Un outil autant qu’un lieu de vie, car en son sein, la température ne retombe jamais tout à fait… un peu comme s’il attendait discrètement qu’un nouveau jour se lève, pour proposer à nouveau ses gourmandises.