Cela ne vous aura sans doute pas échappé, j’aime raconter des histoires. Oui, mais seulement de belles histoires, qui trouvent un sens dans la réalité, qui se basent sur du concret et parviennent à satisfaire mon exigence d’honnêteté et de goût, tout simplement. Seulement voilà, cela ne semble pas être le sens dans lequel tout le monde cherche à aller. Les anglophones parlent de « storytelling », moi j’aurais plutôt tendance à parler de marchands de sable… « Mister Sandman, bring me a dream » chantaient les Chordettes.
Du rêve, oui, le secteur de la gastronomie sait en vendre et en créer. Un univers de paillettes et d’histoires, justement. Plus le temps passe, plus je goûte de produits et échange avec les artisans, mieux je me rends compte de la distorsion entre ce que l’on vend au consommateur et ce qui est vanté. Cela peut se situer sur le plan des qualités gustatives, bien souvent sur-vendues, c’est de bonne guerre et on ne peut pas reprocher à un vendeur de chercher à écouler sa marchandise. Cependant, je n’adhère plus dès lors qu’il s’agit de proposer un produit qui devrait être sain, « honnête » et artisanal… alors que l’on fait tout le contraire.
Des exemples ? Allons-y, n’ayons pas froid aux yeux. Prenez le célèbre traiteur Lenôtre, dont le site regorge d’informations inquiétantes sur la composition de leurs gourmandises. Une tarte au citron ? Oui…
Pâte sucrée 28% (farine de blé, beurre, sucre, amande, oeuf, jaune d’œuf, sel), sucre, œuf, beurre, citron 9%, eau, blanc d’œuf 2%, nappage (gélifiant : pectine, acide citrique, antioxydant : E223 (sulfite)), jus de yuzu, décor (blé), cachet chocolat blanc (poudre de lait entier, colorant : E172), jaune d’œuf, sirop de glucose, beurre de cacao, gélatine de bœuf, matière grasse végétale hydrogénée, jus de citron vert 0,3%, poudre de lait écrémé, zeste de citron 0,03%, émulsifiant : lécithine de soja
Oh, des tartes façon part ! (vu dans le Thuriès Magazine)
Sirop de glucose, matière grasse végétale hydrogénée… C’est un véritable festival qui s’offre à nous. Ce sont loin d’être les seuls à agir de cette façon. De jeunes entreprises aux dents longues et aux fortes prétentions jouent dans la même cour, à l’image d’Hugo & Victor. Alors que leur agence de communication vante à chaque fois que c’est nécessaire une réalisation ‘minute’ de leur pâtisseries, celles-ci sont sous-traitées auprès d’un traiteur parisien. Cela pourrait s’arrêter là, mais non, il faut aller plus loin : les fameuses tartes « façon part » sont assemblées à part d’un fond précuit fourni par PCB Création, un industriel du secteur. Que de belles histoires…
Le secteur du luxe, ou du « haut de gamme », n’est pas le seul à agir ainsi. En boulangerie aussi, quelques artisans ont leur petits secrets. Faire travailler du personnel peu qualifié pour toujours augmenter sa marge, utiliser des farines de qualité douteuse, ajouter des additifs indécelables dans des baguettes dites « de Tradition » pour donner du goût, pratiquer de véritables luttes d’influence entre meunerie et boulangers, guerres internes au sein de la confédération (et ses pratiques moyenâgeuses, bien loin de défendre les artisans)… La liste est longue, trop longue. Pourtant, en façade, la profession tente de donner l’image d’une volonté de progrès, de tendre vers un produit toujours plus sain et savoureux.
Il y aura toujours des gens pour vous raconter des histoires. D’autres le feront mieux que moi. Ce billet clôt une longue série, met en suspension un travail relativement titanesque entrepris depuis avril 2011 : 468 billets, de près de 600 mots en moyenne, j’en ai moi même le tournis. Une expérience exceptionnelle, à tous points de vue. Humainement d’abord, et c’est certainement ce que j’en retiendrai : des rencontres, beaucoup de sourires. Des sourires sincères, que j’ai été heureux de créer. Bien sûr, on ne fait pas tout cela sans commettre des erreurs, c’est inévitable, et je me suis trompé à plusieurs reprises. Cela m’a fait avancer et je peux dire assez fièrement que je ne suis plus le même que lorsque j’ai commencé. painrisien m’a changé – je suis devenu « le » painrisien. Aujourd’hui, je rends ma casquette, certainement par lassitude mais aussi parce que j’ai envie de courir après autre chose que le pain. Des levers de soleil, des lumières, des instants fugaces… Toujours des histoires vraies. Le reste n’est qu’accessoire. Comme disait un fameux renard empli de sagesse « On ne voit qu’avec le coeur, L’essentiel est invisible pour les yeux. ». Une citation du Petit Prince, d’ailleurs, c’est ce que j’ai le sentiment d’avoir été pendant tout ce temps. Le Petit Prince du pain, doté de cette sensibilité exacerbée, de cette envie insatisfaite de rendre le monde plus beau et doux. Je n’aurai sans doute pas changé ce fameux monde en écrivant ici, mais j’aurais tenté de faire entendre un message. A présent, je vais écrire une autre histoire, ou plutôt d’autres. La mienne, pour commencer… D’ailleurs, il faut que je trouve un vrai travail – j’en profite pour re-placer l’annonce de ma recherche toujours non aboutie !
A bientôt, et merci !