Mon parcours painrisien s’est teinté de souvenirs, au fil du temps et des rencontres. Des hommes, des femmes, autant de couleurs, d’envies, d’aspirations et de vues sur la profession qui ont fait évoluer ma connaissance et mon appréciation des boulangeries au quotidien. Pour autant, je reviens toujours à mes premiers amours, à ces adresses qui ont développé mon goût pour le pain et cet univers que je méconnaissais bien, avant d’y « plonger » comme j’ai pu le faire depuis 2 ans.
En descendant la rue Caulaincourt vers la place de Clichy, la belle boulangerie d’angle de Gontran Cherrier attire l’oeil par ses larges baies vitrées et son aménagement sobre. Cette boutique tout en longueur offre aux clients la possibilité de consommer sur place, grâce à des tables-mange debout disposés face aux vitrines extérieures. Autant lieu de vie que de passage, cette boulangerie contemporaine ne manque pas de charme, de simplicité et d’élégance.
Décembre 2010, alors vendeur au sein d’une prestigieuse maison pâtissière de la capitale, j’entendais pour la première fois parler de Gontran Cherrier… avec visiblement un sacré train de retard, car le patronyme de ce boulanger-animateur de télévision-auteur-… était déjà à l’époque bien loin d’être inconnu au bataillon de la grande « sphère culinaire ». J’ai appris à le connaître par ses produits, pour ma part, car c’est le 18 de ce fameux mois que l’artisan a ouvert sa première boutique au 22 rue Caulaincourt, dans le 18è arrondissement. Le 18 dans le 18è, était-ce un signe ? Pourquoi pas.
« J’avais besoin du contact avec la clientèle »
L’ancrage de ce boulanger dans la profession est plus que profond : issu d’une famille de boulangers – plus précisément de la 4è génération de celle-ci -, il a autant profité du savoir-faire transmis par ses ancêtres que par sa propre expérience. Au delà du fournil familial de Luc-sur-Mer puis de Marcoussis, le jeune artisan a voulu voir plus loin. Loin dans la gastronomie, avec des expériences chez des chefs étoilés comme Alain Passard ou Senderens. Géographiquement également, au travers de nombreux voyages – Russie, Roumanie, Italie, Chine, Maroc… Il y découvre des goûts et des cultures qu’il incorpore aujourd’hui encore dans ses créations, tout en développant sa technique avec notamment la mise en place d’outils de production boulangers.
Chez Gontran Cherrier, les cultures et saveurs se croisent, se rencontrent, s’entrechoquent. L’offre de pains rassemble ainsi des saveurs d’ici – baguette de Tradition, pain de campagne, … – et d’ailleurs – miso, curry, muscade, poivre… beaucoup d’épices des 4 coins du monde, mais aussi des spécialités comme le bagel ou le bun. Beaucoup de produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa quantité et de goûter, picorer, pour découvrir l’univers gourmand de Gontran Cherrier.
Gontran Cherrier est loin pour autant d’en oublier le relationnel… et même les médias : on le voit sur Canal+, M6 ou encore Cuisine TV, en plus de la rédaction de plusieurs ouvrages autour du pain et de la boulangerie : Les tartines de Gontran, Gontran fait son pain, Pains… les titres ne manquent pas et on retrouve là une belle volonté de transmission, qu’il avait déjà eu l’occasion de mettre en oeuvre au sein de l’École de boulangerie et de pâtisserie de Paris, où il a reçu la casquette de formateur.
Même si Gontran Cherrier n’est plus impliqué directement dans le domaine de la restauration, il continue à y contribuer en apportant ses pains aromatiques. Ainsi, de nombreux restaurant parisiens ont fait appel à lui pour leur fournir des produits. Ici, un carton de buns jus de roquette-graines de courge en partance pour le Drugstore Publicis.
Ce savoir-faire a naturellement trouvé du sens auprès d’industriels, de restaurateurs ou encore d’organismes variés à l’étranger, pour lesquels il travaille au travers de sa société de conseil créée en 2007. Seulement voilà, nos artisans n’oublient jamais tout à fait leurs origines, et c’est ainsi qu’est née l’idée d’ouvrir sa propre boulangerie à Paris. Plusieurs mois de travaux auront été nécessaires pour transformer le 22 rue Caulaincourt, une boutique d’angle n’ayant pas connu le succès nécessaire à sa survie. Le résultat répond aux attentes du boulanger et de ses associés : un lieu clair, associant boiseries et carrelage blanc biseauté style métro. Je me souviens d’y avoir vu Gontran Cherrier au service de nombreuses fois, après l’ouverture. Mettre les choses en place, s’inscrire dans le quartier… puis avancer, encore et encore.
« Je voulais dès le début me développer à l’international »
Avancer, il l’a fait en ouvrant de nouvelles boutiques : cela a commencé avec celle de la rue Juliette Lamber, dans le 17è arrondissement, acquise principalement pour son grand laboratoire, en comparaison avec l’espace très exigu de la rue Caulaincourt. Le plus important pour notre boulanger gourmand était le développement à l’international : il portait cette idée depuis le début de cette nouvelle aventure.
Pour cela, Gontran Cherrier n’est pas seul : ses associés et investisseurs l’accompagnent et lui permettent d’assurer le fonctionnement serein de l’entreprise. Ce « modèle » est bien différent de celui du boulanger traditionnel, qui engage souvent ses fonds et sa famille, mais cela se défend par un positionnement particulier.
Ici, on cuit toute la journée, afin de proposer du pain frais. Cette fraicheur est essentielle pour Gontran Cherrier, qui envie parfois les volumes réalisés dans ses boutiques asiatiques, permettant de proposer des gammes plus larges avec une rotation optimale.
Singapour puis le Japon, où il vient d’inaugurer sa seconde boutique, l’Asie est une terre fertile pour la boulangerie française et ce n’est pas un hasard si le succès est si important là bas : la clientèle est particulièrement ouverte et passionnée par cet univers gastronomique autour du pain, des viennoiseries et des douceurs « à la française ». Cela permet de proposer des gammes plus variées, de laisser libre cours à la généreuse créativité de l’artisan et de ses équipes. A l’inverse de plusieurs de ses confrères, Gontran Cherrier a fait le choix d’utiliser une grand partie des matières premières disponibles localement : le beurre est japonais, la farine le sera au terme d’un travail mené avec Agrisystem, afin d’obtenir un produit 100% local – un challenge qui motive vraiment l’artisan. A Singapour, l’approvisionnement est plus « classique », avec de la farine des moulins Foricher et du beurre normand.
Au fournil, on s’active toute la journée pour préparer, façonner, cuire le pain et les douceurs proposées en boutique et aux restaurateurs. L’espace contraint du 22 rue Caulaincourt a incité Gontran Cherrier et ses associés à s’installer rue Juliette Lamber, où le laboratoire est bien plus spacieux.
D’autres projets d’expansion sont d’ores et déjà planifiés, avec une nouvelle boutique au Japon dès le début de l’année prochaine. Cela n’exclut pas pour autant d’autres surprises, selon les opportunités à venir.
« J’aime aller vite, je ne suis pas très patient »
On ressent bien dans ce bouillonnement une certaine impatience, une volonté d’aller toujours plus vite, toujours plus loin. C’est sans doute pour cela qu’il s’est installé à Saint-Germain-en-Laye, en marge de ses implantations asiatiques. Pourtant, là-bas, il a vite compris qu’il faudrait du temps pour convaincre une clientèle plutôt traditionaliste. Depuis décembre dernier, Charles – son responsable de boutique – et ses équipes réalisent un important travail en ce sens.
Chez Gontran Cherrier, les cultures et saveurs se croisent, se rencontrent, s’entrechoquent. L’offre de pains rassemble ainsi des saveurs d’ici – baguette de Tradition, pain de campagne, … – et d’ailleurs – miso, curry, muscade, poivre… beaucoup d’épices des 4 coins du monde, mais aussi des spécialités comme le bagel ou le bun. Beaucoup de produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa quantité et de goûter, picorer, pour découvrir l’univers gourmand de Gontran Cherrier.
Le pain, lui aussi, aime se faire désirer et c’est ainsi qu’il revêt ses formes les plus nobles et riches : avec la fermentation, le produit développe sa palette aromatique, ses différentes qualité (de conservation, notamment)… Un processus que Gontran Cherrier aime étudier et mettre en valeur, tout en gardant son côté un peu frondeur : certaines de ses créations ont eu un recours important aux épices, ces dernières n’attendant pas pour parler. A côté de cela, le produit de Tradition demeure et il convient de lui donner ses lettres de noblesse.
« La boulangerie doit se tourner vers le terroir pour continuer à exister »
Justement, les traditions et les recettes se rattachant au terroir sont vitaux pour notre boulanger qui s’est transformé pendant quelques semaines en une sorte de routard des fournils français, avec 84 boulangeries visitées pour le compte de M6. Au travers de ces visites, il a pu découvrir de nombreuses spécialités locales et constater le succès rencontré par ces dernières auprès de la clientèle. En effet, en des temps troublés, les individus ont besoin de se retrouver dans des histoires simples et vraies, et nos artisans sont particulièrement bien placés pour réaliser ce travail.
Même si tous les pains sont proposés « nature », Gontran Cherrier n’en propose pas moins ses propres recettes réalisées sur place par ses ouvriers. Sandwiches sur base de baguette (de Tradition, mais aussi Céréales-Curry), focaccias garnies… les propositions ne manquent pas.
Ce travail de réappropriation des coutumes doit se faire en complément de celui qui nous rapproche de nos racines… et plus précisément des matières premières locales, avec la mise en place de filières courtes. Certes, la pratique est plus difficilement applicable en Ile-de-France, mais elle ne manque pas de sens en terme de goût et de qualité des relations producteur-transformateur. La question pourrait paraître moins centrale en boulangerie-pâtisserie, mais c’est tout le contraire : farines, oeufs, lait, beurre, légumes, fruits… Les activités de pâtisserie et de traiteur – toujours plus importantes – élargissent le champ des produits présents dans le fournil d’un artisan.
C’est mignon et c’est bon, la tarte aux oignons roses surprend les yeux avant de séduire les papilles.
Gontran Cherrier a fait le choix, depuis le début, d’utiliser la farine des Moulins Foricher, car il partage avec cette entreprise un état d’esprit d’ouverture et de dynamisme. Malgré tout, le prix des matières premières a globalement tendance à s’envoler et il y a là matière à se poser quelques questions.
« Je suis inquiet pour l’avenir de notre filière en raison de la contrainte des prix »
Même si les cours du blé, des oeufs et autres produits laitiers s’enflamment, il sera bien difficile pour un boulanger de répercuter pleinement la hausse auprès de sa clientèle : dès lors, la part que prennent ces éléments dans le prix final du produit augmente… et la marge diminue. Ce n’est pas toujours facile à assumer, d’autant plus dans certaines zones où la clientèle possède des moyens limités. A terme, c’est l’ensemble de la filière qui est en danger.
L’offre de pâtisseries a le bon goût de rester très boulangère : la signature de Gontran Cherrier, ce sont ces tartes « au mètre » vendues à la part, dont la fameuse amandine et sa pointe de rhum. L’idée est de toujours proposer des goûts francs et marqués.
Rue Caulaincourt, rue Juliette Lamber ou à Saint-Germain-en-Laye, les prix pratiqués par les boulangeries Gontran Cherrier demeurent assez élevés, un fait qui a souvent été reproché à l’entreprise. Historiquement, ce choix avait été fait en raison des capacités de production limitées : le fournil de la première boutique est très exigu, et il était donc difficile de fabriquer en grande quantité. A défaut, il valait mieux vendre plus cher, pour assurer la pérennité de l’affaire.
Sur ce point, l’artisan mène de nombreuses réflexions et souhaiterait revenir à une boulangerie plus accessible, comme elle devrait toujours l’être. La clientèle Saint-Germinoise est riche en étudiants aux moyens naturellement limités. Il serait bien malvenu de se priver de leurs visites.
Impossible de ne pas tartiner son pain au petit déjeuner. Pour cela, Gontran Cherrier nous propose des confitures artisanales, réalisées dans la région de Besançon par Marie Petit, la fondatrice de « Ô Jardin Sucré ». Cette dernière se révèle toute aussi créative que notre boulanger, avec des propositions qui sortent de l’ordinaire, comme la confiture Banane-Pomme-Café, la Poire-Carambar, entre autres déclinaisons gourmandes et savoureuses.
« Parvenir à transmettre le métier et assurer une qualité de vie aux ouvriers »
Les jeunes, toujours les jeunes. Si l’on en parle autant, c’est qu’ils doivent occuper une place centrale en boulangerie-pâtisserie : sans eux, l’avenir de notre savoir-faire est nul. Un fait qui ne pouvait échapper à cet ancien professeur de l’EBP, une expérience qui lui permet aujourd’hui d’être plus efficace dans la transmission du savoir. Son nom est aussi une excellente source de candidatures : de nombreux apprentis ou stagiaires sont attirés par le certain prestige qui lui est associé, et il reçoit ainsi de nombreuses candidatures.
Ainsi, ses fournils se font autant lieux de rencontres, d’étude que de production. Ajoutez à cela un caractère cosmopolite et vous obtenez un mélange qui correspond parfaitement à Gontran Cherrier : cette micro « entreprise-monde » s’enrichit quotidiennement des expériences et aspirations de chacun.
Le tableau noir reprend les principes de la maison : proposer des produits originaux, destinés à mettre en valeur les mets placés sur une table… avec toujours beaucoup de gourmandise.
Le pain est une excellente source de dialogue, car il touche à peu près tout le monde, peu importe ses origines. Il faut aussi qu’il soit produit dans des conditions acceptables pour parvenir à fidéliser les ouvriers et assurer une qualité régulière : l’artisan a ainsi instauré un jour de fermeture « non négociable », où les boulangeries sont entièrement à l’arrêt. Même si cela pourrait changer à l’avenir du fait des demandes parfois pressantes de la part des partenaires et restaurateurs, la qualité de vie du personnel est essentielle. Rue Juliette Lamber, les opérations de tourage sont effectuées de plein-pied, tout comme la préparation des produits traiteur. A Saint-Germain-en-Laye, c’est l’ensemble de la boutique et de son laboratoire qui s’étendent sur un seul niveau.
Les pâtons attendent sagement d’être façonnés pour devenir de beaux pains…
La production n’est pas le seul secteur concerné : les vendeurs doivent bénéficier du même régime pour offrir à la clientèle un conseil pertinent et cohérent avec la démarche de la maison, axée autour de l’idée d’utiliser le pain comme un objet gastronomique. Pour cela, il faut également parvenir à leur transmettre du savoir, à les former : ainsi, Gontran Cherrier et ses responsables de boutique Felipe et Charles devraient aboutir à la mise en place d’un leaflet décrivant l’ensemble des produits, comme cela a déjà été fait pour les boutiques asiatiques.
« Les artisans sont plus ouverts qu’ils ne pouvaient l’être par le passé »
On néglige bien souvent l’importance de la transmission entre artisans. Certes, il faut former des apprentis, mais nous avons aussi à apprendre de notre voisin, de par sa vision différente du métier et de ses expériences. Chacun possède ses recettes, ses tours de main. Gontran Cherrier a pu le constater sur le terrain : les artisans boulangers sont aujourd’hui plus ouverts, ils hésitent moins à échanger et à se fédérer autour du beau projet qu’est celui de faire du beau et bon pain. En effet, la profession a fini par intégrer le fait qu’il fallait créer de la cohésion pour survivre et se développer. Les enjeux sont en effet nombreux, avec une concurrence directe des industriels mais aussi des grosses chaines boulangères du type Boulangerie Louise, Marie Blachère, etc. Pour le boulanger montmartrois, il s’agit là d’une forte incitation à se réinventer. Lui-même l’a fait en apportant un vrai souffle nouveau et en donnant une vraie dimension « cuisinée » au pain, en plus de tous les ouvrages et émissions de partage qu’il a pu réaliser.
C’est mignon et c’est bon, la tarte aux oignons roses surprend les yeux avant de séduire les papilles.
« Avant de développer quoi que ce soit de nouveau, je veux ré-assurer les fondations de mes boutiques »
L’actualité a été chargée ces dernières semaines pour celui qui s’est fait, en compagnie de Bruno Cormerais, le juge des « meilleures boulangeries françaises ». Une expérience enrichissante, où il a notamment pu découvrir une belle joie de vivre chez nos artisans, chose que l’on peine à imaginer depuis notre petite lucarne parisienne.
De retour à Paris, ce sont des clients beaucoup moins télévisuels qu’il faut parvenir à satisfaire, et pour cela Gontran Cherrier a bien repris en mains les rennes de ses boulangeries : même si les équipes en place assurent leur travail avec application au quotidien, la présence de l’artisan pour assurer une « ligne directrice » est bien souvent nécessaire. Il va ainsi prendre le temps de reprendre avec ses collaborateurs les différentes gammes et habitudes, avant d’entamer un quelconque nouveau développement.
Si il y a bien une signature que l’on retrouve dans l’ensemble des boutiques de Gontran Cherrier, c’est ce plafond : multicolore, lumineux, il reflète bien l’état d’esprit de l’artisan qui ne s’inscrit pas dans des codes et conventions dépassés, mais se plaît au contraire à chahuter les habitudes.
Pour autant, les projets ne manquent pas, avec des réflexions autour du moment du goûter, une ouverture en novembre au sein du futur centre commercial One Nation Paris aux Clayes-sous-Bois (en créant des synergies avec la boulangerie de Saint-Germain-en-Laye, … nul doute que l’on entendra encore beaucoup parler de cet homme talentueux et dynamique, à commencer par le 28 août, date de début des diffusions du programme « A la recherche de la Meilleure Boulangerie de France ».
Non, non, Gontran Cherrier n’est pas surfeur comme on pourrait le penser de prime abord… mais bel et bien boulanger !