On peut s’amuser du temps et des efforts que nous consacrons à bâtir des murs, clôtures et autres édifices destinés à protéger ce et ceux qui nous est cher, qu’il s’agisse de valeurs, d’objets ou d’individus. On peut s’en amuser parce que dans le même temps notre nature nous pousser à chercher les moyens de les détruire, ou plus discrètement de les contourner. Cela peut s’aborder de différentes façons, comme si le défi nous stimulait, ou que le sentiment de transgression avait une valeur particulière pour pimenter un quotidien parfois morose, parfois trop simple pour d’autres. Les raisons peuvent aussi être purement centrées sur l’argent, l’image et le pouvoir, qui demeurent les leviers les plus puissants pour inciter des individus à agir.

La McBaguette n’était que le premier coup porté par l’enseigne sur le terrain de la farine Label Rouge.

Pour continuer, et finir pour le moment, dans le série des labels de qualité, je voulais aujourd’hui traiter d’une information qui semblait bien banale en première lecture : l’enseigne de restauration rapide McDonald’s et son partenaire Bimbo QSR ont réaffirmé début avril leur volonté de passer l’ensemble de leur production de buns sous le pavillon du Label Rouge à partir du mois de juin 2021. Cela s’inscrit dans une stratégie engagée depuis plusieurs années, avec la réduction des additifs alimentaires et l’approvisionnement en matières premières au sein de filières tracées (comme pour les oeufs du Egg McMuffin, ou la farine de la McBaguette éphémère).

Cependant, il faut distinguer les différents types de certification et les cahiers des charges qui y sont associés : on peut ainsi obtenir le Label Rouge sur une matière première ou un produit transformé. Pour y parvenir, il faut non seulement suivre les préconisations spécifiques à chaque filière, mais également adhérer à l’Organisme de Gestion (ODG) reconnu par l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité), lequel se charge de rédiger et maintenir le cahier des charges, choisit l’organisme certificateur et de contrôle, etc… en bref, régit la vie de la démarche.
Sur le sujet qui nous intéresse, il existe cinq types de farines Label Rouge. Trois sont rattachées au PAQ (Produits Alimentaires de Qualité) : la Tradition T65, la Meule T80 et la Farine panifiable pour pain courant. Une autre se rapporte à la Farine de froment et réunit une coopérative, plusieurs meuniers, agriculteurs et boulangers dans une association nommée « Blé, farine et pain de qualité ».
Enfin, la dernière aurait sans doute été la plus intéressante pour nos amis adeptes des pains moelleux, lesquels nécessitent l’emploi d’une base riche en gluten : la farine de gruau T45 (donc une farine dite « de force ») appartenant à l’ODG Club le Boulanger, notamment connu pour sa baguette de Tradition Label Rouge Bagatelle. Seulement, hors de question pour cette tribu d’irréductibles gaulois (nous n’en sommes pas bien loin, en définitive, au delà du trait d’humour) de laisser entrer un acteur tel que McDonald’s dans la démarche.

Dès lors, puisqu’il était impossible de rentrer par la porte, la multinationale a du rentrer par la fenêtre. Quand bien même la hauteur de cette dernière pouvait paraître élevée, aucun obstacle n’est insurmontable, surtout si l’on bénéficie du soutien de quelques partenaires bien intentionnés… qui portent trois noms bien connus, à savoir Grands Moulins de Paris, Moulins Soufflet et Moulins Advens (ex-Grands Moulins de Strasbourg). A défaut de pouvoir produire une farine Label Rouge de type 45, ils ont trouvé la faille dans le référentiel de la Tradition T65 : pour rentrer rapidement dans les détails techniques, celui-ci impose un taux de protéines supérieur à 11,5% sur la farine obtenue… mais ne définit pas de maximum, tout comme elle n’exclut pas l’usage exclusif de blés de force au taux de protéines supérieur à 14%.

Au final, ce pool de trois meuniers va écraser un produit sur mesure avec 15% de protéines, sous l’appellation de Farine de Tradition française… alors même que nous en sommes bien loin, et que je vous laisse imaginer la durée de vie et l’élasticité d’une pâte de baguettes classique pétrie avec une telle matière première… pourtant, preuve que le ridicule ne tue pas, une charmante responsable des Relations Extérieures d’un grand groupe coopératif se vantait de l’aspect irréprochable de baguettes obtenues lors d’essais, sans préciser si elle avait pu faire un noeud avec au bout de deux heures. Les plus belles histoires restent parfois inachevées.

J’espère sincèrement que le Club le Boulanger, porteur de la démarche Bagatelle, et ses membres ont quelques idées pour l’avenir et pour l’évolution de leur fonctionnement ainsi que de leur communication… mais j’en doute un peu, au vu de l’absence totale d’évolution sur ces deux terrains au cours des dix dernières années. Malheureusement, les cimetières sont remplis de bonnes personnes et idées… et en la matière, le dogmatisme tue.

Bien sûr, tout cela pourrait paraître anecdotique, or c’est tout sauf le cas. Cette dérive nous met en face une vérité : ces référentiels de qualité sont faillibles, et les grands professionnels des référentiels que sont les industriels n’ont aucune difficulté à les utiliser à leur seul avantage, en les vidant allègrement de leur substance. Passé ce constat, il faut intégrer le fait que 20% de la production de farines Label Rouge sera à présent destinée à la fabrication des buns Bimbo QSR-McDonald’s… et que ce dernier ne se privera pas pour mettre en avant le logo associé dans sa communication. Dès lors, les meuniers et boulangers ayant basé leur stratégie de différenciation et de qualité sur ce label seront, aux yeux des consommateurs, placés au même niveau que ces produits industriels. J’avais déjà exprimé mes doutes lors de la sortie de la McBaguette, qui était un produit à impact limité. La charge est aujourd’hui bien plus violente, et emporte avec elle autant les farines que la « seule baguette de Tradition Label Rouge », les béotiens étant bien en peine de faire la différence entre les niveaux de certification.

Il est temps d’ouvrir le champ des possibles.

Nous, acteurs de la filière blé-farine-pain, avons la responsabilité de passer à autre chose, de nous saisir d’une page blanche et d’écrire des logiques empreintes d’éthique, de valeurs et de bon sens, avec une vision portée de la fourche au fournil… pour garantir un produit sain, aussi bien par les efforts engagés lors de la production de la matière première que de la transformation finale. Renonçons à ces fragiles étiquettes et bâtissons une boulangerie libre et vivante… sinon nous aurons de quoi voir rouge d’ici quelques années, sans qu’il soit question d’un quelconque label.

Une réflexion au sujet de « Labels Qualité : l’amusante histoire des buns à la farine Label Rouge de McDonald’s… et ce que cela nous apprend »

  1. encore un excellent billet pour continuer à nous éclairer sur les travers de cette filière pain et de certains de ses acteurs toujours promptes à agiter la cape pourpe de ce Label sous nos yeux.
    Rappelons qu’il y a quelques années le logo de McDo arborait une fière couleur rouge et que le greenwashing aidant, ils sont passés au vert. Chassez le naturel, etc.

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