Quand la vérité est belle, elle n’a pas besoin d’être occultée. Quand une arrière boutique est belle par la force et l’atmosphère qu’elle dégage, elle n’a pas besoin d’une vitrine pour vendre. Tout cela pour dire que si nous passons plus de temps à peindre nos prétentions des plus belles couleurs, c’est peut être que nos intentions ne sont pas aussi claires. Dans notre société du paraître, le marketing et la communication sont venus remplacer la réalité des produits, des projets et des hommes. Seulement la peinture finit toujours par s’écailler, à plus forte raison quand cette dernière est appliquée grossièrement. Que reste-t-il ensuite, à part le triste spectacle de la vacuité profonde de nos modes de pensée et d’action ?

Ce qui m’attriste particulièrement est de voir que cette tendance à coller une surabondance d’étiquettes sur les produits a atteint la boulangerie artisanale, alors que nous devions évoluer dans un métier où les recettes, l’intention et le savoir-faire étaient suffisamment forts pour fédérer. Il faut bien se rendre à l’évidence : ce n’est plus le cas. Bien sûr, les artisans ont justifié leur allégeance à ces labels par la nécessité de rassurer les consommateurs quant à la qualité de leurs approvisionnements en matières premières. C’est un raisonnement partiel et faussé, d’autant qu’il ne provient généralement pas des individus qui l’expriment : l’idée a été tellement martelée qu’elle a fini par devenir communément admise.

Dans sa communication au sujet de la McBaguette, un produit en édition limitée et réservé au marché français, McDonald’s a mis en avant l’utilisation d’une farine Label Rouge pour la fabrication du pain, ainsi qu’une fin de cuisson réalisée sur place. Si le Label Rouge caracole en tête des « démarches qualité » en terme de notoriété, il est également devenu omniprésent dans l’industrie. Dès lors, comment l’utiliser en tant qu’artisan pour renforcer son discours qualité, tout en cherchant à se différencier ? Le problème me semble encore plus marqué pour des démarches plus exigeantes, labellisant notamment le pain et non seulement la farine, qui sont noyées dans cette masse. Chers boulangers qui êtes si fiers de votre logo Label Rouge en boutique, ne croyez vous pas que cela finit par vous mettre au même niveau que ce fournisseur de nourriture industrielle ?

La perte de confiance envers les artisans n’est pas nouvelle, et elle s’explique assez simplement. Bien sûr, le climat de défiance envers le domaine de l’alimentaire a fini par les atteindre, du fait des nombreux scandales alimentaires mis en lumière ces dernières années. La boulangerie a tout de même été relativement épargnée, car les produits qu’elle transforme n’ont pas ou peu été directement cités. A l’inverse, les méthodes adoptées par la profession ont fait l’objet de nombreuses controverses, et nous sommes bien loin d’en avoir fini : produits d’origine industrielle, mélanges de farines prêts à l’emploi, … autant dire que ce qui formait les piliers d’une bonne partie de notre « boulangerie moderne » ont été mis à mal. Ce n’est que la conséquence naturelle d’un désintérêt des professionnels pour leur propre métier, et de leur appétence toujours marquée pour le développement économique de leurs affaires, au détriment de la qualité de leurs productions.

Le Bio est partout, que ce soit en grande distribution ou chez les leaders du marché meunier. Il faudra simplement finir par intégrer qu’il y a Bio et Bio : la qualité des approvisionnements varie nettement d’un acteur à un autre. Cela passe notamment par des achats à l’étranger, dans des pays où il semble parfois bien aisé d’obtenir la certification, avec des produits vendus à des prix défiant toute concurrence. On assiste alors à des problèmes tels que celui rencontré sur le sésame indien récemment, qui a provoqué le rappel de nombreux lots de produits, y compris certifiés Biologiques. Le label endort notre vigilance mais les mauvaises pratiques demeurent, et deviennent même plus perverses.

Cette réalité étant bien difficile à assumer, il fallait alors trouver des faux semblants, et les labels de qualité étaient tout trouvés : ces derniers ne concernent en définitive qu’une part limitée des matières premières mises en oeuvre, quand bien même il s’agit de farine, et occultent la réalité déplaisante d’approvisionnements fait de références industrielles, sélectionnées sur les catalogues des fournisseurs spécialisés que sont DGF, BackEurop, Transgourmet, Délice & Création… qui commencent eux aussi à miser sur les labels pour redorer leur blason. Cela ne change pas grand chose sur le fond : les fournisseurs restent les mêmes, et si les pratiques agricoles ou d’élevage sont améliorées (parfois à la marge, quand on voit le piètre niveau d’engagement porté par certaines « démarches »), l’état d’esprit n’a pas changé. C’est aussi vrai pour le grain, car beaucoup de meuniers l’achètent à des coopératives dont les pratiques n’ont rien d’éthique par ailleurs, même si elles disposent de références labellisées à leur catalogue. Rappelons tout de même que tous ces cahiers de charges représentent autant de process, qui sont justement le propre des gros faiseurs : il leur est aisé de s’y conformer, même s’il faut investir et que les rendements peuvent être plus faibles.

Après avoir retiré le Label Rouge de sa farine Grand Siècle courant 2016 et l’avoir passé uniquement sur la référence Moul-Bie Platine, bien plus confidentielle, les Grands Moulins de Paris ont tout récemment ajouté le logo CRC à cette farine. Cela témoigne du revirement pris par l’entreprise sur le sujet des labels de qualité, avec notamment le lancement progressif du Bio (dont une farine de Tradition Grand Siècle Bio), ainsi que la prise de parole sur l’approvisionnement et l’écrasement locaux. Tout cela sent bon les convictions et la sincérité.

On parle beaucoup de circuits courts, d’approvisionnements locaux, … et nos amis boulangers devraient être en première ligne sur ces sujets. C’est à la fois l’expression de la mission véritable de l’artisan, qui doit chercher à nourrir sainement sa clientèle (et on sait maintenant que c’est une lourde responsabilité, au vu de l’impact que cela peut avoir), et de son implication dans un tissu social et économique local. L’artisan boulanger est un passeur : grâce à son savoir-faire, il valorise le meilleur de la terre et de ses productions. Cela n’a vraiment de sens que si l’on sort des matières premières calibrées et pré-transformées, et que l’on entretient une véritable relation humaine avec ses partenaires… en marge de tout label, car la connaissance des pratiques, du lieu, de l’histoire les remplace bien largement.

La filière CRC a définitivement enterré la marque le Blé de nos Campagnes, qui fut un échec profond en terme de lisibilité et de reconnaissance par les consommateurs. Pour autant, le GIE n’en a pas abandonné ses vélléités de devenir une marque grand public, avec un développement de la communication, à la fois sur les nouveaux médias et chez les transformateurs : sacs à pains, PLV chez les « boulangers partenaires »…

Le risque de se placer derrière une bannière est également de finir par être apparenté à d’autres individus aux valeurs, méthodes et intentions bien différentes des siennes. C’est en définitive une règle immuable quand il s’agit de ces labels, dont l’objet même est d’apparaître sur un nombre maximal de produits pour devenir crédible aux yeux du public. Dès lors, plutôt que de se différencier (que ce soit de sa concurrence directe ou plus globalement du reste du marché), l’artisan ne fait que jouer la même musique, s’apparentant souvent plus à une cacophonie, que le reste de ce curieux orchestre…

Les blés d’Europe de l’Est sont particulièrement utilisés dans les farines biologiques, avec une traçabilité parfois bien floue, les mélanges incorporant de nombreuses origines sur lesquels ni les artisans ni les consommateurs n’ont de visibilité. Est-il normal d’aller parfois jusqu’en Argentine pour acheter du blé, sous prétexte qu’il est Bio mais vendu à un prix défiant toute concurrence ? Il est temps de remettre du bon sens dans ces pratiques et d’exiger plus qu’un label : de l’éthique et des relations humaines saines.

Je crois qu’il ne faut jamais oublier que la plus belle marque, la plus belle des histoires, reste celle que l’on construit et qui est tout à fait à notre image. Pour fidéliser durablement la clientèle, il faut associer une qualité de prestation optimale (donc en terme de produit, de service et de tenue de l’espace de vente) avec un véritable ancrage dans le métier d’artisan, respectant ses valeurs et ses fondamentaux. Laissons donc tous ces éléments de marketing bien loin des boulangeries, ré-apprenons une forme de sobriété nécessaire et développons une éthique qui dépasse de loin les étiquettes.

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