Il y a plusieurs moyens d’atteindre le sommet d’une montagne. On peut prendre la tangente en se faisant poser au sommet, ou bien préférer la voie de l’effort en marchant à travers des chemins, parfois escarpés. Le résultat est le même en apparence, mais il se révèle bien différent si on s’y intéresse de plus près. Pour la personne qui aura accompli l’action, la saveur de la chose ne sera pas la même. Si la première option donnera un goût bien fade à la neige de ces hauteurs, la seconde nourrira la réussite de mille délices, lesquels marqueront longtemps les souvenirs de l’individu et de ceux qui l’entourent. La leçon que l’on doit en retenir est que bien plus que l’objectif en lui-même, c’est le cheminement pour y parvenir que nous devons soigner, à la fois pour nous préserver, respecter les règles de l’art et avancer en donnant du sens à nos actions.

Cela s’applique bien à la boulangerie, où les recettes et procédés de fermentation donnent de la saveur aux produits. Le métier n’est pas exempt de sommets à l’apparence imprenable pour beaucoup, de par leur complexité technique et le savoir-faire nécessaire afin de parvenir à les réaliser correctement. Dès lors, nombreux sont ceux qui choisiront d’abandonner, ou pire de réaliser un produit à l’aspect et aux caractéristiques similaires de prime abord… alors que la réalité, en termes de composition, de goût, de texture et de conservation, est bien différente.

Le Panettone fait partie de ces figures de style boulangères, qui nécessitent un soin particulier. On peut le considérer comme situé à mi-chemin entre la boulangerie et la pâtisserie : la rigueur, le travail sur l’équilibre des saveurs le rattachent à la chose sucrée, tandis que la maîtrise du pétrissage et de la fermentation l’amènent dans le périmètre boulanger. Cette spécialité italienne a, encore aujourd’hui, des origines faisant débat : son nom proviendrait soit d’un dérivé du mot « panetto » (signifiant petit pain) soit d’un hommage à un boulanger ou à un malheureux cuisinier nommé Toni (le panettone étant alors le « pain de Toni »), selon les versions. Une chose est sûre, c’est que sa forme actuelle, sa renommée et les qualités qu’on peut lui connaître viennent en réalité d’un… industriel, en la personne d’Angelo Motta, fondateur de la célèbre marque éponyme. C’est lui qui révolutionne le gâteau en 1919, en le façonnant en dôme haut et en réalisant une fermentation en 3 étapes, sur près de 20 heures. Rapidement rejoint par d’autres boulangers partageant une certaine vision productive du métier, ils démocratisent le produit et l’invitent aux tables de nombreux italiens, en faisant un dessert incontournable des fêtes.

Des boites en métal et des produits à foison, les Panettones envahissent les linéaires de la grande distribution à l’approche des fêtes.

Ce qu’il ne faudrait pas oublier, c’est que le Panettone n’est pas uniquement une question de forme et de fruits confits. Il tient sa texture unique, ferme, légère et fondante, à l’emploi exclusif du levain naturel et d’une farine adaptée, supportant une longue fermentation et des apports conséquents en ingrédients, sucres et matières grasses. Dès lors, le levain (certains utilisent un levain plus que centenaire… sans que l’intérêt soit vraiment prouvé) doit faire l’objet d’une attention particulière, tout comme le suivi des étapes allant du pétrissage jusqu’à la cuisson. C’est une véritable école de l’humilité et de la patience, avec pour chacun des échecs et des remises en question qui finissent par payer. Au delà du travail sur ce seul produit, l’approche de la panification s’en trouve modifiée et bénéficie des compétences acquises. Tous ceux que j’ai pu croiser ayant suivi ce parcours quasi initiatique avaient mis beaucoup d’eux-mêmes dans cette gourmandise, avec des rituels bien codifiés.

La rencontre avec le Panettone a fasciné bon nombre d’artisans, y compris les plus expérimentés. Certains ont ainsi fait le choix de lui dédier une bonne partie (voire toute) de leur activité, avec quelques variantes pour se diversifier tout en valorisant leur savoir-faire spécifique. J’avais eu l’occasion de parler de Novantatré, dont l’activité a malheureusement cessé depuis, qui a participé tout comme Christophe Louie à redorer l’image de ce produit en France. Dans le sud de la France, Manu Barthélémy produit également depuis plusieurs années des Panettones de grande qualité, en plus de pizzas particulièrement savoureuses chez Lo Pichotome à Forcalquier. Bien sûr, des artisans italiens très talentueux ont acquis une solide réputation au fil des années : l’incontournable Mauro Morandin (qui a formé de nombreux professionnels), Luigi Biasetto, Nicola Olivieri, Massimo Ferrante et bien d’autres, parviennent aujourd’hui à exporter leurs brioches à travers le monde, même si rien ne vaut la sensation unique procurée par la dégustation du produit dans les jours suivant sa sortie du four. De l’autre côté de l’Atlantique, c’est Roy Shvartzapel qui fait sensation avec une production très appréciée du public américain.

Même si ce Panettone industriel est fermenté de façon traditionnelle, à base de levain naturel, les arômes et les émulsifiants ajoutés changent considérablement la nature du produit, qui n’est plus à proprement parler naturel. Certains fabricants ont été jusqu’à créer un « arôme Panettone », qui remplace la saveur que devrait avoir le produit s’il était de meilleure qualité.

Seulement voilà, tout cela ne représente qu’une partie presque anecdotique de la consommation de Panettone : l’industrie est omniprésente en grande distribution, et même dans l’écrasante majorité des épiceries fines. Il faut dire que sans elle, pas de murs d’emballages colorés, de déclinaisons à n’en plus finir, ni de prix cassés : on retrouve toujours du levain dans la liste d’ingrédients, mais il est généralement accompagné par d’autres produits bien moins traditionnels, à l’image des arômes, qu’ils soient naturels ou artificiels, et des émulsifiants. Ce sont eux qui permettent de conserver les produits plusieurs mois, tout en conservant leur humidité. La qualité des matières premières n’est pas non plus à la fête, à l’image des précieux fruits confits, faisant souvent de la figuration.

Les spécialistes des préparations tel qu’Ireks comptent dans leur catalogue des mixes pour Panettone… avec une composition forcément bien chargée. Mieux vaut parfois se tourner vers des marques industrielles qui réalisent malgré tout un produit de meilleure qualité (sic).

Les artisans boulangers ont suivi la tendance en invitant cette référence dans leurs vitrines… avec plus ou moins de soin, bon nombre de réalisations s’apparentant à des ersatz bien malheureux. Comme pour le développement de leur gamme de pains spéciaux, les solutions prêtes à l’emploi proposées par de fidèles partenaires de la boulangerie tels qu’Ireks accompagnent des professionnels faisant bien peu de cas de la qualité réelle de leurs produits. Avec un positionnement plus qualitatif mais aux accents tout aussi industriels, les mélanges commercialisés par Agrimontana contribuent à standardiser le Panettone tout en donnant une vision faussée de ce produit, à la fois aux artisans et aux consommateurs.
Même si la réalisation de ce produit est difficile et qu’elle prend du temps, elle demeure à la portée de tous les artisans (comme l’ont bien compris les boulangeries Antoinette à Lyon, qui en réalisent désormais de façon régulière, Au Bonheur du Pain à Rennes, Pain, Beurre et Chocolat et La Petite Boulangerie à Nantes, Mie&You à Lons-le-Saunier ou encore Levains du Nord à Arras) si ces derniers souhaitent y accorder le temps, la rigueur et l’attention nécessaire. Plusieurs recettes ont été publiées, à l’image de celle proposée dans le Grand Livre de la Boulangerie de Thomas Marie et Jean-Marie Lanio ou plus récemment dans l’ouvrage spécialisé de Thomas Teffri-Chambelland, titré Panettone et viennoiserie au levain. Elles correspondent bien à l’esprit du produit, avec une réalisation sur plusieurs jours et une absence de levure commerciale. Le choix des fruits confits est également un sujet central : il est indispensable de se tourner vers des références qualitatives, plus coûteuses mais largement valorisées par le prix de vente du produit fini.

Une fois encore, on revient sur le sujet de l’importance des mots : comme le soulignait très justement le boulanger Riccardo Arnoult, installé à l’Union (tout près de Bordeaux) et réalisant des Panettones dans les règles de l’art depuis plusieurs années, il faudrait tout simplement utiliser d’autres dénominations pour toutes ces brioches vaguement cousines de la fameuse spécialité italienne… ce qui les rendrait forcément moins attractives pour le consommateur, mais exprimerait un plus grand respect autant pour eux que pour les traditions, personne n’étant trompé sur la réalité de la marchandise. Ce n’est pas comme si les options manquaient : Brioche de Noël, aux fruits, … ou même un nom créé spécialement pour l’occasion, en faisant une spécialité locale.


La boulangerie artisanale vaut mieux que des titres usurpés ou des produits qui mentent au sujet d’eux-mêmes. La clientèle l’a bien compris, en faisant preuve d’une exigence croissante. Il faut alors se remettre en question, améliorer ses méthodes et approvisionnements… pour parvenir à faire comme le Panettone : étonner et régaler, avec un plaisir toujours renouvelé.

4 réflexions au sujet de « La folie du Panettone, ou comment produire des brioches qui n’ont rien d’étonnant »

  1. Beau papier, merci le Painrisien. Dans la place prise par la cuisine italienne dans le monde entier, c’est effectivement frappant d’observer l’avancée du pion supplémentaire que constitue l’engouement des boulangeries artisanales pour le panettone, au moins dans certaines régions dont l’Ile de France. Une mode succèdera-t-elle à une autre après celle de la Babka ?
    En tout cas, tout cela est finement observé, bonnes Fêtes le Painrisien !

    • Merci François.
      Je pense que cela demeurera plus saisonnier que la Babka, c’est bien plus difficile à insérer dans une production quotidienne pour ceux qui le font correctement.
      Bonne fêtes à vous également.

  2. Joyeux Noël Rémy, très bel article, la fabrication sur 4 levains n’est quand même pas à la portée de tous les boulangers, loin de là, alors c’est sur que faire du mixe panettone est aussi trompeur et ravageur que n’importe quel autre mixe ! Meilleurs vœux à toi, je ne pense pas que l’on va se croiser au salon de l’agriculture cette année ! Porte toi bien et à un de ces quatre . Alain Gueguen

    • Merci Alain, joyeux Noël et meilleurs voeux à toi aussi. Je pense qu’il n’y a rien d’insurmontable pour tout boulanger ayant la maîtrise du levain naturel, même si cela demande de la pratique. A bientôt !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.