On devrait tous faire notre retour à la terre, retrouver nos racines pour devenir des arbres plus forts, plus vertueux. En ce qui concerne la boulangerie, je suis de plus en plus convaincu que cela passe par une meilleure connaissance de la réalité des champs, du blé. Combien d’artisans sont sensibilisés à la sélection variétale réalisée par les coopératives ? Combien mesurent les enjeux que cela représente pour leur produit, et pour leurs clients ? Très peu, en définitive. Cette situation arrange sans doute de nombreux acteurs du métier, car l’ignorance permet de mieux manipuler les foules.

Pains, Le Bricheton, Paris 20è

Maxime Bussy a été à contre-courant de cette masse difforme, dès le début et aujourd’hui encore dans son nouveau projet. Son histoire avec le pain a commencé il y a 7 ans, au sein de l’école Ferrandi. Le jeune artisan s’est formé afin d’ouvrir, à l’époque, une boulangerie à Mexico. Les aléas de la vie faisant, c’est finalement en France qu’il a continué d’écrire son histoire, dans le milieu de la restauration. De table en table, il finit par rencontrer un patron souhaitant réaliser son propre pain. S’en suit alors un véritable « road trip » à travers champs pour aller à la rencontre de producteurs passionnés.
Maxime est parti avec la culture du produit, si chère à la cuisine, il est revenu avec un véritable savoir-faire boulanger. La découverte des paysans-boulangers et l’apprentissage auprès d’eux ont forgé ses convictions, et sa vision d’un pain vertueux, réalisé à base de levain naturel et de blés anciens.
De retour à Paris, sa précieuse expérience fera le bonheur des clients du restaurant Au Passage… jusqu’au moment où s’est posée la question d’ouvrir un lieu dédié à ces fameux pains. Il aurait été difficile de parvenir à faire fonctionner une boulangerie traditionnelle uniquement avec des farines issues de tels circuits, de par leur faible disponibilité et des impératifs de productivité qu’implique la tenue d’une boutique avec une certaine masse salariale. Dès lors, fidèle à ses convictions et souhaitant continuer à travailler de la même façon, le boulanger est parti tracer sa propre route.

La façade discrète du Bricheton

La discrète façade du Bricheton

Initialement, Maxime Bussy envisageait de livrer des restaurateurs depuis un atelier de fabrication, sans avoir pignon sur rue. La disponibilité d’un local au 50 rue de la Réunion, dans le 20è arrondissement, l’a incité à changer ses plans et à s’orienter vers la vente aux particuliers.

On entre directement dans le fournil : pas de boutique, c'est le boulanger qui assure le service... et partage sa passion.

On entre directement dans le fournil : pas de boutique, c’est le boulanger qui assure le service… et partage sa passion.

Le lieu n’est pas encore tout à fait aménagé, mais l’esprit est là, Le Bricheton est né : un four, un meuble et quelques tables pour accueillir les pains, … ici, le produit est roi et il est présenté sans artifice. L’ensemble de la production est réalisée en direct, pétrie à la main – un pétrin manuel en bois est en cours d’assemblage – à base d’un levain naturel de blés anciens. On retrouve sa douce signature acidulée dans les différents pains de la gamme : khorasan, sarrasin, intégral, mélange de blés de population du Sud de la France… autant de propositions qui seront amenées à varier selon les arrivages.
Même si l’activité est encore en rodage, on peut d’ores et déjà apprécier les croûtes bien marquées, les mies souples, douces et les arômes subtils de ces produits atypiques. Toutes les farines utilisées sont issues de l’agriculture biologique.

Le pétrin en bois en cours d'assemblage. Jusqu'à présent, au vu des quantités produites, Maxime pouvait pétrir dans des contenants plus petits.

Le pétrin en bois en cours d’assemblage. Jusqu’à présent, au vu des quantités produites, Maxime pouvait pétrir dans des contenants plus petits.

Le fournil est ouvert 3 jours par semaine, 3 heures à chaque fois. Ces horaires restreints appuient la différence de ce projet, tout en s’inscrivant dans une tendance naissance, cela n’étant pas sans rappeler le fonctionnement du Fournil Ephémère de Montreuil. Pour entretenir des boulangers et des pains heureux, faut-il en faire moins ? La question est toute posée.

Pains, Le Bricheton, Paris 20è

Infos pratiques

50 rue de la Réunion – 75020 Paris (métro Buzenval, ligne 9)
ouvert les mardis, mercredis, vendredis et samedis de 17h à 20h et le dimanche de 11h à 14h.

Rien n’est acquis de façon certaine et définitive. L’argent, les biens matériels, le regard de l’être aimé… chaque jour, chaque heure qui passe peut tout remettre en question. Il faut alors savoir rester alerte, continuer à avancer, sentir où va le vent et décider de le suivre ou bien de prendre une autre direction… de tracer sa route.
Beaucoup d’artisans n’ont pas intégré le fait que leur « supériorité naturelle » sur le reste de l’offre boulangère ne serait pas éternelle. Pire encore, elle est à présent sérieusement remise en question. Même constat pour de nombreuses « institutions » aux marques reconnues, qui sont à présent complètement dépassées.

Ere de Pain, Saint-Cyr-sur-Loire (37)

Heureusement certains ont bien compris que plutôt que d’avoir à sortir les rames dans un avenir plus ou moins lointain, il valait mieux continuer à investir dans son moteur. C’est précisément le cas chez Hardouin boulanger, qui a ouvert courant janvier une nouvelle adresse à Saint-Cyr-sur-Loire (37), appelée Ere de Pain. Si le nom de l’artisan n’est certainement pas inconnu aux tourangeaux, c’est qu’il a développé au fil du temps une clientèle fidèle grâce à des produits de qualité… et une impressionnante gamme de pains. Qu’ils soient réalisés à partir de farines variées (petit épeautre, sarrasin, Kamut, …) ou aromatisés (ingrédients salés ou sucrés, graines, …), ils ont en commun d’être réalisés à partir de levain naturel et d’offrir d’excellentes qualités de conservation. Sous les Halles ou en boutique, j’avais été surpris par cette diversité, même si je pense que ce n’est pas toujours idéal pour garantir la fraicheur de l’ensemble des produits.

Pâtisseries, Ere de Pain, Saint-Cyr-sur-Loire (37)

La nouvelle boulangerie se situe dans un bâtiment neuf, au bord d’une route passante et à proximité d’un quartier résidentiel. Les artisans s’activent sur près de 300m2 et peuvent pleinement exprimer leur savoir-faire grâce à des locaux aménagés en fonction de leurs besoins, et équipés d’un matériel performant. Froid BCR, four Tagliavini, … le tout pour transformer des matières premières de qualité, à l’image des farines Label Rouge et Biologique de la Minoterie Bourseau.

Four Tagliavini

Four Tagliavini

La boutique met bien en valeur les produits grâce à un assemblage élégant de bois et de pierres, un éclairage délicat et une circulation optimisée dans l’espace. Je ne suis pas forcément un grand adepte des gâteaux sous cloche, mais qu’importe puisque des linéaires « classiques » restent en place.

Pains, Ere de Pain, Saint-Cyr-sur-Loire (37)

Willy Hardouin a cédé les rennes de son entreprise courant 2014. Quand on sait combien ce genre de transmission peut aboutir à des situations regrettables, il y a de quoi se dire que le choix réalisé pour la reprise était le bon : la maison continue de vivre, et mieux encore, de grandir.

Les petits gâteaux de voyage aux saveurs variées.

Les petits gâteaux de voyage aux saveurs variées.

Infos pratiques

55 Quai des Maisons Blanches – 37540 Saint-Cyr-sur-Loire / tél : 02 47 51 53 31
ouvert du mardi au samedi de 6h30 à 19h30, le dimanche de 7h à 13h.

Le repli sur soi me semble être l’un des plus grands dangers de notre époque. Cela fait partie des grands paradoxes de notre monde moderne : nous sommes à la fois hyper-connectés, reliés en permanence les uns aux autres, nos actions sont toujours plus orientées selon leur caractère social… mais la différence n’en est pas pour autant mieux acceptée, la tolérance ne se développe pas suffisamment et l’individualisme continue à grandir. Pourtant, si l’on regardait nos voisins avec plus de bienveillance, nous n’en serions pas pour autant plus faibles, mais au contraire plus vivants…

Les Blés de Demain - Veigné. La boulangerie est engagée dans la démarche "Viennoiserie 100% maison" et affiche le label en boutique et à l'extérieur.

Les Blés de Demain – Veigné. La boulangerie est engagée dans la démarche « Viennoiserie 100% maison » et affiche le label en boutique et à l’extérieur.

Marc-Antoine Bosquet et Philippe Comte ont pu développer leur goût des autres, du partage et de la transmission au sein des Compagnons du Devoir, où ils ont évolué de façon parallèle et croisée. Les deux amis ont multiplié les expériences pour devenir des professionnels complets et appréhender pleinement les enjeux de leur métier. Que ce soit en France ou à l’étranger, dans la filière artisanale ou industrielle, en boulangerie ou en meunerie, dans de grandes villes comme dans des zones reculées, à l’image de Cucugnan… Ils ont appris autant qu’ils ont donné, en perpétuant la tradition du compagnonnage et en tissant des relations fortes avec de nombreux artisans. Anthony Bosson, que l’on connaît bien à Paris avec ses trois boulangeries, est d’ailleurs le parrain de Marc-Antoine Bosquet au sein de cette organisation. C’est un véritable modèle pour l’artisan tourangeau, qui a lui aussi voulu voler de ses propres ailes…

Les pains

Les pains

… cela tombait bien, puisqu’il en était de même pour son ami de longue date, Philippe Comte. S’ils avaient commencé leurs recherches de façon séparée, ils se sont vite rejoints. Ainsi sont nés Les Blés de Demain, à Veigné (37), en août 2014. Ce nom ne doit rien au hasard : il correspond à l’engagement pris ici dans l’utilisation de farines de qualité, moulues à partir de blés anciens. Une grande partie de la production est réalisée avec les farines de la Minoterie Bourseau, avec notamment la Tradition T65 Bagatelle, le Gruau T45 pour la viennoiserie et de la meule. Tous les pains sont réalisés à partir de levain naturel – liquide pour les baguettes et les brioches, dur pour les produits plus typés.

A Veigné, la boutique a conservé son caractère rustique et authentique, ce qui correspond bien aux produits proposés. Le pain est bien mis en valeur face au client avec une présentation à l'horizontale.

A Veigné, la boutique a conservé son caractère rustique et authentique, ce qui correspond bien aux produits proposés. Le pain est bien mis en valeur face au client avec une présentation à l’horizontale.

Pour le reste, c’est Roland Feuillas qui fournit du Kamut et des blés de population – Marc-Antoine Bosquet a passé de nombreux étés à Cucugnan et a ainsi été particulièrement sensibilisé au travail réalisé par le paysan-boulanger autour des variétés anciennes -, ainsi qu’un autre agriculteur de la région toulousaine. L’objectif est, à terme, de parvenir à engager la même démarche à proximité. Pour cela, il faut parvenir à convaincre des agriculteurs, créer la filière aboutissant à la farine. Un processus long qui n’a pas pour autant découragé Marc-Antoine, aidé par son ancrage dans le territoire et ses liens tissés avec des agriculteurs… et c’est ainsi qu’il suit son cours. Bien sûr, ces blés ne se retrouveront sans doute pas dans les pains demain, mais on peut d’ores et déjà saluer l’engagement.

Les Baguettes de Tradition, réalisées à partir de farine Label Rouge Bagatelle. Elles sont façonnées à la main.

Les Baguettes de Tradition, réalisées à partir de farine Label Rouge Bagatelle. Elles sont façonnées à la main. Elles offrent une croûte bien craquante, une mie fondante et un parfum de froment soutenu. Le levain demeure très discret, ce qui est très appréciable sur ce type de pain.

Ici, les recettes ont été pensées pour aboutir à des produits à la fois savoureux et digestes : de longues autolyses et fermentations pour dégrader au mieux les glutens et développer les arômes, un façonnage entièrement manuel, des pâtes bien hydratées… il n’y a aucun secret dans ces procédés, mais encore faut-il avoir à coeur de les respecter – et ce n’est pas toujours le cas dans notre boulangerie moderne.
Le savoir-faire s’étend également du côté de la viennoiserie, avec un croissant récemment classé en seconde position au Concours Départemental du Croissant d’Indre-et-Loire. Le feuilletage est en effet extrêmement bien maîtrisé, et cela se retrouve d’ailleurs sur les galettes des rois – réalisées à partir d’un feuilletage inversé pour plus de fondant.

Des viennoiseries au feuilletage léger et bien développé.

Des viennoiseries au feuilletage léger et bien développé.

La gamme de pâtisserie est également de bonne facture, avec des classiques généreux et quelques créations abouties. Les gâteaux de voyage -cakes, pains d’épices ou tendresses de Veigné (des moelleux garnis au chocolat ou aux fruits)- ne sont pas en reste tout comme les diamants aux multiples parfums. On retrouve ici et là les inspirations prises au fil du parcours professionnel des deux hommes… mais quoi de plus normal, c’est le fil de la transmission qui se prolonge.

Pâtisseries, Les Blés de Demain, Veigné (37)

Cette même transmission est un sujet central pour l’entreprise, que ce soit en vente ou en production. L’engagement de Marc-Antoine Bosquet et Philippe Comte est de transmettre le goût du bon produit à leur clientèle – et c’est loin d’être évident en zone rurale. Nombre de clients demandent du pain peu cuit ou sont habitués à la viennoiserie industrielle, il y a alors un véritable travail d’éducation à mener. Ces efforts finissent par payer : depuis leur installation, ils sont parvenus à inverser le rapport de ventes entre baguette de pain courant et Tradition, et à fédérer des habitués autour de leurs spécialités. Lors des fêtes de fin d’année, autant en boulangerie qu’en pâtisserie, les clients ont accordé une grande confiance à l’établissement. Pour cela, l’implication de l’équipe de vente dans le projet de l’entreprise aura été un élément déterminant, et les deux associés n’hésitent pas à être présents en boutique pour y participer.

La boutique de Sorigny

La boutique de Sorigny

L’équipe a pris pris de l’ampleur avec l’ouverture de leur deuxième boutique, à Sorigny, dans le courant de l’été. Même si toute la production reste centralisée à Veigné, des embauches ont été nécessaires pour assurer le volume supplémentaire.
Cette petite ville, traversée par un axe passant, représentait une opportunité intéressante de développement pour les Blés de Demain, un emplacement s’étant libéré. Les débuts sont un peu difficiles : entre l’ouverture d’un concurrent 7j/7 – ce qui ne permet pas de capter de la clientèle le jour de fermeture -, une visibilité un peu limitée et un voisinage peu dynamique, … le chemin sera long pour parvenir à redonner de la vie à cette boutique. Je ne doute pas que l’engagement et la qualité des produits parviendront à faire la différence.

Dans la boutique de Sorigny, ce sont les formes régionales réalisées par un apprenti qui participent au décor. Laisser à chacun la possibilité de s'exprimer et de développer son savoir-faire au sein de l'entreprise : des éléments importants pour fidéliser le personnel et créer une ambiance de travail agréable.

Dans la boutique de Sorigny, ce sont les formes régionales réalisées par un apprenti qui participent au décor. Laisser à chacun la possibilité de s’exprimer et de développer son savoir-faire au sein de l’entreprise : des éléments importants pour fidéliser le personnel et créer une ambiance de travail agréable.

Voilà en tout cas une belle aventure, portée par des valeurs et une envie de partager un savoir-faire authentique. C’est une preuve -s’il en fallait- que c’est par l’excellence que l’artisanat boulanger parviendra à faire la différence de façon durable… pour écrire le pain de Demain !

Infos pratiques

20 place du Maréchal Leclerc – 37250 Veigné / tél : 02 47 26 02 82
ouvert tous les jours sauf le mercredi de 6h30 à 14h et de 15h30 à 19h30 – jusqu’à 19h le samedi, fermé le dimanche après-midi.

67 route Nationale – 37250 Sorigny / tél : 02 47 65 27 36
ouvert du lundi au vendredi de 6h30 à 14h et de 16h à 19h30, de 7h à 13h le samedi.

Page Facebook : https://www.facebook.com/lepaindedemain

On passe une grande partie de nos vies à chercher le bon mot, la bonne formule. Déjà enfant, l’école nous apprend à courir après les belles lettres, après la réussite. Il faut savoir accepter que ce soit nos mots qui nous rattrapent. Parfois la rencontre est heureuse, car les intentions étaient bonnes, le contexte aussi. Dans d’autres cas, c’est un peu plus compliqué. La force de l’écrit réside aussi dans sa capacité à se rappeler à nos consciences. J’ai appris à ne jamais regretter mes mots, peut-être est-ce un tort, toujours est-il que j’assume chacun des articles présents ici. Parfois passionnés, imparfaits et mal calibrés, ils sont bien à l’image de la matière qu’ils traitent… vivants.

Pas de devanture ostentatoire : il faut s'approcher pour savoir ce qu'abrite cet ancien restaurant.

Pas de devanture ostentatoire : il faut s’approcher pour savoir ce qu’abrite cet ancien restaurant.

Il y a quelques mois, je titrais mon article au sujet du Fournil Ephémère de Montreuil avec ces mots « un projet durable ». La formule a pris tout son sens avec l’installation pérenne de ce projet atypique dans le paysage boulanger de la cité Séquano-Dionysienne : en effet, s’il était initialement prévu que l’installation ne reste que quelques mois en Région Parisienne, ses deux fondateurs ont vite mesuré l’impact que pouvait avoir une telle entreprise. La boulangerie n’est pas un métier ni un commerce anodin. Quand elle est portée par des valeurs de partage et de qualité, elle fédère une communauté de fidèles et créé un véritable lien entre les individus qui s’y intéressent. Dès lors, peut-on mettre fin sciemment à l’aventure en invoquant la seule raison de ‘l’éphémère’, de l’envie d’ailleurs ?

En vitrine, des affiches détaillent le projet aux passants.

En vitrine, des affiches détaillent le projet aux passants.

François et Gaultier n’ont pas renoncé à leurs aspirations initiales – ils continuent d’ailleurs à s’intéresser aux opportunités de rééditer l’expérience – mais ont fait évoluer leur vision… et quitté la Marbrerie qui les hébergeait pour rejoindre leur propre Atelier, à quelques rues. C’est dans cet ancien restaurant qu’ils fabriquent leurs pains et gourmandises, accompagnés de Myrtille, en charge de l’ensemble des douceurs sucrées (cakes, biscuits, …).

Cakes, sablés, brioches... rien ne manque pour les gourmands.

Cakes, sablés, brioches… rien ne manque pour les gourmands.

Le principe reste le même : une ouverture de 3h, trois jours par semaine. Les lundis, mercredis et vendredis, cela sent bon le pain rue de l’Eglise. Une production, plus limitée, est également réalisée le jeudi pour des AMAP et autres organisations.
Ici, tout a été pensé pour rendre le projet viable et cohérent : le travail est très peu mécanisé (seul le pétrissage l’est, les divisions et façonnages sont manuels, tout comme l’enfournement) et les pâtes ne passent pas au froid (exception faite pour celles réalisées à partir de blés anciens). Ainsi, le besoin en matériel est plus limité, les investissements et la place nécessaires le sont tout autant. Les deux compères ont organisé leur projet de vie autour de celui du Fournil Ephémère, qui leur permet de conserver un véritable confort de travail.

Seigle, campagne, pain noir ou aux céréales, la gamme est variée.

Seigle, campagne, pain noir ou aux céréales, la gamme est variée.

A la différence des boulangeries traditionnelles, ici, on ne travaille pas de nuit. Les pétrissages commencent vers 7h, les divisions vers 11h, tandis que les cuissons sont réalisées dans l’après-midi. Cette vision originale du métier correspond bien au parcours de François et Gaultier, qui se sont formés « tardivement » à la boulangerie. Si l’envie de faire du pain était nourrie chez eux depuis bien longtemps, il n’était pas question de le faire n’importe comment. Le choix de la formation au sein de l’Ecole Internationale de Boulangerie de Thomas Teffri-Chambelland, à Noyers sur Jabron, sonnait ainsi comme une évidence : l’enseignement est orienté autour du levain et des farines biologiques, avec un accompagnement pour la mise au point du projet professionnel. Ils ont ensuite complété leur savoir-faire au cours de stages variés, avec toujours le même mélange de curiosité et de rigueur.

Le fournil se confond avec l'espace de vente. Tout est ainsi transparent avec les clients.

Le fournil se confond avec l’espace de vente. Tout est ainsi transparent avec les clients.

La rigueur s’exprime avant toute chose par le choix des matières premières : les farines du Moulin Pichard, avec lesquelles les deux artisans ont suivi leur formation, ont naturellement rejoint leur fournil de par leur qualité et l’engagement de Stéphane Pichard en tant que meunier artisanal. Elles ont été récemment rejointes par celles du Moulin de Chantemerle, situé à Aulnoy, au coeur de la Brie (77). Ce dernier fournira des variétés anciennes de blé, mais avant tout une farine beaucoup plus locale, ce qui correspond parfaitement à une aspiration globale de consommation raisonnée.

Les pains siciliens (farine de blé dur & huile d'olive) au curcuma sur couche. Du sésame est disposé en topping pour apporter du craquant.

Les pains siciliens (farine de blé dur & huile d’olive) au curcuma sur couche. Du sésame est disposé en topping pour apporter du craquant.

Un système de filtration d’eau a été mis en place pour hydrater les pâtes et levains le plus sainement possible. En dehors de cela, la plupart des ingrédients sont biologiques (olives, graines, fruits secs…).

Un batteur et un pétrin à bras plongeants Salva, l'équipement est limité mais c'est aussi une volonté des deux associés : ils ne sont pas tentés de faire plus au risque de faire mal.

Un batteur et un pétrin à bras plongeants Salva, l’équipement est limité mais c’est aussi une volonté des deux associés : ils ne sont pas tentés de faire plus au risque de faire mal.

A l’arrivée, on obtient une belle gamme de pains, tous poussés à partir de levain naturel (de seigle, de khorasan, de petit épeautre…) sans levure (mis à part une pointe dans la brioche !). Tourte de Seigle, Khorasan, Petit Epeautre, Campagne … entre autres déclinaisons gourmandes ou créations aromatiques (ne pas manquer le Sicilien à base de farine de blé dur et d’huile d’olive le mercredi), autant de produits savoureux et bien hydratés. Si le visuel n’est pas toujours parfait, le goût se révèle tout à fait convaincant, sans acidité désagréable. Les prix restent très honnêtes compte tenu des matières premières (à partir de 6€/kg pour le Campagne).
Les gourmandises sont à l’avenant : entre les cakes vendus au poids, les sablés variés (cookies, shortbreads, …) et autres produits proposés selon l’envie et l’inspiration, il ne reste plus qu’à se laisser tenter. On reste toujours dans un domaine très boulanger, tout en lui redonnant des lettres de noblesse trop souvent perdues.

Le tableau décrit l'ensemble des pains, leur composition et les propositions du jour.

Le tableau décrit l’ensemble des pains, leur composition et les propositions du jour.

Le nouvel enjeu de ce lieu est de parvenir à transmettre l’état d’esprit à d’autres individus pour faire durer la dynamique, et faire en sorte qu’elle se renouvelle. C’est ainsi que les fondateurs pourront voguer vers d’autres horizons, et à chaque fois laisser dans les territoires visités une empreinte forte et durable : celle d’un savoir-faire artisanal, d’un métier passionnant. Tout comme les grains sont portés et semés par le vent, François et Gaultier feront germer des oasis de boulangerie artisanale. Pour que l’éphémère soit toujours plus durable.

Le four utilisé est initialement destiné à un usage de pâtisserie. Des appareils de buée ont été ajoutés. L'enfournement reste entièrement manuel.

Le four utilisé est initialement destiné à un usage de pâtisserie. Des appareils de buée ont été ajoutés. L’enfournement reste entièrement manuel.

Infos pratiques

11 rue de l’église – 93100 Montreuil (métro Mairie de Montreuil, ligne 9) / tél : 0782213017
ouvert les lundis, mercredis et vendredis de 17h à 20h.
site web : http://fournil-ephemere.fr

Il y a des territoires plus marqués par certaines couleurs que d’autres. L’implantation d’une entreprise dans une zone lui confère une sorte de « supériorité » naturelle, ses clients pouvant ainsi avoir bonne conscience en faisant travailler l’économie locale. C’est bien, mais pas suffisant. Chacun doit garder à l’esprit que c’est la qualité des produits qui compte et, tant que l’on ne verse pas dans le domaine du déraisonnable en terme d’impact écologique et de transport, choisir les fournisseurs qui correspondent le mieux à ses exigences en terme de qualité.

Une devanture sobre et élégante.

Une devanture sobre et élégante.

Ainsi, quand on me cite la ville de Chartres, je pense inévitablement à la minoterie Viron (située au Coudray) ou au moulin Axiane. Fort heureusement, certains professionnels font le choix d’autres acteurs, ce qui contribue à enrichir l’offre locale.
Si le couple Jamin a fait confiance aux Moulins Foricher, c’est sans doute parce qu’ils ont pu apprécier la qualité de la matière première autant que du service associé… et notamment à Paris. En effet, c’est au 120 rue de Bagnolet, dans le 20è arrondissement, que Pascal Jamin avait reçu le 3è prix de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris en 2011. Après avoir revendu son affaire, ce pâtissier de formation a repris pour quelques années le chemin du travail salarié, notamment au sein de la maison Potel et Chabot. Une expérience qui n’a fait que renforcer son goût du travail bien fait.

La Bagatelle ne manque pas d'allure avec sa belle cuisson et ses extrémités pointues.

La Bagatelle ne manque pas d’allure avec sa belle cuisson et ses extrémités pointues.

Pour cette nouvelle aventure, son épouse Violetta l’a rejoint. Un choix courageux, d’autant qu’il s’agit d’une reconversion professionnelle. Passer du conseil en communication à la boulangerie-pâtisserie n’est pas un choix anodin, mais on ne peut que saluer sa volonté et son implication : hors de question d’être uniquement en boutique, elle participe également à la production et casse ainsi les schémas classiques entretenus chez bon nombre d’artisans. Sa contribution a été également essentielle à l’installation, en réalisant la décoration. Lors de la reprise de l’établissement en août 2014, l’endroit n’avait pas grand chose à voir avec ce qu’il est à présent. L’espace de vente est clair, lumineux, et les produits sont disposés dans d’élégants présentoirs aux notes bleutées.
La mise en scène donne l’effet de rentrer dans un petit boudoir gourmand, ce qui contribue à l’ambiance générale du lieu.

Gourmandises, Maison Jamin, Lucé (28)

Les travaux ne se sont pas limités à la boutique mais ont été tout aussi importants dans le laboratoire, qui souffrait de nombreuses années d’abandon de la part des anciens propriétaires. Il aura fallu investir et réaménager l’outil pour parvenir à assurer une production de qualité, selon les standards définis par le couple Jamin. Ici, tous les produits sont faits maison, du pain à la viennoiserie en passant par les desserts fins et créatifs. On retrouve d’ailleurs en façade l’agrément « viennoiseries 100% maison », délivré par la Chambre des Métiers d’Eure-et-Loir. Le tourage est ici particulièrement bien maîtrisé et les spécialités feuilletées ne manquent pas d’allure : croissant, pain au chocolat, « violette » -un délicat hommage à Violetta Jamin!-, ou encore galettes des rois en ce mois de janvier… les gourmands apprécieront le croustillant et le goût de beurre frais.

La belle gamme de viennoiseries maison... avec une offre amusante : un croissant et un pain au chocolat offerts pour tout achat effectué le dimanche... en pyjama. Une belle façon de créer de la complicité avec la clientèle.

La belle gamme de viennoiseries maison… avec une offre amusante : un croissant et un pain au chocolat offerts pour tout achat effectué le dimanche… en pyjama. Une belle façon de créer de la complicité avec la clientèle.

La baguette de Tradition Française est également certifiée Label Rouge et porte fièrement les couleurs de la Bagatelle. Malgré cet effort et ses délicats arômes de froment, la baguette de pain courant reste un produit très demandé par la clientèle, peu de professionnels ayant fait le choix de continuer à la proposer à proximité. Cela n’a pas empêché la maison Jamin de développer une gamme de pains spéciaux qualitative, avec notamment de belles tourtes de Seigle et de Sarrasin, le pain Ancestral et ses notes acidulées, le pain énergétiques aux céréales et chocolat blanc… Le tout est réalisé avec soin et brio par le chef boulanger.

Cakes, pâtisseries fines, macarons... le savoir-faire sucré de Pascal Jamin s'exprime dans cette vitrine.

Cakes, pâtisseries fines, macarons… le savoir-faire sucré de Pascal Jamin s’exprime dans cette vitrine.

Ces efforts sont parvenus à séduire une clientèle toujours plus nombreuse, et cela récompense bien les efforts déployés ici. Espérons que l’arrivée pressentie d’un franchisé Feuillette à proximité immédiate de cette boulangerie-pâtisserie ne mettra pas en péril son bon fonctionnement, et que les consommateurs resteront fidèles à un artisan engagé. Malheureusement, ce ne sont pas des sujets qui semblent préoccuper ce type d’entrepreneurs, qui ne voient aucune limite à leur développement…

Les galettes des rois et leur feuilletage généreux.

Les galettes des rois et leur feuilletage généreux.

Infos pratiques

33 rue du Maréchal Leclerc, 28110 Lucé / tél : 02 36 67 42 50
ouvert tous les jours sauf le mercredi de 6h30 à 20h, jusqu’à 13h30 le dimanche.
Facebook : https://www.facebook.com/MaisonJamin

La cohérence est sans doute l’une des choses les plus difficiles à atteindre dans la vie. On tient souvent des discours pleins de bonnes intentions, on développe des idées généreuses… mais combien d’entre nous parviennent à les mettre en pratique ? Sans que ce soit forcément volontaire, nous sommes souvent condamnés à entretenir un écart entre nos actes et nos paroles. Que ce soit un ru, une rivière, un grand fleuve ou un véritable exercice de gymnastique, il faut aussi savoir s’arrêter au bon moment pour éviter de finir dans le mur à force de ne pas être ce que l’on prétend.

J’apprécie sincèrement de nombreux artisans boulangers – croyez-le ou non, puisqu’à force de me lire, on pourrait parfois croire que j’en apprécie qu’une poignée – mais je suis attristé par leur manque d’engagement et de cohérence. La plupart utilisent une bonne farine, un bon beurre pour leurs viennoiseries, … mais le reste ? Au moment de découvrir leur chambre froide ou leur économat, je préfère souvent fermer les yeux et baisser la tête. Entre les matières premières achetées en masse chez des fournisseurs devenus tristement célèbres par la force des choses et des médias, les conserves de « purée de pomme concentrée » joyeusement agrémentées de sirop de glucose et que sais-je encore… Est-ce ça, être artisan ? Oh, oui, j’entends déjà la ritournelle des coûts de revient, des prix qui ne peuvent pas être vraiment supérieurs à ceux du voisin, … Il faudra pourtant parvenir à se différencier nettement de la concurrence industrielle, et cela passe par le goût. Sans cela, je ne vois pas beaucoup d’avenir à la boulangerie artisanale.

A l'extérieur, la structure de l'ancien garage reste bien visible. Sur l'avancée vitrée, on peut lire les différentes activités développées ici : boulangerie & pâtisserie, café, épicerie, ...

A l’extérieur, la structure de l’ancien garage reste bien visible. Sur l’avancée vitrée, on peut lire les différentes activités développées ici : boulangerie & pâtisserie, café, épicerie, …

Heureusement, quelques uns en ont pris conscience et se sont engagés pour bâtir des projets ambitieux aussi bien pour les consommateurs que pour leurs équipes. Marie et Dominique Legay font partie de ceux-ci.
Ils ont ouvert ensemble leur « Tonton Farine » le 27 août dernier, en bordure d’un axe passant de Troyes, plus précisément au 46 boulevard Victor Hugo. Si leur nom n’est peut-être pas tout à fait inconnu à certains d’entre vous, c’est qu’on le retrouve encore aujourd’hui sur la devanture de deux boulangeries parisiennes : dans le Marais, « Legay Choc » existe encore, même si les affaires ont été cédées à Richard Legay.

Depuis la route, on appréhende mieux le bâtiment dans son ensemble et son caractère atypique. La transformation du lieu est remarquable.

Depuis la route, on appréhende mieux le bâtiment dans son ensemble et son caractère atypique. La transformation du lieu est remarquable.

Après avoir passé plusieurs années dans la capitale et acquis une forte expérience – dans le domaine de la pâtisserie/chocolaterie pour Dominique, dans l’hôtellerie pour Marie -, il était temps de passer à autre chose, de se tourner vers d’autres horizons.
Si le projet d’ouvrir une chocolaterie a été envisagé en premier lieu, le couple a finalement choisi de revenir à l’essentiel, aux valeurs fortes de partage et d’authenticité que porte la boulangerie.

La salle est particulièrement accueillante et donne envie de prendre quelques minutes pour se poser.

La salle est particulièrement accueillante et donne envie de prendre quelques minutes pour se poser.

Pour écrire cette nouvelle page de leur histoire commune, Troyes sonnait comme une évidence : Marie Legay en était originaire, et la qualité de vie dans la région a forcément pesé dans la balance. Le prix de l’immobilier également. Difficile d’envisager l’ouverture d’un tel lieu en plein coeur de Paris, en le dédiant à une activité de boulangerie artisanale. Ici, en Champagne, ils l’ont fait… et il y aurait de quoi déboucher une bonne bouteille tant le résultat est réussi, malgré des retards de chantier.

La grande verrière arrose l'ensemble du bâtiment en lumière naturelle. Sur les murs, les mots et illustrations renforcent l'univers.

La grande verrière arrose l’ensemble du bâtiment en lumière naturelle. Sur les murs, les mots et illustrations renforcent l’univers.

Cet ancien garage -le bâtiment date du début du 20è siècle !- a été entièrement rénové pour accueillir les nouvelles activités. Tous les éléments ont été repris, y compris la verrière au plafond. A présent, c’est une boulangerie-pâtisserie tout à fait atypique qui habite les lieux, avec un laboratoire entièrement de plein-pied et un large espace de vente. Aux beaux jours, la terrasse sera appréciée des gourmands, cette dernière se plaçant légèrement en retrait de la circulation routière.

Ici, pas de mur à pains traditionnels, mais des présentoirs ouverts.

Ici, pas de mur à pains traditionnels, mais des présentoirs ouverts.

Il fallait du courage mais aussi une volonté marquée pour se lancer dans une telle aventure. Si j’ai parlé de cohérence, c’est qu’elle s’exprime à plusieurs niveaux : en offrant au personnel des conditions de travail exemplaires, le couple a souhaité s’engager sur le plan humain pour intégrer chaque collaborateur dans leur démarche. En contrepartie, ils doivent accepter de travailler « sans filet », à partir de matières brutes et naturelles. Des fruits et des légumes bio, des ingrédients locaux quand c’est possible (notamment les oeuf frais), des graines et fruits secs fournis par Markal (entreprise spécialisée dans le bio), du beurre AOP … La différence se ressent forcément sur le goût.

Vue d'ensemble de la salle, Tonton Farine, Troyes (10) Le goût est d’ailleurs un sujet pris très au sujet par notre Tonton, qui élabore des recettes créatives et colorées : les buns variés donnent du relief à la pause déjeuner, les petits choux se déclinent à tous les parfums et se coiffent de décors chocolatés ou meringués, les tartes font la part belle aux fruits de saison… Les gammes sont la parfaite expression de l’univers déployé dans ces lieux.

Les choux variés correspondent bien à la tendance "street food", avec toujours le même engagement sur la qualité des matières premières.

Les choux variés correspondent bien à la tendance « street food », avec toujours le même engagement sur la qualité des matières premières.

On peut effectivement parler d’univers, car le mot prend tout son sens avec la forte identité graphique développée par Marie Legay en collaboration avec sa cousine -illustratrice pour enfants- et une graphiste. La boutique est remplie d’illustrations souriantes, de petits détails, … qui créent ensemble une atmosphère chaleureuse et dégage nettement l’ensemble de l’image habituelle d’une boulangerie-pâtisserie. D’ailleurs, en est-ce vraiment une ? Sans doute pas tout à fait. Tonton Farine est plus que cela, et le prouve par son espace dédié aux ateliers. Ici, enfants et adultes pourront recevoir un peu du savoir-faire entretenu par Dominique Legay et son équipe. Quelques animations ont été déjà organisées de façon ponctuelle, mais la pratique devrait s’installer plus durablement et régulièrement dans les premiers mois de cette nouvelle année 2016. Au final, c’est le mot de partage qui revient : aussi bien par des produits que par des gestes transmis, à des professionnels comme à des amateurs.

Derrière la baie vitrée, l'espace atelier. Une belle salle où les plans de travail pourront permettre à chacun de mettre les mains dans la farine.

Derrière la baie vitrée, l’espace atelier. Une belle salle où les plans de travail pourront permettre à chacun de mettre les mains dans la farine.

Il ne faudrait pas partir sans s’intéresser plus précisément à ce qui nous intéresse au quotidien : le pain. Les farines sont fournies par les moulins Foricher, un choix inspiré par la proximité et la rencontre de clients « emblématiques » comme Louis Tortochot (Du Pain pour Demain – Dijon). On retrouve ainsi une gamme travaillée sur base de levain naturel, avec des classiques (baguette de Tradition, pains aux céréales, …), des déclinaisons gourmandes (fruits secs, curry, noix et beurre, …) et des pains sur base de farines variées (seigle, petit épeautre). Si les cuissons sont parfois un peu courtes et que l’on sent que les produits se mettent en place progressivement, les fondamentaux sont là. A noter également la belle gamme de moelleux, dont un pain de mie marbré cacao particulièrement réussi, ainsi que des propositions aromatiques au miel et amandes, miel et chocolat…

Viennoiseries & gourmandises.

Viennoiseries & gourmandises.

Malgré l’arrivée quasi-simultanée de l’enseigne Paul dans le centre de Troyes et l’ouverture d’une autre boulangerie de grande taille, je ne doute pas de la capacité du couple Legay à imposer son style et sa différence, grâce à son engagement et cette fameuse cohérence que je mettais en avant précédemment. Ils participent activement au renouveau de leur zone d’implantation, tout comme au renouvellement de la profession d’artisan boulanger. A mon sens, cela passe par le développement d’identités fortes et claires pour le consommateur, en marge de tout marketing de masse. C’est ainsi que l’on pourra créer un lien durable avec la clientèle et partager avec elle des valeurs, une vision. L’enjeu est de taille : il faut parvenir à transmettre une certaine culture du goût aux générations suivantes. Tant qu’à faire, faisons-le en famille… et pour cela, faisons confiance à notre Tonton… Farine.

Chez Tonton Farine, on a le sens du merchandising ! Des sacs sont disponibles à la vente, de véritables pièces uniques tout à fait inscrites dans l'esprit des lieux.

Chez Tonton Farine, on a le sens du merchandising ! Des sacs sont disponibles à la vente, de véritables pièces uniques tout à fait inscrites dans l’esprit des lieux.

Infos pratiques

46 boulevard Victor Hugo – 10000 Troyes / tél : 03 25 76 04 62
ouvert du lundi au samedi de 7h30 à 19h30.

J’entends souvent des acteurs de la profession me dresser un tableau quasi-idyllique du marché parisien, tout du moins sur le plan qualitatif. Le niveau y serait nettement plus élevé qu’ailleurs, avec très peu de « mauvais » artisans. Cela fait longtemps que j’ai cessé d’être candide. C’est tout simplement faux : à peine 10% de nos 1300 boulangers parisiens sortent la tête de l’eau. Globalement, on peut penser que c’est à peu près la même chose au niveau national, seulement la concentration n’est pas la même, il y a donc beaucoup moins d’arbres pour cacher la forêt. Certaines zones sont plus gâtées que d’autres.

Ainsi il persiste quelques « zones blanches » : on a beau tourner et se retourner, certains quartiers demeurent pauvres en pains et gourmandises de qualité. Il faut alors aller voir un peu plus loin si l’herbe est plus verte… et attendre qu’éventuellement la situation change au gré des mutations de fonds. Cela peut prendre longtemps, voire être complètement vain si les emplacements disponibles ne sont pas considérés comme intéressants.

Dans le 13è arrondissement, à proximité du métro Olympiades, on se trouvait justement dans l’un de de ces secteurs où les panophiles sont bien en peine. Tout comme le quartier, les choses sont en train de changer. De nouveaux habitants arrivent, attirés par des logements récemment construits et des loyers inférieurs à ceux pratiqués dans les arrondissements plus « centraux ». Le pouvoir d’achat augmente, et cela peut intéresser des artisans engagés dans une démarche qualitative.
L’Essentiel est arrivé au 89 bis rue de Tolbiac courant octobre 2015 et a pris la température pour mieux évaluer les besoins avant de se lancer dans des travaux de rénovation. Ils ont pris fin aujourd’hui avec la ré-ouverture de la boutique, entièrement remodelée, tout comme les laboratoires.

Le pôle pain & viennoiserie reste prédominant et affirme bien l’identité d’artisan boulanger. Malgré un espace de vente relativement restreint, le flux est bien organisé et on ne se sent pas l’étroit. Les jeux de miroirs « agrandissent » l’espace, c’est bien vu.

Nadine et Anthony Bosson ont fait appel à CMC Agencement pour réaliser la transformation, comme pour leurs deux autres boutiques. Le résultat est élégant, sobre et moderne. Si la façade s’inscrit clairement dans le style traditionnel du fameux agenceur, l’intérieur se démarque assez nettement et séduit grâce à des teintes plus claires et lumineuses. Les trois pôles d’encaissement, rattachés aux différentes activités (pain, pâtisserie, traiteur) permettront de gérer les flux de façon efficace en heure de pointe.
Il faudra du temps pour faire décoller la consommation de pain ici : l’établissement était principalement orienté sur l’offre déjeuner et les habitudes ne sont pas évidentes à faire changer.

L'un des pôles d'encaissement

L’un des pôles d’encaissement

Je ne doute pas sur la capacité de Jean-Pascal Detrait et de son équipe pour y parvenir. Ce professionnel aguerri, que l’on connaissait depuis 2013 en tant que démonstrateur au sein des Moulins de Chars après avoir été formateur chez les Compagnons du Devoir, est pleinement investi dans ce challenge et met progressivement en place les gammes pour y parvenir. Il faut pour cela impliquer le personnel repris avec le fonds, que ce soit en vente ou en production… autant de chantiers qui prennent du temps et de l’énergie, mais qui rendent sans doute ce métier riche et passionnant.

En janvier, les stars, ce sont elles : les galettes ! Chez les Bosson, elles se déclinent en de nombreuses saveurs au fil des semaines. Parmi elles, une création à la cerise.

En janvier, les stars, ce sont elles : les galettes ! Chez les Bosson, elles se déclinent en de nombreuses saveurs au fil des semaines. Parmi elles, une création à la cerise.

L’Essentiel grandit ainsi progressivement, et cette troisième implantation est réalisée plus de 3 ans après la seconde, ce qui dénote une réelle volonté de maintenir un développement maîtrisé et ancré sur des bases solides. De plus, en restant fidèle au 13è arrondissement où il a rencontré son premier succès, le couple Bosson continue à faire évoluer l’offre locale… et il serait bien difficile de s’en plaindre.

Devanture, L'Essentiel Olympiades

Infos pratiques

89 bis rue de Tolbiac – 75013 Paris (métro Olympiades, ligne 14)
ouvert du lundi au vendredi de 7h à 20h – ouverture exceptionnelle le samedi en janvier 2016.

Dans la vie, on peut distinguer aisément plusieurs catégories de personnes. Il y a des faibles, des puissants, des hésitants, des sérieux, des rigolos, … des rêveurs, des prestidigitateurs et autres experts en écrans de fumée. Choisis ton camp camarade, trace ta route. Honnête ou truand, bienfaiteur ou individualiste forcené, la seule empreinte qu’on laisse en définitive est celle de nos actes et de ce qu’ils ont comme effet sur le monde qui nous entoure.

Si j’ai choisi d’introduire ainsi cet article, ce n’est pas un hasard. La boulangerie artisanale connaît son lot de grands prophètes, qui promettent de réinventer la profession, ou du moins de parvenir à fabriquer un pain toujours plus merveilleux. On les voit surgir de l’ombre avec des fournils fantômes, des projets gigantesques… et comme les soufflés retombent, les bulles finissent par éclater.
Souvenez vous du projet de la Jeune Rue qui avait fait grand bruit. Samuel Nahon et Alexandre Drouard ont, eux, choisi de s’inscrire dans une autre voie… et ont installé leurs boutiques rue du Nil. Si le magnifique entrepreneur-millionnaire-fan de montres, écharpes et grosses voitures (rayez les mentions inutiles) a brassé beaucoup d’air, les deux associés font surtout parler d’eux pour leurs réalisations concrètes, en fidélisant une clientèle toujours plus nombreuse de gourmets et restaurateurs.

3 rue du Nil

3 rue du Nil

Tout juste 3 ans après l’ouverture de leurs boutiques, ils ont ajouté une nouvelle corde à leur arc en se lançant dans la folle aventure de la boulangerie, avec un fournil flambant neuf installé au 3 rue du Nil. Aux manettes ? Shinya Inagaki, un boulanger japonais ayant notamment oeuvré au Grenier à Pain ainsi que chez Roland Feuillas à Cucugnan, avant d’être enrôlé dans l’aventure du Sergent Recruteur et de la fameuse Jeune Rue précédemment citée. L’avantage quand on a un bagage et des compétences, c’est que l’on peut s’en servir comme trampoline – et ainsi rebondir.

Bois et pierre se mélangent harmonieusement en boutique, pour une ambiance chaleureuse.

Bois et pierre se mélangent harmonieusement en boutique, pour une ambiance chaleureuse.

Derrière la façade jaune, l’espace de vente, aménagé par Polystyl Agencement, présente les gourmandises élaborées dans le fournil ouvert, visible au fond. Les pains se placent en droite ligne de l’engagement pris par l’entreprise de longue date : réalisés à partir de farines issues de blés anciens (Kamut, Petit Epeautre…), ils valorisent le travail réalisé par de petits producteurs. Malgré le peu de temps écoulé entre les premiers essais et l’ouverture – à peine dix jours -, les produits sont déjà tout à fait convaincants. Les levains sont doux, discrets. Les Moulins de Brasseuil fournissent quant à eux des farines plus conventionnelles, destinées notamment à réaliser les viennoiseries.
Si certains pourront reprocher des prix dans une moyenne haute, je pense qu’ils correspondent tout simplement à des coûts de revient forcément plus élevés… mais aussi à une démarche cohérente.

Les pains : semi-complet, Kamut, Petit Epeautre...

Les pains : semi-complet, Kamut, Petit Epeautre…

Ici, pas de place pour le superflu : les gammes sont courtes et centrées sur le métier d’artisan boulanger. En proposant du pain sur levain naturel, des douceurs de qualité (croissants, barre au chocolat, scone japonais, brownie, brioches, foccacia aux herbes…) et bientôt une courte offre de sandwiches (réalisés à partir des ingrédients finement sourcés des boutiques attenantes), cette nouvelle aventure se démarque nettement de l’offre déployée par la plupart des boulangeries de la capitale. Un choix courageux mais porteur de sens dans un contexte où le discours porté par nos artisans n’est plus lisible, en plus de s’inscrire dans une véritable tendance de fond.

Les superbes croissants

Les superbes croissants

Difficile de partir sans s’arrêter sur un choix particulièrement marquant – et sans doute clivant – réalisé ici : la boulangerie Terroirs d’Avenir ne propose pas de baguettes. On y trouve uniquement des petites ciabattas non façonnées, qui peuvent s’en rapprocher de par leur forme allongée et quasi-cylindrique. Etant donné notre culture très « baguetto-centrée », je ne ferai pas le pari que la situation perdurera longtemps ainsi. Une bonne partie de la clientèle ne consomme pas ou peu de grosses pièces, que ce soit par goût, besoin ou habitude. C’est aussi ça, entreprendre : savoir prendre des risques, essayer, … pour bâtir des projets durables et participant à l’évolution du marché. Même s’il faut toujours être pragmatique. Ainsi vogue le pain… sur le Nil.

Le fournil, flambant neuf : il s'agit d'une création.

Le fournil, flambant neuf : il s’agit d’une création.

Infos pratiques

3 rue du Nil – 75002 Paris (métro Sentier, ligne 3)
ouvert du mardi au samedi de 8h à 20h, le dimanche de 8h à 13h30.

Pour sortir des cases, il faut parfois savoir en cocher un grand nombre. Le sens de ma phrase peut paraître obscur mais il correspond en réalité à la démarche adoptée par de nombreux créateurs de « concepts » qui multiplient les activités pour se démarquer et attirer la clientèle. A l’inverse, d’autres se concentrent sur une spécialité, à l’image des boutiques mono-produit. Que l’on soit monomaniaque ou plus généraliste, la vraie difficulté est en définitive de trouver son identité, de raconter une histoire qui correspond à notre histoire et à nos valeurs.

Entrée côté boulangerie-pâtisserie.

Entrée côté boulangerie-pâtisserie.

En créant la Ruche à Rolleboise, dans les Yvelines, Jérôme Crépatte a fondé un lieu qui n’est pas loin de lui ressembler : audacieux et dynamique, sans cesse en mouvement. Il faut dire que cet entrepreneur n’en est pas à son coup d’essai : il possède de nombreux établissements dans l’Eure et les Yvelines, dont le prestigieux Domaine de la Corniche. L’idée de départ était ici de créer un laboratoire central pour la production du pain et des pâtisseries destinés à ses restaurants. Plutôt que de s’arrêter à développer un lieu fermé au public, il a préféré bâtir un véritable lieu de vie… encouragé par la structure existante, qu’il a fallu presque plus re-bâtir que rénover.

Le bâtiment a été entièrement rénové.

Le bâtiment a été entièrement rénové.

Cet hôtel désaffecté depuis de nombreuses années a retrouvé de nouvelles couleurs en plus d’abriter de nouvelles activités : la Ruche porte bien son nom, car elle cumule les activités de boulangerie-pâtisserie-restaurant-hôtel-épicerie fine… L’idée n’était pas de créer un concept mais de faire preuve de pragmatisme en créant des synergies entre ces différents pôles. De plus, compte tenu de l’importance de l’investissement réalisé, il fallait au moins ça pour parvenir à générer un chiffre d’affaires permettant de dépasser le fameux ‘point mort’. L’emplacement, en bordure de route, n’est pas si isolé : la proximité de Giverny attire des touristes, tandis que des travailleurs viennent chercher une chambre en semaine. En misant sur la qualité des produits et des prestations, Jérôme Crépatte assure le fonctionnement de l’établissement avec une clientèle fidèle au restaurant autant qu’à la boulangerie.

Le fournil et sa vue sur la Seine.

Le fournil et sa vue sur la Seine.

Pour parvenir à offrir cette fameuse qualité, l’entrepreneur a du s’entourer : n’étant pas cuisinier, pâtissier ou boulanger, le recrutement de professionnels aguerris était nécessaire. En boulangerie, c’est Steeve qui est aux manettes. Cet artisan talentueux a longtemps oeuvré pour des sociétés d’interim et a ainsi pu développer sa capacité à travailler dans des environnements parfois difficiles. La rencontre avec son futur patron a eu lieu par l’intermédiaire d’Olivier Deseine, dirigeant des Moulins de Brasseuil et ami de longue date de Jérôme Crépatte, lequel fournit naturellement une grande partie de la farine utilisée aujourd’hui au fournil.

Four Bongard, La Ruche, Rolleboise (78) Steeve a ainsi participé au projet depuis ses débuts et à la mise en place de l’outil de production. C’est autant cette opportunité que le cadre assez unique qui ont séduit le boulanger : peu de fournils peuvent prétendre avoir une vue directe sur la Seine !
Au quotidien, il réalise les pains pour la boutique et les restaurants, avec une partie de la production en non-façonné (Paneotrad), ce qui permet de réaliser de nombreuses petites pièces et d’être réactif tout en disposant d’un personnel restreint. La gamme n’en est pas moins généreuse en goût et en créativité : on trouve dans les vitrines de nombreuses propositions gourmandes au fil des saisons et des inspirations, comme un pain à la courge pour Halloween, un pain salé à l’oignon pour l’automne, … en plus de classiques bien installés, à l’image de la tourte de Seigle au miel de Sarrasin, un beau et bon produit, des déclinaisons aux fruits secs et des créations autour de classiques de la boulangerie française, comme le pain Brié au chocolat. Pour Steeve, le respect du produit est essentiel et cela passe par l’ensemble des étapes de fabrication, du pétrissage à la cuisson.
Ses talents ne sont pas passés inaperçus dans l’émission La Meilleure Boulangerie de France sur M6, où le jury a salué la qualité de son pain.

Paneotrad, La Ruche, Rolleboise (78)

Pour le sucré, le jeune Thibault Marchand a été recruté cette année pour dynamiser l’offre. La valeur n’attend pas le nombre des années : accompagné de Sandrine Baumann-Hautin (chef pâtissière du Domaine de la Corniche), le pâtissier-chocolatier, maintes fois primé lors de concours professionnels (champion de France viennoiserie en 2013 notamment), a mis en place une gamme gourmande et raffinée, réalisée dans le respect des saisons. Fève de Tonka, chocolats grand cru, agrumes, … les saveurs s’accordent avec talent pour des créations tarifées très honnêtement (environ 4 euros pour un petit gâteau).
Seul bémol, les viennoiseries ne sont pas au niveau du reste actuellement, espérons que cela évoluera à l’avenir.

La boutique et le linéaire pâtisseries. En fond, le mur à pains.

La boutique et le linéaire pâtisseries. En fond, le mur à pains.

Pour les becs salés, la carte du restaurant se veut simple et accessible. Un semainier décline des plats classiques, revisités avec une pointe d’originalité. Le dimanche, c’est un brunch gourmand qui prend place dans la large salle, disposant elle aussi d’une superbe vue sur la Seine. Au fil de l’eau et de la journée, on peut s’asseoir quelques instants et faire une pause l’après-midi, puisque le lieu fait également office de salon de thé. On ne s’arrête jamais à la Ruche !

Le restaurant

Le restaurant

Hors de question de partir sans détailler l’espace boutique, lui aussi très atypique : on y trouve des produits d’épicerie fine (miel, forcément, huiles, confitures d’Andrésy, …) et l’ensemble des gourmandises réalisées dans les laboratoires. La décoration, particulièrement soignée, s’adapte selon les événements et donne à l’ensemble un caractère attrayant, en rupture avec les codes de la boulangerie traditionnelle.

La boutique est chaleureuse, avec une belle mise en scène des produits. Ici, le thème était Halloween.

La boutique est chaleureuse, avec une belle mise en scène des produits. Ici, le thème était Halloween.

A Rolleboise, la Ruche déploie ainsi un espace bâti selon ses propres règles, décloisonnant les activités d’hôtellerie, restauration, boulangerie et pâtisserie. Loin d’avoir voulu créer un concept sans « fond », Jérôme Crépatte a bien saisi l’importance de la qualité des prestations et produits pour mener son établissement à la réussite. Ajoutez à cela un cadre agréable et verdoyant, et vous obtenez un endroit où il fait bon venir… et revenir.

La tourte de Seigle Bio, subtilement relevée de miel de sarrasin. Une association très agréable.

La tourte de Seigle Bio, subtilement relevée de miel de sarrasin. Une association très agréable.

Infos pratiques

2 route nationale – 78270 Rolleboise / tél : 01 30 33 20 00
boulangerie-pâtisserie : ouvert du mardi au vendredi, de 6h30 à 21h00, et samedi et dimanche, de 7h30 à 21h00.
restaurant : Ouvert tous les jours exceptés le dimanche soir et le lundi midi
hôtel : ouvert tous les jours
Site internet : http://www.hotel-laruche78.com

Le hasard de l’ordre de mes publications donne parfois lieu à des perspectives cocasses. On peut ainsi alterner entre profond désespoir, consternation, incohérences entre discours et réalité, engagement véritable, convictions vivement défendues, … Je sais que certains me reprochent d’écrire des billets négatifs et pensent que je devrais me limiter à des pensées positives. J’ai essayé, vraiment, mais je ne peux pas m’y résoudre : cela donnerait une vision très partielle du milieu, et si l’on va plus loin, ne correspondrait pas du tout à la réalité du monde dans lequel nous vivons. Il y a du beau et du moins beau, mais doit-on refuser de voir ce qui nous dérange ? Non. Au contraire. Pour mieux combattre nos ennemis et nos démons, apprenons à les regarder en face. La vie ne sera sans doute pas plus simple ni plus belle. Pour autant, nous aurons le mérite du courage.

Dame Farine c'est elle, Marie-Christine Aractingi dans sa boutique.

Dame Farine c’est elle, Marie-Christine Aractingi dans sa boutique.

Du courage, Marie-Christine Aractingi n’en manque pas. Son parcours inspire le respect : cette boulangère « d’art et d’essai » – comme elle se décrit -, a quitté l’univers des lettres pour celui des pâtes et pétrins. Après avoir passé du temps à écrire des mots, elle trace aujourd’hui une histoire singulière, au fil des jours.
Elle ne s’est pas contentée de son brevet professionnel – obtenu au sein de l’Ecole de Boulangerie et de Pâtisserie de Paris – et a développé ses compétences au sein d’entreprises reconnues : de chez Frédéric Lalos au fournil du Farinoman Fou à Aix-en-Provence, elle a pu découvrir de multiples approches du métier, des vérités plus ou moins avouables, diverses méthodes de fabrication… pour construire sa propre vision de la boulangerie et prendre son envol.

Une devanture bleue comme le ciel de Marseille... pour autant, la boulangère n'a pas complètement la tête dans les nuages !

Une devanture bleue comme le ciel de Marseille… pour autant, la boulangère n’a pas la tête dans les nuages !

C’est dans la cité phocéenne que ce drôle d’oiseau a déployé ses ailes le 21 juin 2014.
L’objet de mon propos n’est pas de vous dépeindre une réalité édulcorée, mais de vous parler de l’aventure d’une boulangère qui cherche autant qu’elle se cherche.

Vitrine, Dame Farine, Marseille (13) Beaucoup ont aujourd’hui fait le choix des compromis. Snacking, pâtisseries de toutes formes et de toutes origines, viennoiseries multiples, un grand nombre de boulangeries développe des gammes surabondantes. Marie-Christine est restée, à l’inverse, entièrement cohérente avec ses convictions. En choisissant un meunier artisanal et local (le moulin Saint-Joseph), elle a pris le « risque » de farines non corrigées et parfois difficiles à travailler. C’est en contrepartie ce qui participe à faire de ses pains des produits savoureux et réellement différents, que ce soit en terme de goût ou de qualité nutritionnelle. Elle travaille ainsi les pâtes avec beaucoup de douceur : pétrissages lents, longue fermentation, … ce fournil laisse du temps au temps. Beaucoup devraient s’en inspirer.

Les enfants ont aussi leur place dans cette boulangerie : crayons de couleur, papiers, petits tabourets... face au tableau original que nous dresse Dame Farine, il est temps de faire un dessin.

Les enfants ont aussi leur place dans cette boulangerie : crayons de couleur, papiers, petits tabourets… face au tableau original que nous dresse Dame Farine, il est temps de faire un dessin.

Ici, pas de viennoiserie, à peine quelques brioches, ni même de sandwiches. Certains passants s’étonnent de ce choix, puis s’en vont. D’autres restent et se posent des questions. Les plus inspirés reviennent et tissent une relation avec cette pétillante Dame Farine. Cela fait partie de ses plus grandes satisfactions : les liens tissés au sein de cette communauté d’habitués sont réels et sincères. Si la jeune boulangère nourrit le corps, les clients font plus qu’apporter quelques euros, ils portent le projet et y participent activement, que ce soit en terme de recommandation ou de soutien moral. Cet état d’esprit singulier correspond bien à la ville, où les classes populaires sont fortement représentées.
Il faut malgré tout parvenir à s’imposer en tant que femme dans ce métier où les hommes demeurent sur-représentés : dépasser les habituelles questions « où est le boulanger ? où est le patron ? » prend toujours du temps… et de l’énergie.

Pains, Dame Farine, Marseille (13)Les individus sensibles à une boulangerie engagée sont-ils assez nombreux pour parvenir à pérenniser cette fragile entreprise ? A mon sens, c’est la question centrale qui se pose aujourd’hui.

Pétrins, bacs, sacs de farine, ingrédients variés... participent au décor.

Pétrins, bacs, sacs de farine, ingrédients variés… participent au décor.

Marseille est une grande ville et son offre boulangère est moribonde. Peu d’artisans ont fait le choix de la qualité, et la plupart se laissent mourir. Leurs affaires sont dans un état lamentable, j’y reviendrai plus largement ultérieurement. Malheureusement, des initiatives différentes et portées par des convictions ont tendance à se noyer dans une telle masse.

Fougasses, Oliveta à la tapenade et feta, Pissaladière, brioches, chocopan, ... le coin des gourmandises salées et sucrées.

Fougasses, Oliveta à la tapenade et feta, Pissaladière, brioches, chocopan, … le coin des gourmandises salées et sucrées.

Pour exister, il faudrait alors communiquer, se répandre dans la sphère publique… et sans doute finir par se perdre. Quand bien même elle le voudrait, Marie-Christine ne dispose pas réellement des moyens matériels pour verser dans ces activités : accompagnée seulement d’une apprentie et d’un peu d’aide à la vente, elle consacre l’essentiel de son temps à sa production et à la gestion de son entreprise. Elle a ainsi appris à jongler entre les pétrins, les cuissons, l’accueil en boutique, l’administratif, … Au risque de s’oublier elle-même et de crouler un jour sous le poids de ces charges.
Je ne lui souhaite pas, tout comme je ne le souhaite pas à tous ces artisans indépendants qui se battent chaque jour pour satisfaire leur clientèle.
Leur salut tient aujourd’hui à une prise de conscience collective de l’importance d’une telle offre boulangère « alternative » : elle pose un véritable rempart à l’uniformisation du goût, portée à la fois par les industriels et les gros faiseurs (chaines de boulangeries, et plus globalement entrepreneurs aux multiples points de vente).

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Trêve de réflexions trop poussées sur le secteur et son état. Revenons-en à mon plaisir du jour, à celui que je peux avoir quand je rencontre des artisans engagés et que je déguste des produits de qualité.
Disposés dans cette boutique-atelier, les pains ont tous leur identité singulière, qui se déploie bien au delà de leurs noms souriants. Ici, le levain naturel n’est pas érigé comme marque de fabrique, il accompagne l’ensemble des produits, les ensemence et développe leur arômes sans jamais les étouffer. Si notre Dame Farine n’a pas sa langue dans sa poche et a du s’affirmer par des postures quasi-viriles, sa gamme exprime une sensibilité profonde et un véritable amour du pain. Toute la production est divisée puis façonnée à la main, pour respecter au mieux la douceur des pâtes et leur gluten fragile.

Du pain, des mots, de l'esprit.

Du pain, des mots, de l’esprit.

La plupart des farines sont complètes ou semi-complètes, et elles sont aussi riches en fibres qu’en goût. Le Méteil exprime de douces notes miellées, tandis que le Pain du Coin – à base de farine de Petit Epeautre – retranscrit tout le caractère du terroir de Provence, avec un bouquet riche et épicé. Soleil Levain, Sarrasin, Miche Cléôpatre, Demoiselle, Damoiseau, … les noms ne manquent pas d’humour et d’histoires, et ils donnent à ces pains une saveur toute particulière, celle de la malice. Il y a aussi les créations gourmandes, intemporelles ou éphémères.
Pain à la betterave, seigle-figues-noix, aux pépites de chocolat, à la carotte et au cumin… les produits prennent des couleurs et associent des goûts parfois insolites. C’est la parfaite illustration du crédo inscrit en façade : boulangerie d’art et d’essai.

Le présentoir d'épicerie propose quelques produits locaux et sélectionnés.

Le présentoir d’épicerie propose quelques produits locaux et sélectionnés.

Que souhaiter à Marie-Christine ? De la réussite, oui, sans doute, mais aussi de ne pas perdre cette flamme, cette envie, cet amour des autres qui font de sa boulangerie un lieu particulier. Au delà de la farine, ce sont des ingrédients précieux pour faire du bon pain. Un pain qui nourrit le corps et l’esprit.

Infos pratiques

77 avenue de la Corse, 13007 Marseille
ouvert du mardi au samedi de 8h à 13h15 16h à 19h30