La cohérence est sans doute l’une des choses les plus difficiles à atteindre dans la vie. On tient souvent des discours pleins de bonnes intentions, on développe des idées généreuses… mais combien d’entre nous parviennent à les mettre en pratique ? Sans que ce soit forcément volontaire, nous sommes souvent condamnés à entretenir un écart entre nos actes et nos paroles. Que ce soit un ru, une rivière, un grand fleuve ou un véritable exercice de gymnastique, il faut aussi savoir s’arrêter au bon moment pour éviter de finir dans le mur à force de ne pas être ce que l’on prétend.
J’apprécie sincèrement de nombreux artisans boulangers – croyez-le ou non, puisqu’à force de me lire, on pourrait parfois croire que j’en apprécie qu’une poignée – mais je suis attristé par leur manque d’engagement et de cohérence. La plupart utilisent une bonne farine, un bon beurre pour leurs viennoiseries, … mais le reste ? Au moment de découvrir leur chambre froide ou leur économat, je préfère souvent fermer les yeux et baisser la tête. Entre les matières premières achetées en masse chez des fournisseurs devenus tristement célèbres par la force des choses et des médias, les conserves de « purée de pomme concentrée » joyeusement agrémentées de sirop de glucose et que sais-je encore… Est-ce ça, être artisan ? Oh, oui, j’entends déjà la ritournelle des coûts de revient, des prix qui ne peuvent pas être vraiment supérieurs à ceux du voisin, … Il faudra pourtant parvenir à se différencier nettement de la concurrence industrielle, et cela passe par le goût. Sans cela, je ne vois pas beaucoup d’avenir à la boulangerie artisanale.
A l’extérieur, la structure de l’ancien garage reste bien visible. Sur l’avancée vitrée, on peut lire les différentes activités développées ici : boulangerie & pâtisserie, café, épicerie, …
Heureusement, quelques uns en ont pris conscience et se sont engagés pour bâtir des projets ambitieux aussi bien pour les consommateurs que pour leurs équipes. Marie et Dominique Legay font partie de ceux-ci.
Ils ont ouvert ensemble leur « Tonton Farine » le 27 août dernier, en bordure d’un axe passant de Troyes, plus précisément au 46 boulevard Victor Hugo. Si leur nom n’est peut-être pas tout à fait inconnu à certains d’entre vous, c’est qu’on le retrouve encore aujourd’hui sur la devanture de deux boulangeries parisiennes : dans le Marais, « Legay Choc » existe encore, même si les affaires ont été cédées à Richard Legay.
Depuis la route, on appréhende mieux le bâtiment dans son ensemble et son caractère atypique. La transformation du lieu est remarquable.
Après avoir passé plusieurs années dans la capitale et acquis une forte expérience – dans le domaine de la pâtisserie/chocolaterie pour Dominique, dans l’hôtellerie pour Marie -, il était temps de passer à autre chose, de se tourner vers d’autres horizons.
Si le projet d’ouvrir une chocolaterie a été envisagé en premier lieu, le couple a finalement choisi de revenir à l’essentiel, aux valeurs fortes de partage et d’authenticité que porte la boulangerie.
La salle est particulièrement accueillante et donne envie de prendre quelques minutes pour se poser.
Pour écrire cette nouvelle page de leur histoire commune, Troyes sonnait comme une évidence : Marie Legay en était originaire, et la qualité de vie dans la région a forcément pesé dans la balance. Le prix de l’immobilier également. Difficile d’envisager l’ouverture d’un tel lieu en plein coeur de Paris, en le dédiant à une activité de boulangerie artisanale. Ici, en Champagne, ils l’ont fait… et il y aurait de quoi déboucher une bonne bouteille tant le résultat est réussi, malgré des retards de chantier.
La grande verrière arrose l’ensemble du bâtiment en lumière naturelle. Sur les murs, les mots et illustrations renforcent l’univers.
Cet ancien garage -le bâtiment date du début du 20è siècle !- a été entièrement rénové pour accueillir les nouvelles activités. Tous les éléments ont été repris, y compris la verrière au plafond. A présent, c’est une boulangerie-pâtisserie tout à fait atypique qui habite les lieux, avec un laboratoire entièrement de plein-pied et un large espace de vente. Aux beaux jours, la terrasse sera appréciée des gourmands, cette dernière se plaçant légèrement en retrait de la circulation routière.
Ici, pas de mur à pains traditionnels, mais des présentoirs ouverts.
Il fallait du courage mais aussi une volonté marquée pour se lancer dans une telle aventure. Si j’ai parlé de cohérence, c’est qu’elle s’exprime à plusieurs niveaux : en offrant au personnel des conditions de travail exemplaires, le couple a souhaité s’engager sur le plan humain pour intégrer chaque collaborateur dans leur démarche. En contrepartie, ils doivent accepter de travailler « sans filet », à partir de matières brutes et naturelles. Des fruits et des légumes bio, des ingrédients locaux quand c’est possible (notamment les oeuf frais), des graines et fruits secs fournis par Markal (entreprise spécialisée dans le bio), du beurre AOP … La différence se ressent forcément sur le goût.
Le goût est d’ailleurs un sujet pris très au sujet par notre Tonton, qui élabore des recettes créatives et colorées : les buns variés donnent du relief à la pause déjeuner, les petits choux se déclinent à tous les parfums et se coiffent de décors chocolatés ou meringués, les tartes font la part belle aux fruits de saison… Les gammes sont la parfaite expression de l’univers déployé dans ces lieux.
Les choux variés correspondent bien à la tendance « street food », avec toujours le même engagement sur la qualité des matières premières.
On peut effectivement parler d’univers, car le mot prend tout son sens avec la forte identité graphique développée par Marie Legay en collaboration avec sa cousine -illustratrice pour enfants- et une graphiste. La boutique est remplie d’illustrations souriantes, de petits détails, … qui créent ensemble une atmosphère chaleureuse et dégage nettement l’ensemble de l’image habituelle d’une boulangerie-pâtisserie. D’ailleurs, en est-ce vraiment une ? Sans doute pas tout à fait. Tonton Farine est plus que cela, et le prouve par son espace dédié aux ateliers. Ici, enfants et adultes pourront recevoir un peu du savoir-faire entretenu par Dominique Legay et son équipe. Quelques animations ont été déjà organisées de façon ponctuelle, mais la pratique devrait s’installer plus durablement et régulièrement dans les premiers mois de cette nouvelle année 2016. Au final, c’est le mot de partage qui revient : aussi bien par des produits que par des gestes transmis, à des professionnels comme à des amateurs.
Derrière la baie vitrée, l’espace atelier. Une belle salle où les plans de travail pourront permettre à chacun de mettre les mains dans la farine.
Il ne faudrait pas partir sans s’intéresser plus précisément à ce qui nous intéresse au quotidien : le pain. Les farines sont fournies par les moulins Foricher, un choix inspiré par la proximité et la rencontre de clients « emblématiques » comme Louis Tortochot (Du Pain pour Demain – Dijon). On retrouve ainsi une gamme travaillée sur base de levain naturel, avec des classiques (baguette de Tradition, pains aux céréales, …), des déclinaisons gourmandes (fruits secs, curry, noix et beurre, …) et des pains sur base de farines variées (seigle, petit épeautre). Si les cuissons sont parfois un peu courtes et que l’on sent que les produits se mettent en place progressivement, les fondamentaux sont là. A noter également la belle gamme de moelleux, dont un pain de mie marbré cacao particulièrement réussi, ainsi que des propositions aromatiques au miel et amandes, miel et chocolat…
Viennoiseries & gourmandises.
Malgré l’arrivée quasi-simultanée de l’enseigne Paul dans le centre de Troyes et l’ouverture d’une autre boulangerie de grande taille, je ne doute pas de la capacité du couple Legay à imposer son style et sa différence, grâce à son engagement et cette fameuse cohérence que je mettais en avant précédemment. Ils participent activement au renouveau de leur zone d’implantation, tout comme au renouvellement de la profession d’artisan boulanger. A mon sens, cela passe par le développement d’identités fortes et claires pour le consommateur, en marge de tout marketing de masse. C’est ainsi que l’on pourra créer un lien durable avec la clientèle et partager avec elle des valeurs, une vision. L’enjeu est de taille : il faut parvenir à transmettre une certaine culture du goût aux générations suivantes. Tant qu’à faire, faisons-le en famille… et pour cela, faisons confiance à notre Tonton… Farine.
Chez Tonton Farine, on a le sens du merchandising ! Des sacs sont disponibles à la vente, de véritables pièces uniques tout à fait inscrites dans l’esprit des lieux.
Infos pratiques
46 boulevard Victor Hugo – 10000 Troyes / tél : 03 25 76 04 62
ouvert du lundi au samedi de 7h30 à 19h30.
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Les détails souriants se retrouvent y compris… dans les toilettes ! Le change bébé a été personnalisé.
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Au déjeuner, l’offre est résolument moderne avec des quiches, salades, buns, bagels… toujours du frais, du bon et du sain avec des associations de saveurs inventives.
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Les mange-debout et le carrelage.
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On trouve également des assiettes dans l’épicerie.
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Dans un moule à tarte, le parking de tonton est annoncé.
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Pour les beaux jours, la terrasse et ses chaises colorées ne manquera pas de séduire les gourmands.
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Le laboratoire est entièrement visible depuis l’espace de vente. C’était l’une des volontés du couple, qui souhaitait offrir à sa clientèle une transparence totale sur les matières premières et la fabrication.