18
Jan
2019
Beziat Frères, Cahors (46), deux talents à observer sans jumelles
5 commentairesLa vie est un formidable jeu de probabilités. Comme si, chaque jour, nous oeuvrions comme d’ingénieux mathématiciens, écrivant sans relâche des équations aux multiples inconnues. Quand un ensemble de conditions se réalise, cela peut donner lieu à des créations surprenantes, qui nous rappellent la beauté de la nature. Nous cherchons trop souvent à tout contrôler, à maîtriser l’imprévu, à limiter les risques… autant d’efforts aussi vains que contre-productifs lorsqu’on observe notre incapacité chronique à créer des harmonies, l’action humaine se résumant plutôt à des enchainements de déséquilibres. On finit parfois se dire que le mieux à faire serait de rester simplement à observer la beauté naturelle, sans chercher à y intervenir… mais ce serait aussi renoncer à notre puissante volonté de conquête et de possession.
S’il y a bien quelque chose que les cadurciens vont avoir le loisir d’observer, c’est le talent et le savoir-faire des frères Beziat. Installés depuis fin novembre 2018, les deux jumeaux signent sur l’avenue la plus passante de la cité un véritable retour aux sources – leurs parents possèdent une boulangerie dans la commune de Gramat. Je parlais en introduction de probabilités : on pourrait calculer celles aboutissant à ce résultat singulier, où chacun a développé dans sa discipline un talent riche et créatif, leur permettant de devenir des professionnels accomplis et aptes à entreprendre à seulement… 24 ans. Cédric s’est ainsi emparé des clés de la panification dès son plus jeune âge. Meilleur Apprenti de France en 2011, il a notamment été formé au sein de la boulangerie nantaise Pain, Beurre et Chocolat avant de partager ces dernières années son savoir-faire en tant que démonstrateur pour l’Atelier M’Alice. Loïc a suivi un parcours parallèle, dédié à la pâtisserie. Il obtient également le titre de Meilleur Apprenti de France en 2012, avant d’enchainer les diplômes : mention complémentaire, brevet technique des métiers, … le pâtissier formera également des professionnels au sein de l’ENSP d’Yssingeaux avant de prendre la tête de la création de la pâtisserie Canet à Nice. C’est à ce moment, début 2018, qu’il obtient le titre de Champion du Monde des Arts Sucrés, en équipe avec sa collègue Marie Simon.
Les forces de ce duo sont multiples : chacun reste précisément à sa place sans chercher à intervenir sur le métier de l’autre, leur complémentarité pouvant ainsi s’exprimer pleinement. Ils partagent une vision commune du métier et un objectif clair : satisfaire leur clientèle, créer des plaisirs accessibles à chacun au quotidien. Leur parcours aurait pu les inciter à rêver de paillettes, de créations compliquées et inadaptés à une production « boutique » comme on en voit encore trop souvent dans des formations professionnelles. Les gammes développées dans leur boulangerie-pâtisserie prouvent qu’il n’en est rien : les produits demeurent très rationnels, à la fois en nombre qu’en complexité, même si certaines pâtisseries demandent un soin tout particulier.
Ces bases solides expliquent sans doute l’accueil reçu par leur commerce dès son ouverture : la demande lors des fêtes s’est révélée bien plus importante que leurs prévisions les plus optimistes, ce qui laisse présager une progression élevée par rapport à leurs prédécesseurs, qui avaient fait le choix de se placer derrière une enseigne Banette et s’étaient spécialisés dans le snacking. Les frères Beziat ont remis au centre de l’affaire les éléments fondamentaux d’une boulangerie et se démarquent ainsi très nettement de leur concurrence.
Cela commence par le pain, présenté avec beaucoup d’élégance sur un large mur au fond boisé. Ici, pas de baguette de pain courant mais uniquement une Tradition fermentée sur poolish, déclinée en une version graines. Cédric a fait ce choix délibéré pour proposer un pain doux et exprimant pleinement les saveurs de froment de la farine de Tradition, avec un procédé de fabrication évitant les mies caoutchouteuses et le manque de croûte que l’on observe fréquemment. Le même travail de réflexion a été mené pour mettre au point des pains ayant chacun une identité propre, sur base de levain naturel : une tourte de Meule acidulée, le Pain du Père Jouvent (à base de farine de Grand Epeautre) aux saveurs rustiques ou encore la tourte de Campagne et ses notes mielleuses, … autant de produits qui répondront aux goûts et attentes variés des consommateurs, avec toujours des mies bien ouvertes et des croûtes craquantes.
La viennoiserie s’inscrit dans le même registre, avec des classiques à l’exécution très maîtrisée : croissants, chocolatines (on ne plaisante pas avec l’appellation !), kouglofs, pains au raisins ou brioche Nantaise, on retrouve des feuilletages légers et croustillants ainsi que des mies fondantes et gourmandes. Pour la période des Rois, les galettes feuilletées et briochées auront rencontré un succès mérité : qu’elles soient à la frangipane classique, à la noisette ou aux fruits confits pour la couronne, elles ont bénéficié du même soin pour leur réalisation, ainsi que de la sélection précautionneuse des matières premières.
Sur ce point, les jeunes entrepreneurs ont appris dans leur parcours l’importance d’acheter les bons produits au bon prix pour conserver des coûts de revient corrects, sans chercher à réaliser une débauche de références « haut de gamme » qui ne se justifient pas toujours. Par exemple, Loïc sélectionne pour ses pâtisseries des chocolats de qualité (principalement chez Valrhona) sans rechercher spécifiquement des origines ou des parfums très typés, afin de permettre au plus grand nombre d’apprécier ses créations.
C’est vrai qu’il serait idiot de passer à côté de ces pâtisseries, lesquelles déclinent autant de grands classiques du répertoire sucré -Paris-Brest, Opéra, Forêt Noire, tarte au citron meringuée, …- que des gâteaux mis au point par l’artisan et sa compagne Mathilde, qui l’accompagne au sein du laboratoire. Le dénominateur commun de ces douceurs est la modernité, la légèreté des textures, le juste dosage du sucre et le soin porté à leur réalisation. Coup de coeur personnel pour la Tarte au citron meringuée, péchue et très équilibrée, ainsi que pour le gâteau ‘Expresso’, associant avec brio café et noisette… tout cela pour 3,40€ la pièce, autant vous dire la chance qu’ont les cadurciens.
Les gâteaux de voyage rencontrent également un vif succès, grâce à un format élégant façon finger et un boitage adapté. Ces derniers sont accompagnés par une belle gamme de gourmandises à croquer à tout moment de la journée : sablés, meringuettes, amandes chocolatées et noisettes sablées, ou tablettes variées sans oublier l’incontournable pâte à tartiner… autant de produits rentables et bien dans leur époque.
Pour justement y être tout à fait, la boutique continue à proposer une offre snacking et boissons chaudes, en reprenant le concept Croustwich acquis par les prédécesseurs et très apprécié par la clientèle. On peut ainsi, aux beaux jours, s’attabler sur la terrasse extérieure et profiter de la douceur de vivre du Lot.
J’avoue avoir rarement l’occasion de croiser de tels talents, aptes à emmagasiner autant d’expérience et de savoir-faire tout en restant fidèles à une éthique de travail irréprochable. C’est sans doute la raison qui m’a poussé à leur rendre visite dans leur boutique, dont le démarrage est à l’image de leur parcours, irréprochable. Il ne faut pas beaucoup de compétences en prévisions pour leur promettre un avenir brillant sur leur terre natale enfin retrouvée, même si les deux frères gardent les pieds sur terre et ne s’inscrivent pas dans une logique de développement déraisonné. Leurs gammes vont encore s’affirmer et leur créativité pourra s’exprimer pleinement dans cet écrin… ce qui nous donnera autant d’occasions d’aller observer sans jumelles le talent de ces jumeaux, que l’on pourrait bien finir par surnommer les cadors… de Cahors.
Infos pratiques
18 Boulevard Léon Gambetta, 46000 Cahors / tél : 0565353520
ouvert du mardi au samedi de 7h à 19h30, le dimanche de 7h à 13h.