Billets d'humeur

12
Avr

2013

« Je vais tester »…

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Des symptômes. Les mots et les phrases sont les symptômes des maux qui rongent notre époque. Consommation aseptisée et jetable, volonté d’aller toujours plus vite, loin, moins cher, … performance, performance, avant toute chose. Je vous parlais la semaine dernière de ceux qui ne respectent pas la qualité des produits ou leur personnel, mais il faut bien savoir que de l’autre côté de la barrière – du mien, du vôtre, celui des consommateurs, tout n’est pas si rose. Si l’on peut se permettre de nous faire manger n’importe quoi, c’est peut-être parce que l’on ne sait plus vraiment faire la différence entre le « bon » et le « mauvais ».

Au delà de ça, beaucoup de gens ne vont plus découvrir un lieu, un savoir-faire, une histoire, non, ils « vont tester ». C’est leur réponse lorsqu’on leur parle d’une adresse. Comme si l’objectif était d’éprouver les équipes oeuvrant en son sein, comme s’il fallait toujours réaliser un comparatif, une analyse du fond et de la forme. Alors oui, ils testent. Ils prennent des photographies qu’ils vont partager de façon abondante sur les divers réseaux sociaux à leur portée. Tout le monde saura de cette façon qu’ils y étaient, que le lieu avait eu l' »honneur » de passer par le crible de leur bon goût…

Certes, la phrase peut paraître tout à fait anodine en elle-même et sans doute peu de personnes l’utilisant en mesurent la portée et les implications. Bien sûr, cela m’amène à me poser des questions sur ma propre démarche de painrisien, et sur ma façon d’aborder le travail des artisans : ne fais-je pas tout simplement fausse route en visitant toutes ces boulangeries ? Au fil du temps, ma démarche a changé, ainsi que mon appréciation des choses. Je suis ainsi passé d’une recherche des « meilleurs pains » à une volonté de mettre en avant ce qui peut se faire de bien dans la profession, tout en portant une certaine notion d’exigence… cette dernière prenant en compte le caractère profondément humain et aléatoire que peut revêtir une production boulangère.

En définitive, je voudrais juste appeler chacun d’entre nous à plus de « responsabilité » dans notre façon de consommer. Considérer le travail d’un artisan comme une chose presque jetable, comme c’est le cas lorsque l’on « teste », n’est certainement pas lui rendre hommage et l’inciter à se dépasser chaque jour pour sa clientèle. Au final, personne n’en sort gagnant et un certain fossé se creuse entre les deux parties, avec des incompréhensions mutuelles et un dialogue qui pourrait bien finir par se rompre. Evitons donc de zapper, d’être volages et toujours avides de la nouveauté devant l’éternel. Je suis certain que nous pourrions bien « tester » cette façon de faire, non ?

Ce n’est pas beau de mentir. Cette phrase, vous l’avez sûrement entendue de nombreuses fois pendant votre enfance. Les adultes savent en effet bien nous rappeler le caractère peu vertueux du mensonge, alors qu’ils bâtissent chaque jour un monde où ce dernier en serait presque érigé en religion. Certains mentent sur la nature réelle de leur viande, d’autres sur les comptes bancaires qu’ils possèdent à l’étranger… En définitive, le résultat est le même : il y a une tromperie manifeste, et les individus qui entourent ceux qui la génèrent en paient le prix.

Même chose en boulangerie-pâtisserie artisanale. Seulement, le mensonge peut prendre plusieurs formes, qui se révèleront plus ou moins insidieuses. L’un des plus étalés sur la place publique demeure d’utilisation de produits issus de l’industrie, simplement décongelés ou cuits sur le point de vente. On en a beaucoup parlé ces dernières semaines, avec notamment un reportage diffusé sur France 5 à ce sujet.

Coup de Pâtes et ses confrères sait bien reproduire les codes de la boulangerie artisanale pour vendre...

Coup de Pâtes et ses confrères sait bien reproduire les codes de la boulangerie artisanale pour vendre…

Petit à petit le savoir-faire se perd dans les méandres du business et des économies hasardeuses. Hasardeuses, elles le sont : à long terme, les consommateurs désorientés et ayant un net sentiment – compréhensible – de trahison finiront par se tourner définitivement vers des lieux où la couleur est directement affichée, où les prix sont moins élevés même si le goût n’y est certainement pas. Peut-on leur en vouloir ? Certainement pas – et les artisans scient petit à petit la branche sur laquelle ils sont assis. Parmi les fournisseurs de scie et autres objets tranchants, Coup de Pâtes, Fedipat, Panavi et autres… sans compter sur certains groupes de meunerie, comme Nutrixo/Grands Moulins de Paris et leurs fameuses « Recettes de mon Moulin ».

Tout le monde ne peut pas se vanter d'utiliser une farine Label Rouge, loin de là...

Tout le monde ne peut pas se vanter d’utiliser une farine Label Rouge, loin de là…

Pour ceux qui continuent à réaliser les produits par eux-mêmes, les mensonges ne sont pas pour autant écartés. A commencer sur le plan de la qualité des matières premières : tout le monde n’utilise pas des beurres de première qualité, ne confectionne pas des sandwiches avec un jambon, des fromages ou des crudités savoureux, ou pire encore ne pétrit pas des farines réalisées dans les règles de l’art, sans incorporation d’additifs. Quelle est notre information là dessus ? Quasi inexistante, en réalité, mis à part lorsque justement le boulanger s’est employé à mettre en oeuvre de « bonnes pratiques », qui passent notamment par des labels (Bio, Label Rouge ou encore CRC). Nous sommes bien loin de voir cette façon de faire se généraliser : beaucoup de meuniers poussent encore à l’utilisation de leurs mélanges, et produisent des farines dépourvues de tout intérêt nutritif ou gustatif. La filière demeure très ambivalente, partagée entre processus toujours plus exigeants et course aux économies.

Tous les fournils sont loin d'être aussi propres et bien aménagés que celui-ci !

Tous les fournils sont loin d’être aussi propres et bien aménagés que celui-ci !

Bon. On pourrait s’arrêter là, se limiter à cette vision très technique et froide des choses. Dans l’absolu, le mensonge n’aurait de conséquence que sur un produit, et en la matière, nous détenons encore le pouvoir de l’acheter ou pas, selon s’il correspond à notre goût. A mon sens, le pire des problèmes se situe sur le plan humain. Oui, vous savez, toutes les petites mains qui oeuvrent en coulisses chaque jour, pour que vous puissiez profiter de vos gourmandises. Force est de constater que leurs conditions de travail sont loin d’être aussi optimales qu’elles devraient l’être : laboratoires étroits, souvent dépourvus de toute lumière naturelle, et parfois même à la limite de la salubrité.

Après tout, l’envers du décor importe bien peu pour de nombreux artisans : devrait-on, dès lors, se gêner pour employer et sous-considérer du personnel d’origine étrangère (Sri Lankais, Indiens, …) dont la situation n’est pas toujours régulière ? Devrait-on avoir du respect pour tous ces apprentis japonais qui débarquent en France des étoiles dans les yeux, avides de découvrir notre savoir-faire et notre gastronomie ? Bien sûr, le constat est similaire quand il s’agit d’apprentis français, même s’il est à nos yeux moins « marquant ».
Ne nous étonnons pas trop si on les voit ressortir de leurs lieux de travail épuisés, pouvant à peine marcher. Ils réalisent un service tellement important : celui de notre gourmandise. Seulement, cette dernière finit par avoir un goût amer lorsque l’on sait tout cela, et plus particulièrement quand on sait quelles maisons ont ce genre de pratiques.

Nos chefs – d’entreprise, pâtissiers, de restauration… – ont fini par avoir des égos tellement développés qu’ils considèrent pouvoir demander toujours plus à leurs équipes. Ne parlons même pas du cas des femmes, car la misogynie demeure omniprésente dans les métiers de bouche et plus particulièrement de la boulangerie-pâtisserie.
A force de côtoyer le « milieu », j’ai fini par situer où étaient ces zones d’ombre, cerner les contours de cette réalité peu glorieuse. Seulement, devrais-je pour autant revêtir les habits d’un chevalier sauveur des opprimés ? Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire et à entendre ? Je n’en suis pas certain. Dès lors, je me tais. J’observe et je me tais. La vérité devient alors amère et solitaire, bien loin du caractère vertueux qu’elle devrait revêtir. Finalement, je reprends mes cours de philosophie de lycée, et je relis cette phrase « il n’y a pas une vérité mais des vérités ». Tout dépend certainement de la façon dont on regarde les choses, en définitive…

Des bulles. En définitive, malgré toute l’application que l’on peut mettre à avoir l’air sérieux, à s’employer à répéter des tâches avec rigueur, nous passons notre temps à faire… des bulles, comme les enfants. Oh, il n’est plus question de savon, non, les moyens sont tout autres : les grands bambins que nous sommes soufflent dans des cercles financiers, dans les activités économiques. Seulement, les enjeux sont loin d’être les mêmes, nos bulles ne font plus que s’envoler et éclater avec légèreté, non, il est question d’emplois, et par extensions de vies humaines. Cela ne semble pas beaucoup nous émouvoir, puisque nous soufflons, soufflons, et souvent cela explose… Souvenez-vous des années sombres de l’Internet, des crises financières, et bien d’autres petits plaisirs.

Ces dernières années, les bulles savent aussi toucher le secteur de la gastronomie. Il n’y a qu’à voir l’éclosion de toutes ces épiceries fines dans nos centres-ville, portées par la vague des émissions culinaires et du « fait maison ». Pas sûr qu’elles survivent toutes, d’ailleurs, j’aurais tendance à penser que la tendance a déjà bien commencé à se tarir.
En dehors des moments où l’on prend le temps de se retrouver autour d’une table, il y a bien sûr ces semaines de travail, avec des pauses toujours plus courtes… ce qui explique sans difficulté le développement exponentiel de la restauration rapide ces dernières années.

Sur le stand Fedipat, la section traiteur ressemble fort à celle de certains "artisans" qui proposent des produits issus de l'industrie.

Sur le stand Fedipat, la section traiteur ressemble fort à celle de certains « artisans » qui proposent des produits issus de l’industrie.

Au point qu’il fallait bien lui consacrer un salon. Chaque année, Porte de Versailles, le « snacking » et les sandwiches ont droit à leur grand messe, couplée à un événement similaire autour de la restauration italienne et des pizzas. Le Sandwich & Snack Show, puisque c’est son nom, se tenait cette semaine – les 20 et 21 mars. Impossible de passer à côté… rien qu’à l’odeur. Le plus frappant dans ce genre d’événement reste pour moi l’environnement olfactif particulièrement chargé qui s’y développe. L’estomac bien accroché, ce sont ainsi des centaines de visiteurs convaincus de tenir « la pépite ». En effet, ce que j’ai pu ressentir ici, à l’image de ce qui m’avait frappé à Univers Boulangerie en fin d’année dernière, c’est que la restauration rapide fait figure d’eldorado pour nombre d’entrepreneurs ou aspirants. Forcément, quand on voit le développement – et le succès, c’est vrai – de certaines franchises, il y a de quoi faire tourner les têtes.

Reconnaissez-vous ces muffins, donuts et autres brownies ? Fabriqués par Panavi Vandermoortele, ils sont repris par nombre d'artisans...

Reconnaissez-vous ces muffins, donuts et autres brownies ? Fabriqués par Panavi Vandermoortele, ils sont repris par nombre d’artisans…

Le problème, c’est que tout est bien loin d’être rose dans cet univers. A commencer par les échecs, car il y en a : combien de petites unités ont fermé leur portes rapidement à l’ouverture ? Même le « leader mondial » en terme de nombre de points de vente, Subway, a perdu nombre de franchisés dont l’implantation avait été mal étudiée. Constat similaire du côté des enseignes de bar à pâtes, entre autres, les indépendants n’étant pas épargnés par le « mouvement ». Des bulles, je vous disais.
Puisqu’il est question de Subway, je ne peux omettre de reprocher à ce secteur sa capacité à produire des repas de bien piètre qualité.

Les douceurs sucrées prennent les formes des tendances actuelles : déclinaisons de choux colorés, entremets légers...

Les douceurs sucrées prennent les formes des tendances actuelles : déclinaisons de choux colorés, entremets légers…

C’est sans doute ce qui frappe le plus dans ce salon, au delà du fait que sa taille avait augmenté de façon exponentielle par rapport à l’an passé. Des produits industriels à foison, des conserves, des surgelés (et même la fameuse entreprise Comigel, transformatrice de vraie-fausse viande de boeuf pour des lasagnes surprise)… Le lot commun des offres développées à destination de nos employés pressés. Ainsi on devrait considérer que consommation rapide implique également préparation rapide. Qu’il est normal de sortir des barquettes de salades déjà préparées, de mettre en oeuvre du pain fabriqué en industrie, de proposer des gourmandises juste décongelées sur le point de vente.

Chez Bridor, on développe des sandwiches créatifs avec des pains aromatiques... une démarche qui n'est pas sans rappeler celle de l'un de nos artisans parisiens ?

Chez Bridor, on développe des sandwiches créatifs avec des pains aromatiques… une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de l’un de nos artisans parisiens ?

Bien sûr, en marge de ces pratiques, la profession tente de se donner une image bien plus respectable : pendant ces deux jours, les interventions de grands chefs n’ont pas manqué, ainsi que les démonstrations autour de recettes développées par de grandes références du secteur. Il faut dire que certaines d’entre elles ne manquent pas de créativité et proposent des associations de saveurs tout à fait dignes d’intérêt, à l’image de Bridor qui développe en partenariat avec Lenôtre une gamme inventive, dont nos artisans devraient parfois s’inspirer. Seulement voilà, on touche ici au « haut du panier », ces quelques arbres cachent une forêt où les loups se promènent en liberté…

Ces feuilletés noix de pécan ne sont pas sans me rappeler ceux proposés dans une enseigne se targuant de proposer des produits de haute qualité à Paris... Pas très glorieux.

Ces feuilletés noix de pécan ne sont pas sans me rappeler ceux proposés dans une enseigne se targuant de proposer des produits de haute qualité à Paris… Pas très glorieux.

Le plus triste dans tout cela, c’est sans doute que notre boulangerie-pâtisserie artisanale laisse entrer cet univers dans ses boutiques. Pour les excuser, on pourra dire que les appels du pied sont nombreux, les discours des commerciaux bien rodés, et la tentation des coûts peu élevés très forte. Coup de Pâtes, Fedipat, … il ne manquait personne, et les stands ressemblaient parfois à s’y méprendre aux vitrines que l’on retrouve aujourd’hui chez nos « artisans » d’hier. Le jeu était presque de trouver quel produit on avait repéré dans la boulangerie en bas de chez soi… avec, malheureusement, beaucoup de chances de gagner.

Sur le stand Château Blanc, filiale du groupe Holder, on retrouve des pains proposés en boutique Paul (benoiton, pains aromatiques). Qui a dit "maison de qualité" ?

Sur le stand Château Blanc, filiale du groupe Holder, on retrouve des pains proposés en boutique Paul (benoiton, pains aromatiques). Qui a dit « maison de qualité » ?

Gagner, gagner, non, au final, tout le monde est perdant : le savoir-faire se désagrège, les consommateurs perdent confiance et, dans une certaine mesure, le sens du goût : on ne leur propose que des saveurs uniformisées, standardisées. Plus de relief, juste la perspective de repas tristes.

Ah, l'un de nos "140 meilleurs boulangers français" s'est associé à Bridor pour créer des pains : forcément, cela donne une autre dimension à l'industriel.

Ah, l’un de nos « 140 meilleurs boulangers français » s’est associé à Bridor pour créer des pains : forcément, cela donne une autre dimension à l’industriel.

Le « show » a été assuré, la messe est dite. La bulle grossit doucement, et sincèrement, j’en viendrais presque à espérer qu’elle éclate, et que les consommateurs se tournent à nouveau vers des offres plus saines et honnêtes. A noter que cela n’est pas impossible, certaines enseignes et artisans y parviennent très bien : à Paris, cojean a bien fondé son succès sur cet engagement de qualité, de goût et de fraicheur. Côté boulangers, de nombreux artisans proposent sandwiches et en-cas artisanaux et respectueux de leur promesse d’authenticité. Fort heureusement, tout n’est pas perdu.

La société humaine agit bien souvent sans disposer du recul nécessaire pour mesurer la portée et les risques que peuvent impliquer ces actes. Disons que cela doit sans doute faire partie du processus menant au « progrès » : une prise de risque sans trop penser aux conséquences potentielles afin d’avancer… oublier un peu la peur liée à l’inconnu. Malheureusement, cela peut donner lieu à des accidents de parcours qui font date dans l’histoire. C’est ainsi. Je crois en réalité que le pire est atteint quand le mal se produit insidieusement, au fil du temps, ce qui le rend bien moins visible, comme insaisissable.

En matière de santé humaine, les exemples sont légion. Entre scandales liés à des médicaments peu fiables, d’autres liés à des médecins peu soucieux de la portée de leurs actes… La partie émergée de l’iceberg, en quelque sorte. Pourtant, au quotidien, c’est dans nos assiettes que la partie se joue, l’alimentation devant être « notre premier médicament », se transformant peu à peu en notre premier poison.
Il faut dire que la course à la productivité et aux rendements n’a pas échappé au secteur de l’agro-alimentaire. Matières premières de qualité douteuse, additifs variés, conservateurs, tout est bon pour maximiser les profits. Nous sommes en plein dans le sujet avec la récente mise en lumière d’une fraude à l’étiquetage de viande bovine. Les consommateurs ont été trompés, mais il me semble qu’ils continuent à l’être de façon tout à fait légale.

C’est le cas dans le pain, notamment. On nous promet des baguettes de Tradition dépourvues d’additifs, pourtant ce n’est pas tout à fait le cas. Les farines connaissent depuis bien longtemps un ensemble de « corrections meunières » qui visent à faciliter le travail des artisans boulangers. Elles permettent en effet de limiter les variations de propriétés, et donc de recettes, entre les récoltes de blé. Parmi ces manipulations, on compte l’ajout de gluten sec, riche en protéines, ce qui permet de faciliter la pousse du produit… Oui, mais le problème, c’est que ces derniers seraient mal tolérés à long terme par nos organismes. En réalité, j’ai été particulièrement sensibilisé au sujet, car on m’avait à un moment diagnostiqué une éventuelle intolérance – légère – au gluten. Même si des examens complémentaires ont montré que ça n’était pas le cas, la question s’est posée pour moi de savoir si la consommation de l’ensemble de ces pains, à la farine de qualité parfois douteuse, ne pouvait pas entrainer une telle situation à plus ou moins long terme.

Bien sûr, il ne s’agit pas de tirer sur l’ambulance : ces corrections sont malheureusement nécessaires pour nombre d’artisans, peu intéressés par leur métier et recherchant avant tout une farine facile à mettre en oeuvre, avec des garanties « solides » sur le résultat. Pour d’autres, c’est tout le contraire : ils aiment se poser des questions, acceptent le caractère vivant de la matière première et prennent plaisir à la travailler. Ces derniers peuvent ainsi se tourner vers des fournisseurs en phase avec ce mode de pensée, comme c’est le cas pour des petits moulins, à l’image de Roland Feuillas à Cucugnan, chez qui l’idée même d’une manipulation de son fait est inenvisageable. D’autres parviennent à commander une farine « sur mesure », comme Dominique Saibron ou la Maison Pichard. Tout est une question de volume et de volonté.

Sur l'étiquette de ce "clafoutis aux cerises" fabriqué en industrie, le gluten ajouté est bien mentionné.

Sur l’étiquette de ce « clafoutis aux cerises » fabriqué en industrie, le gluten ajouté est bien mentionné.

En définitive, ce qui demeure pour moi le plus choquant là dedans est le fait que le consommateur soit très mal informé sur ces sujets, alors que cela concerne sa santé. Difficile de savoir en boulangerie artisanale quels traitements a reçu la farine, même s’il s’agit de Tradition. Certains artisans ne le savent pas eux-mêmes… La situation serait presque moins floue en industrie, où les compositions des produits sont parfois très détaillées : ainsi, je lisais récemment sur un paquet de biscottes la mention précise de gluten ajouté. On peut ainsi réaliser son choix en connaissance de cause, même si la question des « risques » à long terme reste posée. Rendez-vous dans quelques années…

Billets d'humeur

07
Fév

2013

Traité de bêtise humaine

24 commentaires

Si l’on m’avait dit qu’écrire sur le painrisien serait une activité aussi mouvementée et « dangereuse », je ne sais pas bien si j’aurais commencé un jour. Peu importe, après tout, j’assume parfaitement ma liberté de ton et mes prises de position parfois mal acceptées par des professionnels de la boulangerie.

Il y a eu des épisodes désagréables : des mots un peu plus hauts que d’autres, des lettres d’avocat, des coups de fil enflammés. Pour autant, j’osais croire que j’avais en face de moi des personnes sensées, avec lesquelles une discussion adulte et constructive pouvait être menée. Je m’étais visiblement trompé – mais comme à chaque fois, j’apprends de mes erreurs.

Pour ne rien vous cacher, si j’écris aujourd’hui cet article, c’est parce que pour la première fois j’ai été menacé directement et physiquement par le propriétaire d’une des boulangeries que j’ai visité. Mécontent de l’article rédigé à son sujet, il avait jugé bon d’envoyer une lettre par le biais de son avocat, demandant le retrait de l’article en question. Je crois sincèrement en la liberté d’expression et de critique. C’est pour cela que je n’ai pas accédé à cette demande. Les faits en étaient resté là jusqu’alors. Puis il y a eu cette demande de rendez-vous bien étrange, dont j’ai rapidement compris les motivations réelles. Cela ne m’a pas empêché de m’y rendre : je ne suis pas caché derrière mon ordinateur, et je suis donc parfaitement identifiable… Un peu trop, il faut croire, mais qu’importe.

Passons sur les menaces de me « retrouver et de me casser la gueule ». J’ai bien compris que j’avais affaire à des personnes dont les affaires ne devaient visiblement pas être dérangées, et que nous étions bien loin d’une idée vertueuse et positive de la boulangerie comme je la défends. Le constat est en définitive celui d’une grande bêtise humaine, face à laquelle j’aurais bien du mal à combattre. Pour la première, et j’espère la dernière, je plie. Article hors-ligne, la faiblesse de ces arguments aura finalement gagné, malheureusement. Je ne suis pas encore prêt à payer de ma personne à ce point là, même si cela va profondément à l’encontre de mes idéaux et que j’avais une autre idée du monde. Que voulez-vous, difficile d’être un rêveur.

Le painrisien est un peu comme un roseau, en définitive. Il a plié, certes, mais il ne casse pas. Continuons à marcher…

Billets d'humeur

04
Fév

2013

Il est beau, mon congélo

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Même si ces dernières années ont vu marquer le retour à la « tradition » en ce qui concerne les pratiques de fabrication du pain, il faut savoir vivre avoir son temps et recourir à des technologies modernes. D’ailleurs, les « chambres de pousse » en font partie et permettent de faciliter le travail du boulanger en régulant l’activité de la pâte, tout en offrant la possibilité de réaliser des temps de fermentation très longs, nécessaires pour obtenir un pain savoureux et de qualité (conservation, texture, etc.).

Parmi les outils fortement utilisés dans les laboratoires, on compte le… congélateur. Vous savez, ce fameux ami qui permet de, selon la terminologie utilisée, « bloquer » les pâtes, « passer au dur », ou tout simplement et prosaïquement de… congeler. Le froid négatif a fini par avoir une image tout aussi peu reluisante que son nom, car il est souvent rattaché à des produits industriels. En effet, difficile de transporter viennoiseries, pâtisseries et autres gourmandises que sous forme congelée… pour autant, ce n’est pas la seule utilisation que l’on peut faire du processus, et nos artisans sont amenés à y recourir pour les produits issus de leur fabrication.

A cela plusieurs raisons : dans certains cas, elle peut être technique : en pâtisserie, les pièces moulées ou floquées doivent nécessairement passer en dessous des 0°C, ne serait-ce que pour des questions de tenue et de consistance. Ensuite, il est souvent question d’organisation. Quand l’entreprise grandit et ouvre plusieurs points de vente, la logique de rationalité suggère de regrouper des postes plutôt coûteux : ainsi, la viennoiserie peut être réalisée dans un seul fournil puis envoyée dans les autres boutiques, où elle sera cuite. Rien de bien répréhensible là dedans, puisque cela permet au contraire une meilleure uniformité de résultat entre adresses, et ainsi une plus grande satisfaction de la clientèle. De plus, les produits restent fabriqués « maison », avec – on l’espère ! – des matières premières sélectionnées et une attention toute particulière portée au goût et à la qualité.
A l’inverse, les plus petites boulangeries pourront y recourir pour des questions d’organisation : difficile de se consacrer au tourage tous les jours dans un espace restreint et avec des moyens humains tout aussi limités. Si tout cela est réalisé avec soin et dans de bonnes conditions, la qualité du produit n’en est pas altérée.

Des viennoiseries industrielles et surgelées à la mise en scène alléchante

Des viennoiseries industrielles et surgelées à la mise en scène alléchante

Là où cela se gâte, c’est quand la technologie est mise au service de pratiques discutables. Bien entendu, la première qui nous vient à l’esprit est celle que j’ai évoqué plus haut, le recours à des produits industriels. Ce n’est malheureusement pas la seule : certains l’utilisent ainsi pour « bloquer » des douceurs et les remettre en vente le lendemain… La surgélation de pâtisseries déjà finies et décorées n’est vraiment pas souhaitable, mais dans ce cas, c’est pire : certaines des bases utilisées (inserts de fruits, notamment) ont parfois déjà subi un processus de décongélation. Les risques sont donc élevés en bout de chaine, mais cela ne semble pas être la préoccupation première pour les « brebis galeuses » que compte – comme toutes les autres, d’ailleurs – la profession.

Ces donuts ne sont pas sans rappeler ceux que l'on retrouve fréquemment en boulangerie artisanale...

Ces donuts ne sont pas sans rappeler ceux que l’on retrouve fréquemment en boulangerie artisanale…

Il y a aussi d’autres excès, plutôt anecdotiques et finalement lassants au quotidien. Par exemple, on trouve encore dans les vitrines de certaines maisons (dont certaines réputées) des… parts de bûche de Noël. Nous sommes début février, je crois que la saison est passée depuis quelques semaines. Seulement, hors de question de perdre des « trottoirs », comme on les surnomme dans le jargon… Peut-être aurait-il mieux valu faire preuve d’un peu plus de clairvoyance en amont, en limitant les quantités produites plutôt que d’en faire trop. Au final, cela traine dans les congélateurs, et je n’ose pas imaginer depuis combien de temps : la préparation des fêtes débute bien souvent dès la rentrée de septembre, en phase avec les diverses présentations presse que connaît le milieu. Le goût est un peu amer, même si cela tient plus d’une impression générée par l’esprit que d’un ressenti réel.
Je crains d’ailleurs que l’on puisse faire le même constat pour les galettes des Rois, qui risquent fort de nous être servies encore quelques temps. Au final, plus de saison (en terme d’ingrédients, comme les fruits, mais aussi de produit fini !) et des habitudes de consommation toujours plus étranges. Il est beau, mon congélo, tiens.

Ne reculons devant rien : la gamme s'étend aussi du côté des pains, et notamment pour la restauration rapide.

Ne reculons devant rien : la gamme s’étend aussi du côté des pains, et notamment pour la restauration rapide.

Billets d'humeur

15
Jan

2013

Solitude

12 commentaires

La vie est faite de sentiments plus ou moins agréables. De journées plus ou moins longues. De périodes plus ou moins difficiles. Il m’arrive rarement de m’asseoir, de me reposer un peu, de regarder passer le temps et les gens. Toujours à courir après l’instant d’après, je finis inévitablement par ressentir une certaine… solitude.

Solitude parmi les autres, en définitive, puisque je rencontre souvent des personnes intéressées par mon travail, des personnes qui me reconnaissent ou qui me manifestent leur sympathie… ou leur antipathie, au choix. En définitive, ces échanges ne demeurent qu’éphémères et quelque peu superficiels, limités à des sujets précis. Je ne comprends pas le monde autant qu’il ne comprend pas. Certains me voient comme un grand passionné de gastronomie, de produits fins, de pain… comme si cela constituait pour moi une finalité, un moyen d’accomplissement. Il y a erreur, en réalité, car je ne considère tout cela comme des moyens de s’échapper un peu, d’apporter des notes de couleur dans des journées parfois bien grises, dans un monde triste et répétitif.

Face à la mer... La solitude est parfois belle, aussi.

Face à la mer… La solitude est parfois belle, aussi.

Solitude dans mon « travail », puisque je suis auteur d’un blog et rien de plus, je n’ai pas d’entourage professionnel et j’accomplis chaque jour une tâche dont la finalité pourrait paraître bien obscure en définitive… J’aimerais pourtant faire plus, mettre au service d’une communauté, d’une entreprise, mes compétences et mon envie de développer des projets qui feraient que, justement, des gens puissent se sentir moins seuls dans leurs attentes et besoins… tout simplement en portant une attention particulière aux détails, à la qualité, aux attentions que l’on porte à chacun. Pour du pain ou pour quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs.

Solitude dans ma démarche de painrisien, puisque je n’ai pas vraiment l’impression que ma démarche soit vraiment partagée ni ne mène vraiment quelque part. Sur le long terme, difficile de tenir une position où l’on ne trouve pas de quoi se dire que l’on va dans la bonne direction… En plus des méprises profondes sur mes intentions ou motivations.
Au final, nous partageons tous nos solitudes. C’est sans doute pour cela qu’elles sont aussi pesantes à long terme : les unes écrasent celles des autres en s’exprimant, et le tout serait peut-être plus vivable si elles se faisaient plus discrètes… d’où une tentation certaine de s’isoler et de rechercher le calme, le vrai, le simple. A l’abri du bruit du monde.

Jardin des Personnalités, Honfleur... Un jour de forte houle.

Jardin des Personnalités, Honfleur… Un jour de forte houle.

Ne voyez pas ici une quelconque plainte, une volonté de rejeter ce fait sur le reste du monde. Sans doute en suis-je responsable, sans doute mon état physique ont participé à instaurer une situation pour laquelle les issues paraissent bien lointaines… les distances s’élargissant avec le temps et l’usure, d’ailleurs.

Billets d'humeur

08
Déc

2012

Retour en terre boulangère parisienne

Les vacances, c’est bien, mais il faut aussi en revenir. Une semaine en trois ans, je crois ne pas avoir abusé des bonnes choses. Malgré le temps cahotique, je serais bien resté encore un peu admirer ces plages, profiter un peu de l’air marin. C’est ainsi.
De retour en « terre boulangère parisienne », on peut mieux profiter de la chance que nous avons ici de disposer d’un grand nombre d’artisans talentueux et passionnés.

A Deauville, la Boulangerie de l’Avenir reste sans doute ma plus forte recommandation : une baguette Rétrodor de qualité, un pain Brié aux délicieuses notes salées ainsi que quelques gourmandises accompagnées d’un accueil charmant, voilà qui créé un environnement agréable !

En Province, moins d’habitants et donc moins de boulangers. Un seul, parfois deux, tout de même un peu plus à Deauville où j’étais en villégiature. Il suffit qu’ils soient peu intéressés par leur métier pour être condamnés à du pain médiocre, ainsi que bien souvent à des gourmandises industrielles. Dès lors, difficile de se plaindre du développement des rayons « boulangerie » en grande et moyenne distribution.

Au delà de la qualité, il y a aussi un vrai déficit en terme de créativité et de remise en question : la plupart du temps, on retrouve des produits similaires chez l’ensemble des artisans, la faute à l’influence des réseaux boulangers. Les spécialités locales sont tout de même présentes, sans bénéficier d’une attention particulière ni d’une mise en avant correspondant à ce qu’elles mériteraient : il y a pourtant là un savoir-faire et une tradition à défendre. Je ne suis même pas certain qu’en définitive la clientèle locale ait à coeur de maintenir ces produits dans leurs boulangeries, cela tenant plus d’un intérêt de touriste de passage, venu découvrir les charmes d’une localité.

Bref. Le painrisien que je suis, ou plutôt que je suis devenu par la force des choses, se dit inévitablement qu’il y a des choses à faire dans ce vaste territoire et qu’il serait sans doute intéressant d’y passer un peu plus de temps, de creuser la question pour faire en sorte que des initiatives prises par des boulangers « locaux » prennent de l’ampleur et servent d’exemple pour un renouveau progressif dans nos régions. Je suis inévitablement tenté par ce challenge et il faudra sans doute que je m’y intéresse de façon plus poussée et sérieuse… à suivre.

Revenir à Paris, c’est aussi reprendre pied avec les actualités qui font que cette ville est aussi passionnante. Je vous avais parlé d’ouvertures à venir, et c’est avec grand plaisir que je suivrai celle de Gontran Cherrier à Saint-Germain-en-Laye ce lundi, ou encore des « Eclairs de Génie » de Christophe Adam en plein coeur du Marais. Les fêtes approchent à grand pas et les températures hivernales invitent des pains aux arômes marqués dans les présentoirs de nos boulangeries : le seigle est toujours à l’honneur pour accompagner les plats de fête, parfois agrémenté de citron ou de fruits secs. Il ne faudra tout de même pas manquer de varier les plaisirs avec des créations à la châtaigne, aux noisettes ou autres plaisirs d’hiver…

Le painrisien est donc de retour, avec sans doute quelques surprises dans les cartons pour les semaines à venir !

On vit une époque formidable. Une époque où l’individualisme est poussé à ses extrêmes, tout en développant les fantastiques facettes narcissiques de l’être humain. Réseaux sociaux, blogs, Twitter… on cherche à développer sa « marque personnelle », à exister en dehors de tout groupe social ou entité, qu’elle soit privée ou publique. Au delà de ça, de ces actions qui relèvent tout de même d’un certain bon sens, les nouvelles technologies ont aussi développé de véritables comportements déviants… qui n’a jamais vu un homme ou une femme se prendre en photo avec son téléphone portable, en ayant pris soin de choisir une « pose » le ou la mettant en valeur ? La suite logique étant de placer ce cliché en fond d’écran du dit appareil de communication.

Bref. Au delà de ce qui se passe dans la sphère privée, le plus triste est sans doute que le travail de chacun en est affecté. Même combat : nos chefs tentent de se faire une place au soleil, à faire de leur nom une véritable marque. En cuisine, en pâtisserie, et pour certains en boulangerie. Certes, le partage existe, mais il passe surtout par quelques ouvrages vendus en librairie, le quotidien pour leurs équipes et collaborateurs ayant tendance à être bien plus difficile. Il faut servir l’égo et le prestige, ce qui implique un niveau d’exigence parfois démesuré.

Un guide des meilleurs… payeurs.

Au final, ces questions d’égo finissent en histoires d’égouts. Ainsi, on paie pour faire partie des « meilleurs » commerçants dans des guides un peu crapuleux, ou alors on se concentre sur quelques concours destinés à mettre en avant les talents d’une profession. Il n’y a qu’à voir les résultats des concours (nous venons encore de vivre une superbe « saison des concours » – sic!) organisés par le Syndicat de la Boulangerie-Pâtisserie d’Ile-de-France : on y retrouve souvent les mêmes noms, peu importe les catégories. Cette forme de hold-up sert sans doute l’égo de ces artisans, mais rarement leur clientèle : le quotidien est généralement moins rose, j’en suis malheureusement l’un des témoins.

Pensez-vous, la simple clientèle ne va pas faire de classement, aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, médiatiser le savoir-faire de son boulanger. Tout au plus pourra-t-il en parler à sa famille, à ses voisins. Négligeable.
Ce qui est plus intéressant, pour ceux qui en ont les moyens, c’est de viser les journalistes, les blogueurs, toutes ces personnes qui sont heureuses, à leur tour, de se voir flatter leur égo au travers de présentations, dégustations et autres portages qui ont tendance à tourner à l’orgie plutôt qu’à la réflexion constructive autour du travail réalisé par le chef et son équipe. En dehors de ces sympathiques événements « organisés », certains vont plus loin et mettent en avant leur statut de « blogueur » dès qu’ils en ont l’occasion. Cela devrait-il leur donner une importance particulière, une légitimité à juger du travail des autres ? Créer un blog, cela prend à peine 10 minutes, ne nécessite – dans la plupart des cas – pas de compétence technique… bref, en quelques instants, on s’offre un beau moyen de flatter son égo.

Heureusement, certains passionnés sortent des égouts et agissent tous les jours dans un bel esprit de droiture et d’honnêteté. Envers eux-mêmes, tout d’abord, mais aussi envers les autres. Partager et chercher à construire dans la différence et non pas dans l’indifférence représente un chemin difficile au sein d’une société où l’uniformité, l’apparence et l’absence de prise en compte de l’humain seraient presque érigés en valeurs morales. Courage, il y a de beaux tableaux en couleur à peindre.

Billets d'humeur

20
Nov

2012

La Boulangerie de mes rêves

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Il paraît que nous avons tous des rêves d’enfant. Pour certains, ce sera autour d’une profession. Vétérinaire pour les uns, joueur de football pour les autres, mêmes si des souhaits plus originaux s’invitent à l’horizon, comme danseuse (ou même danseur !) étoile, sculpteur entre autres métiers artistiques… Quant à moi, j’aspirais à devenir agent de conduite ferroviaire. Rien de bien glamour, mais une idée de faire avancer les gens, physiquement et pas dans la pensée dans ce cas précis, et de voir un peu de pays. Depuis, je crois que j’ai un peu oublié mes rêves d’enfant, que je suis devenu une grande personne. Vous savez, quelqu’un qui a renoncé, à force de temps et d’événements.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne rêvais sans doute pas de boulangeries. Rien ne m’y invitait vraiment, d’ailleurs, n’étant pas entouré de personnes appartenant à cet univers. La vie prend parfois des virages bien étranges, et aujourd’hui je me prends à la rêver, cette fameuse boulangerie.

Pourrait-on vraiment la faire entrer dans une simple boutique ? Rien de moins sûr, puisqu’elle inclut aussi bien une vision de la filière que de la production quotidienne. Les deux n’en sont pas moins liés, et j’aime à croire que le dernier maillon de la chaine pourrait tout à fait renverser la vapeur.

Saurez-vous reconnaître ce détail d’une des boulangeries parisiennes qui participe à « mon rêve » ? En tout cas, elle nous fait prendre de la hauteur, voir autre chose…

Une Boulangerie, avec un grand B, non pas celui vendu de façon éhontée par la confédération, mais plutôt gagné par la vertu de ses engagements. Cela se joue tout d’abord sur le plan environnemental : nous ne devrions pas accepter d’utiliser des céréales dont la production épuise les terres autant que les hommes qui les cultivent. Ainsi, dans mes rêves, les boulangers auraient à coeur de mettre en oeuvre des farines de haute qualité.

L’effet immédiat pour leurs clients serait à chercher du côté du goût : la matière première finit toujours par s’exprimer, et c’est pour cela qu’elle doit représenter un préalable, placé avant toute autre réflexion. Aller plus loin que le « Bio », dans tous les cas.
Malgré cet engagement, la Boulangerie ne devrait pas moins en rester rêveuse, un peu vagabonde, ouverte sur les goûts et cultures. Inscrite dans un perpétuel refus des codes et principes, elle devrait se remettre en question de façon perpétuelle pour toujours intéresser le consommateur et lui donner de quoi éclairer ses tables et repas.

Ouverte à tous points de vue, d’ailleurs, et notamment sur le plan social, en s’intégrant réellement dans la communauté qui l’entoure et en participant à son développement : l’artisanat est un métier noble, pouvant offrir de nombreuses perspectives à des publics parfois en difficulté. Je crois en sa capacité d' »ascenseur social », encore faut-il seulement accepter d’intégrer couleurs et ethnies sans frein ni à priori.
En bref, c’est le partage qui doit primer et la Boulangerie de mes rêves aurait à coeur de transmettre du savoir auprès d’apprentis et même ouvriers, toujours en quête de nouvelles connaissances.

La Boulangerie de mes rêves serait tout simplement un lieu de vie simple, où chacun aurait plaisir à venir, sans douter un seul instant de son honnêteté et de la qualité de ses produits. Un lieu clair, lumineux, transparent, où l’industrie n’aurait pas sa place, mais seulement le dialogue, l’échange. Bien loin des petits secrets habituels de la filière…

Des artisans donnent vie à mon rêve chaque jour, bien sûr, tout n’est pas parfait et c’est sans doute pour cela que je continue inlassablement à écrire, pour chercher à faire mieux, ou tout simplement à faire vivre mon rêve et celui de quelques-uns… dont l’objectif se résumerait simplement à proposer un pain « comme vous n’en n’aurez jamais vu… ». Boulangerie sait définitivement rimer avec poésie, dès lors qu’on s’en donne la peine.