Mes relations avec les boulangers sont parfois un peu compliquées. Certains lisent probablement mes critiques sur leur établissement en silence, sans réagir, tandis que d’autres préfèrent faire entendre leur voix en réponse aux divers points que je peux soulever dans mes billets, publiquement ou directement par email ou téléphone. Cela peut donner lieu à des échanges vifs et passionnés, parfois intéressants, parfois beaucoup moins…

Dans le cas de la Fournée d’Augustine, c’est Pierre Thilloux lui-même qui m’a contacté afin de me proposer de le rencontrer pour mieux découvrir et comprendre le fonctionnement de son entreprise.
Rendez-vous était donc pris au 96 rue Raymond Losserand, dans le 14è arrondissement. Cette boulangerie est en effet la première de ce qui est maintenant une des « enseignes » de la boulangerie parisienne. Ouverte en 2001, elle reste encore aujourd’hui le « bébé » de l’entreprise, comme me la décrivait l’artisan.
Agé d’à peine 20 ans à l’époque de son installation, Pierre Thilloux a repris cette boutique dont personne ne voulait, étant l’une des plus petites boulangeries de la rue, déjà bien dotée en boutiques de ce genre. A force de travail et d’implication, il reçoit le premier prix de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris en 2004, ce qui représente pour lui une opportunité de développement et de notoriété, après avoir bien failli arrêter quelques années plus tôt.

Le four, visible au fond de la boutique

Le décor n’a pas vraiment changé, nous sommes toujours ancrés dans la boulangerie à l’ancienne telle que souhaitée initialement. Les nouvelles boutiques ont évolué en terme de concept, pour des raisons économiques : le parquet, les vieux meubles, les jolis vases… coûtent cher à entretenir, en plus de ne pas être foncièrement adaptés à une activité aussi intense que peut l’être la boulangerie. C’est assez dommage, car nous en arrivons à des boutiques assez aseptisés et sans âme, mais il faut parfois faire des choix « modernes » pour permettre à l’entreprise d’avancer. D’autant que la pression des services vétérinaires est très forte sur les boulangeries, et qu’il est aujourd’hui difficile de se laisser aller à la moindre fantaisie, qui pourrait représenter un danger potentiel pour la clientèle. Pour Pierre Thilloux, cela représente un véritable péril pour les artisans boulangers, qui ne disposent pas des moyens -humains et financiers- nécessaires pour respecter l’ensemble de ces normes très contraignantes.

Il tente néanmoins de les respecter au mieux, au sein de cette entreprise de 70 salariés (et dire que tout cela a commencé avec 3 personnes en 2001 !), même si c’est parfois au détriment du goût. Un exemple parmi d’autres : la Fournée d’Augustine réalisait précédemment sa propre moutarde pour l’assemblage des sandwiches. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, en raison des « risques sanitaires » que cela représentait. Pour le consommateur, c’est une perte, car le produit standardisé utilisé désormais est loin d’avoir autant de goût…

Des baguettes sorties du four : on reconnaît l'utilisation de la Paneotrad aux extrémités

Revenons-en à des choses plus intéressantes pour le palais, justement. Parlons un peu de cette fameuse baguette primée. Réalisée à partir d’une pâte hydratée à 72%, avec incorporation de 3g de levure par kilogramme de farine, elle bénéficie d’une fermentation minimale de 24h pour développer ses arômes. La farine utilisée est fournie par les Moulins Fouché, installés en Essonne, et faisant appel uniquement à des blés cultivés dans un court rayon autour du moulin. Une démarche qui a du sens pour M. Thilloux, attaché à la défense de circuits courts et respectueux de l’environnement. La baguette est façonnée grâce à une machine Paneotrad de chez Bongard, comme j’avais pu la décrire à Nantes chez le couple Marché. Cela apporte beaucoup en terme de flexibilité et décharge les boulangers de ce travail assez laborieux.
Ici, pas de levain. Les pains spéciaux sont travaillés sur pâte fermentée, la baguette de tradition uniquement sur levure. A cela plusieurs raisons : un levain reste difficile à entretenir, ce qui serait d’autant plus vrai sur plusieurs boutiques comme dans le cas de la Fournée d’Augustine, de plus, son acidité caractéristique n’est pas vraiment au goût de l’artisan et d’une bonne partie de sa clientèle.

Des escargots au chocolat en préparation, avec le fidèle laminoir

Malgré cette multiplication et ce développement, Pierre Thilloux est resté attaché au maintien d’une dimension artisanale dans la réalisation des produits. Les recettes n’ont pas ou peu évolué au fil du temps, même s’il a fallu procéder à des ajustements techniques. Le tourage est par exemple centralisé à Rungis, où l’entreprise possède des locaux performants et répondant bien aux exigences législatives. Une grande partie demeure réalisée au sein de chaque boulangerie, à commencer par le pain bien entendu, mais également une partie des pâtisseries ou encore les produits salés, tels que les sandwiches.
L’objectif est de toujours rester conforme à l’esprit artisanal tel que développé initialement, ne serait-ce que par respect pour ses ancêtres… en effet, Augustine n’est autre que la Grand-Mère de M. Thilloux, et il ne saurait transiger avec cette exigence. S’il a souhaité continuer le développement de son entreprise, c’est parce qu’il considère qu’il n’est plus possible aujourd’hui de rester « stagnant », car cela représente le risque de se voir contraint à terme de baisser le rideau, une chose qu’il ne concevrait pas, autant pour lui que pour ses salariés.

Au laboratoire, on oeuvre pour préparer les gourmandises...

Aujourd’hui, ce boulanger aime encore profondément son métier, et avoue volontiers qu’il ne se verrait pas faire autre chose. Certes, on peut lui reprocher d’avoir voulu grandir et d’avoir étendu sa marque sur la région parisienne. Cependant, je dois lui reconnaître le mérite de l’avoir fait en gardant des principes et en tentant de conserver une certaine identité. Sa dernière boutique, située rue Vavin, est certainement l’une des plus « modernes », avec ses caisses automatiques et son aménagement assez standardisé. Regrettable, certes, mais pas sans raisons : l’hygiène et la sécurité face aux vols justifient ces choix. Cela n’empêche pas l’entreprise de continuer à faire des efforts pour proposer des thématiques autour des différents événements gourmands de l’année. Ainsi, Noël 2011 était placé sous les couleurs de l’Italie, avec un décor et des créations en rapport avec ce thème.

La Fournée d’Augustine n’est pas parfaite, ce n’est pas la prétention de Pierre Thilloux, et fort heureusement d’ailleurs. Pour autant, il s’agit de rester objectif et de reconnaître le travail réalisé au quotidien par les équipes de cette entreprise, permettant de proposer des produits accessibles (la baguette de tradition est, je le rappelle, proposée à 1 euro rue Raymond Losserand, pour un beau produit !) et frais.

Les intolérances alimentaires sont toujours difficiles à vivre pour ceux qui les subissent. Privations, contraintes dès lors que l’on doit manger à l’extérieur, et surtout terrible sentiment d’injustice, puisque cela est tombé sur eux sans qu’ils ne demandent rien à personne. Elles sont malheureusement de plus en plus fréquentes, avec l’apparition de nombreuses allergies et pathologies jusqu’alors ignorées. Ainsi, les gammes dédiées à ce public dans la distribution se sont grandement élargies ces dernières années.

Pour autant, il restait difficile pour les gourmands de trouver des pâtisseries fraîches pour les intolérants au gluten. Le gluten est en effet présent dans la plupart des farines, dont celle de blé, utilisée en général pour la réalisation des pâtisseries. Il ne leur restait que les macarons et quelques produits à base de chocolat ou d’amande… Ce qui finissait  rapidement par faire bien peu, et à provoquer beaucoup d’ennui.
Or, la gourmandise est justement un univers où l’on devrait bannir l’ennui. C’est ce qu’on bien compris les créateurs d’Helmut Newcake, un jeune salon de thé installé rue Bichat, dans le 10è arrondissement. Les sympathiques Marie et François oeuvrent depuis fin décembre dans cet espace aménagé avec goût et orné d’une bien belle verrière, où il sera certainement bien agréable de passer du temps au printemps et en été.

Dans le couple, c’est Madame la chef, et son passage en tant que pâtissière chez Lenôtre lui a permis d’asseoir les compétences qui lui permettent aujourd’hui de proposer une gamme sucrée adaptée aux allergiques. Une vraie chance pour eux, car il leur était jusqu’alors bien difficile de déguster des religieuses, tartes au citron meringuées, choux ou autres cheesecakes proposés ici. Le secret ? Utiliser des farines de châtaigne, de riz, ou encore de quinoa, exemptes de gluten. Il est également possible de commander des produits sans lactose.
A côté de l’offre sucrée, divers plats du jour sont proposés, obéissant toujours à la règle imposée chez Helmut Newcake, l’absence de gluten. Ainsi se succèdent des créations originales, telles qu’un risotto d’asperges et bouillon de légumes, poulet et nouilles de riz à la citrouille, un wrap chaud de poulet, salade, tomates, sauce au yaourt et menthe ou encore du Cabillaud, accompagné d’une compotée de tomates et pommes de terre charlotte tournées au beurre… C’est simple, frais et plutôt bien vu.

On notera également la présence d’une sélection d’épicerie fine, avec des produits plutôt rares et difficiles à trouver en France, dont certains sont importés tout spécialement pour l’endroit. Thés, céréales… un assortiment idéal pour prolonger la gourmandise chez soi, sans risque d’allergie.

La force de cette petite entreprise est très certainement son dynamisme et sa volonté de satisfaire les gourmands « sans gluten », habituellement contraints à un régime plutôt morose, même si cela a tendance à s’améliorer. Bien sûr, il serait difficile de prétendre proposer des produits au visuel irréprochable – difficile de réaliser une belle pâte à chou avec des farines sans gluten ! – mais l’essentiel se situe du côté des saveurs, qui sont présentes comme elles doivent l’être. Les prix sont, de plus, tout à fait raisonnables.

Un brunch sera proposé à compter de début Février, une initiative intelligente, compte tenu que ce plaisir du week-end n’était jusqu’alors que peu accessible à cette population. Ouvrir des perspectives de plaisir, voici une bien belle tâche !
Terminons sur l’accueil, tout à fait charmant, le couple a en effet à coeur de partager son univers et à participer à l' »épanouissement gourmand » de ce public assez particulier, bien que tout le monde soit invité à leur table. Signe qui ne trompe pas, leur adresse a rapidement fait parler d’elle chez les « influenceurs » de la gastronomie parisienne, en plus de quelques parutions presse.

Infos pratiques

36 rue Bichat – 75010 Paris (métro Goncourt, ligne 11) / tél : 09 82 59 00 39
ouvert du mardi au samedi de 12h à 21h, le dimanche de 10h à 18h.

Faut-il y aller ? Si l’on est intolérant au gluten et gourmand, bien sûr, c’est un incontournable. Si ce n’est pas le cas, on peut très bien se laisser tenter par les produits proposés ici, que ce soit pour les plats du jour ou même les pâtisseries, d’autant que le cadre et l’accueil sont fort sympathiques. Véritable coup de coeur pour la verrière, puits de lumière bien rare dans nos établissements parisiens.

Tout n’est pas rose dans les instances de la Boulangerie-Pâtisserie, loin de là. Sa confédération nationale, présidée depuis plus de 10 ans par Jean-Pierre Crouzet – 67 ans ! -, connaît certains « remous » dans son fonctionnement.
Ainsi, Amandio Pimenta, Président départemental de l’Allier et Président régional de l’Auvergne, a vu sa mission d’administrateur suspendue à la suite d’un vote où sa région n’a pas participé, ce qui a permis d’obtenir d’une unanimité assez honteuse.

Il ne semble pas bon de défendre une ligne de conduite allant à l’encontre des aspirations de ce président, dont la vision de la Boulangerie semble être plutôt dépassée. Parmi les dernières actions de cette fameuse confédération, on pourra citer la développement d’une nouvelle identité visuelle, que bien peu de boulangers semblent prêts à adopter… et pour cause, elle n’apporte définitivement rien de neuf et est, à mon goût, plutôt grotesque. On peut également citer la mise en place d’une mutuelle professionnelle, affiliée à l’organisme AG2R Isica … dont le même Jean-Pierre Crouzet est président. Il y a de quoi rester sans voix face à de tels conflits d’intérêt, d’autant que cet homme semble avoir pour habitude de cumuler responsabilités et mandats, au point que leur nombre dépasse celui des jours de la semaine. Dès lors, il semble bien difficile d’accorder à chacun l’attention nécessaire au suivi des dossiers.

Non pas que je porte une vision particulièrement négative sur nos ainés, mais je pense qu’il serait nécessaire que la confédération soit dotée d’une direction dynamique et entreprenante, car ce métier doit faire face à de nombreux enjeux capitaux pour son avenir : concurrence des industriels et de la grande distribution, questionnement sur la matière première et la qualité des blés, évolution de la qualité des pains, notamment vis à vis de l’incorporation d’additifs… Les sujets ne manquent pas, et ils ne peuvent être traités de façon cohérente et entière que si la profession toute entière parvient à faire corps pour avancer dans la bonne direction. Or, il serait bien difficile aujourd’hui de donner envie aux artisans boulangers de rejoindre cette confédération…

Amandio Pimenta, un artisan Meilleur Ouvrier de France, reconnu et passionné, exerçant ce métier depuis plus de 30 ans, exprime bien tout ce mal-être et ces difficultés dans une lettre ouverte publiée il y a quelques jours, que je mets à votre disposition à la fin de ce billet.
Il met notamment en avant l’action passée de certains présidents de la confédération, qui ont abouti à de belles avancées en leur temps. Comment ne pas parler du décret pain, de l’appellation « tradition française », qui ont permis de marquer un retour vers un bel artisanat boulanger ?
Aujourd’hui, cet organisme pourrait bien n’exister que pour lui-même s’il continue à être autant en décalage avec le quotidien des artisans oeuvrant dans leurs fournils. C’est un véritable danger, car qui d’autre pourrait faire « poids » et avoir une influence sur les décisions que peuvent prendre nos politiques ?

En cette année de présidentielles, le sujet est à prendre très au sérieux, et les candidats à l’élections devraient être sensibilisés au péril quotidien auquel sont exposés nos boulangers. Entre loyers, coûts de main d’oeuvre, augmentation du prix des matières premières… il est bien difficile de faire face à la concurrence déployée par de grandes entreprises, qui sont à même de réaliser des économies d’échelle et à amortir le coût de leurs outils de production. C’est bien ça la grande différence entre un artisan et un industriel : tandis que le premier oeuvre chaque jour de ses mains, créé à partir de son savoir-faire – ce qui ne pourra jamais être amorti sur le plan comptable -, le second se contente d’actionner des machines bien tangibles et matérielles, dont l’acquisition aura représenté un investissement pouvant être réparti dans le temps.
La boulangerie est profondément ancrée dans notre culture, et elle doit être défendue avec ardeur. Ce n’est pas possible dès lors que nous avons du temps à perdre dans de telles querelles, qui sont uniquement destructrices.

On retrouve là encore des questions de valeurs humaines, que certains semblent avoir perdu. Partage, écoute, sens de l’autre… Tout cela fait partie intégrante du pain, et ceux qui ne se sentent pas concernés par de tels mots ne devraient rien avoir à faire dans son quotidien et son avenir. Il n’est pas question d’intérêts personnels, mais bien du collectif, car cet aliment est d’une importance capitale. C’est ce que j’essaie de défendre ici au quotidien. Non seulement vecteur de plaisir simple et accessible (quoi de mieux que du bon pain sur une table ?), il participe également à l’équilibre nutritionnel de chacun… d’où la notion de « pain santé ». Pas sûr que ces fameux produits issus de l’industrie et vendus sous la même appellation soient tout aussi sains et bénéfiques à l’organisme, ne serait-ce que lorsqu’on lit la composition de ceux-ci et la profonde obscurité sur la qualité des farines, et plus généralement des matières premières.

Dans tous les cas, je ne peux que saluer l’initiative de cet homme, qui met là en avant des points cruciaux auxquels nous devons nous intéresser avec sérieux et implication. Cette démarche doit aussi impliquer les consommateurs que nous sommes, puisque c’est grâce à nous que les artisans peuvent continuer à exercer leur profession. D’où l’importance d’une information pertinente et objective…

Télécharger la lettre ouverte d’Amandio Pimenta et consulter le sujet dédié sur le forum du site Boulangerie.net

Rond, carré, rectangle, … en matière de forme de pâtisserie, on tourne souvent… en rond. Si, si, je vous assure. Il faut dire que les pâtissiers finissent par être tributaires de la créativité – ou en l’occurrence de l’absence d’inventivité – des fabricants de moules, dans lesquels ils vont réaliser leurs créations. Enfin, créations, le problème est que finalement les gâteaux se ressemblent parfois du fait des formes communes. C’est d’ailleurs assez amusant de rencontrer deux pâtisseries moulées de façon identique dans deux boutiques différentes.

Quand j’ai vu ce triangle chez Un Dimanche à Paris, j’ai été agréablement surpris. Voilà quelque chose d’intéressant, au moins. Un triangle équilatéral, trois côtés de même mesure, il fallait donc que le goût soit à la hauteur de cette perfection géométrique. Je dois dire que je n’ai pas été déçu, et que cette pâtisserie exprime bien tout le savoir faire et la finesse du chef Quentin Bailly. Ce dernier a d’ailleurs été nommé Capitaine de l’Equipe de France de Pâtisserie pour le mondial qui se tiendra en janvier prochain à Lyon. Profitons donc de cette occasion pour le féliciter, mais également à l’encourager à ne pas abandonner les gourmands parisiens que nous sommes.

Oui, Quentin, continuez à nous emmener en balade comme vous le faites si bien au travers de cette pâtisserie. Une balade automnale, certes en retard, mais il est toujours agréable de se promener par les sens et les papilles.
L’intitulé de cette création est assez long, mais c’est ce qu’il faut pour décrire les différents éléments la composant. Ainsi donc, nous trouvons dans ce fameux triangle une mousse au chocolat au lait, une mousse de marrons, des pommes en brunoise légèrement vanillées, un biscuit moelleux au cacao amer, une chantilly au caramel, des éclats de marron glacé et de sablé à la fleur de sel.
Cela pourrait paraître beaucoup, mais au final, un bel équilibre se créé entre les saveurs. La pomme vanillée et le marron s’associent harmonieusement, la première apportant une note acidulée à la douceur du second, et le chocolat au lait prolonge agréablement ces saveurs tout en restant assez discret, en n’écrasant pas le reste des parfums. Le caramel s’invite en légèreté vaporeuse sur le dessus et s’accompagne volontiers des éclats de sablé. Leurs pointes de sel relancent le plaisir, assaisonnent la pâtisserie et lui donnent une autre dimension en sortant du simple domaine du sucré, tout en apportant un peu de croquant. Les touches de marron glacé fondent en bouche et renforcent la douce saveur vanillée de ce fruit d’automne. Le biscuit moelleux au cacao n’est pas très présent, mais il complète bien la pomme.
En dessous, une plaque de chocolat au lait apporte à son tour un contraste de textures intéressant, de par son craquant et sa finesse.

Au final, c’est un dessert fin, léger et d’une belle fraicheur fruitée qui s’offre à nous, il se déguste lentement, on prend plaisir à associer ou dissocier les différents éléments, car ils sont tous exécutés avec beaucoup de soin et expriment des saveurs agréables. Ces caractéristiques se retrouvent généralement dans les créations de Quentin Bailly, qui parvient à proposer des tartes, entremets ou choux assez équilibrés et travaillés, en plus d’être visuellement attirants. La clientèle ne s’y trompe pas, car elle est sans cesse plus nombreuse et les espaces de dégustation sur place rencontrent un vif succès. Si vous souhaitez profiter de votre douceur dans les meilleures conditions, je ne peux que vous conseiller un arrêt au Lounge, installé à l’étage, et ouvert de 16h à minuit. Des sièges confortables, une ambiance calme et détendue, rien de mieux pour se laisser aller au plaisir de la dégustation.

Duo Pomme Granny-Marron, Un Dimanche à Paris – Paris 6è, pâtisserie individuelle proposée à 5,8 euros la pièce à emporter.

En matière de salon de thé parisien, on peut distinguer plusieurs styles et plusieurs époques. Il y a du classique « façon grand-mère », un peu embués dans un caractère suranné et hors de temps, d’autres assez traditionnels mais teintés d’un semblant de modernité, façon années 80, mais aussi des endroits plus modernes, parmi les derniers nés généralement.

Dans le 16è arrondissement, ces derniers n’ont pas vraiment le droit de cité, mis à part peut-être celui de la Pâtisserie des Rêves, et il faut se contenter de maisons assez traditionalistes, empruntant souvent un peu du mauvais goût de l’époque tout en restant inscrit dans le passé. A mon sens, c’est tout à fait le cas de Carton, dont je souhaitais traiter aujourd’hui.
Sur l’avenue Victor Hugo, deux boulangeries-salon de thé tiennent la place et se partagent la clientèle, à quelques mètres l’une de l’autre. J’ai déjà eu l’occasion de parler de Béchu, quoi de plus normal que de s’intéresser à son confrère. Voilà un bien curieux nom pour un tel lieu, de prime abord. En réalité, il le tient tout simplement du patronyme de ses propriétaires… la famille Carton.

Dans ce décor un peu dépassé, de larges gammes sont proposées à la clientèle, et ce dès l’entrée avec une proposition traiteur assez vaste, allant de la quiche à la salade, en passant par les pizzas ou les petits fours. L’ensemble est propre et frais, c’est certainement le principal, mais l’inverse serait plutôt inacceptable au vu des prix pratiqués. Cependant, des formules sont proposées, ce qui peut aider à faire passer l’addition avec plus de douceur.
En parlant de douceurs, la maison décline une large gamme sucrée, à commencer tout d’abord par la pâtisserie. Je dois avouer que ce n’est pas mon style, car l’ensemble des produits sont profondément inscrit dans une tradition quasi poussiéreuse, qui m’amène parfois à me demander si les gâteaux ne sont pas d’époque. Saint-Honoré, Tarte aux fruits variés, au citron, au caramel ou au chocolat, religieuses, Paris Brest, Millefeuilles… Rien ne manque à l’appel, et les finitions sont somme toute très correctes. Les prix restent dans une moyenne acceptable, ce qui est une bonne nouvelle dans le quartier. Il ne faut cependant pas s’attendre à être surpris ou à trouver des pâtisseries d’exception ici.

Par contre, c’est du côté des viennoiseries que je serais beaucoup plus critique. Chères (le croissant est vendu à 1,20 euro !) et réalisées avec un manque de soin assez criant, elles sont peu recommandables en plus d’afficher des cuissons plutôt aléatoires.

En parlant de cuisson, intéressons-nous au pain. Bien sûr, on retrouve la baguette de tradition, vendue ici… 1 euro 40 les 250g ! Les vaut-elle ? Certainement pas. Je dois lui reconnaître des qualités, sa croûte fine, sa cuisson généralement assez bien menée, son agréable parfum de froment, sa mie bien alvéolée et sa conservation tout à fait honorable ne manquent pas de séduire, mais cela ne justifie pas pour autant une telle tarification, d’autant plus quand on prend en compte le manque de « caractère » de la demoiselle. Elle n’est pas mauvaise, même plutôt bonne, certes, mais nous serions bien en peine si nous devions lui trouver un caractère particulier pour la différencier d’autres baguettes de tradition proposées dans des boulangeries prises au hasard. Cette « tradi » est réalisée à partir d’une farine Grand Siècle de la Ronde des Pains/Grands Moulins de Paris.
Une partie de la gamme est certifiée biologique et réalisée à partir de farine Lemaire. Ce sont certainement les pains les mieux réalisés de cette boutique, en dehors de la baguette. Leurs cuissons et façonnages sont de bonne facture, mais là encore, cela ne justifie que très difficilement les prix pratiqués.
Pour le reste, mieux vaut passer son tour. Entre des « pavés », des pains tigrés et autres créations aux cuissons plus qu’aléatoires et au façonnage manquant d’élégance, on ne peut pas dire que le pain fasse un… carton.

L’accueil est assez inégal, les produits sont généralement assez bien maîtrisés mais le travail est fait avec un manque d’enthousiasme et d’envie assez latent, ce qui n’est pas très agréable avec la clientèle. Peut-être que les habitués bénéficient d’un meilleur accueil, mais dans tous les cas, la vente à emporter ne se présente pas sous son meilleur jour. Pour les clients faisant le choix de consommer sur place, les prix sont majorés de quelques centimes voire d’euros, ce qui les rend encore plus élevés.

Infos pratiques

150 Avenue Victor Hugo – 75016 Paris (métro Victor Hugo, ligne 2 ou Rue de la Pompe, ligne 9) / tél : 01 47 04 66 55

Avis résumé

Pain ? Sorti de la baguette de tradition, plutôt bien réalisée avec sa croûte fine, sa cuisson généralement assez bien menée, son agréable parfum de froment, sa mie alvéolée et sa conservation de bon niveau, mieux vaut ne pas trop s’aventurer dans la gamme. Les pains biologiques sont plutôt de bonne facture, mais c’est sur le reste que l’on est plus surpris : les pavés nature ou garnis, les pains tigrés et autres pains spéciaux manquent cruellement de cuisson, mais aussi de saveurs et d’élégance. Dans tous les cas, les prix sont bien trop élevés, et même s’ils ne dénotent pas dans le quartier, il n’en demeurent pas moins inacceptables à mes yeux.
Accueil ? Soit les demoiselles sont très timides, soit elles manquent d’enthousiasme. Tout cela serait plus agréable si l’on ressentait plus de chaleur humaine, car rien ne vient nous sortir de ce cadre assez « moderniste dépassé » dans lequel s’inscrit l’aménagement de cette boutique.
Le reste ? La gamme traiteur (sandwiches, salades, tartes et quiches diverses) est réalisée avec un certain sérieux, de même que les pâtisseries. Leur finition est honorable, même si j’avoue ne pas avoir été conquis par les saveurs et le travail des textures sur les pièces les plus « créatives » de la maison. Quant aux classiques, ils sont présents et font leur office.
Les viennoiseries, quant à elles, représentent certainement le domaine dans lequel la maison franchit presque les limites du scandaleux, avec un croissant difforme proposé pour 1 euro 20. Même constat de médiocrité pour le reste de la gamme.

Faut-il y aller ? Si l’on a trop d’argent à dépenser pour satisfaire une envie gourmande, pourquoi pas. Mis à part cela, difficile de trouver l’ensemble attirant au vu des prix pratiqués, qui ne parviennent pas à être justifiés par la qualité juste passable des produits. De plus, le cadre un peu dépassé et l’accueil assez froid n’aident pas à rendre l’ensemble plus agréable.

Tout artisan doit être en mesure de dépasser le savoir-faire pour entrer dans le domaine du faire-savoir. En effet, même s’il est capable de réaliser des produits merveilleux, s’il ne parvient pas à les proposer au « monde », cela n’a pas grand intérêt… Pire encore, tout ce qu’il créé n’existe en fait pas, puisque personne n’en a connaissance.

Ce constat est le même dans le cas de la boulangerie. Si un boulanger est capable de faire le meilleur pain du monde mais ne sait pas le vendre, cela n’a pas de sens. C’est pour cela qu’il doit s’entourer de personnes en mesure de défendre ce produit et à le valoriser. Rien d’évident là dedans, puisque le pain demeure quelque chose de complexe, qui doit faire l’objet d’une attention toute particulière pour en maîtriser les différents aspects et ainsi renseigner au mieux la clientèle.
Travail sur levure, levain, types de farine, accords pain/mets, conservation, … autant de sujets sur lesquels il est important de former l’équipe de vente, et de l’impliquer dans une véritable démarche active, leur permettant de comprendre ce qu’ils ont entre les mains et les enjeux que cela peut avoir. Le pain n’est pas une marchandise comme les autres, et j’ai souvent l’occasion de le souligner ici : beaucoup de vendeurs/vendeuses pourraient sans difficulté vendre des produits tout à fait différents. Cela manque de passion et de curiosité.

Bien sûr, il est difficile de ne recruter que des personnes ayant déjà un goût prononcé pour le pain et cet univers. Je reste cependant convaincu qu’il est possible de les y « faire pénétrer » en les formant de façon adéquate. Pour cela, divers moyens existent. On peut faire le choix d’assurer la formation par soi-même, en essayant de transmettre la passion du produit. C’est sans doute ce qui est le plus important pour parvenir à faire consommer plus de pain au grand public : il est nécessaire de lui donner envie, et pour cela, le service joue un rôle essentiel. Si le client ne se sent pas à l’aise chez son boulanger, qu’il note un manque de considération de la part du personnel, cela ne présage rien de bon pour ses relations futures avec la boutique, car il aura rapidement tendance à aller voir ailleurs. Le conseil est aussi la clé de la réussite. En matière de consommation de pain, les habitudes sont très différentes d’un foyer à l’autre, et c’est pour cela qu’il faut s’adapter aux besoins de chacun.

La formation peut aussi être réalisée par des entreprises extérieures, et les meuniers ont bien intégré ceci. Je vous parlais des efforts mis en oeuvre par Foricher pour valoriser sa démarche auprès du personnel de leurs clients boulangers, ce cas est loin d’être isolé et chacun des acteurs du secteur (Festival des Pains, Banette, Ronde des Pains, …) tentent de développer des argumentaires pour développer les ventes. Forcément, tout cela est à leur avantage : si le boulanger écoule plus de pain, il aura un besoin en farine plus important… ce qui représente pour eux autant de chiffre supplémentaire. Parmi les pistes explorées, j’ai noté une approche autour de l’univers sensoriel du pain : odorat, goût, toucher… Il ne faut pas se limiter à une vision « technique » du produit, mais bien l’appréhender dans son caractère vivant et singulier.

Le métier de vendeur en boulangerie peut parfois être pénible, usant, décourageant… A cela plusieurs raisons : tout d’abord le caractère physique de cette activité (on est sans cesse debout, à manipuler des charges plus ou moins lourdes), mais aussi la difficulté de servir une clientèle ayant des attentes bien précises dès lors qu’elle entre chez son boulanger : généralement, c’est avant tout de l’efficacité et un temps d’attente limité. Qui voudrait attendre un quart d’heure pour acheter sa baguette ? C’est là aussi que la formation intervient, en apportant un « support » et des méthodes pour accélérer le service.

La formation, c’est donc quelque chose d’important en boulangerie, sans aucun doute. Reste cependant un autre point sur lequel beaucoup échouent encore à mon sens : il faut que les employés sentent qu’ils font réellement partie d’un projet, et qu’ils sont reconnus à ce titre. Le pain, c’est une aventure humaine… qui se vit au quotidien. Dans mes visites, ce n’est pas souvent le ressenti que je peux avoir. En vendre se limite souvent au travail « alimentaire », si l’on peut dire, et cela m’attriste… il y aurait tellement plus à partager !

 

La boulangerie porte de fortes valeurs sociales, aussi bien au travers des relations qu’elle créé entre la clientèle et l’entreprise, qu’au sein même du fournil et des équipes de vente. Elle véhicule des valeurs de partage, de création, qui se doivent d’être développées par le boulanger avec son personnel et la communauté qui l’entoure. Ce n’est pas simplement une boutique, c’est un lieu de vie, et c’est encore plus vrai dans de petites communes où les commerces et la vie se font rares.

Au delà de ces aspects, il est également possible de développer un véritable projet social sur laquelle la boulangerie se fonde et se construit au quotidien. C’est le parti pris par Farinez’ Vous, une « boulangerie solidaire » installée juste derrière la Gare de Lyon, dans le 12è arrondissement. Cette entreprise, en activité depuis septembre 2009, a été fondée par Domitille Flichy, initialement juriste de formation. Le but de cette entité est de permettre à des personnes en reconversion d’être formées et d’acquérir de l’expérience dans le secteur de la boulangerie, autant en vente qu’en production. Il y a là un véritable engagement social et citoyen que l’on aimerait retrouver plus souvent. Le projet a été soutenu par diverses institutions, telles que la région Ile-de-France, la banque La NEF, diverses fondations d’entreprise (MACIF, Vinci, Veolia…).
Une attention particulière a également été portée à l’aspect écologique et Développement Durable de l’entreprise, en sélectionnant des matériaux recyclés ou issus de forêts « gérées durablement » pour le bois. Egalement, la farine provient d’un meunier normand (le Moulin d’Auguste, aux Andelys), la saisonnalité des fruits est respectée, les  matières premières issues de producteurs locaux, de l’agriculture raisonnée ou biologique et du commerce équitable sont favorisées… Voici de beaux engagements, un projet intéressant qui donne envie de s’y pencher avec plus d’attention.

Cela passe notamment par la dégustation de leurs produits, car s’il est tout à fait louable de porter des valeurs et de tenter de bâtir une entreprise sur celle-ci, il est important que le résultat soit à la hauteur des efforts mis en oeuvre, sinon tout ceci n’aurait pas de sens.
Malheureusement, c’est là que le bât blesse : la baguette de tradition n’a aucune croûte, une mie cotonneuse et peu alvéolée et surtout… une grande absence de saveurs, même si l’on termine sur une pointe d’acidité, caractéristique du levain utilisé pour sa réalisation. Le site internet de la boulangerie met en avant une conservation sur deux jours, ce qui est assez irréaliste pour une baguette, et d’autant plus pour celle-ci, qui est molle dès l’achat. Le reste de la gamme ne parvient pas à nous réconcilier avec cette première approche, même si le pain de campagne est mieux réalisé. Les petits pains spéciaux, dont un alléchant noix-graînes de moutarde-céréales, déçoivent également, à nouveau de par une absence de croûte et de saveur.

Côté gourmandises, c’est un peu mieux, les tartes aux fruits de saison (une Tatin, une poire-amandine, …) sont correctes, rien d’exceptionnel – uniquement du ‘boulanger’ – cependant. Quelques pâtisseries boulangères sont également proposées, dont un flan à la part, singulièrement jaune poussin et manquant de caramélisation, ce qui lui apporterait de la saveur. Les viennoiseries atteignent juste la moyenne, réalisées à partir de beurre AOC de Montaigu.
On appréciera cependant la possibilité en restauration rapide de composer une salade selon ses envies du jour, avec des produits frais et sains. Des quiches et sandwiches sont également proposés, mais dès lors que le pain ne suit pas, difficile d’espérer un résultat probant.

Le service est efficace, sympathique et de bonne volonté, malgré quelques notes un peu brouillon, telles qu’un cafouillage lors de la commande d’une demi-baguette de tradition, refusée puis acceptée. D’autres hésitations subsistent, et l’ensemble gagnerait vraiment à être mieux maîtrisé.

Infos pratiques

9bis rue Villiot – 75012 Paris (métro/RER Gare de Lyon, lignes 1, 14, A et D) / tél : 01 43 07 32 39
ouvert du lundi au vendredi de 8h à 18h30
site internet : http://www.farinez-vous.com/

Avis résumé

Pain ? Le produit de base d’une boulangerie souffre ici de problèmes de réalisation assez rédhibitoires. La baguette de tradition n’a aucune croûte, une mie cotonneuse et peu alvéolée, en plus de manquer foncièrement de saveur. Même constat pour les petits pains spéciaux. Le pain de campagne s’en sort un peu mieux, cependant. Les tarifs demeurent modérés, mais cela demeure toujours trop cher pour cette qualité.
Accueil ? Sympathique, assez dynamique et de bonne volonté, mais assez brouillon au final, avec une maîtrise plutôt approximative des produits et de leur vente.
Le reste ? Les tartes sucrées, simples et réalisées avec honnêteté, font passer un moment de détente agréable dans cette boulangerie au décor chaleureux et aux matériaux nobles. On imagine sans difficulté pendre son repas ici, avec notamment des salades réalisées à la demande, selon les choix du client. Pour le reste de l’offre traiteur, les sandwiches sont compromis par la qualité du pain, ce qui est bien dommage. Les viennoiseries, quant à elles, ne sortent pas du lot et se contentent d’être présentes.

Faut-il y aller ? J’aimerais dire oui, simplement pour le projet et la réflexion qui a été menée sur ses différents aspects. De plus, le lieu est particulièrement agréable, une vraie bouffée d’oxygène à deux pas de la Gare de Lyon. Seulement, encore faudrait-il que les produits suivent, et ce n’est malheureusement pas le cas. Le pain souffre d’une qualité de réalisation plutôt médiocre et aléatoire, ce qui est tout à fait regrettable. Cela est bien dommage, d’autant qu’une seconde ouverture est prévue cette année. Toutefois, il reste envisageable de faire ici une escale gourmande et simple, en prenant une douceur et un thé dans cet espace à l’aménagement boisé et chaleureux.

Chaque nouvelle année apporte son lot de bonnes résolutions. Vous savez, ces décisions que l’on prend pour « être meilleur » et qui ne durent généralement que quelques jours. Au delà des individus, les entreprises peuvent ou pourraient aussi en prendre, dans leur propre intérêt ou celui de leurs clients. Dans le cas des boulangeries, cela peut se concrétiser par un changement de meunier, de recettes ou même de personnel, en vue d’améliorer la qualité de production.

Une boulangerie vend bien sûr du pain, mais aussi beaucoup de viennoiseries. Croissants, pains au chocolat, chaussons aux pommes, autant d’assemblages de pâte feuilletée et de divers ingrédients, créés spécialement pour des instants de gourmandise simples et craquants… Le problème, c’est que ces produits sont compliqués à fabriquer. Le tourage n’est pas un art facile à maîtriser, et il est difficile de trouver des artisans le maîtrisant à la perfection. De plus, pour une petite structure telle qu’une entreprise de quartier, il est difficile de dédier une ressource à la réalisation des viennoiseries, car cela présente un coût non négligeable… qui n’est pas toujours justifié par le volume des ventes.

Dernièrement, ce sujet a créé quelques remous dans l’opinion, notamment autour des galettes des rois, souvent issues de l’industrie, y compris chez nos artisans boulangers. Il en est malheureusement de même pour les viennoiseries. Cependant, j’observe depuis quelques temps une vraie tendance portant vers la mise en avant du « fait maison », et je trouve que cela s’intensifie en ce début d’année 2012.
Banette avait déjà tenté, de façon discrète, l’initiative au travers d’un dispositif de communication mis en place au sein de quelques artisans de leur réseau. Des stickers « ici, les croissants sont faits maison – recette premium bannette – (et c’est là toute la différence) » avaient été apposés depuis 2008 chez des boulangers soucieux de mettre en avant leur engagement, et de se différencier nettement de ceux chez qui les viennoiseries étaient reçues surgelées. Un dossier de presse édité à l’époque décrit plus en détails la démarche et la défend plutôt bien par ailleurs. Cela ne semble pas pour autant avoir suscité un grand enthousiasme dans la profession, puisque je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer régulièrement des mentions à ce dispositif…

Plus récemment, ma visite au moulin des Gaults me rappelait le fort engagement de Foricher au côté du Club le Boulanger sur ce terrain, comme mis en avant sur leur site internet. Ici, la démarche est encore plus qualitative puisqu’elle s’appuie sur une farine Label Rouge, répondant donc à un cahier des charges précis et garantissant au consommateur l’utilisation d’une matière première particulièrement noble et qualitative.

Enfin, et c’est la dernière initiative mise en oeuvre par un meunier que j’ai pu noter sur le terrain, les moulins Fouché ont à leur tour développé un dispositif d’affichage et de mise en avant de la Viennoiserie Maison à destination de leurs clients. Cela passe notamment par des petits cartons distribués en boulangerie et expliquant la démarche mise en oeuvre par leur artisan boulanger, et quels sont les apports au quotidien. L’idée est plutôt pertinente car cela marque l’esprit du consommateur au delà du sac fourni avec le produit : le leaflet reste, l’emballage part.

Pourquoi est-ce que cela ne se généralise pas ? Tout simplement car les enjeux financiers sont importants. Certains meuniers continuent de vouloir proposer de la viennoiserie surgelée, et les fournisseurs tels que Coup de Pâte n’ont aucun intérêt à ce que les habitudes changent, bien au contraire. Ils tentent donc de faire pencher la balance en leur valeur, même si c’est au détriment de l’image générale de la profession et de la clientèle. Certes, il existe des croissants surgelés « haut de gamme », mais n’est-ce pas dommage ? N’y a-t-il pas tromperie ?
Ce n’est pas le sujet. L’important, c’est que l’opinion publique soit mieux informée et que les mentalités évoluent. L’année 2012 pourrait donc être celle de la Viennoiserie Maison, même si beaucoup de chemin reste à parcourir, et qu’il faudrait que nos politiques commencent à s’en mêler en imposant un affichage précis en boutique. Je ne suis pas certain que l’idée trouve beaucoup d’écho, notamment pour les raisons citées ci-dessus.

Les boulangeries doivent avoir leur identité, c’est à mon sens indispensable. Au travers de celle-ci, c’est une première occasion de partager l’univers de l’artisan avec sa clientèle, avant même qu’elle ait eu l’occasion de déguster ses produits. Pourtant, de plus en plus de boutiques sont justement de simples… boutiques. De vraies boulangeries cliniques, multipliées à l’infini. Un peu comme si le boulanger était arrivé là le matin, sans investir les lieux. Je fuis ce genre d’endroit.

A l’inverse, certains lieux que je visite ont une âme, on y trouve des caractères bien marqués et un esprit qui font que l’on se souviendra forcément de notre visite, peu importe les produits avec lesquels on en ressortira. Chez Bruno Solques, dans le 5è arrondissement, c’est tout à fait le cas.
On pourrait passer devant l’échoppe sans s’arrêter, elle est en effet petite et située dans une partie assez curieuse de la rue Saint-Jacques, mais notre regard est attiré par ces étonnantes céramiques présentées en vitrine, comme autant d’écrins pour les curieuses gourmandises qu’elles renferment.

Ici, le contenant et le contenu ont une âme, une vie. Difficile de dissocier l’un de l’autre, alors je vais m’intéresser au deux. Pour une fois, commençons par l’enveloppe et non par le message qui y est présenté. Les créations de Bruno Solques sont présentées dans… ses créations. Une sorte de mise en abîme. Pour être plus clair, notre boulanger ne se contente pas de pétrir des pâtes, il pétrit aussi de la terre et réalise des sculptures en céramique, qui accueillent non seulement les produits mais ornent également les murs de la boutique. Fleurs, têtes d’animaux, natures mortes… La créativité de l’homme semble être assez étendue.
Cette même créativité se retrouve dans les diverses gourmandises salées et sucrées qu’il propose. Les tartes, quiches, tourtes, viennoiseries et autres pâtisseries boulangères sont parfois un peu difformes, jamais identiques. Chaque produit est réellement unique, car ce boulanger, comme il le dit lui-même, n’aime pas vraiment peser et travaille à l’envie, sans s’imposer de règles. La clientèle n’a qu’à aller ailleurs si cela ne lui plaît pas, il faut prendre le tout sans faire de concession.
On retrouve ainsi de surprenants chaussons aux pommes, diverses tartes aux fruits, de petit croissants très serrés aux multiples saveurs (nature, mais également à la cannelle, aux raisins, aux fruits variés…). L’offre salée varie selon les jours, avec notamment des quiches aux légumes.

Côté pain, là encore, le style est très particulier. On trouve des baguettes, des pains complets ou au céréales, ainsi que divers mélanges de farines (épeautre, semi-complète, seigle-blé…). Les cuissons sont parfois un peu courtes, assez aléatoires, tout comme le façonnage. Comme pour le reste des gammes, les produits sont faits à l’envie, et ils l’expriment pleinement. L’autre caractéristique notable, c’est la densité des mies. En effet, l’ensemble des pains sont réalisés à partir d’un levain naturel d’une extrême douceur. Aucune acidité perceptible, mais cela ne lève pas énormément. Le travail du levain est une des spécialités de ce boulanger, ancien de la manufacture Poilâne de Bièvres et du fournil de Bernard Ganachaud.
Je ne vous conseillerais pas la baguette, à moins qu’apprécier cette concentration particulièrement dense, mais à l’inverse, les grosses pièces découpées à la demande du client et vendues au poids ne manquent pas de charme. Elles expriment un beau parfum de blé, des notes persistantes de noisette et présentent une texture humide, parfois un peu granuleuse. Leur tenue est relativement correcte, et leur conservation excellente, grâce à cette fameuse mie dense.

Cette boulangerie propose à sa clientèle une véritable expérience, que l’on apprécie ou non, cela ne peut laisser indifférent. Bruno Solques, assurant lui-même le service, partage au quotidien cette bien curieuse histoire, empreinte d’un charmant sourire et d’une belle simplicité. En entrant dans sa boulangerie, on est complètement immergés dans son univers à la fois artistique et gourmand, dans lequel il nous guide avec beaucoup de douceur et de sympathie. On regrettera cependant le caractère assez aléatoire des horaires et jours d’ouverture, il m’est parfois arrivé de trouver porte close en pleine semaine, avec parfois indication d’une ouverture tardive et d’autres… rien.

Infos pratiques

243 rue Saint-Jacques – 75005 Paris (métro Censier Daubenton, ligne 7 ou Port Royal, RER B) / tél : 01 43 54 62 33
ouvert du lundi au vendredi de 6h45 à 20h – attention toutefois, les horaires sont parfois un peu aléatoires et il n’est pas impossible de trouver porte close, sans forcément d’explication.

Avis résumé

Pain ? Les pains de Bruno Solques sont au diapason de l’homme et de la boutique, il ne manquent pas de caractère. Il embaument un levain très doux, avec une absence d’acidité. Leurs mies sont très serrées, y compris sur la baguette, mais ils ne manquent pas d’arômes. On y retrouve ainsi une belle saveur de blé, des notes persistantes de noisette… Le tout est assez gourmand, le caractère assez humide de ces pains en font presque des gourmandises que l’on mange sans façon. En parlant de façon, là encore, le boulanger marque clairement ses choix : ses produits ne sont pas ou peu façonnés, ni grignés. Il en résulte des formes aléatoires, très variables selon les jours et l’humeur des pâtes. Dommage que les cuissons ne soient pas toujours très abouties sur les petites pièces, même si elles demeurent correctes. Bonne conservation des produits, néanmoins, la densité et le travail sur levain aidant.
La qualité des matières premières est assurée, preuve en est des sacs de farine Biologique qui intègrent presque le décor de la boutique.
Accueil ? Le service est assuré par l’artisan lui-même, ce qui garantit une excellente connaissance des produits. Si cela est fait avec le sourire et une grande sympathie, comme c’est le cas ici, cela n’en est que mieux. Bruno Solques partage avec sa clientèle son univers singulier, autant au quotidien par son accueil, que par les créations qui ornent les murs et tables de sa boutique.
Le reste ? A l’image des pains, les viennoiseries, tartes et autres pâtisseries boulangères (flan, notamment) sont réalisés « librement », à l’envie, sans considération particulièrement pour l’esthétisme ou la régularité. Le résultat ? Des pièces uniques, qui ont une vraie âme et un caractère fort. Les croissants, déclinés en de multiples saveurs, sont détonnants, de par leur caractère serré. L’ensemble est très rustique, bien loin du style souvent léché et aseptisé de notre capitale.

Faut-il y aller ? Pour l’expérience, pour le décor et l’univers, sans aucun doute. Cela ne peut laisser indifférent. Marquez un arrêt devant ces surprenantes sculptures de têtes d’animaux, vous ne rencontrerez pas ceci dans d’autres boulangeries. Quant aux produits, leur style très particulier peut aussi bien inspirer le rejet, la curiosité que l’approbation. Cela ne manque pas de saveur, Bruno Solques ne triche pas et nous propose des pains savoureux, au caractère bien marqué, ainsi que des gourmandises originales, bien que traditionnelles au demeurant. Au final, cette boulangerie est profondément atypique, et c’est certainement ce qui la rend aussi intéressante et attachante.

Certains pains parviennent encore à me surprendre. Derrière un intitulé bien sage, résumé en quelques mots, ils laissent exprimer des saveurs complexes au nez et à la dégustation. Timidité, volonté de ne pas trop en dire sur la recette ? Difficile à dire, dans tous les cas, l’effet est réussi puisque l’on découvre alors un produit bien plus intéressant qu’on ne l’aurait imaginé de prime abord.

Cela a été complètement le cas avec cette Tourte de Sarrasin, proposée au sein de la boutique « traiteur » de la Pâtisserie Pain de Sucre, dans le 3è arrondissement. A priori, je m’attendais à un pain exprimant un parfum de blé noir, quoi de plus normal, me rappelant des vacances passées en Bretagne, à manger quelques galettes dans une crêperie au décor traditionnel… Bien sûr, ce pain exprimait cette saveur marquée et légèrement sucrée, mais pas seulement.
En réalité, elle était accompagnée, relancée, par un parfum de miel presque entêtant. Miel et sarrasin, voilà une association intéressante et pertinente. Cela renforce cette saveur sucrée du sarrasin, dont je parlais précédemment, en plus d’atténuer le caractère un peu trop « brut » de cette céréale. Au nez, on a donc un pain doux et mielleux. Lorsque l’on passe à la dégustation, l’expérience devient alors particulièrement intéressante…

Bien entendu, on pourra reprocher à ce pain de présenter une mie très dense, liée à l’absence de gluten dans le sarrasin. Peut-être aurait-il fallu incorporer de la farine de blé en quantité plus importante afin de parvenir à un résultat plus léger. Néanmoins, les plus gourmands y verront là un certain avantage : ce pain se déguste presque comme un gâteau, coupé en fines tranches. La croûte y est assez peu présente, et la mie reste d’assez bonne tenue malgré la pauvreté en gluten de l’ensemble.
Passé ces considérations, c’est le goût qui nous intéresse. On est inévitablement surpris par la présence marquée du miel et de sa chaleur sucrée, en contraste avec le sarrasin plutôt brut. Ainsi, on reste sur une note sucrée-acide après chaque bouchée et cette sensation monte au fur et à mesure de la dégustation.

Ce pain n’est pas sans rappeler les tourtes de seigle, assez denses elles aussi, avec une mie serrée. Dans les deux cas, la conservation est excellente, le pain peut être consommé sur trois jours sans difficulté, même s’il me semble difficile de le faire durer aussi longtemps !
On pourra l’utiliser pour accompagner des fruits de mer, des poissons ou encore du saumon fumé, en leur apportant de cette façon une note sucrée et une autre dimension. Néanmoins, j’aurais plutôt tendance à penser que c’est un pain qui se déguste seul, simplement tartiné d’un peu de beurre demi-sel si on choisit d’en manger au petit-déjeuner ou au goûter. A cela deux raisons : son parfum est soutenu, il faut donc que les mets avec lesquels on choisit de le déguster aient eux aussi des arômes puissants, de plus, comme je l’ai souligné précédemment, son caractère sucré et sa texture en font presque une gourmandise, un cake. La mie, en plus d’être dense, est en effet assez humide.

Voici une belle création, aussi bien visuellement que gustativement. Le Pain de Sucre, qui nous avait habitué à agiter nos papilles au travers de ses créations sucrées, le fait à présent dans le domaine du salé, et cela passe par les pains. On notera d’ailleurs l’apparition récente de sandwiches réalisés à partir de pain spéciaux particulièrement intéressants (foccacia aux algues, petits pains briochés au sésame, pain de venise…), malheureusement, tous ne sont pas proposés à la vente non garnis, du fait de leur format particulier.

Tourte de Sarrasin, Pâtisserie Pain de Sucre, Paris 3è, 4,20 euros la pièce d’environ 400g.