Des arlésiennes. Notre existence en est remplie. On nous promet beaucoup de choses… sans forcément les réaliser, ni même mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que ce soit le cas. Deux choix s’offrent à nous : renoncer ou attendre, toujours attendre… en prenant le risque d’être déçu. Pour autant, l’espoir développe certaines vertus, dont celle de nous permettre de rester ouverts au changement, à la nouveauté. Si l’on renonce complètement, on peut alors s’enfermer dans une certaine aigreur.

Lettre envoyée par la Confédération à un Artisan Boulangers en Loire-Atlantique - cliquez pour la télécharger.

Lettre envoyée par la Confédération à un Artisan Boulangers en Loire-Atlantique – cliquez pour la télécharger.

Depuis le temps que la confédération devait agir, il aurait été bien aisé de classer ses propositions sur la Viennoiserie Maison dans cette fameuse catégorie des arlésiennes. Bien mal nous en aurait pris, car l’organisme s’est vraiment engagé dans la cause, au travers d’une… affiche. Non, pas de charte, de label, ne cherchons pas de méthodologie ou autres choses qui fâchent. Le risque serait justement de trop déranger des entreprises et industriels puissants, dont certains sont impliqués à plusieurs niveaux dans la filière : à la fois fournisseurs de produits congelés, faiseurs de farines, … leur influence est indiscutable et les « hautes instances » de la boulangerie n’y échappent pas.

La fameuse charte "viennoiserie maison" développée par le Club le Boulanger et Foricher

La fameuse charte « viennoiserie maison » développée par le Club le Boulanger et Foricher

Seulement, le mal est fait : l’opinion publique s’est emparée des petits secrets de la profession, et il aurait été mal vu par les consommateurs que rien ne soit fait au niveau national pour essayer de défendre ce savoir-faire et parvenir à mettre de l’ordre dans des pratiques déviantes. Certaines instances régionales ont d’ores et déjà mis en place des chartes et autres dispositifs assez précis en la matière, et apportant de véritables garanties sur la démarche de l’artisan. C’est notamment le cas dans le Loir-et-Cher ou dans le Maine-et-Loire.

Des croissants "maison" bien dorés et croustillants !

Des croissants « maison » bien dorés et croustillants !

Bien sûr, il y a quelques « critères » à respecter pour continuer à afficher la fameuse affiche : toutes les viennoiseries doivent être faites maison, non surgelées une fois cuites (afin d’éviter les tentations de repasse), sans faire appel à des préparations préconçues, permettant de s’affranchir du choix des matières premières et de la mise en place de recettes adaptées à ces dernières.
Si jamais l’une de ces règles venait à ne plus être respectée, même provisoirement, il faudrait alors retirer l’affichage sous peine de sanctions… oui, mais de la part de qui ? La Confédération compte-t-elle mettre en place un service de contrôle dédié au dispositif, ou s’appuiera-t-elle sur les services de la DGCCRF ? Il fait aujourd’hui peu de doutes sur le fait que nous aurons affaire à la seconde situation, et que des artisans mal-intentionnés ne se priveront pas d’arborer le dit support de communication sans en respecter les principes. Ce ne serait pas la première fois que les consommateurs seraient bernés, et nous trouvons de nombreux exemples dans notre vie quotidienne : entre restaurateurs-assembleurs, industriels mettant en avant un « Made in France » douteux voire complètement fallacieux, produits Bio cultivés en dépit du bon sens à l’autre bout de la planète… notre société de course au profit sait tout aussi bien mettre en place des codes que les détourner.

On passera sur le prix de l’affiche : 20€ pour les non-adhérents, pour ce qui se résume à une feuille de papier de 40 x 60 cm ou 40 x 80 cm… L’impression est largement rentabilisée, à moins que cela ne serve à financer d’autres projets ou échecs, à l’image de la fameuse enseigne « B », adoptée par bien peu d’artisans. Autant mettre en avant son engagement par soi-même, que ce soit avec ses propres éléments de communication ou en défendant ses produits auprès de sa clientèle au quotidien.

Croissants tout juste sortis du four chez Eric Marché à Nantes

D’ailleurs, cette défense reste malgré tout orientée sur le goût : vous aurez beau ajouter toutes les images, les emballages et autres couches souvent superflues, le verdict tombe à la dégustation. En la matière, pas de mystère : ceux qui font de bonnes -voire de très bonnes- viennoiseries, sont encore ceux qui en vendent le plus. Un hasard ? Certainement pas. Bref, vous l’aurez compris, la Confédération n’apporte pas grand chose de nouveau sous le soleil, et nous devrons donc compter sur d’autres acteurs pour aller plus loin dans une démarche qualitative. Certains meuniers indépendants ont commencé à s’y engager, mais le travail reste encore considérable.

La proche banlieue a parfois tendance à me perdre. Les villes y sont rapprochées, serrées, avec des frontières floues et de nombreuses gares ou stations de métro. Prenez le nord de Paris, côté Levallois, Courbevoie, Asnières… Les noeuds de transport s’y enchevêtrent et chaque ville compte plusieurs points d’entrée sur ces réseaux dont la finalité est souvent de rejoindre la capitale.
J’ai cité Courbevoie, mais l’exemple est pour moi frappant : il y a bien sûr éponyme, mais aussi celle de Bécon-les-Bruyères, en bordure du même territoire… même constat à Nanterre – Ville, Université, Préfecture.

Maison Trouart, Courbevoie (92)

Dès lors, il convient de découper ces villes selon leurs quartiers et stations. Tout près de la gare de Courbevoie, les boulangeries se concentrent, et on compte parmi elles la Maison Trouart. Installé depuis début 2006 au 19 avenue Marceau, l’artisan a fait le choix de mettre en avant la flûte Gana, fer de lance de la famille Ganachaud. Même si cette dernière est vantée sur la devanture, sa présence en boutique demeure plus discrète : disposée à plat à côté de la caisse, elle bénéficie d’une bien moins grande visibilité que les baguettes de Tradition et autres pains spéciaux proposés ici. Les farines des Moulins Bourgeois expriment leur agréable parfum de froment dans la Tradition, déclinée en une version torsadée, nommée Normande. Cette dernière, de par son façonnage, met l’accent sur une mie légèrement cotonneuse, tandis que la croûte se révèle peu présente. La version plus classique ne démérite pas, que ce soit en terme de cuisson ou de forme, même si un peu plus de finesse offrirait un rapport mie/croûte plus intéressant.

Pains & viennoiseries, Maison Trouart, Courbevoie (92)

Les amateurs pourront bien sûr se tourner vers la Gana, reconnaissable de par sa croûte croustillante, son parfum prononcé de céréales et sa mie très cotonneuse. Elle est accompagnée de sa version en Pavé, ainsi qu’une autre agrémentée de fruits secs. On leur préférera la sympathique Boule de Meule et ses notes rustiques. Pour le reste, les seigles aux noix, complet, intégraux à la farine Biologique et autres propositions aux céréales font leur travail dans le registre classique qui est le leur.

Pâtisseries, Maison Trouart, Courbevoie (92)

Les becs sucrés ne seront pas déçus, avec des viennoiseries variées et honorables, dont un croissant au beurre généreux pour 0,95€ ou un rare oranais aux abricots à 1,55€. La pâtisserie se décline avec soin et générosité, comme on aimerait le voir plus souvent. Entremets, choux, tartes et autres millefeuilles ne font pas dans la création, mais offrent des saveurs appréciées à des tarifs accessibles. La tendance tapageuse des macarons demeure cependant regrettable, même si les parfums se font parfois inventifs et intéressants.
Le traiteur s’inscrit dans la même générosité, avec des sandwiches aux bases variées (baguette, pains moelleux…), des quiches, friands entre autres fours salés.

Traiteur, Maison Trouart, Courbevoie (92)

Rien à redire du côté du service, chaleureux et efficace, avec une belle maîtrise des produits. Son organisation parvient à gérer le flux de clients sans trop de difficultés, notamment au travers de deux postes de caisse bien distincts qui peuvent traiter deux typologies de clients en fonction des besoins (pâtisserie, boulangerie, …). Le fournil, visible au fond de la boutique, offre à la clientèle une agréable transparence sur le travail des ouvriers.

Infos pratiques

19 avenue Marceau – 92400 Courbevoie (gare de Courbevoie, Transilien ligne L) / tél : 01 43 33 10 07
ouvert du samedi au mercredi de 6h30 à 20h30.

Avis résumé

Pain ? Même si la flûte Gana est mise en avant sur les vitrines de la boutique, la baguette de Tradition et sa déclinaison torsadée restent sans doute les ‘stars’ de l’endroit, avec leur parfum de froment marqué et leur bonne conservation. La spécialité de la famille Ganachaud n’est pas en reste, et respecte bien leurs « standards » : croûte croustillante, parfum prononcé de céréales et mie très cotonneuse, autant d’éléments qui permettent de reconnaître ce produit. Les amateurs pourront aussi se tourner vers sa déclinaison en pavé, nature ou aux fruits secs. On appréciera également la boule de Meule (réalisée sur base de farine Tour de Meule type 80 des Moulins Bourgeois) et ses accents de terroir.
Accueil ? Chaleureux et efficace, le service est bien organisé dans cette élégante boutique aux tons beiges et orangés. Les deux postes de caisse permettent d’assurer la fluidité du passage en heure de pointe, et la formation du personnel complète le tout avec un bonne connaissance des produits.
Le reste ? La valeur de la maison Trouart se situe aussi dans une belle cohérence de ses gammes, aux finitions soignées et aux tarifs abordables. Ainsi, les viennoiseries séduisent avec un croissant de bonne facture à seulement 0,95€, ainsi que quelques produits moins communs, tels quel l’Oranais aux Abricots, la patte d’ours ou le feuilleté pistache. Les pâtisseries se déclinent entre des entremets aux saveurs classiques, quelques tartes gourmandes, des mille-feuilles variés ainsi qu’une proposition variée autour de la pâte à choux. Le traiteur sait rester boulanger, avec des sandwiches sur base de baguette ou de pains moelleux, quelques quiches, friands ou fours salés.

Faut-il y aller ? Près de la gare de Courbevoie, Bruno Trouart et son équipe nous proposent des produits de bonne facture, à des tarifs mesurés, le tout dans un écrin sobre et élégant. Le service est à l’avenant, faisant de cette maison une adresse tout à fait recommandable, que l’on soit amateur de la fameuse flûte Gana… ou pas.

Mon parcours painrisien s’est teinté de souvenirs, au fil du temps et des rencontres. Des hommes, des femmes, autant de couleurs, d’envies, d’aspirations et de vues sur la profession qui ont fait évoluer ma connaissance et mon appréciation des boulangeries au quotidien. Pour autant, je reviens toujours à mes premiers amours, à ces adresses qui ont développé mon goût pour le pain et cet univers que je méconnaissais bien, avant d’y « plonger » comme j’ai pu le faire depuis 2 ans.

En descendant la rue Caulaincourt vers la place de Clichy, la belle boulangerie d'angle de Gontran Cherrier attire l'oeil par ses larges baies vitrées et son aménagement sobre. Cette boutique tout en longueur offre aux clients la possibilité de consommer sur place, grâce à des tables-mange debout disposés face aux vitrines extérieures. Autant lieu de vie que de passage, cette boulangerie contemporaine ne manque pas de charme, de simplicité et d'élégance.

En descendant la rue Caulaincourt vers la place de Clichy, la belle boulangerie d’angle de Gontran Cherrier attire l’oeil par ses larges baies vitrées et son aménagement sobre. Cette boutique tout en longueur offre aux clients la possibilité de consommer sur place, grâce à des tables-mange debout disposés face aux vitrines extérieures. Autant lieu de vie que de passage, cette boulangerie contemporaine ne manque pas de charme, de simplicité et d’élégance.

Décembre 2010, alors vendeur au sein d’une prestigieuse maison pâtissière de la capitale, j’entendais pour la première fois parler de Gontran Cherrier… avec visiblement un sacré train de retard, car le patronyme de ce boulanger-animateur de télévision-auteur-… était déjà à l’époque bien loin d’être inconnu au bataillon de la grande « sphère culinaire ». J’ai appris à le connaître par ses produits, pour ma part, car c’est le 18 de ce fameux mois que l’artisan a ouvert sa première boutique au 22 rue Caulaincourt, dans le 18è arrondissement. Le 18 dans le 18è, était-ce un signe ? Pourquoi pas.

« J’avais besoin du contact avec la clientèle »

L’ancrage de ce boulanger dans la profession est plus que profond : issu d’une famille de boulangers – plus précisément de la 4è génération de celle-ci -, il a autant profité du savoir-faire transmis par ses ancêtres que par sa propre expérience. Au delà du fournil familial de Luc-sur-Mer puis de Marcoussis, le jeune artisan a voulu voir plus loin. Loin dans la gastronomie, avec des expériences chez des chefs étoilés comme Alain Passard ou Senderens. Géographiquement également, au travers de nombreux voyages – Russie, Roumanie, Italie, Chine, Maroc… Il y découvre des goûts et des cultures qu’il incorpore aujourd’hui encore dans ses créations, tout en développant sa technique avec notamment la mise en place d’outils de production boulangers.

Chez Gontran Cherrier, les cultures et saveurs se croisent, se rencontrent, s'entrechoquent. L'offre de pains rassemble ainsi des saveurs d'ici - baguette de Tradition, pain de campagne, ... - et d'ailleurs - miso, curry, muscade, poivre... beaucoup d'épices des 4 coins du monde, mais aussi des spécialités comme le bagel ou le bun. Beaucoup de produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa quantité et de goûter, picorer, pour découvrir l'univers gourmand de Gontran Cherrier.

Chez Gontran Cherrier, les cultures et saveurs se croisent, se rencontrent, s’entrechoquent. L’offre de pains rassemble ainsi des saveurs d’ici – baguette de Tradition, pain de campagne, … – et d’ailleurs – miso, curry, muscade, poivre… beaucoup d’épices des 4 coins du monde, mais aussi des spécialités comme le bagel ou le bun. Beaucoup de produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa quantité et de goûter, picorer, pour découvrir l’univers gourmand de Gontran Cherrier.

Gontran Cherrier est loin pour autant d’en oublier le relationnel… et même les médias : on le voit sur Canal+, M6 ou encore Cuisine TV, en plus de la rédaction de plusieurs ouvrages autour du pain et de la boulangerie : Les tartines de Gontran, Gontran fait son pain, Pains… les titres ne manquent pas et on retrouve là une belle volonté de transmission, qu’il avait déjà eu l’occasion de mettre en oeuvre au sein de l’École de boulangerie et de pâtisserie de Paris, où il a reçu la casquette de formateur.

Même si Gontran Cherrier n'est plus impliqué directement dans le domaine de la restauration, il continue à y contribuer en apportant ses pains aromatiques. Ainsi, de nombreux restaurant parisiens ont fait appel à lui pour leur fournir des produits. Ici, un carton de buns jus de roquette-graines de courge en partance pour le Drugstore Publicis.

Même si Gontran Cherrier n’est plus impliqué directement dans le domaine de la restauration, il continue à y contribuer en apportant ses pains aromatiques. Ainsi, de nombreux restaurant parisiens ont fait appel à lui pour leur fournir des produits. Ici, un carton de buns jus de roquette-graines de courge en partance pour le Drugstore Publicis.

Ce savoir-faire a naturellement trouvé du sens auprès d’industriels, de restaurateurs ou encore d’organismes variés à l’étranger, pour lesquels il travaille au travers de sa société de conseil créée en 2007. Seulement voilà, nos artisans n’oublient jamais tout à fait leurs origines, et c’est ainsi qu’est née l’idée d’ouvrir sa propre boulangerie à Paris. Plusieurs mois de travaux auront été nécessaires pour transformer le 22 rue Caulaincourt, une boutique d’angle n’ayant pas connu le succès nécessaire à sa survie. Le résultat répond aux attentes du boulanger et de ses associés : un lieu clair, associant boiseries et carrelage blanc biseauté style métro. Je me souviens d’y avoir vu Gontran Cherrier au service de nombreuses fois, après l’ouverture. Mettre les choses en place, s’inscrire dans le quartier… puis avancer, encore et encore.

« Je voulais dès le début me développer à l’international »

Avancer, il l’a fait en ouvrant de nouvelles boutiques : cela a commencé avec celle de la rue Juliette Lamber, dans le 17è arrondissement, acquise principalement pour son grand laboratoire, en comparaison avec l’espace très exigu de la rue Caulaincourt. Le plus important pour notre boulanger gourmand était le développement à l’international : il portait cette idée depuis le début de cette nouvelle aventure.
Pour cela, Gontran Cherrier n’est pas seul : ses associés et investisseurs l’accompagnent et lui permettent d’assurer le fonctionnement serein de l’entreprise. Ce « modèle » est bien différent de celui du boulanger traditionnel, qui engage souvent ses fonds et sa famille, mais cela se défend par un positionnement particulier.

Ici, on cuit toute la journée, afin de proposer du pain frais. Cette fraicheur est essentielle pour Gontran Cherrier, qui envie parfois les volumes réalisés dans ses boutiques asiatiques, permettant de proposer des gammes plus larges avec une rotation optimale.

Ici, on cuit toute la journée, afin de proposer du pain frais. Cette fraicheur est essentielle pour Gontran Cherrier, qui envie parfois les volumes réalisés dans ses boutiques asiatiques, permettant de proposer des gammes plus larges avec une rotation optimale.

Singapour puis le Japon, où il vient d’inaugurer sa seconde boutique, l’Asie est une terre fertile pour la boulangerie française et ce n’est pas un hasard si le succès est si important là bas : la clientèle est particulièrement ouverte et passionnée par cet univers gastronomique autour du pain, des viennoiseries et des douceurs « à la française ». Cela permet de proposer des gammes plus variées, de laisser libre cours à la généreuse créativité de l’artisan et de ses équipes. A l’inverse de plusieurs de ses confrères, Gontran Cherrier a fait le choix d’utiliser une grand partie des matières premières disponibles localement : le beurre est japonais, la farine le sera au terme d’un travail mené avec Agrisystem, afin d’obtenir un produit 100% local – un challenge qui motive vraiment l’artisan. A Singapour, l’approvisionnement est plus « classique », avec de la farine des moulins Foricher et du beurre normand.

Au fournil, on s'active toute la journée pour préparer, façonner, cuire le pain et les douceurs proposées en boutique et aux restaurateurs. L'espace contraint du 22 rue Caulaincourt a incité Gontran Cherrier et ses associés à s'installer rue Juliette Lamber, où le laboratoire est bien plus spacieux.

Au fournil, on s’active toute la journée pour préparer, façonner, cuire le pain et les douceurs proposées en boutique et aux restaurateurs. L’espace contraint du 22 rue Caulaincourt a incité Gontran Cherrier et ses associés à s’installer rue Juliette Lamber, où le laboratoire est bien plus spacieux.

D’autres projets d’expansion sont d’ores et déjà planifiés, avec une nouvelle boutique au Japon dès le début de l’année prochaine. Cela n’exclut pas pour autant d’autres surprises, selon les opportunités à venir.

« J’aime aller vite, je ne suis pas très patient »

On ressent bien dans ce bouillonnement une certaine impatience, une volonté d’aller toujours plus vite, toujours plus loin. C’est sans doute pour cela qu’il s’est installé à Saint-Germain-en-Laye, en marge de ses implantations asiatiques. Pourtant, là-bas, il a vite compris qu’il faudrait du temps pour convaincre une clientèle plutôt traditionaliste. Depuis décembre dernier, Charles – son responsable de boutique – et ses équipes réalisent un important travail en ce sens.

Chez Gontran Cherrier, les cultures et saveurs se croisent, se rencontrent, s'entrechoquent. L'offre de pains rassemble ainsi des saveurs d'ici - baguette de Tradition, pain de campagne, ... - et d'ailleurs - miso, curry, muscade, poivre... beaucoup d'épices des 4 coins du monde, mais aussi des spécialités comme le bagel ou le bun. Beaucoup de produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa quantité et de goûter, picorer, pour découvrir l'univers gourmand de Gontran Cherrier.

Chez Gontran Cherrier, les cultures et saveurs se croisent, se rencontrent, s’entrechoquent. L’offre de pains rassemble ainsi des saveurs d’ici – baguette de Tradition, pain de campagne, … – et d’ailleurs – miso, curry, muscade, poivre… beaucoup d’épices des 4 coins du monde, mais aussi des spécialités comme le bagel ou le bun. Beaucoup de produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa quantité et de goûter, picorer, pour découvrir l’univers gourmand de Gontran Cherrier.

Le pain, lui aussi, aime se faire désirer et c’est ainsi qu’il revêt ses formes les plus nobles et riches : avec la fermentation, le produit développe sa palette aromatique, ses différentes qualité (de conservation, notamment)… Un processus que Gontran Cherrier aime étudier et mettre en valeur, tout en gardant son côté un peu frondeur : certaines de ses créations ont eu un recours important aux épices, ces dernières n’attendant pas pour parler. A côté de cela, le produit de Tradition demeure et il convient de lui donner ses lettres de noblesse.

« La boulangerie doit se tourner vers le terroir pour continuer à exister »

Justement, les traditions et les recettes se rattachant au terroir sont vitaux pour notre boulanger qui s’est transformé pendant quelques semaines en une sorte de routard des fournils français, avec 84 boulangeries visitées pour le compte de M6. Au travers de ces visites, il a pu découvrir de nombreuses spécialités locales et constater le succès rencontré par ces dernières auprès de la clientèle. En effet, en des temps troublés, les individus ont besoin de se retrouver dans des histoires simples et vraies, et nos artisans sont particulièrement bien placés pour réaliser ce travail.

Même si tous les pains sont proposés "nature", Gontran Cherrier n'en propose pas moins ses propres recettes réalisées sur place par ses ouvriers. Sandwiches sur base de baguette (de Tradition, mais aussi Céréales-Curry), focaccias garnies... les propositions ne manquent pas.

Même si tous les pains sont proposés « nature », Gontran Cherrier n’en propose pas moins ses propres recettes réalisées sur place par ses ouvriers. Sandwiches sur base de baguette (de Tradition, mais aussi Céréales-Curry), focaccias garnies… les propositions ne manquent pas.

Ce travail de réappropriation des coutumes doit se faire en complément de celui qui nous rapproche de nos racines… et plus précisément des matières premières locales, avec la mise en place de filières courtes. Certes, la pratique est plus difficilement applicable en Ile-de-France, mais elle ne manque pas de sens en terme de goût et de qualité des relations producteur-transformateur. La question pourrait paraître moins centrale en boulangerie-pâtisserie, mais c’est tout le contraire : farines, oeufs, lait, beurre, légumes, fruits… Les activités de pâtisserie et de traiteur – toujours plus importantes – élargissent le champ des produits présents dans le fournil d’un artisan.

C'est mignon et c'est bon, la tarte aux oignons roses surprend les yeux avant de séduire les papilles.

C’est mignon et c’est bon, la tarte aux oignons roses surprend les yeux avant de séduire les papilles.

Gontran Cherrier a fait le choix, depuis le début, d’utiliser la farine des Moulins Foricher, car il partage avec cette entreprise un état d’esprit d’ouverture et de dynamisme. Malgré tout, le prix des matières premières a globalement tendance à s’envoler et il y a là matière à se poser quelques questions.

« Je suis inquiet pour l’avenir de notre filière en raison de la contrainte des prix »

Même si les cours du blé, des oeufs et autres produits laitiers s’enflamment, il sera bien difficile pour un boulanger de répercuter pleinement la hausse auprès de sa clientèle : dès lors, la part que prennent ces éléments dans le prix final du produit augmente… et la marge diminue. Ce n’est pas toujours facile à assumer, d’autant plus dans certaines zones où la clientèle possède des moyens limités. A terme, c’est l’ensemble de la filière qui est en danger.

L'offre de pâtisseries a le bon goût de rester très boulangère : la signature de Gontran Cherrier, ce sont ces tartes "au mètre" vendues à la part, dont la fameuse amandine et sa pointe de rhum. L'idée est de toujours proposer des goûts francs et marqués.

L’offre de pâtisseries a le bon goût de rester très boulangère : la signature de Gontran Cherrier, ce sont ces tartes « au mètre » vendues à la part, dont la fameuse amandine et sa pointe de rhum. L’idée est de toujours proposer des goûts francs et marqués.

Rue Caulaincourt, rue Juliette Lamber ou à Saint-Germain-en-Laye, les prix pratiqués par les boulangeries Gontran Cherrier demeurent assez élevés, un fait qui a souvent été reproché à l’entreprise. Historiquement, ce choix avait été fait en raison des capacités de production limitées : le fournil de la première boutique est très exigu, et il était donc difficile de fabriquer en grande quantité. A défaut, il valait mieux vendre plus cher, pour assurer la pérennité de l’affaire.
Sur ce point, l’artisan mène de nombreuses réflexions et souhaiterait revenir à une boulangerie plus accessible, comme elle devrait toujours l’être. La clientèle Saint-Germinoise est riche en étudiants aux moyens naturellement limités. Il serait bien malvenu de se priver de leurs visites.

Impossible de ne pas tartiner son pain au petit déjeuner. Pour cela, Gontran Cherrier nous propose des confitures artisanales, réalisées dans la région de Besançon par Marie Petit, la fondatrice de "Ô Jardin Sucré". Cette dernière se révèle toute aussi créative que notre boulanger, avec des propositions qui sortent de l'ordinaire, comme la confiture Banane-Pomme-Café, la Poire-Carambar, entre autres déclinaisons gourmandes et savoureuses.

Impossible de ne pas tartiner son pain au petit déjeuner. Pour cela, Gontran Cherrier nous propose des confitures artisanales, réalisées dans la région de Besançon par Marie Petit, la fondatrice de « Ô Jardin Sucré ». Cette dernière se révèle toute aussi créative que notre boulanger, avec des propositions qui sortent de l’ordinaire, comme la confiture Banane-Pomme-Café, la Poire-Carambar, entre autres déclinaisons gourmandes et savoureuses.

« Parvenir à transmettre le métier et assurer une qualité de vie aux ouvriers »

Les jeunes, toujours les jeunes. Si l’on en parle autant, c’est qu’ils doivent occuper une place centrale en boulangerie-pâtisserie : sans eux, l’avenir de notre savoir-faire est nul. Un fait qui ne pouvait échapper à cet ancien professeur de l’EBP, une expérience qui lui permet aujourd’hui d’être plus efficace dans la transmission du savoir. Son nom est aussi une excellente source de candidatures : de nombreux apprentis ou stagiaires sont attirés par le certain prestige qui lui est associé, et il reçoit ainsi de nombreuses candidatures.
Ainsi, ses fournils se font autant lieux de rencontres, d’étude que de production. Ajoutez à cela un caractère cosmopolite et vous obtenez un mélange qui correspond parfaitement à Gontran Cherrier : cette micro « entreprise-monde » s’enrichit quotidiennement des expériences et aspirations de chacun.

Le tableau noir reprend les principes de la maison : proposer des produits originaux, destinés à mettre en valeur les mets placés sur une table... avec toujours beaucoup de gourmandise.

Le tableau noir reprend les principes de la maison : proposer des produits originaux, destinés à mettre en valeur les mets placés sur une table… avec toujours beaucoup de gourmandise.

Le pain est une excellente source de dialogue, car il touche à peu près tout le monde, peu importe ses origines. Il faut aussi qu’il soit produit dans des conditions acceptables pour parvenir à fidéliser les ouvriers et assurer une qualité régulière : l’artisan a ainsi instauré un jour de fermeture « non négociable », où les boulangeries sont entièrement à l’arrêt. Même si cela pourrait changer à l’avenir du fait des demandes parfois pressantes de la part des partenaires et restaurateurs, la qualité de vie du personnel est essentielle. Rue Juliette Lamber, les opérations de tourage sont effectuées de plein-pied, tout comme la préparation des produits traiteur. A Saint-Germain-en-Laye, c’est l’ensemble de la boutique et de son laboratoire qui s’étendent sur un seul niveau.

Les pâtons attendent sagement d'être façonnés pour devenir de beaux pains...

Les pâtons attendent sagement d’être façonnés pour devenir de beaux pains…

La production n’est pas le seul secteur concerné : les vendeurs doivent bénéficier du même régime pour offrir à la clientèle un conseil pertinent et cohérent avec la démarche de la maison, axée autour de l’idée d’utiliser le pain comme un objet gastronomique. Pour cela, il faut également parvenir à leur transmettre du savoir, à les former : ainsi, Gontran Cherrier et ses responsables de boutique Felipe et Charles devraient aboutir à la mise en place d’un leaflet décrivant l’ensemble des produits, comme cela a déjà été fait pour les boutiques asiatiques.

« Les artisans sont plus ouverts qu’ils ne pouvaient l’être par le passé »

On néglige bien souvent l’importance de la transmission entre artisans. Certes, il faut former des apprentis, mais nous avons aussi à apprendre de notre voisin, de par sa vision différente du métier et de ses expériences. Chacun possède ses recettes, ses tours de main. Gontran Cherrier a pu le constater sur le terrain : les artisans boulangers sont aujourd’hui plus ouverts, ils hésitent moins à échanger et à se fédérer autour du beau projet qu’est celui de faire du beau et bon pain. En effet, la profession a fini par intégrer le fait qu’il fallait créer de la cohésion pour survivre et se développer. Les enjeux sont en effet nombreux, avec une concurrence directe des industriels mais aussi des grosses chaines boulangères du type Boulangerie Louise, Marie Blachère, etc. Pour le boulanger montmartrois, il s’agit là d’une forte incitation à se réinventer. Lui-même l’a fait en apportant un vrai souffle nouveau et en donnant une vraie dimension « cuisinée » au pain, en plus de tous les ouvrages et émissions de partage qu’il a pu réaliser.

C'est mignon et c'est bon, la tarte aux oignons roses surprend les yeux avant de séduire les papilles.

C’est mignon et c’est bon, la tarte aux oignons roses surprend les yeux avant de séduire les papilles.

« Avant de développer quoi que ce soit de nouveau, je veux ré-assurer les fondations de mes boutiques »

L’actualité a été chargée ces dernières semaines pour celui qui s’est fait, en compagnie de Bruno Cormerais, le juge des « meilleures boulangeries françaises ». Une expérience enrichissante, où il a notamment pu découvrir une belle joie de vivre chez nos artisans, chose que l’on peine à imaginer depuis notre petite lucarne parisienne.
De retour à Paris, ce sont des clients beaucoup moins télévisuels qu’il faut parvenir à satisfaire, et pour cela Gontran Cherrier a bien repris en mains les rennes de ses boulangeries : même si les équipes en place assurent leur travail avec application au quotidien, la présence de l’artisan pour assurer une « ligne directrice » est bien souvent nécessaire. Il va ainsi prendre le temps de reprendre avec ses collaborateurs les différentes gammes et habitudes, avant d’entamer un quelconque nouveau développement.

Si il y a bien une signature que l'on retrouve dans l'ensemble des boutiques de Gontran Cherrier, c'est ce plafond : multicolore, lumineux, il reflète bien l'état d'esprit de l'artisan qui ne s'inscrit pas dans des codes et conventions dépassés, mais se plaît au contraire à chahuter les habitudes.

Si il y a bien une signature que l’on retrouve dans l’ensemble des boutiques de Gontran Cherrier, c’est ce plafond : multicolore, lumineux, il reflète bien l’état d’esprit de l’artisan qui ne s’inscrit pas dans des codes et conventions dépassés, mais se plaît au contraire à chahuter les habitudes.

Pour autant, les projets ne manquent pas, avec des réflexions autour du moment du goûter, une ouverture en novembre au sein du futur centre commercial One Nation Paris aux Clayes-sous-Bois (en créant des synergies avec la boulangerie de Saint-Germain-en-Laye, … nul doute que l’on entendra encore beaucoup parler de cet homme talentueux et dynamique, à commencer par le 28 août, date de début des diffusions du programme « A la recherche de la Meilleure Boulangerie de France ».

Non, non, Gontran Cherrier n'est pas surfeur comme on pourrait le penser de prime abord... mais bel et bien boulanger !

Non, non, Gontran Cherrier n’est pas surfeur comme on pourrait le penser de prime abord… mais bel et bien boulanger !

Mes goûts personnels influent forcément sur les produits que je présente ici, sur les adresses que je sélectionne et ma façon de les aborder. Même si une parfaite neutralité est impossible, et que je ne cherche pas à y prétendre, il me paraît indispensable d’aller au delà des limites que me fixe cette culture du goût, ces aspirations. La démarche est aussi positive pour moi que pour vous, mon lectorat, en définitive : de cette façon, vous découvrez de nouvelles approches du pain… et moi aussi, même si les expériences sont parfois un peu particulières.

Pain, charcuterie, fromage. Trois éléments qui peuvent ensemble constituer la base d’accords et la promesse de repas savoureux. Une réelle démarche gastronomique se déploie entre ces produits et de plus en plus de restaurateurs en prennent conscience pour créer de la cohérence sur leurs tables. Farines, levains, fermentations, … tout compte. En boulangerie artisanale, on ne peut pas vraiment dire que l’on ait attendu ce mouvement. Depuis longtemps, l’accord est proposé en « prêt à consommer », sous entendu que les pains incorporent déjà fromages, chorizos et autres lardons. Un mélange autant pratique que source de marge pour les boulangers, puisque ces produits sont bien souvent vendus relativement cher, malgré une qualité relativement défaillante : à cela, plusieurs raisons. Tout d’abord un sourcing contestable des matières premières, puis l’action de la fermentation. En effet, cette dernière transforme autant la pâte que tout ce qui peut s’y trouver. Ainsi, des fromages ou des charcuteries de grande valeur pourraient être gâchés, dégradés, par cette action naturelle.

Pain Wasabi-Sésame & Saucisse de Morteau, La Pâtisserie Cyril Lignac, Paris 11è

Dès lors, il est apparu normal pour certains artisans d’y renoncer. Ce serait bien loin de me déranger, vous l’aurez compris, je ne suis pas un adepte de ces « pains repas », à la frontière entre le déjeuner complet et la gourmandise salée un peu riche. Néanmoins, cela peut avoir du sens quand on y donne une dimension « cuisinée »… A l’image du pain Wasabi-Sésame & Saucisse de Morteau, proposé dans la boulangerie-pâtisserie de Cyril Lignac et Benoît Couvrant, dans le 11è arrondissement.

La création est autant atypique que multiculturelle. On s’envole pour l’Asie avec le Wasabi, tandis que l’on rend visite à notre sympathique Jura français. L’association des deux est intéressante, la saucisse et son fort goût de fumé étant relevée habilement par le piquant du Wasabi. Seulement voilà, ce dernier ingrédient demeure assez peu présent, et on le retrouve surtout en enrobage des graines de sésame. Saupoudrées sur la croûte supérieur du pain, elles ont malheureusement tendance à prendre la poudre d’escampette, sans doute pressées de retrouver les régions chaudes dont elles sont issues. Peut-être aurait-il été plus opportun d’en incorporer une partie à la pâte afin d’en garantir la saveur, et mieux retrouver ces petites notes chaudes et craquantes.
Parlons justement de la mie, assez dense, fondante et de bonne tenue. Même si notre amie mortuacienne y laisse une forte empreinte, elle parvient tout de même à exprimer une note d’acidité agréable, qui prolonge le goût. Malgré une caramélisation bien réalisée, la croûte reste quasi-absente à la dégustation, et elle a tendance à perdre rapidement de sa consistance.

Vue tranchée, Pain Wasabi-Sésame & Saucisse de Morteau, La Pâtisserie Cyril Lignac, Paris 11è

Un peu surprenant de retrouver ce pain comme une nouvelle création en plein été, la saucisse de Morteau n’étant certainement pas le mets tendance par ces températures. Pour autant, incorporée en morceaux de taille mesurée et en « éclats », elle parvient à se fondre dans la masse autant qu’en bouche. Le résultat évite l’écueil de l’écoeurement, et accompagnera sans difficulté champignons ou salades assez « vives », telle que la roquette, même si le mieux reste sans doute de consommer ce drôle de pain seul, à l’apéritif par exemple. Un format plus réduit aurait peut-être été plus adapté : en effet, il n’y paraît pas de prime abord, mais cette boule pèse plus de 300 grammes !

Cyril Lignac et ses équipes nous proposent là un pain très cuisiné, qui correspond bien à ce que l’on pourrait attendre de ce chef télévisuel. Même si je ne suis pas adepte de l’idée , sa réalisation demeure plutôt convaincante et utilise bien le pain comme support de saveurs et de créations.

Pain Wasabi-Sésame-Saucisse de Morteau, La Pâtisserie Cyril Lignac – Paris 11è, vendu à la pièce, 3,50€ la boule d’environ 300g.

Lisez également mon second billet au sujet de la boulangerie Raphaëlle, suite à ma rencontre avec ses propriétaires.

Certains jours, on pourrait dire que je ne suis pas énervé, mais plutôt que je suis en colère… à l’image d’une de nos actrices de la vie politique. En colère du fait du manque de professionnalisme et d’implication de la part de certains artisans, qui profitent de dispositifs d’image et de marques pour valoriser leurs produits, alors même que ces derniers sont en définitive bafoués par le non respect des valeurs d’excellence qu’ils portent. Dès lors, le problème n’est pas limité à un artisan, une boutique, mais concerne tous ceux qui font d’importants efforts pour respecter scrupuleusement le cahier des charges qu’on leur impose.

Boulangerie Raphaëlle, Paris 18è

Paris 18è. Une boulangerie discrète, à l’angle des rues André del Sarte et Feutrier. Derrière cette jolie façade rouge, ornée d’illustrations peintes du meilleur effet, c’est Raphaëlle qui régale. Ou plutôt Sébastien et Priscilla Hayertz, installés ici depuis fin 2009. Je dois dire que je n’avais pas eu l’occasion de découvrir les lieux avant d’en avoir eu vent suite au concours de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris. En effet, l’artisan s’est distingué cette année en décrochant le second prix, tout comme au Master de la baguette francilienne, organisé sur le Parvis de Notre-Dame à l’occasion de la Fête du Pain.

Quelques semaines après, la fameuse baguette obtenait la certification Label Rouge et par la même occasion l’appellation « Bagatelle », la marque développée par le Club le Boulanger pour valoriser l’engagement dans ce produit haut de gamme. Il ne faudrait pas pour autant que notre ami boulanger se trompe sur le sens à donner à ce mot : non, il ne s’agit pas d’une chose de peu d’importance, bien au contraire. Pourtant, je dois dire que je n’aurais bien peu de choses positives à dire au sujet des produits de cet artisan.

Heureusement que le papier nous rappelle que cette baguette a été fabriquée de façon artisanale, sinon on pourrait presque croire qu'elle provient du point chaud au coin de la rue, vous savez, celui auquel on ne va que quand les placards sont vides. Pourtant, il s'agit bien là d'une baguette de Tradition française Label Rouge !

Heureusement que le papier nous rappelle que cette baguette a été fabriquée de façon artisanale, sinon on pourrait presque croire qu’elle provient du point chaud au coin de la rue, vous savez, celui auquel on ne va que quand les placards sont vides. Pourtant, il s’agit bien là d’une baguette de Tradition française Label Rouge !

« La baguette BAGATELLE Label Rouge est fabriquée exclusivement à partir de la farine BAGATELLE Label Rouge. Elle est pétrie et cuite par un artisan boulanger qui respecte une méthode de panification artisanale rigoureuse et qui a obtenu le Label Rouge pour l’excellence de son travail. » J’ai du lire l’intitulé pour en être sûr : il s’agissait bien de la baguette de Tradition. J’avais plutôt l’impression d’avoir en face de moi la version « de pain courant ». Elle en a tous les atours : une cuisson courte, une mie blanche voire grisâtre, dépourvue d’alvéolage… au delà de la description physique, il y a aussi le goût et le parfum. Ici, nous avons affaire à de la levure, et à rien d’autre. Autant dire que cela n’a rien d’agréable. Même constat du côté des variations agrémentées de blé noir ou de farine de Gaude. Pour parfaire le tableau, ce constat n’est pas isolé : pensant à un « mauvais jour », je suis retourné à plusieurs reprises dans cette boulangerie. Rien de mieux.

La lumière donne quelques couleurs aux pains, mais c'est assez illusoire, en fin de compte.

La lumière donne quelques couleurs aux pains, mais c’est assez illusoire, en fin de compte.

Dès lors, vous comprendrez fort bien que je n’irai pas vous faire l’article des pains spéciaux. Intégral aux graines, pain biologique à la farine de Meule, à l’épeautre ou à la farine de châtaigne, le choix varie selon les jours et les saisons. On pourra au moins leur reconnaître des cuissons mieux réalisées, même c’est une maigre consolation.
Les viennoiseries ne font pas mieux dans leur registre, avec un caractère approximatif qui pourrait être charmant si l’on ne virait pas dans les ratés : croissants parfois trop cuits, feuilletage plutôt sec… sautons les pâtisseries et consolons nous avec les madeleines aux parfums variés pour retrouver un peu de douceur.

Pâtisseries et gourmandises, Boulangerie Raphaëlle, Paris 18è

Pour les sandwiches, difficile de vous en faire l’article, dès lors que le pain n’y est pas, on pourrait bien mettre les meilleurs produits à l’intérieur, le résultat serait toujours aussi médiocre. Reste alors le service, plutôt sympathique, souriant et efficace. Certes, l’affluence n’est pas exceptionnelle dans ces rues un peu à l’écart de l’agitation du Sacré-Coeur, mais c’est aussi ce que l’on apprécie dans ces petites boulangeries « de quartier » : le calme et la sérénité.

Infos pratiques

Angle 1 rue Feutrier – 10 rue André del Sarte – 75018 Paris (métro Barbès-Rochechouart, lignes 2 et 4) / tél : 06 99 34 81 61
ouvert tous les jours de 7h30 à 20h, sauf le mercredi et le mardi à partir de 14h.

Avis résumé

Pain ? C’est sans doute sur ce point que je suis le plus en colère. En colère de voir les efforts mis en oeuvre derrière une démarche qualitative mis à néant par des artisans visiblement peu respectueux de leur clientèle. La Bagatelle, cette fameuse baguette de Tradition certifiée Label Rouge, se trouve ici bien blanche, dépourvue d’alvéolage et développant un fort parfum de levure. Ce qui devrait être un produit d’exception se retrouve au même rang qu’une baguette de pain courant… Malgré les processus de contrôle mis en place, il est anormal que de telles situations puissent avoir cours. Cela tient de la responsabilité du meunier – ici les minoteries Trottin – et des organismes certificateurs (Certipaq, Club le Boulanger). L’imposture continue avec des titres obtenus aux concours de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris ainsi qu’au Master. J’ai bien du mal à comprendre, parfois.
Accueil ? C’est sans doute ce qui relève un peu la tristesse que nous inspirent les produits. Le service est agréable, plutôt souriant, et on profite un peu du calme dans cette rue placée à l’écart de l’agitation montmartroise. Une petite boulangerie de quartier, à la devanture soignée, que l’on aimerait juste aimer.
Le reste ? Inutile de s’étendre sur le sujet. Viennoiseries, pâtisseries et autres produits demeurent tout aussi approximatifs que les pains. On se consolera juste avec la douceur d’une de ces madeleines, déclinées en plusieurs parfums et couleurs.

Faut-il y aller ? Non. J’aurais bien du mal à vous inviter à aller chez un artisan qui porte aussi peu d’intérêt à une filière où il devrait se positionner en porte-drapeau de la qualité. Il ne me reste plus qu’à espérer que les procédures de contrôle parviendront à remettre de l’ordre dans cette « anomalie » bien désagréable. J’ai bien hésité avant de rédiger cet article. Parler de cette adresse me fait de la peine, en définitive.

Certaines recettes se transmettent de génération en génération, intégrant ainsi une forme de tradition familiale. Chacun choisit – ou non – d’y apporter sa touche personnelle avant de perpétuer la chaine en laissant à son tour ce petit bout de savoir-faire à ses descendants. C’est de cette façon que son arrivées jusqu’à nous des recettes de gâteaux variés, que l’on imaginerait mal voir disparaître ou changer de forme et de saveur. Alors oui, on visitera et revissera… mais les fondamentaux restent les meilleures ventes de nos boulangers et pâtissiers. Les créations sont un peu… ce qui reste quand les classiques sont déjà partis.

Parmi eux, le flan. Un peu maltraité, d’ailleurs, car de nombreux « artisans » ont tendance à utiliser des poudres leur permettant d’en réaliser rapidement et sans développer de savoir-faire particulier. Le résultat est à la hauteur de l’engagement : peu savoureux, à la texture gélatineuse, cette pâtisserie pourtant si appréciée perd alors beaucoup de sa superbe. Heureusement, certains persistent à lui donner au quotidien ses lettres de noblesse.

Flan Grand-Mère, Pains & Gourmandises, Paris 12è

Dans le 12è arrondissement, chez Antonio et Isabelle Dias Gil, on propose ainsi le flan « Grand-Mère ». Pas sûr qu’il y ait derrière la recette de ce produit une quelconque mère de famille, mais plutôt des artisans talentueux. Qu’à cela ne tienne, même si la personne n’est pas là, l’esprit demeure : nos douces ancêtres savaient donner du temps au temps, utiliser les meilleures matières premières, dans le seul but de faire plaisir. Lait entier, crème, oeufs frais, vanille Bourbon infusée… cette exigence est bien respectée dans ce produit, où seuls des ingrédients nobles sont utilisés, y compris la farine livrée par les moulins Foricher.

Bien sûr, il est possible de rater une pâtisserie avec les meilleurs ingrédients du monde. Ce n’est pas le cas ici, grâce à une recette bien huilée : ce flan a en effet la particularité d’être cuit au four à sole, dans son charmant cercle de bois – siglé au nom de l’artisan, s’il vous plaît ! -, afin de le « saisir » et de conserver son caractère moelleux. Moelleux, fondant, crémeux… autant d’adjectifs qui correspondent bien à cette douceur, qui tranche nettement avec les flans gélatineux voire caoutchouteux que l’on peut retrouver bien souvent.
En plus de cette texture agréable, on retrouve bien les parfums de crème, d’oeuf, avec un fond vanillé. Cette dernière demeure assez discrète, plutôt ronde et bien équilibrée. Grâce à une cuisson bien réalisée, la surface est caramélisée et contraste agréablement avec le côté plus froid du reste de l’appareil.
Le tout repose sur un fond de pâte brisée bien beurré, on regrettera cependant le fait qu’il ait tendance à se détremper assez rapidement, lui faisant perdre un peu de sa consistance.

Nos grand-mères savent être généreuses… et à la Boulangerie Pains & Gourmandises, on l’est tout autant : 8 euros pour un produit de qualité, pouvant aisément être partagé entre 4 personnes, nous sommes bien loin des tarifs stratosphériques pratiqués par de nombreuses pâtisseries parisiennes. Compte tenu de la conjoncture économique assez difficile que nous connaissons, de tels « refuges » sont bien appréciables… d’autant que l’on peut prendre plaisir à les déguster avec ses proches, dans un beau moment de convivialité. La pâtisserie boulangère est sans aucun doute l’un des leviers de survie de nos artisans, et il ne tient qu’à eux de lui donner ses lettres de noblesse.

Flan Grand-Mère, Boulangerie Pains & Gourmandises – Paris 12è, vendu 8€ la pièce pour environ 4 convives

J’aime observer le fonctionnement et les évolutions de la boulangerie artisanale en banlieue et ailleurs. Encore plus qu’à Paris, les artisans sont confrontés à la concurrence des points chauds et autres offres industrielles. Certains apportent des réponses originales à cette situation, avec des concepts tels que la « boulangerie drive », d’autres se contentent de se positionner sur des créneaux similaires en pratiquant du « 3+1 » à leur tour, tandis que les plus passionnés choisissent de se différencier par la qualité de l’offre.

Boulangerie de la Mairie, Issy-les-Moulineaux (92)

Ce qui est amusant, c’est quand des artisans parisiens ou déjà « structurés » choisissent de prendre part à la mêlée en positionnant leurs pions en dehors des frontières de la capitale… avec plus ou moins de succès.
Aujourd’hui, c’est ici, pardon, à Issy que je vous emmène pour découvrir la Boulangerie de la Mairie… revue et corrigée par Narcisse Pasquier (et sa famille, dont Josiane et Christelle), David Pasquereau et son épouse Christelle. Ces noms ne nous sont pas inconnus, car on les retrouve dans le 16è arrondissement, à la tête de la Petite Marquise de l’avenue Victor Hugo. Les Pasquier sont ainsi des habitués des « grosses maisons », ayant longtemps tenu les rennes de l’enseigne Midoré avant de la céder à Eric Kayser.

Pains, Boulangerie de la Mairie, Issy-les-Moulineaux (92)

Je ne parle pas de grosse maison par hasard, car la boulangerie du 36 avenue de la République réalise un chiffre d’affaire annuel supérieur à 2 millions d’euros : il faut dire que l’emplacement est très passant. Pour le valoriser, nos artisans ne se sont pas contentés de reprendre les lieux, ils les ont transformés afin de développer une ambiance similaire à celle de leur autre boutique. Ainsi la boulangerie de la Mairie est devenue une vraie Petite Marquise, depuis quelques mois. En effet, des travaux de rénovation ont été entrepris en début d’année, après le départ des gérants précédemment placés par les Pasquier à la tête de l’établissement.

Viennoiseries, Boulangerie de la Mairie, Issy-les-Moulineaux (92)

Comment la caractériser, d’ailleurs ? Peut-être par ses teintes, associant le noir et les dorures, ou bien par son offre de produits. Au rayon pains, la tourte de Meule côtoie celle de seigle, ainsi que la ciabatta, le pain au Sarrasin, le « Mont Céréales » et sa déclinaison aux fruits secs, entre autres complets, pains aux noix, aux olives ou encore aux noisettes et raisins. La Tradition ne démérite pas, avec un façonnage soigné pour un tarif -fort heureusement- moins élevé que dans le 16è arrondissement. Elle se négocie en effet à 1,20€ les 250g, pour un produit de bonne facture, au façonnage élégant et à la saveur de froment bien présente. Les cuissons sont globalement bien menées, et même si les prix demeurent assez élevés pour une boutique de banlieue, nous n’oublions pas que nous sommes ici à quelques centaines de mètres des portes de Paris.

Pâtisseries & sandwiches, Boulangerie de la Mairie, Issy-les-Moulineaux (92)

Du reste, la maison n’oublie pas ses bonnes habitudes… comme ses mauvaises. A côté des viennoiseries – honnêtes et variées -, des pâtisseries à la tendance toujours aussi bariolée trouvent leur place, même si l’on appréciera le soin porté à la réalisation de ces dernières.
Le traiteur possède son point de caisse dédié ainsi que sa file, et pour cause : les produits sont nombreux. Difficile de lister les nombreuses déclinaisons de sandwiches, sur base de baguette, de viennois… Quiches, pizzas et salades ne sont pas en reste, et les clients peuvent composer des formules incluant dessert et boisson parmi un choix plus restreint.

Le comptoir dédié au traiteur, avec un personnel nombreux et efficace.

Le comptoir dédié au traiteur, avec un personnel nombreux et efficace.

L’organisation est, comme je viens de le souligner, particulièrement bien vue et différencie clairement les ventes de repas et d’autres produits, tels que le pain, les viennoiseries et diverses gourmandises. On ne vient sans doute pas à la Boulangerie de la Mairie pour trouver un fort déploiement de chaleur humaine, mais plutôt pour être servi de façon efficace et professionnelle, le tout dans un cadre bien fini et élégant.

Infos pratiques

36 avenue de la République – 92130 Issy-les-Moulineaux (métro Mairie d’Issy, ligne 12) / tél : 01 46 42 20 74
ouvert du lundi au vendredi – sauf jeudi – de 7h à 20h, le samedi et dimanche de 7h à 19h30.

Avis résumé

Pain ? Une gamme similaire à celle proposée au sein de la boulangerie la Petite Marquise, dans le 16è arrondissement, a été développée ici : pain au Sarrasin, aux fruits secs (noix, noisettes-raisins), au fromage, aux olives, Ciabatta ou encore tourte de Meule ou de Seigle, le choix ne manque pas en plus de la baguette Tradition ou des habituelles propositions aux céréales. Façonnages appliqués, cuissons bien menées, les produits offrent une bonne conservation et des saveurs agréables, même si les prix sont plutôt élevés.
Accueil ? Efficace et professionnel, le service tend cependant à manquer de chaleur et la rapidité tend souvent à prendre le cas sur le côté humain. Pour autant, difficile de ne pas apprécier l’organisation bien rodée en place dans cette boutique, avec deux comptoirs bien distincts pour le traiteur et le reste des produits, ce qui permet d’assurer une belle fluidité même en heure de pointe.
Le reste ? Viennoiseries, brioches et gourmandises (cakes, financiers…) sont honnêtes, sans plus. Les pâtisseries ont toujours cette fâcheuse tendance tapageuse, même si elles demeurent soignées et correctes. L’accent est mis sur l’offre traiteur, avec une impressionnante variété de sandwiches, de salades, pizzas et autres quiches. Difficile d’en vouloir à l’artisan de valoriser son emplacement passant et de profiter de la nombreuse clientèle d’affaires environnante : en effet, ici à Issy, les sièges sociaux et autres entreprises ne manquent pas.

Faut-il y aller ? A l’image de la Petite Marquise, la Boulangerie de la Mairie est une affaire fort bien tenue, dont le succès n’est sans doute pas volé. On regrettera cependant des tarifs assez élevés, même si plus modérés que ceux pratiqués dans le 16è arrondissement. Malgré une offre traiteur prédominante, le pain n’est pas oublié et profite lui aussi d’une belle variété et d’une qualité de réalisation plus qu’honorable.

Malgré ma propension toujours plus forte à chercher de nouveaux produits, expérimenter de nouvelles saveurs, découvrir le parti-pris créatif des artisans, j’ai mes habitudes… ou plutôt celles que j’aimerais avoir, parfois. Quelques pains parviennent à me faire traverser une partie de l’Ile-de-France pour les goûter, et parfois les regoûter. La gourmandise sait faire oublier le nombre de kilomètres et la durée des parcours, dès lors qu’il est question de produits d’exception.

Heureusement pour ma santé – malheureusement si l’on raisonne de façon plus objective – ces créations sont rares et elles n’affectent donc qu’assez peu ma « routine » painrisienne… Sans doute à tort.
Il faut dire qu’en réalité, les « pains spéciaux » où l’artisan exprime vraiment son identité ne sont pas légion. La plupart du temps, le travail se résume à associer deux trois fruits secs, quelques céréales, le tour étant joué… avec un tarif en boutique forcément plus élevé que pour un pain traditionnel. On peut aller bien plus loin que ça, raconter une histoire au travers d’un produit, développer une vraie recette qui se rapproche de la cuisine. Les puristes désapprouveront, mais je n’adhère pas à ce mouvement d’orthodoxie visant à ne proposer qu’un pain « pur ».

Le Bosphore affiche une croûte presque torréfiée, mais ce n'est qu'une image : c'est en réalité un pain d'une belle douceur sucrée. La croûte apporte ainsi des notes grillées qui contrastent avec la mie.

Le Bosphore affiche une croûte presque torréfiée, mais ce n’est qu’une image : c’est en réalité un pain d’une belle douceur sucrée. La croûte apporte ainsi des notes grillées qui contrastent avec la mie.

Les spécialités régionales ou ethniques peuvent se révéler une bonne source d’inspiration pour développer une création. C’est en tout cas la démarche adoptée par Christophe Rouget lors de la mise au point de son fameux Bosphore. Je vous avais déjà parlé de ce pain « signature » lors de mes précédentes visites dans sa boulangerie, mais il mérite bien son billet dédié.
L’artisan est ainsi parti d’une base de Ciabatta, réalisée avec une pâte de Tradition française enrichie d’huile d’olive, le tout accompagné d’un taux d’hydratation très élevé. Puis il a découvert l’Ekmek turc, avec sa note de miel. La Turquie est un des principaux pays exportateurs de fruits secs… et notamment de noisettes, qui entrent dans la composition de la nougatine ajoutée au pétrissage.

Avant d'être incorporée dans la pâte, la nougatine est concassée. Un coup de marteau, et hop, le tour est joué. A chaque fois, un délicieux parfum se dégage...

Avant d’être incorporée dans la pâte, la nougatine (maison !) est concassée. Un coup de marteau, et hop, le tour est joué. A chaque fois, un délicieux parfum se dégage…

Turquie… Bosphore. Nous voici donc au coeur de ce détroit. Les effluves douces, chaudes et sucrées retranscrivent le climat local. On se laisse transporter dans cette région où la circulation se fait parfois tumultueuse, du fait des courants violents et de l’étroitesse du passage. Ainsi les eaux calmes du miel et de l’huile d’olive sont chahutées par le croquant des noisettes entières, avant de connaître l’accalmie caramélisée de l’enrobage de nougatine.
Comme aucun autre tableau, la mie de ce pain nous retranscrit à la fois cette histoire et les transformations que subissent les ingrédients au four : les éclats fondent dans la pâte, tout en se répandant et en colorant cette dernière. La température développée dans l’âtre torréfie presque la surface, avec pour conséquence directe une croûte presque noire, que l’on pourrait croire brûlée et désagréable. Bien au contraire, elle développe au contraire des parfums vifs et légèrement boisés qui viennent relever la douceur de la mie. Même si je n’apprécie pas beaucoup les pains farinés, il faut bien reconnaître le rôle protecteur de cette pratique dans le cas présent : sans cette enveloppe, le produit aurait tendance à développer une amertume peu souhaitable.

La mie du Bosphore offre des teintes orangées, qui proviennent de la fonte de la nougatine lors de la cuisson. Le miel incorporé au prétrissage renforce ce phénomène.

La mie du Bosphore offre des teintes orangées, qui proviennent de la fonte de la nougatine lors de la cuisson. Le miel incorporé au prétrissage renforce ce phénomène.

Dans cette recette, chaque ingrédient compte, et Christophe Rouget y veille : un levain naturel très doux, du miel provenant d’un petit producteur normand (même si les approvisionnements sont parfois compliqués !), des noisettes savoureuses et une huile d’olive bien parfumée… sans oublier la farine des Moulins Foricher, véritable partenaire de l’artisan. A la dégustation, on ressent bien cet engagement, cette volonté de proposer un produit de grande qualité… mais aussi beaucoup de gourmandise et de générosité. Ces valeurs s’expriment aussi au travers d’un prix accessible : 7,5€ le kilogramme.
Ce pain est presque un gâteau, une pâtisserie, mais la plus boulangère d’entre toutes.
De plus, son avantage est de pouvoir co-exister sur une table, et de pouvoir sublimer d’autres mets : un restaurateur étoilé Michelin propose ainsi le Bosphore en accompagnement du foie gras. L’accord sucré-salé qui en résulte est une véritable réussite.

Le plus symbolique et amusant reste sans doute le fait qu’on trouve le Bosphore… au bord de l’eau, à quelques mètres de l’Oise, dont le cours est bien plus paisible. De quoi se remettre de nos émotions gustatives en contemplant le lent fil de l’eau.

Le Bosphore, Boulangerie Rouget – Beaumont-sur-Oise (95), façonné en boules vendues au poids, 7,5€ le kilogramme.

Parfois je me dis que je devrais être plus sérieux, que je ne suis en définitive qu’un petit plaisantin en balade dans les boulangeries parisiennes et plus largement franciliennes. Il n’y a qu’à voir les titres de mes billets ou même leur contenu, où les jeux de mots et autres plaisanteries sont assez présents. Que voulez-vous, j’ai choisi de parler du pain, un sujet sérieux, sans me prendre au sérieux… Après tout, il s’agit avant tout d’écrire sur du vivant, du quotidien, et je pense que la vie serait bien triste si l’on devait toujours s’inscrire dans une démarche stricte. C’est aussi ça mon travail de painrisien : mettre un peu de couleur dans la vie des gens !

Sur la rue de l'Echelle, Eric Kayser étend sa terrasse...

Sur la rue de l’Echelle, Eric Kayser étend sa terrasse…

Ainsi donc j’aurais pu titrer « Eric Kayser installe son empire dans un Palais Royal », mais j’ai préféré évoquer directement la rue où sa toute dernière boutique a ouvert ses portes.
En effet, c’est au 4 rue de l’Echelle que la maison Kayser a ré-ouvert ce matin ses portes au public. Ré-ouvert, car les lieux étaient déjà en possession de l’entreprise depuis plusieurs mois, sans pour autant réaliser de production sur place. Les locaux ont été repris à une enseigne de restauration rapide mourante – « Aux Pains Perdus » – suite à son acquisition par la chaine de salad-bars Jour en fin d’année dernière.

A l'étage, les briques ont retrouvé leur éclat d'antan.

A l’étage, les briques ont retrouvé leur éclat d’antan.

Il aura fallu un peu plus d’un mois de travaux pour aboutir à ce résultat, mais la métamorphose est totale : les deux salles ont retrouvé la lumière, après avoir passé plusieurs années dans une obscurité pesante.
Nous sommes bien loin des boutiques aux « standards CMC » que pouvait développer Eric Kayser il y a quelques années – le boulanger a d’ailleurs fait appel à Mosaïc Agencement ici et à Bercy Village. Un véritable savoir-faire en terme d’agencement a été développé par son entreprise, et la clientèle ne peut que s’en réjouir. La part belle est faite aux matériaux nobles comme le bois, tout en respectant la configuration et l’histoire des lieux : ainsi, les briques qui constituent l’ossature du bâtiment ont retrouvé de la visibilité à l’étage, pour une atmosphère à la fois chic mais authentique.

Sur la droite, le bar propose le service de restauration et assure le service dans cette salle moderne, où le bois reste néanmoins dominant.

Sur la droite, le bar propose le service de restauration et assure le service dans cette salle moderne, où le bois reste néanmoins dominant.

Ces mêmes briques auraient inspiré les équipes de la maison pour le développement du concept « loft new-yorkais » déployé ici. Il prend forme au travers du bar, mais aussi de la carte de restauration : reuben sandwich, hot-dog, … l’accent est mis sur le caractère contemporain et cosmopolite de l’offre. A consommer sur place ou à emporter.
Si l’on peut reprocher beaucoup de choses à Eric Kayser, il serait bien difficile de mettre en défaut sa capacité – et celle de ses collaborateurs-collaboratrices – à capter l’air du temps pour adapter la boulangerie aux attentes des consommateurs. Cela a notamment porté sur le sourcing des produits et matières premières : ainsi, le pastrami vient tout droit de chez Michel Kalifa et sa fameuse « maison David » dans le Marais, comme le knack pur veau bien croquant et réalisé de façon traditionnelle. La démarche se poursuit du côté des produits laitiers – yaourts et desserts Beillevaire – et de la petite section épicerie fine/tartinables. Huile d’olive de chez Cédric Casanova, Miel Béton bien francilien, pâtés Dupérier, kits à cuisiner de l’Epicerie Lion… Comme me l’a indiqué Elodie de Montbron – responsable marketing et présente pour cette ouverture -, la maison a été bien conseillée pour cette thématique et cela constitue une belle vitrine du savoir-faire français dans ce quartier très touristique. Petit détail amusant, les caisses disposent d’afficheurs mettant en avant les différents produits et leurs producteurs.

De l'épicerie fine et des macarons, un secteur visant tout particulièrement les touristes. Même si nous sommes dans une boulangerie - avec une forte vocation de restauration tout de même ! -, l'idée est plutôt bien vue car elle met en avant notre savoir-faire français.

De l’épicerie fine et des macarons, un secteur visant tout particulièrement les touristes. Même si nous sommes dans une boulangerie – avec une forte vocation de restauration tout de même ! -, l’idée est plutôt bien vue car elle met en avant notre savoir-faire français.

Pour autant, le pain n’est pas oublié et cela demeure notre point d’entrée dans cette boulangerie – puisqu’à présent c’en est bien une. Situé de matière visible au fond et mis en valeur par les éclairages, il nous est proposé dans les standards Kayser : pain au sarrasin, au fromage, aux noix, aux figues, aux céréales, curcuma-noix-noisettes, ciabatta, boule de Meule… Sans oublier les « signatures » développées pour cette boutique. Les clins d’oeil aux lieux culturels environnants sont nombreux, et je vois que je ne suis pas le seul à avoir de l’humour : on trouve ainsi le Scapain – un grand pain réalisé à partir de farine de froment et vendu à la coupe -, le pain Mona Lisa – farines de Tradition et de maïs, avec inclusion de semoule de maïs, pour un résultat aux notes chaudes et légèrement craquantes, ainsi que la baguette « Honoré(e) ». Pas de Monge ici, le ticket d’entrée se situe donc à 1,15€ la baguette de 250g, ce qui demeure tout à fait honnête : les tarifs pratiqués ici sont semblables à ceux des autres boutiques Kayser, et même si certains spéciaux sont particulièrement onéreux, cela demeure appréciable.

A noter également que cette unité fera office de « pilote » dans le développement d’une offre sans gluten, notamment sur la partie restauration. Pour cela, l’entreprise a fait appel à Nadia Sammut, fondatrice du mouvement With love allergen free.

Des pains variés, entre les classiques et les signatures. La Baguette Honoré(e) est en réalité une Malesherbes habilement renommée.

Des pains variés, entre les classiques et les signatures. La Baguette Honoré(e) est en réalité une Malesherbes habilement renommée.

Côté qualité, c’est honorable, même si des ajustements restent à réaliser, notamment sur le fameux Scapain qui semblait décidé à faire quelques fourberies. Pour les viennoiseries, pâtisseries, salades et autres gourmandises, le résultat est similaire aux autres succursales, du fait de la réalisation centralisée de ces produits au sein du laboratoire d’Ivry-sur-Seine.

La gamme de pâtisseries est semblable à celle proposée dans les autres boutiques... avec un petit nouveau, le Cheesecake Passion.

La gamme de pâtisseries est semblable à celle proposée dans les autres boutiques… avec un petit nouveau, le Cheesecake Passion.

Pour ce premier jour, l’ensemble des troupes étaient au garde-à-vous, avec notamment des dégustations proposées aux passants. Même si tous les produits ne sont parfaitement maîtrisés, le service est d’ores et déjà efficace et loin d’être dépassé. Sourire, entrain et plaisir à partager cette nouvelle boutique sont au rendez-vous… autant d’éléments qui devraient en faire un succès rapide, au vu de son emplacement très passant. En bref, la routine pour Eric Kayser, qui semble aussi bien pouvoir étendre son empire au sein de régions communistes comme la Chine… qu’à deux pas de lieux forts de la feu-royauté, comme ici, au Palais Royal.

Hors de question de perdre un seul mètre : l'escalier est l'occasion de marteler encore et toujours les "fondements" de l'enseigne.

Hors de question de perdre un seul mètre : l’escalier est l’occasion de marteler encore et toujours les « fondements » de l’enseigne.

Infos pratiques

4 rue de l’Echelle – 75001 Paris (métro Palais Royal – Musée du Louvre, ligne 1 ou Pyramides, lignes 7 & 14) / tél : 01 40 15 01 31
ouvert tous les jours (!) de 7h à 20h30.

Parmi les « grands noms » de la boulangerie, il y en a certains qui parviennent à se faire assez discrets sur le plan médiatique, mais moins au sein de la profession : tout se sait rapidement, et les artisans boulangers se privent rarement pour émettre un jugement sur leurs confrères ou voisins. Pour un observateur extérieur comme moi, le plus difficile est alors de rester le plus neutre possible, d’écouter en saisissant le vrai du faux, et en essayant d’éviter les parti-pris en faveur de l’un ou de l’autre.

Franck Debieu est de ces artisans qui ont tracé un parcours passant difficilement inaperçu, aussi bien par son apport au métier que par les entreprises où il a évolué. On l’a ainsi connu aux côtés d’Eric Kayser… avant de battre de ses propres ailes, de suivre son étoile… du Berger. J’avais déjà eu l’occasion de vous parler de sa boutique historique de Sceaux, laquelle a baptisé l’enseigne puisqu’elle se situe rue du Docteur Berger. Il ne faudrait pas pour autant oublier l’autre implantation du boulanger, à Meudon-Bellevue.

L'Etoile du Berger, Meudon (92)

Avant de m’y rendre, je n’avais pas bien saisi le sens du mot Bellevue… Je l’ai mieux intégré en découvrant le dénivelé des lieux. Forcément, la vue est belle, de là-haut. Pour ne rien gâcher, le pain est bon. Que demander de plus ?
Justement, la question est posée. En réalité, si j’avais tant entendu parler de cette boutique, c’était pour le concept qui devait y être déployé. En effet, l’artisan souhaitait visiblement en faire la vitrine de son concept de « haute pâtisserie »… Une idée qui semble aujourd’hui en suspend, car le pain reste aujourd’hui l’élément essentiel du 21 rue Maurice Allégot.

Les pâtisseries présentées dans leurs... tiroirs. Surprenant.

Les pâtisseries présentées dans leurs… tiroirs. Surprenant.

Essentiel, oui, mais néanmoins entouré par quelques points surprenants. A l’entrée de la boutique, le visiteur est frappé par les pâtisseries présentées dans des… tiroirs. Derrière sont disposées les quelques tables de l’espace salon de thé, mais difficile d’oublier cette curieuse entrée en matière.
L’espace de vente est plus clair que celui de la boutique de Sceaux, assez basse de plafond. Dans cet emplacement d’angle, la lumière pénètre bien pour mettre en valeur les produits… et le pain. On pourra bien sûr reprocher à Franck Debieu le prix élevé de ses spéciaux, mais difficile d’être tout aussi critique vis à vis du goût : entre la tourte de Kamut et ses chaudes notes de noisette, le Saint-Père et sa fermentation réalisée sur base de miel, le Germain et sa mie dense, riche en graines ou encore le Bolivien, associant graines de courge et quinoa… Voilà autant de produits aboutis et pour lesquels les tarifs finissent par passer en second plan. Néanmoins, l’artisan et ses équipes n’en ont pas oublié la nécessité d’accessibilité du pain, avec une flûte du Berger proposée à 1€. Cette baguette de Tradition séduit par ses notes lactiques, son alvéolage sauvage et sa croûte bien fine.

Pains, sandwiches et viennoiseries, L'Etoile du Berger, Meudon (92)

Ne laissons pas de côté les brioches aux formes variées, accompagnées le week-end par la création du mois, ni les viennoiseries de bonne facture. On passera par contre sur les pâtisseries, l’occasion de les laisser au placard, non, au tiroir, en raison de leur qualité de réalisation peu en adéquation avec les niveaux de prix pratiqués.
La proposition salée s’articule autour de sandwiches, tartines gratinées, panini et autres pizzas ou salades. Des produits simples et de qualité, à des tarifs cependant très parisiens.

Ici comme à Sceaux, difficile de ne pas apprécier l’accueil dynamique et impliqué. L’ensemble du personnel a à coeur de satisfaire la clientèle, et cette qualité de service s’inscrit bien dans le positionnement « haut de gamme » des boulangeries l’Etoile du Berger. Le cadre prolonge cette expérience agréable, avec une large place faite à des matériaux nobles comme le bois.

Infos pratiques

21, rue Marcel Allégot – 92190 Meudon Bellevue (transilien ligne N, gare de Bellevue) / tél : 01 46 26 80 36
ouvert tous les jours sauf le mardi de 7h à 20h.

Avis résumé

Pain ? Franck Debieu est avant tout un excellent boulanger, et il continue à nous le montrer au quotidien. Après avoir développé la méthode PanovA en partenariat avec BCR et Foricher, l’artisan nous démontre dans ses deux boutiques que cet outil permet de réaliser du très bon pain en déchargeant les boulangers du façonnage. Le choix est difficile entre la flûte du Berger, proposée à 1€, la tourte de Kamut, le Saint-Père, le Bolivien… Le travail sur levain liquide permet d’offrir une bonne conservation sans développer de caractère acétique.
Accueil ? Dynamique et impliqué, le service est fluide et avenant, très professionnel. Il assure également la gestion de l’espace salon de thé, situé derrière ces bien curieux tiroirs . Le cadre demeure néanmoins agréable, avec une belle luminosité offerte grâce à l’emplacement d’angle, et le bois très présent dans l’aménagement.
Le reste ? Les produits les plus gourmands et réussis restent sans doute les brioches variées ainsi que les viennoiseries, complétées par quelques propositions boulangères comme les tartes fines aux pommes. Les pâtisseries, même si elles sont loin d’être indignes, sont proposées à des tarifs élevés pour des produits « dans la moyenne ». Belle gamme de sandwiches, tartines, pizzas et quiches, cependant, avec une belle mise en valeur des pains développés par l’artisan.

Faut-il y aller ? L’Etoile du Berger brille ici autant qu’à Sceaux, et ce pour le plus grand plaisir des meudonnais. Ils profitent ainsi de la flûte du Berger, de la sublime tourte de Kamut et des différentes créations de Franck Debieu. Le positionnement prix est très haut de gamme, parfois trop, mais la qualité est là et nous sommes là en présence d’une des grandes « signatures » de la boulangerie.