Pour susciter l’intérêt des participants potentiels à une manifestation, les organisateurs ne lésinent généralement pas sur les moyens pour s’assurer un certain nombre de « têtes d’affiche » qui marqueront les esprits et créeront des moments forts. Rien de mal à cela, vu que ces personnalités sont généralement porteuses de messages et discours de qualité, riches en enseignements.

La Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française a bien compris le processus, puisqu’elle avait invité le chef étoilé Thierry Marx lors de son congrès Univers Boulangerie 2012. Non content d’oeuvrer au sein des cuisines du Mandarin Oriental Paris, le cuisinier travaille également sur des projets autour de la « cuisine de rue », qu’il tente d’imposer comme une alternative saine et responsable au fast-food et à la malbouffe proposés par de grandes chaines mondialisées. Il développe ainsi des programmes de formation destinés à des publics en difficulté, réfléchit à de nouvelles façons de consommer nos grands classiques de la gastronomie… tout en gardant un oeil attentif sur la viabilité économique de ces initiatives.

Thierry Marx, Joël Defives (Formateur INBP), Christina Colombier (boulangère en reconversion), Jean-Jacques Marie (boulanger à Agen) et Dominique Saibron sur scène, le dimanche 14 octobre, en introduction d’Univers Boulangerie 2012

La restauration rapide, le « snacking », ce sont des activités que nos artisans boulangers connaissent bien… de mieux en mieux, en réalité, puisqu’ils ont pris ce tournant de façon importante au cours des cinq dernières années. Nous sommes loin du jambon-beurre et de ses quelques déclinaisons qui ornaient les vitrines jusqu’alors. Sandwiches toujours plus élaborés, mais aussi salades, quiches, parfois plats chauds, … le traiteur est devenu un savoir-faire que la boulangerie s’est accaparé, pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

Pour être efficaces et cohérents, soyez réguliers et ne cherchez pas à rogner sur les coûts. De par son expérience en restauration, Thierry Marx a pu comprendre l’importance de la régularité sur l’expérience client : en effet, rien de plus désagréable que de se sentir spolié un « mauvais jour », si le produit est de moins bonne qualité. La force des grandes enseignes est justement la capacité à développer des process, des recettes millimétrées dans lesquelles le hasard n’a pas ou peu de place : les ingrédients sont pesés de façon précise, et leur mise en oeuvre suit une méthode élaborée et éprouvée. Ainsi, le consommateur sait à quoi s’attendre : son casse croûte ne sera sans doute pas exceptionnel, mais il sera conforme à un certain « standard ».
Les boulangers devraient s’inspirer de ces méthodes, en sélectionnant des matières premières de qualité tout en gardant la maîtrise des coûts au travers d’un contrôle méticuleux des quantités. En plus de l’intérêt économique, cela permet de conserver l’équilibre de la recette : il ne faut pas chercher à trop en donner, ou pas assez. Egalement, pas question de préparer tout cela sur « un coin de table » : dès lors que l’on se lance dans cette activité, il est nécessaire d’être rigoureux et d’y consacrer les ressources nécessaires.

Ne pas oublier où est la valeur ajoutée du boulanger : dans son savoir-faire autour du pain. C’est sans doute l’un des points qui m’a le plus interpellé dans ce discours, car Thierry Marx est sans doute le seul à l’avoir abordé dès lors qu’il s’agissait du « snacking ». Originaire du quartier de Ménilmontant, il avait été fasciné dans son enfance par le travail réalisé par Bernard Ganachaud au sein de son fournil. Au cours de son intervention, le chef a donc insisté sur l’importance que pouvait avoir le travail du boulanger sur sa clientèle : en portant à leur vue les différentes tâches réalisées au sein du fournil, il « fait le show » en plus de réaliser son produit. Ce fameux produit, le pain, n’est pas à négliger : non content de servir de base pour les différents sandwiches, c’est avant toute chose le savoir-faire de base du boulanger. Si on choisit de le mettre de côté, en fabriquant uniquement du pain blanc, ou bien en utilisant des « prémixes » variés, plus rien ne peut distinguer à terme une boulangerie d’un autre acteur du secteur de la restauration rapide.
Au delà de la réalisation du pain en lui-même, le boulanger possède une compétence sur le plan de l’accord entre le contenu et le contenant, ce qui permet d’obtenir un résultat savoureux… Une gastronomie simple et accessible au plus grand nombre.

Développer une « boulangerie hors-les-murs » ? Thierry Marx incitait les boulangers à sortir de leurs échoppes pour développer des « kiosques », où ils pourraient proposer uniquement des produits de restauration rapide. Je ne suis pas certain que ce soit un axe de développement qui parvienne justement à développer la qualité du produit, et en particulier du pain. Une des intervenantes, Christina Colombier, en pleine reconversion professionnelle, souhaitait quant à elle développer une boulangerie « ambulante ». Ce principe pourrait permettre de redonner accès à un pain de qualité dans des zones rurales, souvent désertées par les artisans, faute de rentabilité. La mise en place de « fournils mobiles », qui réaliseraient la cuisson sur place, tout en assurant une certaine dimension théâtrale, a également été évoquée : certes, la transparence est assurée (et elle est importante dans une période où les produits industriels remplissent les fournils…) mais est-ce que toutes les conditions pour produire un pain de qualité sont réunies ? Pas convaincu.

La consommation sur place, un facteur de proximité avec son artisan boulanger. De plus en plus de boulangeries ont mué en de véritables « salons de thé » au cours des dernières années. En effet, il est bien différent pour le consommateur de prendre un petit déjeuner, une viennoiserie, chez son artisan ou dans un établissement de restauration. La relation entretenue avec le boulanger est bien plus forte et certains l’ont compris. Le consommateur peut alors profiter de l’ambiance spécifique au lieu… mais tout cela a un coût, les loyers sont toujours plus élevés et peu de commerçants peuvent s’offrir ce « luxe ». Cela laisse alors plus de place et de latitude aux grandes marques du secteur, dont la qualité est loin d’être aussi intéressante que celle proposée par un artisan.

Thierry Marx n’était pas seul sur scène, d’ailleurs, et c’est l’un des boulangers représentant sans doute le mieux cette « réussite » de la boulangerie-salon de thé, Dominique Saibron, que l’on a pu entendre. Aussi bien au Japon que dans le 14è arrondissement, la « reality-boulangerie » telle qu’il la nomme, avec son fournil visible et ses places assises créé de véritables lieux de vie.

Pour enfoncer le clou, les intervenants ont terminé le « débat » en réalisant une démonstration autour des produits de Thierry Marx. Croque Monsieur, sandwich au pastrami… l’idée était de démontrer qu’il était possible de concevoir une restauration rapide simple, de qualité, qui puisse être exécutée par les boulangers sans difficultés. Un peu laborieux et pas franchement convaincant en définitive, mais pourquoi pas. Notre chef, arborant fièrement ce soir là une veste « Badoit Express » (en référence à une opération de communication anecdotique, transformant une rame du RER C en restaurant gastronomique), a pu au moins assurer le show comme il sait si bien le faire…

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