La tendance actuelle est d’accumuler les diplômes, de multiplier les écoles et années d’études. Cela répondrait à une demande des entreprises, même si la difficulté de nombreuses « têtes bien faites » à trouver du travail met sérieusement à mal cette affirmation. Surdiplômés, trop coûteux, avec des formations peu en adéquation avec les besoins opérationnels… les raisons sont nombreuses et les résultats désastreux. Alors qu’on leur avait promis une carrière dorée, ils finissent par être contraints de chercher des métiers « de base ». J’aurais bien du mal à voir quoi que ce soit de dégradant là dedans, mais tout le monde ne partage pas le même avis. A plus forte raison quand on a sacrifié plusieurs années de sa vie pour… rien ?
A l’autre extrémité, d’autres ont fait le choix d’apprendre entièrement par eux-mêmes. Le choix, ou l’obligation : la vie et la société ne sont pas toujours tendres avec les individus, et l’égalité des chances reste encore aujourd’hui un beau concept.
Dominique Saibron est de ceux-ci : le fameux boulanger est parvenu à acquérir les techniques du métier par la force de sa volonté et son travail acharné. Ces deux traits de caractère qui lui avaient d’ailleurs permis de tracer sa route dans la pâtisserie : c’est en effet dans le sucre que l’artisan a réalisé ses premières armes. Aide de cuisine dans une clinique privée, le chef – passionné de pâtisserie – l’a encouragé dans cette voie et a ainsi développé le goût de ce jeune de 17 ans pour un univers en pleine mutation à l’époque. Fortement inspiré par les méthodes de Gaston Lenôtre, dont les techniques faisaient référence, il s’exerce autant dans la cuisine familiale qu’au sein des cuisines de restaurant où il évolue rapidement. Etablissements gastronomiques, parfois étoilés, à Paris comme en région… Le jeune Saibron a soif d’expériences et d’apprentissage.
Puis vient une rencontre, le pain. En 1985, le patron de La Safranée, pour qui il travaillait alors, souhaitait réaliser le sien du fait de la difficulté à s’approvisionner en produits de qualité à cette époque. Grâce à la rigueur acquise de par sa formation de pâtissier, l’artisan intègre rapidement les éléments qui lui permettent de faire du « bon pain ». Un stage de perfectionnement chez Lenôtre et beaucoup d’essais… la machine est lancée. Deux ans plus tard, 1987, on retrouve Dominique Saibron dans sa propre boutique, place Constantin Brancusi, dans le 14è arrondissement.
Faire le tour du monde, s’installer au Japon, pour finalement revenir dans la même localité… La vie d’un artisan est un éternel recommencement, à l’image des gestes qu’il reproduit chaque jour.
« Chaque jour remettre en question ce que l’on a fait la veille »
Certes, les gestes sont les mêmes, mais le résultat pourra différer si l’on ne prend pas garde à la façon on les réalise, et ce caractère répétitif pourra engendrer une lassitude aboutissant quasi-inévitablement à une baisse de qualité. Au 77 avenue du Général Leclerc, la routine n’a pas vraiment de place, et l’artisan tient à ce que l’on remette en question chaque jour sa façon de travailler pour continuer à évoluer et à innover.
C’est sans doute ce qui explique sa longévité dans la profession, et le fait qu’il reste aujourd’hui une référence. Plusieurs autres acteurs se sont lancés à la même époque, mais le manque de renouvellement de leurs gammes et procédés les ont condamnés à une lente perte de vitesse.
Même si la boulangerie est un métier très ancien, il reste aujourd’hui de nombreuses pistes de changement qu’il faut explorer : avec le développement croissant de la restauration hors-foyer, le pain n’a plus la même place dans les entreprises de boulangerie artisanale, et leur survie tient aussi à leur capacité d’adaptation, en terme d’offre et de moyens de production. Dominique Saibron l’a bien compris, et sa boutique d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celle ouverte en 1987. Le plus frappant est sans doute l’espace dévolu à la restauration, avec un grand comptoir et une large terrasse.
En effet, à l’étranger, on ne conçoit pas une boulangerie sans places assises, permettant de consommer viennoiseries et autres gourmandises de façon commode et conviviale. Bien sûr, l’emplacement a contribué à cet aménagement, de par son caractère large et spacieux. Rien à voir avec les boutiques du Boulanger de Monge, fondées par notre artisan voyageur : le 123 rue Monge ne manque pas de charme, mais sa surface est plus que limitée.
« Parvenir à faire plaisir tous les jours, avec un produit de qualité égale »
Qui dit espace dit aussi personnel et activité frémissante… voire rugissante. On pourrait presque entendre parler cette boulangerie, sur la place d’Alésia. Le combat ne s’est pas tout à fait arrêté avec Vercingétorix : non, au sein du laboratoire, il est quotidien afin de proposer aux très nombreux clients (plus de 2200 par jour le week-end !) des produits de qualité égale chaque jour. Pour cela, 47 personnes s’y emploient et se relaient 7j/7 de minuit à 21h (même si la boutique est fermée le lundi, la production continue quant à elle afin de fournir hôtels et restaurants) aussi bien à la vue du client – dans le fournil – qu’en pâtisserie, cuisine et viennoiserie au sous-sol.
Créer du plaisir, voilà la vocation qui anime Dominique Saibron depuis toutes ces années. A la dégustation de ses produits, il souhaite offrir à ses clients une expérience qui s’inscrira dans leur mémoire gustative… et pour cela, une totale maîtrise de la chaine aboutissant au résultat final est nécessaire. Ainsi, nappages, compotes, mayonnaises pour les salades, fonds de tarte, viennoiseries, macarons, choux… sont issus du savoir-faire porté par le personnel de la maison. En cherchant bien, on pourrait toujours trouver les copeaux de chocolat, achetés déjà débités, ou même les boissons provenant forcément de fournisseurs tiers. La différence avec nombre de boulangeries-pâtisseries parisiennes ou plus largement françaises est grande.
« L’exigence fait partie de mes valeurs fondamentales »
Pour parvenir à tenir ses engagements de plaisir, l’artisan porte également une véritable exigence, et une culture du détail très poussée : des pains manquant de cuisson pour la préparation des sandwiches, des baguettes au développement trop faible, autant d’éléments qui n’échappent pas à ce passionné. Son rôle est ainsi de contrôler, goûter, accompagner la production pour maintenir ses standards de qualité. Pour cela, il est bien entendu aidé par des éléments de valeur : que ce soit Nicolas, son responsable de production boulangerie, Franck, son responsable de boutique, ou Emmanuel Martin, son associé, l’exigence reste toujours le maître mot.
On la retrouve bien du côté des matières premières, où aucun compromis n’est fait malgré un positionnement prix très accessible : farine de Tradition sans additif ni correction meunière, commandée sur mesure auprès des Moulins Foricher, farine Biologique moulue sur meule de pierre par les Moulins Decollogne, beurre AOP de chez Lescure… Dominique Saibron est fidèle à ses fournisseurs et ne manque pas de les mettre en avant : ainsi, au Japon, ces éléments deviennent de véritables arguments de vente, avec notamment un affichage de sacs de farine en boutique. A Paris, à partir du 17 juin, ces valeurs d’artisanat et de respect du consommateur seront mises en valeur sur les vitrines de la boutique.
« Je n’ai pas besoin d’être présent au Japon pour contrôler la qualité de mes produits »
Justement, parlons du Japon, un pays cher à ce boulanger qui affiche fièrement sa présence sur deux continents : Paris-Tokyo, cela fait partie de sa signature. Parti explorer le territoire après la vente du Boulanger de Monge, il s’y installe en 2008 en partenariat avec Maxim’s de Paris et le propriétaire local de la marque, une filiale du groupe… Sony. L’aller-retour se concrétise un an plus tard avec l’ouverture de la boutique d’Alésia. Depuis, le développement en Asie a pris un bel essor, allant jusqu’à 13 boutiques nippones à une époque, même si nous sommes revenus à 8 aujourd’hui – les unités non rentables ayant été fermées. L’entrepreneur-artisan ne s’attendait pas à un tel succès, et la question d’un développement réalisé uniquement sur le sol japonais aurait pu se poser si l’adresse parisienne n’avait pas été ouverte « si tôt ».
C’est bien là que l’on peut apprécier la différence entre la France et le Japon : Dominique Saibron ne ressent pas le besoin d’être présent dans chacune de ses boutiques exportées, car le personnel local veille au respect rigoureux des recettes de l’artisan. A Paris, les variations dans l’application sont fréquentes, pour des résultats parfois discutables. Cela explique l’absence d’autres boulangeries Saibron dans notre capitale. Toutefois, cette affirmation pourrait bien être mise à mal dans les mois à venir : en effet, l’artisan recherche activement un nouveau local pour y implanter un laboratoire dédié aux productions destinées aux hôtels et restaurants. Le trafic de la boutique du 55 avenue du Général Leclerc ayant beaucoup augmenté ces derniers mois, il devient aujourd’hui difficile de réaliser sereinement ces deux activités. Même si la vocation première de ce nouveau lieu resterait la production, il n’est pas impossible qu’un espace boutique – même restreint – y soit adjoint… Affaire à suivre.
« Recruter du personnel fiable et stable est une tâche difficile »
La question du personnel est centrale en boulangerie artisanale, à plus forte raison lorsque l’on a un tel vaisseau à faire naviguer. Côté production, les ouvriers compétents manquent sur le marché et se monnayent à des tarifs élevés. Dominique Saibron est parvenu à fidéliser son équipe en leur proposant des salaires adaptés, mais aussi en donnant à chacun des perspectives d’évolution : il me présentait ainsi l’un de ses touriers, initialement embauché au poste de… plongeur ! La maison a assuré sa formation, et a ainsi réalisé une véritable mission de transmission du savoir-faire autant que d’insertion professionnelle. Cet exemple n’est pas isolé, et il reprend un peu l’histoire de l’artisan, ayant évolué par la force de sa volonté, sans diplôme ni formation.
Bien sûr, le fournil et le laboratoire accueillent aussi des apprentis, au nombre de 7 actuellement. Ces derniers bénéficient ainsi de l’exigence de l’entreprise et ont l’assurance d’en repartir avec des bases solides, ainsi qu’une vision large du métier : cuissons exclusivement réalisées sur four à sole, travail au levain ou avec une poolish pour la baguette Alésiane, gammes variées…
En vente, la qualité du service a longtemps été reprochée à cette boulangerie : personnel froid, pas toujours compétent, … la difficulté du travail n’y est pas étrangère, d’autant que les vendeurs ou vendeuses ont tendance à être assez volatiles. La situation s’est améliorée ces derniers mois, avec une meilleure formation des équipes, un système de primes tenant compte de la fréquentation de la boutique, ainsi que le recrutement d’un responsable de boutique expérimenté.
« Un véritable style Saibron »
Justement, l’espace de vente correspond à la volonté de Dominique Saibron d’offrir un visuel généreux : pas d’alignements géométriques de produits, mais des empilages qui donnent une certaine sensation d’abondance. Susciter l’envie, c’est le style Saibron. Au delà du plaisir des yeux, il se retrouve par le goût : son fameux levain de miel et d’épices fait merveille dans sa boule Bio, tout comme son Alésiane séduit par ses arômes bien marqués. Viennent ainsi pains au Maïs, brioches aux pralines, sans oublier les nombreux Tournicotis, pâtisseries, macarons (30% des ventes en pâtisserie !), sandwiches, carrés feuilletés et autres bouchées à la Reine…
« Le pain n’est pas vendu assez cher »
Ces produits ne sont pas là par hasard : ils contribuent à générer de la marge et ainsi à assurer le fonctionnement de l’entreprise. En effet, l’artisan est confronté à de nombreuses charges, et ne peut pas pratiquer des prix élevés sur le pain, produit de base par excellence. Cela a entrainé une situation difficile la première année, avec près de 65% de charges par rapport au Chiffre d’Affaires. Les rumeurs ont été bon train : affaire en redressement, déjà vendue… toujours est-il que Dominique Saibron est encore là, plus que jamais pourrait-on dire, avec une boulangerie à présent rentable, une ferme volonté de continuer à satisfaire les gourmands, et de nombreuses perspectives d’évolution.
Infos pratiques
77 avenue du Général Leclerc – 75014 Paris (métro Alésia, ligne 4) / tél : 01 43 35 01 07
ouvert du mardi au dimanche de 7h à 20h30
Bonjour,
Je suis un ancien stagiaire et diplômé des Grands Moulins de Paris ( situés à cette époque au Quai de la Gare ), où j ai travaillé un an, en 1963 et j’aime beaucoup votre site qui me replonge dans ce metier que j’ai exerce plus de trente ans.
Felicitation pour votre reportage . Très bien réalisé.
Cordialement
Marcel Bosc
Ping : Dominique Saibron : un croissant, ce sera tout merci ! | Sweet Morning
salut mon bof adoré tu me manques beaucoup je me demande si on aura l occasion de ce revoir pour papoter un peu je pense souvent a toi quand je fais tes crêpes (car j ai ta recette). mais je t avoue franchement j ai pas besoin de faire des crepes pour pense a toi.
Ping : Les Meilleures Galettes d’Ile-de-France 2016 | painrisien
Ping : 同じパンなのにどうして味が違うの!?それぞれのこだわりの味を楽しもう!パリの有名ブーランジェリー18選!
En allant chez Saintonge j’ai eu peur d’être déçue par le côté « célébrité » et que le pain ne soit plus vraiment au centre des préoccupations. Mais alors je me suis complètement trompée ! Le pain est juste excellent et le bucheron noix reste pour moi l’un des meilleurs de Paris. Excellent pain intégral également. L’accueil est efficace même si parfois un peu froid mais vu le monde il vaut mieux que ça débite. Merci pour vos articles qui me permettent de faire le tour des meilleurs boulangeries de Paris.