Nos yeux nous trompent régulièrement. Pire encore, leurs faiblesses ont été analysées, décryptées, décomposées, théorisées, pour mieux les exploiter. Notre société de l’image et d’apparat est en grande partie basée sur l’idée qu’il faut faire beau avant de faire bon. Ainsi, le consommateur aura l’impression de consommer un produit meilleur qu’il ne l’est réellement, la faute à quelques colorants (coucou le dioxyde de titane dans les sucreries ou la fameuse tarte Infiniment Vanille de chez Pierre Hermé, ou le colorant rouge des pralines roses bas de gamme). L’essor du réseau social Instagram est symptomatique de cette dérive, car on y trouve de nombreux clichés modifiés, ou vantant des produits sans aucun intérêt gustatif. La boulangerie a aussi sa part : les « améliorants » anti-cloque, l’acide ascorbique pour garantir le volume du pain, les ingrédients favorisant la caramélisation de la croûte… sont autant d’exemples qui nous montrent qu’un métier où les produits devraient être porteurs d’une certaine forme de vérité n’est pas épargné par ce fléau. Les sommes d’argent considérables investies dans les agencements de boutique plutôt que dans le personnel et sa formation s’inscrivent dans le même esprit. Les vendeurs d’emballages se frottent les mains, et une certaine catégorie d’artisan se satisfait bien de ces écrans de fumée.
« On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Antoine de Saint-Exupéry avait si bien résumé cette pensée pleine de sens. Détachons-nous du visuel pour revenir à l’authentique.

Une autre preuve que nos yeux sont faillibles réside en l’apparence similaire d’objets pourtant différents. Si l’on se contente de cette approche, on ne saisit pas leur essence. Il faut les croquer, les écouter, leur offrir un peu de notre temps et de notre sensibilité. Essayer de les apprivoiser, et inversement. La fève de Tonka et la fève de Cumaru sont semblables, mais leur parfums diffèrent légèrement : leurs origines sont différentes, comme le décrit d’ailleurs ce blog. Seuls les vrais connaisseurs distinguent réellement les deux produits. Antônia, de la boulangerie De Pâte à Pain, à Jouars-Pontchartrain (78), est de ceux-ci : forcément, ses origines brésiliennes n’y sont pas pour rien.

C’est à quatre mains que le talentueux couple, qui s’est récemment illustré dans l’émission La Meilleure Boulangerie de France en remportant la finale Ile-de-France, a conçu ce pain : une Tourte de Seigle au Cumaru. Richard a apporté tout son savoir-faire boulanger, Antônia sa créativité et sa culture. Ce savant mélange donne un relief tout particulier à ce produit : non seulement la tourte est un modèle du genre -avec une croûte présente mais pas excessive, un levain bien dosé et une farine de qualité sélectionnée chez les Moulins Viron-, mais la fameuse fève relève les parfums miellés et épicés du seigle. L’ensemble est ainsi particulièrement aromatique et addictif. J’y retrouve personnellement des arômes similaires à ceux développés par le mélilot, une plante traditionnellement utilisée comme fertilisant naturel dans les champs. Le voyage réalisé est plutôt surprenant : le seigle nous envoie en Auvergne, la fève s’envole vers les chaudes latitudes du Brésil… pour nous faire revenir là où tout commence, au plus près de la terre.
On peut ainsi déguster cette création seule, mais aussi en accompagnement de viandes rouges. Les plus gourmands l’associeront avec du chocolat ou une pâte à tartiner forte en cacao, ce qui devrait donner un relief tout particulier à leurs goûters et petit-déjeuners.

J’aime quand le pain est source d’évocation, qu’il nous transmet des émotions. On parle parfois d’une « cuisine d’auteur », pourrait-on en faire de même en boulangerie ? Si oui, cette création pourrait sans doute s’y rattacher. Merci à Antônia et Richard pour la découverte !

Tourte de Seigle au Cumaru, De Pâte à Pain, Jouars-Pontchartrain (78), vendue au poids, 7,95€ le kilogramme.

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