La vie est faite de promesses. Cela commence par celles qu’elle offre à chacun, à la naissance. Pour certains, la voie tracée laisse entrevoir des jours heureux, de l’insouciance et des bonheurs simples. Pour d’autres, le parcours sera sans doute plus sinueux, parfois on pourra s’y perdre pour tenter de mieux se retrouver ensuite. Il y a aussi les promesses que l’on fait aux autres : selon la mémoire de son public, on peut plus ou moins facilement les tenir ou choisir de s’en défaire. L’expression consacrée dit qu’elles n’engagent que ceux qui y croient, et nous sommes nombreux à tenter de nous en défaire lorsque l’occasion en est donnée. En définitive, celles qui se rappellent le plus à notre esprit sont les promesses que l’on se fait à soi même : de l’enfant qui se voit astronaute ou président à l’adulte voulant changer son quotidien, il est facile de mesurer l’écart entre nos belles intentions et la réalité. La douleur s’installe quand les distances sont trop importantes, qu’elles forment un fossé profond qui peut finir par nous perdre dans de sombres abysses.

Alexis Borychowski s’était fait une promesse : changer de métier à 40 ans. Cet ancien informaticien est allé au bout de son rêve en ouvrant il y a un peu plus d’un mois sa boulangerie au 7 rue Mouton Duvernet, Paris 14è. Son nom ? Le Temps et le Pain. Il exprime bien plusieurs aspects de son projet, à commencer par l’importance du temps dans la réalisation d’un pain de qualité, mais aussi la réflexion et l’apprentissage réalisés en amont pour construire une approche singulière de la profession. Même s’il est passé par le parcours « classique » d’un CAP Boulanger pour adultes au sein de l’école Ferrandi, l’essentiel de l’apprentissage du jeune artisan a été réalisé par ses propres moyens, notamment à l’aide d’ouvrages d’origines variées. C’est dans les ouvrages américains qu’il trouvera les éléments clés de son approche de la panification, un fait plutôt dérangeant pour nous français, qui prétendent détenir un savoir-faire inégalable sur le sujet.

Déclinaisons autour du « pain signature » : céréales, fruits secs, nature.

Sa gamme s’est construite autour de son goût et de ses convictions, et non pas des propositions de son meunier. Ainsi, il réalise à partir des farines pures et Biologiques de la Minoterie Suire des pains pour lesquels son approche d’ingénieur reste bien marquée (avec notamment utilisation d’un pH-mètre pour contrôler l’acidité du levain) : du pain Signature réalisé sans pétrissage et à base de levain de Seigle à l’excellente baguette de Tradition très lactique, façonnée à la main, associant levain et poolish, chaque produit a été réfléchi longuement. Bien sûr, quelques ajustements restent à faire mais l’essentiel est là et la clientèle peut déjà découvrir le Khorasan aux notes sucrées ou encore le petit épeautre et la tourte de Seigle Auvergnate. L’artisan réfléchit dès à présent à proposer des pains réalisés à partir de variétés anciennes de blé, tout en les mettant en valeur au travers d’un procédé de fermentation spécifique, basé uniquement sur des levures naturelles afin de mettre en valeur le goût singulier de ces céréales.

Les pâtisseries fines élaborées par Ludovic, visibles depuis la rue.

Le sucré est pris en charge par un jeune chef créatif, Ludovic, qui réalise des pâtisseries fines et recherchées ainsi que des viennoiseries créatives. Ces dernières se parent de saveurs variées -chocolat, orange et cannelle, praliné, framboise…- dans un écrin de feuilletage particulièrement réussi et croustillant. Le choix des matières premières est exigeant, et les recettes qui y sont associées parviennent à valoriser leurs qualités, à l’image du Paris-Téhéran, un éclair garni d’une crème à la pistache d’Iran sans sucre ajouté. La saveur du fruit sec s’exprime ainsi sans artifice, avec un visuel attrayant.
La gamme traiteur reste, quant à elle, dans le périmètre de l’offre boulangère avec des sandwiches, quiches et financiers ou pains salés.

Le mobilier ancien présent dans la boutique a été remis en valeur et accueille aujourd’hui des objets liés à l’univers du pain.

Une boulangerie est avant tout un commerce de quartier et c’est ce dernier qui a convaincu Alexis Borychowski du choix de cette affaire, même si les obstacles administratifs auront été nombreux (près d’un an de procédure pour acquérir le fonds !) : des commerces de bouche qualitatifs se situent à proximité, à l’image du chocolatier Choco au carré, d’un primeur ou encore du fameux boucher Hugo Desnoyer. Il fallait une certaine imagination pour se projeter dans la boutique et sa façade vert pomme, d’un goût plutôt discutable. A l’intérieur, la masse de produits et d’éléments diffus cachait le mobilier ancien et le charme du lieu, qui ont été remis à jour grâce aux travaux entrepris par l’artisan. Un effort similaire a été entrepris au sein du laboratoire, qui offre à présent un outil de travail fonctionnel pour l’équipe, en plus d’être baigné par la lumière naturelle -un fait rare à Paris, mais tellement appréciable !-.
C’est désormais une « boulangerie fine », comme l’indique la façade, qui accueille la clientèle avec un décor sobre et clair. Les travaux ne sont pas tout à fait terminés et la disposition des pains n’est pas définitive, mais le résultat est déjà plutôt satisfaisant. Nous sommes loin de l’esprit très conceptuel que développent certains entrepreneurs en boulangerie, et cela dénote bien de la sincérité de la démarche adoptée par l’artisan. L’équipe a été dimensionnée en rapport avec ce projet : 4 personnes composent l’entreprise, ce qui permet de conserver une masse salariale correcte.

Le temps… et le pain nous diront si les efforts entrepris ici seront durables et couronnés du succès qu’ils méritent auprès de la clientèle. Pour y parvenir, la communication devra sans doute être accentuée autour des éléments forts associés aux produits -sélection des matières premières, travail de fermentation, …- et ainsi faire du lieu un incontournable du quartier en terme de pains et gourmandises de qualité.

Infos pratiques

7 rue Mouton Duvernet – 75014 Paris (métro Mouton Duvernet, ligne 4) / tél : 07 82 24 68 06
ouvert du mardi au samedi de 7h30 à 20h, le dimanche de 7h30 à 13h.

4 réflexions au sujet de « Le Temps et le Pain, Paris 14è, un projet de longue fermentation »

  1. Merci Rémi,
    Cette boulangerie est juste à côté de chez moi et je ne manquerai pas d’y aller. Ton article m’a convaincue ! Véronique Mignery

  2. Cette nouvelle boulangerie-pâtisserie du 14ème mérite d’être découverte.
    La gamme des pains Bio (à la coupe essentiellement) est suffisante et on trouve les fondamentaux :
    – Froment : 9,5 € kg
    – Froment complet ; Seigle : 8,8 € kg
    – Graines : plus de 10 € kg de mémoire
    – Fruits secs : plus de 12 € kg de mémoire
    La baguette (1,20 €) à l’air attrayante.

    Lors de mes 3 achats, l’accueil a toujours été agréable, il faut le souligner.

    Un reproche : la cuisson est beaucoup trop poussée car à chaque fois, surtout à l’extrémité des pains, c’est calciné ! Et pour moi, il n’y a rien de pire que le goût de brûlé qui masque le parfum du pain et de sa mie. Désormais, je coupe l’extrémité sur quasiment 2 cm et les zones dessus les plus atteintes. C’est dommage car autrement, la mie est fraîche et parfumée.
    Certains apprécient peut-être mais pour moi, c’est rédhibitoire.
    Le boulanger devrait bien trouver une astuce pour résoudre ce problème (sauf si c’est voulu).

    La conservation est correcte (3 jours) : je n’ai pas noté de différence avec un bon pain bio sur levain.

    Pour l’instant, le complet est mon préféré. Le froment est plus « fade » (c’est normal) mais à l’avantage de plaire au plus grand nombre.

    Les prix pratiqués sont ceux de bonnes boulangeries reconnues depuis longtemps. C’est sans doute indispensable compte tenu du volume vendu qui doit encore être limité comparé à ces concurrents, mais à ce tarif là, la qualité attendue n’est pas encore au rendez-vous (notamment pour la cuisson et les croûtes un peu trop épaisses).

    Les pâtisseries sont alléchantes et également aux tarifs assez élevés. Je n’ai pas encore testé.

    En conclusion, une adresse à découvrir pour la démarche de sélection des matières premières, le travail sur levain, l’accueil et les gourmandises proposées. Mais quelques améliorations attendues pour la cuisson.

  3. Une belle découverte dans le quartier Alesia, j’apprécie le pain et cette boulangerie fine le réalise avec énormément de passion. Les pains à trancher sont particulièrement excellent. On retrouve le goût des pains d’Antan.

  4. Le khorasan est parfait. Croustillant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur. J’ai enfin trouvé le pain qui satisfait à tous mes critères dans ce quartier pourtant bien fourni en boulangeries.

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