Dans le monde de communication et d’apparence où nous vivons, la publicité est partout. Comprenez bien que la réalité de ce que nombre d’entreprises ont à nous vendre n’a rien de bien éthique, sain, naturel ou même digne d’intérêt. Pourtant, en utilisant nombre de biais cognitifs -à commencer par la répétition, qui finit par faire entrer un message dans les esprits quand bien même ce dernier serait indésirable-, on parvient à faire penser le contraire et à susciter l’adhésion ou des actes d’achat. Les supports de communication « traditionnels » restent bien sûr prédominants, à l’image des bannières, encarts et autres panneaux. Il faut cependant compter sur de nouveaux moyens, souvent plus insidieux, pour diffuser des messages publicitaires… et c’est ce qui fait le lit des fameux « influenceurs », lesquels parviennent à humaniser et incarner le sujet, le rendant ainsi plus audible auprès de leur communauté. Au delà du débat de la durabilité ou non de telles stratégies promotionnelles, cela nous met face à l’échec des méthodes de communication « de masse » adoptées précédemment pour faire l’article des biens de consommation. C’est tout aussi vrai en boulangerie, et cela explique en partie l’inexorable chute des réseaux et autres marques nationales.

Certains l’ont compris bien et ont très tôt capitalisé sur leur identité pour se développer. C’est le cas du couple Feuillette, qui a bâti le succès de son enseigne sur son univers cosy, les véritables photos de famille, la cheminée et autres éléments destinés à convaincre le consommateur de l’authenticité des produits et plus globalement de l’entreprise. J’avais eu l’occasion d’évoquer dans ces lignes le sujet de cette enseigne il y a déjà 6 ans, en mai 2015. Son développement n’a cessé depuis lors, porté à la fois par des implantations en propre et en franchise. Le concept s’est affiné, et même si la ligne directrice n’a que peu varié, le succès rencontré par la marque est indéniable et démontre un véritable savoir-faire autant qu’une capacité à séduire partenaires -issus d’horizons variés- et clients.

Déjà passé sous les caméras du groupe M6 pour l’émission La Meilleure Boulangerie de France, le couple Feuillette a renouvelé l’expérience dans un registre différent : il s’agissait pour eux d’être infiltrés dans leurs propres équipes et celles de leurs franchisés pour le programme « Patron Incognito », diffusé le 31 mai 2021. On pourrait discuter longtemps de l’intérêt de ce format, mais ce n’est pas vraiment le sujet que je souhaitais aborder aujourd’hui.
Tout d’abord, je trouve gênant que ces entrepreneurs soient invités pendant plus d’1h30 pour faire ainsi la promotion de leur enseigne, mais ce n’est qu’un avis personnel.
En revanche, on peut s’attarder un peu plus sur les éléments de langage et la position du couple au sein d’une structure toujours plus tentaculaire : elle a atteint il y a quelques jours les 39 boutiques, avec un objectif à 100 d’ici 5 ans.

Laure et Jean-François Feuillette tiennent à faire vivre une histoire selon laquelle leur passé de pâtissiers et le fait qu’ils aient été installés dans une petite affaire les rend légitimes en tant que véritables artisans, attachés à la qualité des produits et à la transmission du savoir-faire. Leur développement et l’identité actuelle de leur entreprise montre bien que la réalité n’est pas exactement aussi simple : il y a nécessairement eu une évolution et leur métier a changé. Les différentes scènes nous prouvent bien que les dirigeants ne sont plus au fait du quotidien des équipes : de la découverte de la pénibilité de certaines tâches ou de méthodes d’organisation ne permettant pas d’aboutir à un produit de qualité optimale, on comprend vite d’un fossé s’est creusé entre les boutiques, de plus en plus franchisées par ailleurs, et le siège.
Cela explique d’ailleurs pourquoi les salariés ont pu être piégés : ils n’avaient, pour certains, tout simplement aucune idée de qui sont les deux fondateurs de l’enseigne. Si j’avais un seul conseil à leur donner, ce serait de mieux faire vivre leur histoire, d’inclure dans la formation des nouvelles recrues des éléments leur permettant de s’imprégner de l’identité de l’entreprise et de ses « valeurs », à commencer donc par l’identité de ses illustres créateurs. Ce sont eux qui font vivre la marque et en sont les meilleurs ambassadeurs. Au final, on se rend bien compte que l’histoire vendue aux clients n’est pas celle vécue en interne.

On peut aussi remarquer qu’il existe aussi des anomalies, lesquelles échappent visiblement aux contrôles internes… à l’image du choix des matières premières, visiblement remanié par le franchisé angevin, preuve supplémentaire que la franchise en boulangerie n’a rien d’une sinécure, à plus forte raison quand de nombreux produits sont fabriqués, transformés ou finis sur site. Espérons pour eux que les « trous dans la raquette » ainsi identifiés seront rapidement corrigés.

Quand Laure Feuillette découvre le quotidien d’un boulanger de son enseigne… un grand moment de télévision.

Tout ça pourrait sembler sans grande importance si leurs méthodes n’avaient d’impact que sur le seul fonctionnement de leur entreprise. Il n’en est rien : malgré tout l’intérêt exprimé par Laure Feuillette pour le métier de boulanger et l’indication selon laquelle « le recrutement des boulangers était devenu une priorité », leur vision de cette noble profession n’est orientée qu’autour des volumes et du profit. J’en veux pour criant témoignage la situation du jeune boulanger angevin qui n’avait d’autre choix que de rogner sur des étapes de la fabrication et passer son temps à courir pour répondre aux exigences de l’enseigne en terme de productivité et d’horaires d’ouverture. Est-ce que cette approche est durable, ne conduit-elle pas à un épuisement de notre ressource la plus précieuse, en l’occurence l’humain, et à long terme des ré-orientations vers d’autres activités ? Les apprentis et salariés passant par ce type d’entreprise sont durablement affectés par les méthodes qui y ont court, à la fois par la faiblesse du savoir-faire métier et la pression constante. Il me semble que nous devrions donner d’autres perspectives à ceux qui s’orientent vers la boulangerie, et ainsi cesser de dresser ce type d’entrepreneur comme des exemples de réussite. Je vois de nombreux artisans qui sont admiratifs de la réussite du couple Feuillette, et j’aimerais simplement leur dire qu’il n’y a rien de honteux que de créer une petite entreprise, si cette dernière crée du sens et de la valeur durable. Je respecte ces entrepreneurs, mais je ne les admire pas.

La qualité discutable des pains vendus dans plusieurs des boutiques de l’enseigne laisse quelque peu songeur quand on entend le discours du couple Feuillette.

M6 et leurs champions de la boulangerie n’ont en tout cas pas fini de nous faire rêver : non content d’avoir eu son émission dédiée, Jean-François Feuillette sera cette semaine sur l’antenne pour la finale du programme « Mon gâteau est le meilleur du France », à l’issue duquel il commercialisera la création du vainqueur. Autant dire que l’on n’a pas fini de se régaler… au propre comme au figuré.

Une réflexion au sujet de « Quand le couple Feuillette fait sa publicité aux frais du groupe M6 »

  1. La réussite de ce type d’enseigne est leur pouvoir de communication, prix d’achat , personnel moins payer , marge très bien calculé

    Le problème de l’artisan c’est que l’on a du mal à être bon dans tous les secteurs car nous sommes débordés, trop fatigué pour être concentré sur ces sujets importants

    L’artisanat boulangère est en pleine crise et dommage que les boulangers ne voient pas la nécessité de l’UNAABP

    Et sur tout leur appartenance à une autre convention collective que nous

    Courage à nous artisans du fait maison

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