24
Juin
2012
Chez Sébastien Gaudard, l’exotisme est dans la proximité
14 commentairesNos artisans façonnent autant qu’ils sont façonnés. Leurs parcours de vie influent directement sur les produits qu’ils nous proposent au quotidien, et justement, ce quotidien est sans cesse amené à évoluer. Rien de plus triste que de ne pas ressentir ce vécu, de ne pas lire une histoire lorsque l’on déguste un produit. Pourtant, c’est de plus en plus le cas, du fait de l’omniprésence de l’industrie dans les vitrines de nos boulangers et pâtissiers…
Face à cela, certains résistent, ou plutôt choisissent de faire différemment, de chercher le goût du passé. Une véritable quête de sens qu’a entamé Sébastien Gaudard pour ouvrir sa boutique du 22 rue des Martyrs, au coeur d’un quartier qu’il connaît bien puisqu’il y réside depuis plusieurs années. Fauchon, le Délicabar du Bon Marché… Le pâtissier a longtemps agité les papilles des parisiens pour en définitive revenir à des goûts plus simples, car il ne se retrouvait plus dans cette quête effrénée d’ingrédients cueillis aux quatre coins de la planète, pour parvenir à des accords parfois chancelants. Son analyse est que le nouvel exotisme serait d’aller chercher ce qui est proche de nous, ce qui porte une véritable force d’évocation. Souvenirs d’enfance, une période où nous sommes généralement très « sucré ». Le chef lui-même se souvient des délicieuses bonbonnières disposées de part et d’autre du lit de ses grands-parents… A la Pâtisserie des Martyrs, on ne revisite pas, non, on fait renaître.
Des renaissances, il y en a eu plusieurs ici. A commencer par le lieu, ancienne pâtisserie Seurre comme bloquée dans les années 80, la boutique a bien failli devenir un Beauty Monop’ lors du départ à la retraite de ce dernier. Une intervention politique plus tard, la catastrophe est évitée de justesse, ce qui permet à notre artisan – alors en recherche d’une implantation depuis 2 ans – d’installer sa bonbonnière bleutée qui fait aujourd’hui le bonheur des grands enfants de la rue des Martyrs. Il faut dire que Sébastien Gaudard a toujours baigné dans la gourmandise : fils de pâtissier à Pont-à-Mousson, l’artisan ne fait aujourd’hui que prendre la suite de l’histoire familiale. Pas n’importe comment, d’ailleurs, puisqu’il reprend autant les objets (pots en verre de la boutique mussipontaine, notamment) que les produits. Cela ne paraît pas forcément, mais malgré ses 6 mois d’existence, la Pâtisserie des Martyrs est chargée d’histoires et répond à un vrai besoin d’ancrage… et d’honnêteté.
Honnêteté et rigueur, c’est bien ce qui caractérise l’homme avec lequel j’ai pu échanger. Des éléments qui se retrouvent bien dans ses produits, en définitive. Pour redonner aux desserts et douceurs oubliés leurs lettres de noblesse, il a cherché les recettes pendant de longues semaines dans des ouvrages anciens, sélectionné d’excellents fournisseurs (que ce soit pour la confiserie, où son expérience chez Fauchon lui a permis d’acquérir un carnet d’adresses dense, les matières premières – chocolat Valrhona, laiterie l’Or des Prés… – ou encore les liqueurs de Laurent Cazottes…) et investi dans son outil de production. Impossible de ne pas jeter un oeil sur le magnifique laboratoire visible depuis la boutique, baigné dans la lumière naturelle, une chose rare pour Paris.
Avant même son arrivée ici, ces fameuses pâtisseries d’antan ne lui étaient pas inconnues, car il avait déjà publié avec Françoise Bernard un ouvrage fin 2009 – Le Meilleur des Desserts, aux éditions Hachette. L’auteure, aujourd’hui âgée de 91 ans, entretient avec l’artisan des relations étroites et a d’ailleurs contribué à la mise en place de la gamme.
Cette fameuse gamme de produits ne tient pas du hasard. On y retrouve des pâtisseries gourmandes et vivantes : rien de marketé ou présentant un visuel tapageur. L’honnêteté est là, également. A peine les desserts ont-ils été désucrés pour répondre aux goûts de l’époque, mais ce détail mis à part, il n’y a pas besoin de présenter les Paris-Brest, Choux à la Vanille ou autres éclairs proposés ici. Une vitrine vivante dans laquelle Sébastien Gaudard compte bien faire entrer de nouvelles propositions au fil du temps, encore faudrait-il le trouver !
Depuis quelques jours, les framboises ont fait leur apparition ici, avec un certain retard par rapport aux autres pâtissiers de la rue. Les raisons ? Toujours cette honnêteté et cette rigueur : en effet, les fruits sont directement livrés par un petit producteur du Lot-et-Garonne, sans intermédiaire. Cueillis après 18h pour assurer une meilleure conservation, ils expriment toute leur saveur dans des tartes sans nappage, comme de vrais bouquets, simplement relevés et sublimés par un délicat fond de tarte nappé de crème. Ici, pas de question quant à la fraicheur du produit, puisque toutes les pâtisseries sont du jour : rien ne « repasse » comme il est coutume de faire dans de nombreuses maisons parisiennes. Forcément, pas d’impression d’abondance permanente, même à l’heure de la fermeture, ce qui est souvent reproché à cette pâtisserie…
Cependant, le passé ne doit pas s’endormir, et notre artisan ne manque pas de projets pour les mois à venir : une gamme de Miels renouvelée, des tablettes de chocolat, du travail du côté des glaces, dont la gamme demeure encore très réduite … en plus des horaires d’ouverture qui ont été élargis à plusieurs reprises (suppression de la coupure au déjeuner, tradition héritée de l’ancien propriétaire, et ouverture le dimanche toute la journée depuis peu).
Sébastien Gaudard est aujourd’hui un pâtissier « bien dans ses baskets » (qu’il porte, d’ailleurs !), ayant trouvé son ancrage, même s’il sait qu’il reviendra sans doute à des périodes plus « créatives ». Quant à nous, c’est avec plaisir que nous avons trouvé notre port d’attache gourmand sur la rue des Martyrs !