Quand on commence à jouer à un jeu, on en apprend les règles. Cela a toujours été ainsi, et j’espère que ça ne changera pas. Dans la vie, c’est la même chose : notre société est régie par un certain nombre de codes, qui nous permettent de vivre en communauté.
En boulangerie, on compte parmi ces fameux règlements l’observation d’un jour de fermeture hebdomadaire. Dans ce métier physique, où les équipes sont soumises – aussi bien en production qu’en vente – à des rythmes de travail soutenus, le maintien d’une telle pratique me paraît indispensable. Elle l’est d’autant plus qu’elle protège les artisans indépendants : si demain l’on autorise une ouverture 7j/7, les plus fragiles d’entre eux ne pourront pas prendre le pas et seront happés par des grosses structures, dotées d’équipes en roulement.
Seulement, quelques petits malins semblent avoir décidé d’écrire l’histoire à leur façon, en mettant de côté leurs obligations et en faisant fi de toute considération envers leurs confrères. C’est ainsi que les boulangeries Feuillette se distinguent : la plupart sont en effet ouvertes tous les jours de la semaine. Une pratique à laquelle la chambre syndicale devrait, à mon sens, mettre fin. Pourtant, l’entreprise multiplie les points de vente sans être inquiétée. Que fait la police ?
La boulangerie Feuillette de La Chaussée Saint-Victor, aux portes de Blois. Non, nous ne sommes pas sur la côte comme la terrasse et son agencement pourraient le faire croire !
Boulangeries, vous dites ? Rendez-vous à La-Chaussée-Saint-Victor, en proche périphérie de Blois, pour découvrir le concept développé par le couple Feuillette. Les deux époux sont issus d’un cursus de pâtisserie, et sont passés par de grandes maisons. Ladurée, Pierre Hermé, Georges V, Claude Bourguignon, … un parcours exemplaire avant de poser leurs bagages dans le Loir-et-Cher. Très vite, leur ambition dévorante les pousse à grandir et à quitter le centre-ville pour privilégier les emplacements d’entrée de ville, où ils déploient des espaces de vente particulièrement spacieux, avec un décor et une identité particuliers. Dès notre arrivée, on constate que l’enseigne veut montrer son ancrage dans la « tradition » en affichant les portraits d’illustres ancêtres, comme si cela représentait un quelconque gage de qualité.
Le parking, véritable nerf de la guerre pour l’enseigne.
Rien à redire sur le concept : c’est bien exécuté et on comprend rapidement que tout a été pensé pour le rendre particulièrement rentable. Une gamme de pains très courte, recentrée sur la baguette de Tradition tarifée à 0,95€ avec une gratuité pour 3 pièces achetées, beaucoup de snacking en semaine et des pâtisseries plus élaborées le week-end. Ajoutez à cela un parking, beaucoup de place pour consommer sur place, des éléments rassurant le consommateur (fournil visible depuis la boutique, des spécialités « maison » telles que la brioche feuilletée…) et un service plutôt dynamique, jeune et souriant. Cela fait illusion et satisfait sans doute de nombreux consommateurs, parfaitement solubles dans le discours marketé de la maison Feuillette.
La baguette de Tradition
Preuve en est que M6 y a amené ses caméras l’an passé. En effet, l’émission « La Meilleure Boulangerie de France » avait fait escale à La Chaussée Saint-Victor suite l’inscription de la boulangerie par les clients, et sa sélection par la production. Le discours passionné de Jean-François Feuillette aura sans doute fait illusion quelques temps, mais la réalité est bien différente. La vocation de l’entrepreneur en s’approchant du métier de boulanger (auquel il a été formé par le biais d’un cursus accéléré, rappelons-le) tient plus au caractère lucratif du métier qu’à un quelconque amour profond du pain.
Les Feuillette n’ont pas fait dans la demi-mesure pour l’aménagement de leur boutique de la Chaussée Saint-Victor… quitte à en tomber dans des travers douteux, à l’image de la cheminée artificielle.
Des preuves ? En faut-il vraiment ? Installons-nous au coin du feu – tout aussi artificiel que le reste – pour découvrir les produits Feuillette. En bref, feuilletons le catalogue Feuillette. Tout un programme.
Le produit d’appel que représente la baguette de Tradition, réalisée à partir d’une farine livrée par Axiane Meunerie, affiche un visuel aussi sobre qu’attirant. Façonnage mécanique, coup de lame unique, aucune prise de risque pour faire exécuter la recette à des boulangers souvent peu expérimentés. Techniquement, tout y est : croûte craquante, mie légèrement grasse et bien alvéolée… reste le goût, assez neutre. On peut tout de même reconnaître le fait qu’achetée en lot – 2,85€ les 4 pièces -, ce produit offre un rapport qualité/prix satisfaisant.
Le fournil est bien mis en avant pour rassurer le consommateur sur le caractère artisanal de la production.
Le reste de la gamme boulangère fait de la figuration. Les variations autour des fruits secs (noix, noisettes) ne présentent pas beaucoup d’intérêt – et leurs tarifs s’envolent rapidement, atteignant les 8,20€ le kilogramme ! -, tout comme la ciabatta qui se résume à un pain moelleux à l’huile d’olive, loin du produit réalisé par certains artisans.
Les viennoiseries sont de qualité très médiocre. La brioche feuilletée, érigée en spécialité de la maison, ne fait pas beaucoup mieux tant elle est riche et mal équilibrée en saveurs.
Pour le reste, il n’y a pas beaucoup de questions à se poser. Les produits sont attirants à l’oeil, que ce soit en pâtisserie ou qu’il s’agisse de la brioche feuilletée, vantée pour être la spécialité de la maison. En bouche, c’est une autre affaire. Les notes de gras et de sucre ont tendance à s’exprimer plus que les parfums que l’on serait en droit d’attendre… mais il ne s’agit en définitive que du goût « standard », auquel nous avons été habitués depuis bien des années. L’entreprise ne fait que reproduire des recettes qui fonctionnent, et le succès de leurs produits ne pourrait leur donner tort. C’est ainsi que l’on économise sur les matières premières, pour aboutir à des affaires sans doute plus florissantes. Est-ce ainsi que nos artisans doivent agir ?
Le week-end, la vitrine pâtisserie est bien garnie.
Si de telles pratiques n’avaient pas d’impact sur le reste de la profession, on pourrait tout simplement faire le choix de les ignorer, et se contenter de laisser le consommateur seul juge pour son acte d’achat. Seulement, les choses ne sont pas aussi simples : un artisan confronté à une concurrence agressive n’a pas toujours les moyens d’y répondre de façon sereine. Dès lors, il est souvent tenté de se positionner en concurrence frontale, et donc de reprendre les mêmes codes.
Un bon exemple est celui de Christian Nardeux, lequel possède plusieurs affaires dans le secteur de Tours. Une boulangerie Feuillette s’est installée récemment à Saint-Cyr-sur-Loire, soit à proximité de l’une de ses boutiques. Sa réaction ? Faire du 3+1 à son tour. C’est ainsi toute la profession qui est tirée vers le bas. En se détournant des préoccupations fondamentales de qualité pour engager une guerre des prix et de compétitivité, elle ne pourra plus faire face à la concurrence industrielle sur le long terme.
Christian Nardeux est également livré en farine par Axiane Meunerie. Certains acteurs de la profession savent ouvrir le robinet à farine sans ménagement.
Je ne doute pas cependant de la capacité du couple Feuillette à tirer son épingle du jeu. Bien plus que la passion du métier d’artisan, ils ont développé une véritable fibre entrepreneuriale qui parviendra sans doute à développer leur marque. Au point de convaincre de nouveaux partenaires de les rejoindre, au travers d’un système de franchise. Il faudrait donc parfois savoir oublier d’où l’on vient pour arriver où l’on veut. Le constat est aussi triste que réel.
Infos pratiques
Toutes les adresses et informations sur le site internet de l’enseigne : http://www.feuillette.fr
-
-
-
La maison Feuillette ne manque pas d’humour et le fait savoir sur ses sachets.
-
-
Rien à redire visuellement sur cette baguette.
-
-
-
Les pâtisseries sont alléchantes et généreuses… mais le goût n’exprime pas une grande finesse.
-
-
Les macarons sont l’un des fer de lance de l’entreprise. A 0,95€ l’unité, c’est un produit plutôt honnête avec des coques au bon parfum d’amande, même si les ganaches manquent parfois de saveur.
-
-
-