08
Juil
2015
Ma traversée du désert : un CAP Boulanger en formation pour adulte
65 commentaires8 juillet 2015, annonce des résultats du CAP Boulanger. Je suis admis, et, de fait, diplômé. Je devrais peut-être me réjouir, aller fêter ça, me dire que cela récompense des efforts fournis ces derniers mois. Rien de tout ça. Je suis là, à écrire un billet qui ne restera sans doute pas dans les annales des plus brillants de ce blog, mais qu’importe. Aujourd’hui, je n’avais pas envie de vous raconter d’histoires, mais de vous parler un peu de la mienne, de celle que j’ai écrit en commençant une formation accélérée en boulangerie au sein de l’Ecole de Boulangerie et de Pâtisserie de Paris, le 9 février dernier.
J’en avais beaucoup entendu, je pensais être blindé. La vie sait faire tomber les certitudes. J’ai peut-être tort de considérer que l’enseignement devrait être un secteur protégé, où les aspects purement mercantiles savent rester en retrait derrière l’importance de la transmission à réaliser, des moyens à mettre en oeuvre pour donner à l’autre la capacité de se réaliser, de grandir et de s’épanouir.
On vit dans un monde formidable, où ces principes n’ont pas cours. Un monde où l’on propose des formations tarifées plusieurs milliers d’euros en faisant croire qu’elle représente la clé pour une nouvelle vie, un nouveau départ. De grands projets, j’en ai vu. Des envies d’ailleurs, d’ouvrir « sa » boulangerie à l’étranger, comme si ce métier représentait un eldorado, une opportunité de réussite facile à saisir.
Ceux qui réussissent ont du métier, des compétences, et une certaine humilité par rapport aux tâches qu’ils répètent chaque jour. Autant d’éléments que ces formations en quelques mois ne donnent pas. L’humilité est sans doute un élément déterminant, d’ailleurs. En arrivant, beaucoup imposent leurs certitudes et leur façon de penser. Bienvenue dans le royaume du « je », de l’affirmation du moi sur les autres. Avec le temps et la prise de conscience de la complexité du métier, certains en reviennent, se posent des questions et évoluent. J’ai eu plaisir à passer du temps avec eux. Sincèrement. J’ai failli abandonner au bout de la première semaine, plus que la contrainte physique, l’ambiance me pesait et l’incapacité chronique de certains de mes camarades à se plier à l’autorité, à recevoir un quelconque enseignement me pesait. Je n’ai pas la chance d’avoir les épaules très solides.
J’ai quand même continué à marcher, enfin, à tituber. Même si j’avais fini par tomber, cela n’aurait en définitive engagé que ma responsabilité : je n’ai jamais sollicité de financements ou d’aides. Les organismes de formation professionnelle, tels que le FONGECIF, participent aujourd’hui malgré eux à ce système. Une bonne partie des participants à ces mouvements de reconversion bénéficient en effet d’un accompagnement, et les écoles ne sont pas les dernières pour en profiter. Module optionnel coûteux et à l’intérêt discutable, sélection plutôt laxiste des candidats (véritable motivation ? conscience de la réalité du métier sur le terrain ?), à mon sens il y aurait fort à faire pour tendre vers de « bonnes pratiques » dans le secteur…
Si seulement cela présentait un quelconque intérêt. Ce n’est pas le cas : le système fonctionne, pire, il cartonne. Les sessions sont complètes, elles s’enchainent sans s’arrêter. A peine j’avais quitté l’école que d’autres me suivaient… pour passer le CAP en Septembre sur la session de rattrapage. Bien sûr, on peut voir cela sous un angle positif, en se disant que tout cet argent participe à la formation des jeunes en apprentissage. Ce n’est pas faux, mais est-ce tout à fait exact ? Les formateurs, malgré toute leur bonne volonté, disposent-ils vraiment des moyens (temps, matériel, énergie…) pour prodiguer un enseignement de qualité à ces futurs boulangers ? Personnellement, j’ai fini par en douter.
Pourtant, j’ai pu rencontrer des gens impliqués, de vrais passionnés, qui donnaient tout ce qu’ils pouvaient donner. J’ai un profond respect pour eux, et dans un sens, c’est grâce à eux que j’ai le faible espoir que l’on peut s’en sortir, que tout n’est pas perdu.
Pendant ces trois mois, j’ai eu l’impression qu’ils se débattaient dans un cadre usant. Entre des matières premières de qualité discutable (merci les GMP), une direction à l’inertie pesante, du matériel parfois rongé par le temps et une utilisation intensive, … les raisons ne manquent pas pour passer à côté de l’essentiel.
Dès lors, c’est la question de la qualité de la formation et ce qu’elle permet de faire ensuite qui se pose. Pour les adultes, le sort en est scellé par le format, la durée et le contenu des cours : l’essentiel du temps est concentré autour de 4 produits (baguette de Tradition, pain de campagne, pain au lait et croissant), car ces derniers sont repris dans le référentiel de l’examen. Certes, il changera légèrement l’an prochain, mais le fond reste le même : il ne s’agit pas de former des boulangers (parlez-nous de levain, de longues fermentations, de pétrissage lent ?), mais uniquement de faire en sorte que l’escroquerie soit moins visible lors de l’examen, que les candidats puissent sortir péniblement la production qu’on leur demande.
Cela aboutit à des statistiques bien peu avouables. L’EBP sait très bien communiquer sur un taux de réussite au CAP quasi-mirifique : cette année encore, on atteindra 100%. Pour moi, la seule donnée intéressante est le taux d’élèves qui restent dans la profession après 1, 2 ou 3 ans, et combien parmi eux se sont installés comme beaucoup le souhaitaient. Seulement ces chiffres font mal, très mal. Ils mettent le doigt sur le fait que la communauté finance des formations qui ne débouchent pas sur une reconversion durable, et que des individus en réelle difficulté ne profitent pas de l’accompagnement dont ils auraient, eux, vraiment besoin.
Vous l’aurez compris, j’ai le coeur lourd. J’ai participé à ce système, j’ai fait un chèque pour m’acheter un CAP. Je ne suis pas plus boulanger qu’hier. J’ai acquis quelques bases, mais elles sont nettement insuffisantes pour exercer ce métier correctement.
Je crois que par contre j’ai sérieusement besoin d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte, de tenter de ré-enchanter ce monde qui est devenu un peu plus noir encore. C’est la vie. Dans le désert.