Dans la vie, on peut distinguer aisément plusieurs catégories de personnes. Il y a des faibles, des puissants, des hésitants, des sérieux, des rigolos, … des rêveurs, des prestidigitateurs et autres experts en écrans de fumée. Choisis ton camp camarade, trace ta route. Honnête ou truand, bienfaiteur ou individualiste forcené, la seule empreinte qu’on laisse en définitive est celle de nos actes et de ce qu’ils ont comme effet sur le monde qui nous entoure.

Si j’ai choisi d’introduire ainsi cet article, ce n’est pas un hasard. La boulangerie artisanale connaît son lot de grands prophètes, qui promettent de réinventer la profession, ou du moins de parvenir à fabriquer un pain toujours plus merveilleux. On les voit surgir de l’ombre avec des fournils fantômes, des projets gigantesques… et comme les soufflés retombent, les bulles finissent par éclater.
Souvenez vous du projet de la Jeune Rue qui avait fait grand bruit. Samuel Nahon et Alexandre Drouard ont, eux, choisi de s’inscrire dans une autre voie… et ont installé leurs boutiques rue du Nil. Si le magnifique entrepreneur-millionnaire-fan de montres, écharpes et grosses voitures (rayez les mentions inutiles) a brassé beaucoup d’air, les deux associés font surtout parler d’eux pour leurs réalisations concrètes, en fidélisant une clientèle toujours plus nombreuse de gourmets et restaurateurs.

3 rue du Nil

3 rue du Nil

Tout juste 3 ans après l’ouverture de leurs boutiques, ils ont ajouté une nouvelle corde à leur arc en se lançant dans la folle aventure de la boulangerie, avec un fournil flambant neuf installé au 3 rue du Nil. Aux manettes ? Shinya Inagaki, un boulanger japonais ayant notamment oeuvré au Grenier à Pain ainsi que chez Roland Feuillas à Cucugnan, avant d’être enrôlé dans l’aventure du Sergent Recruteur et de la fameuse Jeune Rue précédemment citée. L’avantage quand on a un bagage et des compétences, c’est que l’on peut s’en servir comme trampoline – et ainsi rebondir.

Bois et pierre se mélangent harmonieusement en boutique, pour une ambiance chaleureuse.

Bois et pierre se mélangent harmonieusement en boutique, pour une ambiance chaleureuse.

Derrière la façade jaune, l’espace de vente, aménagé par Polystyl Agencement, présente les gourmandises élaborées dans le fournil ouvert, visible au fond. Les pains se placent en droite ligne de l’engagement pris par l’entreprise de longue date : réalisés à partir de farines issues de blés anciens (Kamut, Petit Epeautre…), ils valorisent le travail réalisé par de petits producteurs. Malgré le peu de temps écoulé entre les premiers essais et l’ouverture – à peine dix jours -, les produits sont déjà tout à fait convaincants. Les levains sont doux, discrets. Les Moulins de Brasseuil fournissent quant à eux des farines plus conventionnelles, destinées notamment à réaliser les viennoiseries.
Si certains pourront reprocher des prix dans une moyenne haute, je pense qu’ils correspondent tout simplement à des coûts de revient forcément plus élevés… mais aussi à une démarche cohérente.

Les pains : semi-complet, Kamut, Petit Epeautre...

Les pains : semi-complet, Kamut, Petit Epeautre…

Ici, pas de place pour le superflu : les gammes sont courtes et centrées sur le métier d’artisan boulanger. En proposant du pain sur levain naturel, des douceurs de qualité (croissants, barre au chocolat, scone japonais, brownie, brioches, foccacia aux herbes…) et bientôt une courte offre de sandwiches (réalisés à partir des ingrédients finement sourcés des boutiques attenantes), cette nouvelle aventure se démarque nettement de l’offre déployée par la plupart des boulangeries de la capitale. Un choix courageux mais porteur de sens dans un contexte où le discours porté par nos artisans n’est plus lisible, en plus de s’inscrire dans une véritable tendance de fond.

Les superbes croissants

Les superbes croissants

Difficile de partir sans s’arrêter sur un choix particulièrement marquant – et sans doute clivant – réalisé ici : la boulangerie Terroirs d’Avenir ne propose pas de baguettes. On y trouve uniquement des petites ciabattas non façonnées, qui peuvent s’en rapprocher de par leur forme allongée et quasi-cylindrique. Etant donné notre culture très « baguetto-centrée », je ne ferai pas le pari que la situation perdurera longtemps ainsi. Une bonne partie de la clientèle ne consomme pas ou peu de grosses pièces, que ce soit par goût, besoin ou habitude. C’est aussi ça, entreprendre : savoir prendre des risques, essayer, … pour bâtir des projets durables et participant à l’évolution du marché. Même s’il faut toujours être pragmatique. Ainsi vogue le pain… sur le Nil.

Le fournil, flambant neuf : il s'agit d'une création.

Le fournil, flambant neuf : il s’agit d’une création.

Infos pratiques

3 rue du Nil – 75002 Paris (métro Sentier, ligne 3)
ouvert du mardi au samedi de 8h à 20h, le dimanche de 8h à 13h30.

Pour sortir des cases, il faut parfois savoir en cocher un grand nombre. Le sens de ma phrase peut paraître obscur mais il correspond en réalité à la démarche adoptée par de nombreux créateurs de « concepts » qui multiplient les activités pour se démarquer et attirer la clientèle. A l’inverse, d’autres se concentrent sur une spécialité, à l’image des boutiques mono-produit. Que l’on soit monomaniaque ou plus généraliste, la vraie difficulté est en définitive de trouver son identité, de raconter une histoire qui correspond à notre histoire et à nos valeurs.

Entrée côté boulangerie-pâtisserie.

Entrée côté boulangerie-pâtisserie.

En créant la Ruche à Rolleboise, dans les Yvelines, Jérôme Crépatte a fondé un lieu qui n’est pas loin de lui ressembler : audacieux et dynamique, sans cesse en mouvement. Il faut dire que cet entrepreneur n’en est pas à son coup d’essai : il possède de nombreux établissements dans l’Eure et les Yvelines, dont le prestigieux Domaine de la Corniche. L’idée de départ était ici de créer un laboratoire central pour la production du pain et des pâtisseries destinés à ses restaurants. Plutôt que de s’arrêter à développer un lieu fermé au public, il a préféré bâtir un véritable lieu de vie… encouragé par la structure existante, qu’il a fallu presque plus re-bâtir que rénover.

Le bâtiment a été entièrement rénové.

Le bâtiment a été entièrement rénové.

Cet hôtel désaffecté depuis de nombreuses années a retrouvé de nouvelles couleurs en plus d’abriter de nouvelles activités : la Ruche porte bien son nom, car elle cumule les activités de boulangerie-pâtisserie-restaurant-hôtel-épicerie fine… L’idée n’était pas de créer un concept mais de faire preuve de pragmatisme en créant des synergies entre ces différents pôles. De plus, compte tenu de l’importance de l’investissement réalisé, il fallait au moins ça pour parvenir à générer un chiffre d’affaires permettant de dépasser le fameux ‘point mort’. L’emplacement, en bordure de route, n’est pas si isolé : la proximité de Giverny attire des touristes, tandis que des travailleurs viennent chercher une chambre en semaine. En misant sur la qualité des produits et des prestations, Jérôme Crépatte assure le fonctionnement de l’établissement avec une clientèle fidèle au restaurant autant qu’à la boulangerie.

Le fournil et sa vue sur la Seine.

Le fournil et sa vue sur la Seine.

Pour parvenir à offrir cette fameuse qualité, l’entrepreneur a du s’entourer : n’étant pas cuisinier, pâtissier ou boulanger, le recrutement de professionnels aguerris était nécessaire. En boulangerie, c’est Steeve qui est aux manettes. Cet artisan talentueux a longtemps oeuvré pour des sociétés d’interim et a ainsi pu développer sa capacité à travailler dans des environnements parfois difficiles. La rencontre avec son futur patron a eu lieu par l’intermédiaire d’Olivier Deseine, dirigeant des Moulins de Brasseuil et ami de longue date de Jérôme Crépatte, lequel fournit naturellement une grande partie de la farine utilisée aujourd’hui au fournil.

Four Bongard, La Ruche, Rolleboise (78) Steeve a ainsi participé au projet depuis ses débuts et à la mise en place de l’outil de production. C’est autant cette opportunité que le cadre assez unique qui ont séduit le boulanger : peu de fournils peuvent prétendre avoir une vue directe sur la Seine !
Au quotidien, il réalise les pains pour la boutique et les restaurants, avec une partie de la production en non-façonné (Paneotrad), ce qui permet de réaliser de nombreuses petites pièces et d’être réactif tout en disposant d’un personnel restreint. La gamme n’en est pas moins généreuse en goût et en créativité : on trouve dans les vitrines de nombreuses propositions gourmandes au fil des saisons et des inspirations, comme un pain à la courge pour Halloween, un pain salé à l’oignon pour l’automne, … en plus de classiques bien installés, à l’image de la tourte de Seigle au miel de Sarrasin, un beau et bon produit, des déclinaisons aux fruits secs et des créations autour de classiques de la boulangerie française, comme le pain Brié au chocolat. Pour Steeve, le respect du produit est essentiel et cela passe par l’ensemble des étapes de fabrication, du pétrissage à la cuisson.
Ses talents ne sont pas passés inaperçus dans l’émission La Meilleure Boulangerie de France sur M6, où le jury a salué la qualité de son pain.

Paneotrad, La Ruche, Rolleboise (78)

Pour le sucré, le jeune Thibault Marchand a été recruté cette année pour dynamiser l’offre. La valeur n’attend pas le nombre des années : accompagné de Sandrine Baumann-Hautin (chef pâtissière du Domaine de la Corniche), le pâtissier-chocolatier, maintes fois primé lors de concours professionnels (champion de France viennoiserie en 2013 notamment), a mis en place une gamme gourmande et raffinée, réalisée dans le respect des saisons. Fève de Tonka, chocolats grand cru, agrumes, … les saveurs s’accordent avec talent pour des créations tarifées très honnêtement (environ 4 euros pour un petit gâteau).
Seul bémol, les viennoiseries ne sont pas au niveau du reste actuellement, espérons que cela évoluera à l’avenir.

La boutique et le linéaire pâtisseries. En fond, le mur à pains.

La boutique et le linéaire pâtisseries. En fond, le mur à pains.

Pour les becs salés, la carte du restaurant se veut simple et accessible. Un semainier décline des plats classiques, revisités avec une pointe d’originalité. Le dimanche, c’est un brunch gourmand qui prend place dans la large salle, disposant elle aussi d’une superbe vue sur la Seine. Au fil de l’eau et de la journée, on peut s’asseoir quelques instants et faire une pause l’après-midi, puisque le lieu fait également office de salon de thé. On ne s’arrête jamais à la Ruche !

Le restaurant

Le restaurant

Hors de question de partir sans détailler l’espace boutique, lui aussi très atypique : on y trouve des produits d’épicerie fine (miel, forcément, huiles, confitures d’Andrésy, …) et l’ensemble des gourmandises réalisées dans les laboratoires. La décoration, particulièrement soignée, s’adapte selon les événements et donne à l’ensemble un caractère attrayant, en rupture avec les codes de la boulangerie traditionnelle.

La boutique est chaleureuse, avec une belle mise en scène des produits. Ici, le thème était Halloween.

La boutique est chaleureuse, avec une belle mise en scène des produits. Ici, le thème était Halloween.

A Rolleboise, la Ruche déploie ainsi un espace bâti selon ses propres règles, décloisonnant les activités d’hôtellerie, restauration, boulangerie et pâtisserie. Loin d’avoir voulu créer un concept sans « fond », Jérôme Crépatte a bien saisi l’importance de la qualité des prestations et produits pour mener son établissement à la réussite. Ajoutez à cela un cadre agréable et verdoyant, et vous obtenez un endroit où il fait bon venir… et revenir.

La tourte de Seigle Bio, subtilement relevée de miel de sarrasin. Une association très agréable.

La tourte de Seigle Bio, subtilement relevée de miel de sarrasin. Une association très agréable.

Infos pratiques

2 route nationale – 78270 Rolleboise / tél : 01 30 33 20 00
boulangerie-pâtisserie : ouvert du mardi au vendredi, de 6h30 à 21h00, et samedi et dimanche, de 7h30 à 21h00.
restaurant : Ouvert tous les jours exceptés le dimanche soir et le lundi midi
hôtel : ouvert tous les jours
Site internet : http://www.hotel-laruche78.com

Il y a des individus qui font plus parler que d’autres. Sans doute est-ce lié à leur façon d’agir, généralement plutôt décomplexée : si l’on se soucie trop souvent de ce que le reste du monde pensera de nos actes, il faudrait au contraire savoir s’en détacher pour enfin prétendre à une quelconque liberté. Ma conviction est que le caractère positif ou négatif des propos entretenus à notre sujet importe peu. Dans ce monde en mouvement perpétuel, souvent empreint d’une agressivité et d’une morosité latents, le plus difficile est tout simplement… d’exister. Exister pour continuer à avancer, à tracer sa route, en partageant son projet et sa vision avec force et conviction.

Le Moulin du Fromenteau, site très moderne bâti en 2004.

Le Moulin du Fromenteau, site très moderne bâti en 2004.

Bertrand Girardeau s’est inscrit dans cette voie très jeune : si la meunerie est avant tout une histoire de famille, les aléas de la vie l’ont conduit à s’investir très tôt dans l’entreprise familiale. Suite au décès prématuré de son père, c’est avec sa mère qu’il prendra la suite à la tête de cette entreprise en 1981. Ensemble ils vont perpétuer une tradition débutée dès 1895, avec l’acquisition du moulin du Feuillou. En parlant de tradition… française, celle-ci, le meunier s’y inscrira pleinement en rejoignant la Générale des Farines et contribuera ainsi au sursaut qualitatif connu par la boulangerie artisanale suite à l’adoption du décret pain.

Seulement, plutôt que de tracer une ligne droite, de continuer pleinement dans la voie tracée par ses ancêtres, celui qui se décrit lui-même comme un meunier-entrepreneur-constructeur a pris le parti de prendre des virages, d’aller vite, de grandir et de faire rugir -parfois un peu trop, jugeront certains- les moteurs de son entreprise. Sans doute est-ce lié à sa seconde passion, la course automobile.
Il faut dire que pour devenir l’un des acteurs majeurs de la meunerie française – Girardeau fait partie du « top 10 » des entreprises du secteur, aux côtés d’acteurs tels que les GMP, Soufflet, les Grands Moulins de Strasbourg, Evelia/Terrena, Axiane… -, il aura fallu y aller… pleins gaz. Le site historique du Feuillou, en bord de Sèvre, est rapidement devenu trop étroit. C’est ainsi qu’est né le Fromenteau, véritable tête du pont des « Moulins Associés », avec une capacité d’écrasement de 450 T / jour.

Les Moulins Associés sont engagés aux côtés de la CAVAC dans la démarche Agri-Ethique.

Les Moulins Associés sont engagés aux côtés de la CAVAC dans la démarche Agri-Ethique.

Pour Bertrand Girardeau, hors de question d’utiliser le mot « groupe » pour qualifier l’ensemble qu’il a bâti. La dénomination de Moulins Associés est défendue avec vigueur par l’entreprise, pour valoriser les spécificités de chacun des sites de production. Ainsi, en plus des 2 outils à Boussay, l’entreprise compte aujourd’hui 3 implantations supplémentaires : les Minoteries du Château à Ernée (53), la Minoterie du Bocage à Binic (22) et la Minoterie Corouge à Réguigny (56). Cette dernière est dédiée à l’écrasement du blé noir (ou sarrasin), avec un véritable savoir-faire associé à cette céréale au multiples visages – IGP Bretagne, Bio, d’importation…
Au total, ce sont plus de 830 T / jour de céréales qui peuvent être écrasées.

Sur le site du Feuillou, la Minoterie Suire. L'approvisionnement en céréales est géré par la CAVAC, avec des blés bio en provenance de France, de Roumanie et du Canada. L'argument avancé pour ces choix de fournitures, surprenants dans une logique d'Agriculture Biologique qui devrait être plus "locale", est le manque de volumes en blés Bio sur le sol français.

Sur le site du Feuillou, la Minoterie Suire. L’approvisionnement en céréales est géré par la CAVAC, avec des blés bio en provenance de France, de Roumanie et du Canada. L’argument avancé pour ces choix de fournitures, surprenants dans une logique d’Agriculture Biologique qui devrait être plus « locale », est le manque de volumes en blés Bio sur le sol français.

Cette grande capacité n’aurait pas de sens si elle avait été uniquement destinée à l’artisanat boulanger. L’industrie représente le plus important vecteur de volume pour la meunerie, et c’est pourquoi l’entrepreneur s’est tourné vers ce marché. Ses équipements lui permettent de réaliser des farines sur-mesure pour ses clients, notamment grâce à des stations de mélange hautement capacitives ainsi qu’à un stockage blé important.

Carrefour fait partie des clients de la Minoterie Girardeau pour la fabrication de ses farines biologiques vendues en rayon.

Carrefour fait partie des clients de la Minoterie Girardeau pour la fabrication de ses farines biologiques vendues en rayon.

Si ce choix a pu être critiqué, notamment car il compte dans sa clientèle la chaine Ange, ce positionnement est aujourd’hui assumé par l’entreprise, qui met en avant le fait que ces investissements profitent à tous, et que l’exigence des industriels fait avancer les process et donc la qualité de la farine. Cela impose également une véritable rigueur dans la maitrise des coûts et de la chaine logistique. En revanche, le service et donc l’essentiel de la force humaine déployée chez Girardeau sont dédiés aux artisans boulangers.

Les viennoiseries de toutes formes & couleurs sur le Stand Girardeau, à Serbotel 2015.

Les viennoiseries de toutes formes & couleurs sur le Stand Girardeau, à Serbotel 2015.

S’il y a bien un sujet sur lequel le meunier « multi-régional » s’est investi et a investi, c’est celui-ci : l’accompagnement et l’offre de services ont été placés au coeur de sa stratégie, et il s’est entouré pour cela de professionnels aguerris. Pour l’équipe commerciale, c’est Jean-Christophe Paturel – qui a oeuvré pendant plus de 10 ans aux Moulins Rioux – qui dirige les opérations.
L’équipe de démonstrateurs est bâtie sur de véritables piliers que sont Mickaël Chesnouard – Meilleur Ouvrier de France 2011 – et Fabrice Guéry – Compagnon du Devoir et présent depuis plus de 10 ans dans l’entreprise. Avec des boulangers talentueux tels qu’Olivier Coquelin, Frédéric Kerberenes, Fabrice Vuffray ou encore le dernier arrivé, Cédric Béziat, ils partagent avec la clientèle de la Minoterie Girardeau un savoir-faire riche et reconnu. Pains sur levain naturel, viennoiseries, … la maitrise technique rejoint la créativité et inspire les artisans.

Les bureaux du Moulin du Fromenteau, siège de la Minoterie Girardeau. Ils concentrent les activités commerciales, d'achat, de direction... et également le fameux Atelier M'Alice. Leur conception est écologique : l'isolement est réalisé en chanvre... fourni par la CAVAC, qui collecte également ce produit !

Les bureaux du Moulin du Fromenteau, siège de la Minoterie Girardeau. Ils concentrent les activités commerciales, d’achat, de direction… et également le fameux Atelier M’Alice. Leur conception est écologique : l’isolement est réalisé en chanvre… fourni par la CAVAC, qui collecte également ce produit !

La particularité de l’Atelier m’alice est d’être ouvert à tous : en effet, les formations peuvent être suivies par des professionnels de tous horizons. C’est une véritable vitrine du savoir-faire de l’entreprise, mais aussi un formidable outil pour partager et faire grandir une base de compétences que l’on doit chercher avant tout à protéger. Il s’agit, je pense, de l’un des enjeux majeurs du secteur pour les prochaines années et de telles initiatives doivent se développer pour y répondre. Des partenariats avec l’INBP sont d’ailleurs en cours de mise en place, notamment pour mettre en place une formation spécifique pour les équipes de vente. L’offre m’Alice s’étend bien au delà de la production et traite également des problématiques liées à la communication, à la gestion, …
L’espace aménagé depuis 4 ans valorise pleinement l’engagement de l’entreprise, puisqu’il accueille également le siège de la Minoterie Girardeau et de ses Moulins Associés. Chaque visiteur passe ainsi devant ce grand fournil vitré qui nous rappelle que c’est ici que se trouve l’essentiel : sans ces fournils et le travail assidu des femmes et hommes qui y oeuvrent, la boulangerie artisanale n’est pas grand chose.

L’enjeu pour une telle entreprise est à présent de parvenir à maintenir le niveau de qualité et de proximité qu’il met en avant et qui ont fait son succès. La forte croissance de ces dernières années rend forcément la chose plus compliquée, et c’est justement sur ces facteurs humains que l’on peut concentrer aujourd’hui la plupart des reproches aux acteurs de grande taille présents sur le marché. Il appartient donc à Bertrand Girardeau et à ses équipes de prouver que l’on peut tracer une autre route, tout en étant présent sur des marchés aussi différents que l’industrie et la boulangerie artisanale. La structure mise en place, où chaque moulin garde une certaine indépendance, permet sans doute de conserver une taille « correcte » pour chacun, même s’il faut que les moyens humains soient  adaptés.
Le défi ne manque pas d’intérêt, mais il faut garder à l’esprit qu’il ne fait pas qu’engager la minoterie : ses clients sont en première ligne pour juger des évolutions, avec toutes les implications que cela peut représenter pour leur activité. Voilà un sujet à suivre avec intérêt dans les prochaines années.

Les clients emblématiques de la minoterie Girardeau sont utilisés sur les supports de communication. Ici, Eric Marché.

Les clients emblématiques de la minoterie Girardeau sont utilisés sur les supports de communication. Ici, Eric Marché.

Actualité

27
Oct

2015

Ca bûche dans les Yvelines

Les fêtes de fin d’année approchent à grands pas. Nos artisans vont rapidement, ou l’on déjà fait, sortir leurs outils, partir en forêt, stocker du bois… bref, fabriquer des bûches. Ces desserts devront être le fin du fin, la fin de la faim, une façon de finir en apothéose ce repas de fête, ce moment partagé en famille ou entre amis. Pour les plus chanceux, la récolte aura été bonne, le bois sera de qualité et se consumera en un véritable feu de joie… Pour les autres, la partie sera un peu moins évidente à jouer, et il y a aura plus d’efforts à fournir pour allumer la flamme…

Maison de la Boulangerie, Le Chesnay (78)

Maison de la Boulangerie, Le Chesnay (78)

C’est un fait : nos boulangers-pâtissiers ne disposent que de peu de temps et d’énergie pour aller chercher de l’inspiration en dehors de leurs entreprises, car ils sont souvent pris par les contraintes du quotidien. Production, administratif, … ce n’est pas évident d’être bon sur tous les plans, et encore moins de se renouveler sans cesse comme on aimerait que ce soit le cas. Heureusement, certains de leurs partenaires cherchent des solutions à cet état de fait : en proposant des stages, des formations de plus ou moins courte durée, les meuniers et organismes de formation participent au renouvellement du champ créatif de nos artisans.

La bûche de Noël et le gâteau de la Saint-Valentin sont réalisés à partir du même moule.

La bûche de Noël et le gâteau de la Saint-Valentin sont réalisés à partir du même moule.

Ils ne sont pas les seuls. Cette année, le Syndicat Patronal de la boulangerie-pâtisserie des Yvelines, emmené par Olivier Gérard, a développé un beau projet. Il a été présenté à la presse le 15 octobre, et j’étais présent à l’événement. Sobrement nommé « Créations gourmandes », il propose aux artisans du 78 une belle gamme d’entremets festifs, développés en partenariat avec des pâtissiers locaux et Cacao Barry. Benjamin Hervet, Cyril Darras, Vincent Lefèvre, Aurélie Nicot, des noms que vous avez déjà pu lire ici pour certains et autant de talents mis à la disposition de la communauté : c’est un bel exemple de partage et d’esprit d’équipe que nous proposent ici ces professionnels… un peu comme un cadeau, avant Noël.

Pour chaque création, un atelier de dégustation était proposé autour du chocolat et des fruits. Ici, c'est la couverture Inaya et son procédé de double fermentation qui est présenté.

Pour chaque création, un atelier de dégustation était proposé autour du chocolat et des fruits. Ici, c’est la couverture Inaya et son procédé de double fermentation qui est présenté.

Une bûche, un entremets pour la Saint-Sylvestre et une création gourmande pour la Saint-Valentin, voilà les pâtisseries qui pourront être réalisées à partir du kit mis au point à partir des couvertures Cacao Barry et du moule associé. Chaque artisan pourra personnaliser les produits en apportant sa touche personnelle, en fonction de ses envies et de sa sensibilité. Ainsi, plutôt de d’apporter une solution clé-en-mains comme savent le faire certains industriels, la démarche est de stimuler le pâtissier en lui apportant un produit travaillé, des éléments de communication et un accompagnement dans la réalisation. Tous les artisans des Yvelines peuvent prendre part à l’opération, et même ceux de l’Essonne et du Val d’Oise car ils dépendent du même regroupement. Des vidéos et instructions leur permettront de produire les pâtisseries.

Les pâtisseries étaient proposées à la dégustation. Le résultat : des entremets légers et très travaillés, qui apportent un véritable "plus" qualitatif à l'offre festive de l'artisan, avec une création haut de gamme.

Les pâtisseries étaient proposées à la dégustation. Le résultat : des entremets légers et très travaillés, qui apportent un véritable « plus » qualitatif à l’offre festive de l’artisan, avec une création haut de gamme.

Un soin tout particulier a été porté lors de la mise au point des recettes pour aboutir à des gâteaux rationnels et pouvant être mis en oeuvre sans difficulté majeure au sein d’une entreprise de boulangerie-pâtisserie. L’expérience de Sébastien Cantrelle, Chef pâtissier Paris et Ile de France pour Cacao Barry, a été particulièrement bienvenue : son parcours professionnel riche et varié, que ce soit au sein d’entreprises artisanales ou en démonstration, a permis de mettre au point des recettes adaptées. De plus, cela correspond bien à la stratégie engagée par son employeur depuis déjà plusieurs années : la marque souffrait en effet d’un sérieux déficit d’image, notamment sur le plan qualitatif auquel il fallait remédier. En développant des partenariats avec les écoles ainsi que sa propre unité la Chocolate Academy (située à Meulan, dans les Yvelines… c’est presque local !), en participant à de nombreux concours ou en s’offrant les services de professionnels reconnus comme le MOF Philippe Bertrand, le couverturier n’a pas lésiné sur les moyens…

Mise en scène, Créations Gourmandes 78

… tout en travaillant également sur le produit, puisque les chocolats utilisés dans les « créations gourmandes » des Yvelines sont de conception récente et ont été dé-sucrés pour mieux correspondre aux goûts des consommateurs. Le résultat est plutôt probant, puisque les gâteaux réalisés sur ces bases sont à la fois légers et savoureux. Vanille-chocolat blanc-poire pour la bûche, chocolat au lait-passion pour le nouvel an, caramel-pomme & framboise à la Saint-Valentin… on retrouve un beau travail sur le goût et les textures, sans utilisation de gélatine.

Pour l'épiphanie, les fèves du 78 pourront garnir les galettes des artisans.

Pour l’épiphanie, les fèves du 78 pourront garnir les galettes des artisans.

Olivier Gérard ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et a déjà pensé à d’autres opérations, comme les fèves pour les galettes des rois. Autant d’initiatives concrètes à saluer, car elles placent réellement le syndicat au service de ses adhérents… comme quoi, c’est possible !

Plus d’informations : http://www.artisan-fr.com/creations-gourmandes/

Si les hommes ont inventé le langage, c’est sans doute pour communiquer et se comprendre. Dès lors, deux individus partageant la même langue devraient être en mesure d’échanger leurs idées et de créer du sens. La réalité est plus compliquée, plus contrastée. On finit parfois par aboutir à des situations où les mots ne veulent rien dire, où le discours tenu s’échoue lamentablement sur l’écueil de nos différences. Ainsi ce dénominateur commun que devraient être la parole et l’écrit deviennent autant de sources de malaises et d’incompréhensions. Le fossé se creuse, les pluies tombent, on finit par sortir les rames pour rejoindre les deux rives. Dès lors, quand bien même les hommes s’évertuent à continuer de parler, la langue commune paraît bien étrangère…

Univers Boulangerie 2015

J’avais passé mon tour pendant deux ans, mon expérience de 2012 aidant. Finalement, j’étais de retour à Univers Boulangerie ces 4 et 5 octobre. De retour, pas exactement, puisque le lieu a changé entre temps. Fini la grande sortie annuelle et la Cité des Congrès du Futuroscope, bonjour la Maison de la Chimie, à Paris. Le lieu est particulièrement bien choisi : organiser une réunion d’apprentis sorciers de la boulangerie dans un lieu portant ce nom, il fallait y penser.

Les interventions se sont enchainées, les idées se sont déchainées, le tout étant ponctué par les indispensables temps de repas et le très attendu spectacle de French cancan (que j’ai soigneusement évité, je dois dire, les échos que j’en ai eu le lendemain me confirmant que j’avais été bien inspiré ce soir-là !).

Soyons clairs : j’étais déjà perplexe en lisant le sujet choisi par la Confédération : la « Boulangerie connectée, un défi collectif ou déjà une réalité ? ». En sortant de cette grand-messe, j’avais changé d’état, passant au désespoir le plus complet, assorti d’une profonde consternation. J’ai passé plusieurs jours à me demander s’il valait bien la peine d’écrire quoi que ce soit sur ce gloubiboulga dont même Casimir aurait renié la paternité. Je me suis interrogé aussi sur l’intérêt d’écrire, tout simplement. Bref, vous repasserez pour la joie et l’allégresse, mais je ne suis pas du genre à faire l’impasse sur ce qui me dérange. Plutôt que d’abdiquer, mieux vaut continuer à se battre, à ramer, même si c’est souvent à contre-courant.

J’aurais du commencer par remercier tous les sponsors sans qui cet événement n’aurait pu avoir eu lieu. GDF Suez, la MAPA, la Banque Populaire, Medicis, l’Observatoire du Pain, l’AG2R, EKIP, Metro… avec pour résultante une belle sacoche garnie, avec la casquette qui va bien pour se tenir chaud pendant l’hiver. Il ne faudrait pas attraper un rhume de cerveau, même si je serais tenté de dire que c’est déjà trop tard pour certains…

Une organisation bien huilée pour un public encadré

Cela ne respirait pas vraiment la jeunesse dans la salle : on retrouve beaucoup de têtes grises, sans doute peu d’artisans encore en activité parmi eux, en bref il s’agirait de parler d’avenir à ceux qui ne s’en préoccupent plus vraiment ? Si le syndicat attendait en moyenne 400 personnes sur 2 jours, ce n’était vraiment pas pour leur donner réellement la parole ni même parler du fond des préoccupations du quotidien d’un artisan boulanger. Ne parlons pas de pain, des fondamentaux du métier… non, nous sommes dans les hautes sphères !

Le journaliste Thierry Guerrier était aux manettes pour animer les interventions et distiller quelques questions du public. Ces dernières devant être adressées par SMS, il était ainsi facile de les sélectionner précisément… et ainsi encadrer les « débats ». Pas question de prendre le risque de situations trop gênantes ou d’un dépassement horaire.

Des « Dossier chauds » et un argumentaire facile pour amener à « Regain »

Jean-Pierre Crouzet a naturellement lu ses discours et partagé avec l’assistance son profond engagement au côté des artisans. Personne d’autre n’aurait été mieux disposé pour traiter des « dossiers chauds » du syndicat.

Vous avez peut-être entendu parler du programme Regain, visant à aboutir à un taux d’adhésion à l’organisation professionnelle de 100%. Pour le présenter, la vidéo « Jérémy » a été diffusée. Vous pourrez la retrouver ici.
J’ai été frappé par la faiblesse de l’argumentaire déroulé ici pour prouver l’intérêt du syndicat : il se place en rempart d’« ennemis » cités tout azimut -banques, politiques, administrations, grands distributeurs, industriels…- et mène ainsi une guerre de communication plutôt que de se concentrer sur la construction de valeurs et d’intérêts communs. La musique, le ton choisi, tous les éléments y sont pour créer un discours anxiogène : la peur est un bon outil de manipulation…

Il n’aurait pas été question de s’arrêter en si bon chemin : toute la dream-team « Regain » est ensuite arrivée sur scène avec ses écharpes jaunes, comme autant de signes lumineux de sa volonté de faire « bouger les choses ». Naturellement, on comptait parmi eux un conseiller en communication – Philippe Sachetti – qui ne s’est pas privé pour assaisonner le tout d’un lexique vantant le caractère héroïque et inédit de la démarche : un « moment incroyable », une « aventure »…

Philippe Maupu – secrétaire général de la confédération – aurait pu apporter des éléments concrets d’action. Mis à part le travail sur le taux de sel, cela n’a pas été bien loin. Le sujet de la fermeture hebdomadaire a été évoqué, et je ne peux que me joindre au voeu exprimé de la conserver.

Bien sûr, je devrais mettre à leur crédit la grande aide apportée à des artisans en difficulté comme le couple Boileau lors de l’incendie de leur boulangerie, ou de Patrick Poncet, cerné par une procédure d’expropriation… mais tout cela n’est-il pas anecdotique ? Il y avait sans doute mieux à faire que de passer un peu de brosse à reluire.

Regain doit se mettre en place dans les mois à venir, avec notamment une phase d’« écoute totale », qui devrait permettre de mieux cerner les besoins des artisans et ainsi de mettre en place les outils pour y répondre.  Espérons simplement que le tout sera accompagné de plus de fond qu’il n’en a été présenté ici…

Les territoires, un enjeu majeur et stratégique pour la boulangerie

Philippe Laurent, Maire de Sceaux et Secrétaire Général de l’Association des Maires de France, était invité pour évoquer la place des boulangeries dans les villes et agglomérations. La tendance déjà bien engagée de désertification des villages en terme de commerces et services publics n’a pas échappé au secteur qui nous intéresse et il appartient aujourd’hui aux politiques de mener une démarche volontariste pour re-créer de la vie dans les territoires.

La situation est d’ailleurs assez amusante, dans le fond : les artisans attendent une aide d’un partenaire qu’ils n’hésitent pas à critiquer vivement. La liberté d’entreprendre devrait-elle être entravée pour protéger de petites structures ? C’est un sujet particulièrement délicat pour les élus, qui disposent de peu de moyens d’action, qu’ils soient réglementaires ou financiers. Le mouvement quasi-permanent dans les structures d’intercommunalité, de département et de régions n’aide pas, tout comme le désengagement de l’Etat.

J’ai pu le constater par moi-même en me déplaçant en France : les centre-ville sont délaissés par les artisans les plus talentueux, du fait de loyers prohibitifs et des difficultés de circulation. La culture du véhicule individuel a encore de beaux jours devant elle et est difficilement compatible avec les zones piétonnes souvent mises en place. Dès lors, il ne reste plus que quelques enseignes aux moyens conséquents, et les rues deviennent des showrooms de mode…

La concurrence exacerbée des graines chaines de boulangerie doit nous amener à mener une réflexion profonde sur le modèle que doivent adopter les artisans : faut-il s’installer dans des zones commerciales et « périphériques » et ainsi accepter la fin des villes commerçantes et artisanales que l’on pouvait connaître par le passé ? La question se pose.

Le « pari de la jeunesse » avec l’apprentissage

Ces deux jours n’auraient pas été complets sans l’indispensable intervention d’un membre du gouvernement. Le nom d’Emmanuel Macron trainait dans les couloirs, mais ce dernier était semble-t-il retenu par d’autres occupations. C’est ainsi Martine Pinville qui a enflammé l’auditoire pour débuter la session du lundi matin.

Il a été ainsi question de l’apprentissage et de la durée de sa période d’essai, Jean-Pierre Crouzet plaidant pour son allongement jusqu’à 6 mois. Les moyens donnés à cet outil de transmission du savoir-faire sont essentiels, tout comme la valorisation de cette filière trop souvent méprisée. L’enjeu est de donner envie, que ce soit par une attitude positive des artisans ou une image positive diffusée dans les structures éducatives. Cela passe également par l’amélioration des qualités d’accueil dans les CFA.

Voilà encore une bonne occasion de montrer le double discours dont savent faire preuve ces individus : pendant quelques minutes, les « bonnes relations » avec l’administration ont été valorisées, tout en demandant une intervention de l’Etat… qui me paraît difficilement compatible avec le libéralisme forcené prôné en parallèle. On ne va pas demander tous ces individus d’être cohérents, non plus, il ne faudrait pas trop élever notre niveau d’exigence ! mais le meilleur était à venir…

Quand les consultants entrent en scène

J’adore les paquets de lessive. Je dirais même que c’est ma plus grande passion. SI certains me croient passionné de pain, ils se trompent. En vérité, je préfère les agents blanchissants. Passons sur le choc de cette révélation fracassante, et intéressons nous à tous ces vendeurs de lessive qui parviennent à nous faire croire que leurs solutions lavent plus blanc que blanc.

En la matière, nous avons eu droit à l’exposé de deux professionnels, en la personne de Fanny Mével et Salah Eddine Benzakour.

Le marketing est un élément important pour développer la boulangerie artisanale, mais encore faut-il l’utiliser à bon escient. On peut dire qu’il entretient une belle histoire d’amour avec le secteur : les grands réseaux comme Banette, Baguépi, Festival ou Ronde des Pains l’utilisent depuis bien longtemps pour bâtir des stratégies globales, qui ne correspondent plus aux attentes des consommateurs. Au contraire, c’est l’identité de l’artisan qu’il faut construire et valoriser, avec toutes les spécificités qu’il peut développer et l’identité singulière qu’il porte.

Mettons au moins cela au crédit de Fanny Mével, qui semblait l’avoir compris. Pour le reste, l’analyse me semble partielle et inappropriée. En effet, les grandes études utilisées par cette experte dégagent plusieurs tendances : les clients veulent manger mieux, sans payer plus, tout en se faisant plaisir. Les actifs mangent plus vite, en dehors de leur domicile et se tournent vers les offres de snacking. La boulangerie serait ainsi le 2è lieu d’achat plébiscité par les consommateurs pour ce type d’achat.

Dès lors, il faudrait développer l’offre, « profiter des moments de consommation » avec des plats chauds, des cafés et thés, … et ainsi prendre un virage vers le métier de traiteur. Attention, notre brillante consultante nous rappelait tout de même l’importance de ne pas perdre de vue son ADN, non, il faut juste chercher à développer de nouveaux marchés. L’exposé s’est ensuite emballé : livraison, « drive », « click n’collect », bornes de commande, distributeurs automatiques de baguettes, mettre des écrans dans les boulangeries pour raconter le processus de fabrication du pain et développer le « marketing sensoriel », installer des tablettes en boutique pour prendre les commandes, proposer plus de produits emballés pour simplifier le parcours de vente, donner des conseils sur comment congeler le pain…

Où tout cela nous mène-t-il ? A mon sens, dans le mur, ou pas loin. En bâtissant un discours peu clair et presque incohérent, nos artisans ne parviendront plus à être identifiés comme référents et légitimes sur leur métier de base… faire du bon, parfois du très bon, pain. Revenons aux fondamentaux avant de chercher à raconter des histoires.

Je peux entendre que le numérique est devenu une part intégrante de nos vies et qu’il faut y être présent, mais gardons les pieds sur terre : nous ne ferons pas de nos boulangers des professionnels du marketing en ligne. Quand bien même on tenterait de le faire, ce serait un bien mauvais combat : chacun son métier. Salah Eddine Benzakour a ainsi déployé une présentation où les noms de solutions technologiques se succédaient : acheter des publicités Google, envoyer des mails via Mailchimp, … sans oublier de conseiller la mise en place de programmes de fidélité pour recueillir un maximum de coordonnées et ainsi construire un fichier de contacts. Quand on voit les difficultés que peuvent avoir les artisans à ouvrir une page Facebook et à la faire vivre en offrant un contenu relativement qualitatif (on découvre tellement souvent des photographies à dormir dehors), j’ai du mal à croire que tout cela ait un sens. Ce n’est pas impossible, mais nos boulangers doivent être accompagnés par des acteurs compétents dans ce domaine, et pas se lancer seuls à l’aventure… au risque d’un résultat contre-productif.

Conception en 3D, fonds de dotation, café philo…

Le reste des interventions s’est concentré autour de présentations et de débats encore plus éloignés du quotidien d’un artisan boulanger. Si l’outil Mavimplant, présenté par l’INRS, était sans doute le sujet le plus intéressant, le fonds de dotation EKIP et son caractère quasi-humanitaire semblait un peu hors sujet ici… si ce n’est pour faire plaisir aux partenaires.

Je dois avouer que j’ai séché les hautes réflexions de l’après-midi, pourtant animées par des orateurs visiblement reconnus (Cynthia Fleury, Jean-Paul Delevoye)… un peu lassé par les longues heures déjà passées à écouter ces grands discours.

Au final, quel intérêt à cette manifestation ?

Sous couvert de réfléchir à de grands thèmes d’avenir, ce genre de grand-messe sert avant tout… à entretenir son réseau. Il s’agit de voir, de se faire voir – et j’aurais bien ajouté d’aller se faire voir, mais on me va me taxer d’être malpoli en plus d’être désagréable.

Il n’y avait qu’à voir le bal continu des meuniers, vendeurs de solutions en tout genre et autres responsables d’entités variées. Ce doit être pour ça que le sens de l’ensemble m’échappe foncièrement, puisque ce n’est pas franchement ma discipline de prédilection, bien au contraire.

Bref, je crois que je passerai mon tour à nouveau pour les prochaines éditions. Il faut savoir se ménager, parfois.

Si la vie est intéressante, c’est parce qu’elle se déroule en trois dimensions, créant ainsi un jeu de perspectives et de nuances qui donne du sens aux événements passés et à venir. Ceux qui se contentent de regarder le mouvement de façon linéaire se privent de l’essentiel et finissent par adopter un mode de lecture proche des hiéroglyphes : tout est présenté à plat, rendant l’ensemble facilement accessible… mais aussi tellement triste à long terme.

Le moulin et ses silos.

Le moulin et ses silos.

Ainsi, mon emploi du temps pourrait parfois sembler terriblement monotone : un moulin le dimanche, un autre le mardi et le mercredi, un dernier le vendredi… mais si les mots et les papiers tracent des contours, les hommes, les paysages et les histoires donnent des couleurs et du sens. Mon dernier billet était un peu à l’Ouest, changeons un peu de point cardinal pour découvrir ce riche lieu qu’est le moulin Dormoy, à Fougerolles (70). Je passe ainsi d’une ville – certes paisible – à la pleine nature. Contrastes et dénivelés.

La grande tente abritant les stands.

La grande tente abritant les stands.

C’est ici que se tenaient les Portes Ouvertes du second outil de la famille Foricher, du 27 au 30 septembre. Acquis en 2009, la perspective de devoir redonner de la vie à ce lieu en aurait sans doute découragé plus d’un. Il faut dire que les chantiers sont nombreux, à la fois sur le moulin en lui-même qu’au niveau de ses abords. Ces défis sont presque monnaie courante pour Yvon et Loïc Foricher, ce dernier étant en charge de la gestion du site. L’expérience acquise au Moulins des Gaults participera sans doute à la réussite du projet, mais l’essentiel se situe dans l’humain et le service : ce sont ces éléments qui attirent et fidélisent des boulangers passionnés, engagés dans une démarche de qualité.

Le mur à pains généreusement garni de la boutique éphémère.

Le mur à pains généreusement garni de la boutique éphémère.

On a pu voir défiler au cours de ces quatre jours des noms reconnus de la profession : Sébastien Chevallier, Stéphane Georgeon, Bruno Cormerais, Joël et Jérôme Schwalbach… des cols bleu-blanc-rouge qui ont trouvé en ce meunier un partenaire aux mêmes valeurs de partage et d’excellence. Ce n’est pas tout. Il y a ici quelque chose d’assez atypique qui se produit : il n’est pas uniquement question d’affaires, de ventes, de chiffres. Les visiteurs pouvaient découvrir librement les différents partenaires… sans se faire rattraper systématiquement par des logiques économiques. Atypique comme Sébastien Chevallier, Meilleur Ouvrier de France 2011 avec sa veste rose et son statut de professeur de CFA. Atypique comme toute cette aventure qui finit par faire toujours plus parler d’elle.

Le Pain de Traverse, de superbes pièces à la grigne naturelle, réalisées à partir de farine T80 écrasée sur cylindres.

Le Pain de Traverse, de superbes pièces à la grigne naturelle, réalisées à partir de farine T80 écrasée sur cylindres.

Tout cela nous prouve bien que l’humain compte tout autant, voire plus, que les machines dans le métier de meunier. Si certains se sont lancés dans la course à l’équipement avec des moulins toujours plus modernes, le travail réalisé par les équipes est essentiel : du chef meunier au livreur en passant par le contrôle qualité et les tests de panification au fournil d’essai, il n’y a pas de très bonne farine sans une équipe impliquée et engagée dans une dynamique de qualité et de remise en question permanente.

Des pâtes et des mains... le travail du façonnage suit son cours au fournil.

Des pâtes et des mains… le travail du façonnage suit son cours au fournil.

En la matière, les moulins Foricher sont exceptionnellement bien pourvus, et il me semble que c’est un des rares faits obtenant l’unanimité dans la profession. A chaque fois, les produits présentés lors de ces événements en sont une excellente preuve : alliant à la fois créativité (notamment sur les pièces de brioches, marbrées ou parfumées) et maîtrise technique, ils montrent la voie aux clients et prospects venus découvrir l’entreprise… une vraie source d’inspiration. J’aurais bien dit que les autres meuniers devraient suivre le même chemin… mais ils ne m’ont pas attendu. Certains ne se privent pas pour piocher allègrement dans les idées des autres. Que voulez-vous, il paraît que l’on n’a jamais vraiment rien inventé dans ce métier.

La clé de l'adhésion aux produits présentés ? Le goût, et donc la dégustation.

La clé de l’adhésion aux produits présentés ? Le goût, et donc la dégustation.

Si l’on n’invente rien, on peut tracer sa route, et l’illuminer d’une vision. L’aventure Dormoy ne fait que commencer : la capacité d’écrasement, assez faible aujourd’hui – environ 25 tonnes / jour -, correspond bien à la taille de la clientèle, composée de plus de 120 artisans boulangers. Il faudra la faire grandir, sans doute, moderniser les outils. De plus en plus de professionnels alentour sont sensibles à la démarche et font évoluer leur façon de travailler pour mieux correspondre aux attentes de leur clientèle… mais aussi faire face à la concurrence en se différenciant par la qualité.
Pour les accompagner et mieux les servir, les projets ne manquent pas : un centre de formation verra le jour dans les années à venir, élément indispensable pour mener à bien la démarche. Puisqu’il n’y a pas de bon pain sans bon grain, Yvon Foricher évoquait également la possibilité de collecter des céréales produites à proximité, dans une logique d’encouragement de l’agriculture locale et de cohérence, dans un contexte où l’impact écologique des productions doit être toujours réfléchi.

Le fameux Rodéo. Je ne l'ai pas affronté, j'avoue ma faiblesse.

Le fameux Rodéo. Je ne l’ai pas affronté, j’avoue ma faiblesse.

Sous les allures d’une agréable décontraction, tout cela est en définitive bien sérieux. On peut aller faire un tour sous la girafe gonflable, se confronter au terrible rodéo… mais on finit toujours par en revenir à la grande tente et ses différents stands, où le plus important reste encore et toujours le fournil. Ici, Patrick Cognard et toute l’équipe de démonstrateurs prouvent, comme à chaque fois, que les moulins Foricher ne font pas que vendre de la farine. Ils construisent avec le reste de l’équipe, commerciale, administrative, …, un projet global, cohérent, honnête et sincère. Autant de valeurs qui nous montrent la voie vers une filière boulangerie plus vertueuse.

Le principe des galaxies est de rester en orbite. Comme reliées par des fils invisibles, les étoiles se tiennent les unes les autres et brillent dans un ciel parfois agité. Si l’on ne parvient pas toujours à distinguer leur vive lueur, c’est parce que les obstacles sont nombreux : nuages, pollution, éclairage extérieur surabondant… difficile d’avoir toujours la tête dans les étoiles. Parfois on finit par ne plus avoir envie. Non pas que notre terre puisse satisfaire pleinement notre imaginaire et notre irrépressible envie d’ailleurs, mais les astres ne sont pas toujours aussi brillants qu’ils en ont l’air.

Le Moulin, vu de l'extérieur

Le Moulin, vu de l’extérieur

A Gournay-en-Bray (76), le Moulin Paul Dupuis apparaît comme une étoile atypique dans la galaxie Maurey. En effet, la famille est propriétaire de l’entreprise, tout en ayant délégué sa gestion et son développement à Lionel Deloingce et ses équipes.
L’originalité de l’entité se manifeste avant toute chose par son emplacement : c’est un véritable moulin « de centre ville », situé à quelques mètres de commerces et inscrit dans une sympathique cité, même si elle reste de petite taille. Cette spécificité impose ses contraintes, à commencer en terme d’espace. Les plafonds relativement bas peuvent surprendre. L’usine qui se dresse ici a construit son identité, presque son patrimoine. Les escaliers en bois et parquets en témoignent. Si les machines sont récentes – l’outil de mouture date principalement de 1998 -, on sent que le bâtiment a une histoire.

Les Planchister... sur un superbe parquet.

Les Plansichters… sur un superbe parquet.

Avoir une histoire, c’est bien, cela permet de savoir d’où l’on vient. Un outil utile pour tracer l’avenir. Chaque année, des investissements sont menés pour améliorer la productivité et rester dans « la course ». Ligne d’ensachage moderne et automatisée, nettoyage de qualité… aujourd’hui, ce moulin à cylindres a une capacité d’écrasement de 100 tonnes par jour, et fonctionne 7j/7, 24h/24. Autant dire qu’il y a de belles possibilités…

L'outil de nettoyage des grains schématisé sur le poste de contrôle.

L’outil de nettoyage des grains schématisé sur le poste de contrôle.

… mais à quoi les utiliser ? Artisanat, grande distribution, chaines …? Chez Paul Dupuis, le choix n’a pas été vraiment fait. Bien sûr, il n’était pas question de s’en vanter lors des portes ouvertes qui se sont tenues de dimanche à hier, mais l’entreprise ne fait pas que livrer la boulangerie artisanale. Le Groupe Holder (donc Paul Dupuis livre Paul, ça ne tombe pas au fond du puits) et Auchan sont aussi de la partie. Quitte à se couvrir la tête, autant multiplier les casquettes, cela tient chaud l’hiver. A l’image du reste du « groupe », Lionel Deloingce a participé à la création de Banette et compte encore aujourd’hui parmi ses adhérents. « Une autre idée de la farine » nous vante-t-on…

Banette 1900

Banette 1900

Pour autant, le chef d’entreprise a développé une vision qualitative et ambitieuse de la boulangerie artisanale. Sa proximité avec Yvon Foricher n’y est sans doute pas étrangère, le fameux meunier d’origine bretonne sachant marteler ses idées avec conviction et finir par acquérir la conviction d’acteurs toujours plus nombreux.

Le Stand dédié au CRC occupait une place importante dans ces portes ouvertes, qui restaient très familiales et modestes. On peut saluer l'initiative, mais j'ai du mal à voir tout cela cohabiter avec Banette à quelques mètres. Il y a deux mondes de la boulangerie qui sont difficilement compatibles : tandis que l'un porte l'avenir, l'autre est resté figé sur des outils marketing dépassés...

Le Stand dédié au CRC occupait une place importante dans ces portes ouvertes, qui restaient très familiales et modestes. On peut saluer l’initiative, mais j’ai du mal à voir tout cela cohabiter avec Banette à quelques mètres. Il y a deux mondes de la boulangerie qui sont difficilement compatibles : tandis que l’un porte l’avenir, l’autre est resté figé sur des outils marketing dépassés…

Cette rencontre avec la clientèle était en effet l’occasion d’annoncer l’adhésion au groupement CRC et de mettre en valeur la farine développée avec les céréales certifiées. Répondant au doux nom de Campteclair, elle est proposée avec des diagrammes de fabrication respectueux du temps et des arômes, avec de longues fermentations et, pour certains, du levain naturel.

Baguettes Campteclair (CRC) au Levain

Baguettes Campteclair (CRC) au Levain

Alexandre Deloingce – tout juste 23 ans ! – a été chargé de saisir un bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole auprès de la clientèle et tenter de faire évoluer les pratiques. La partie est loin d’être gagnée : ici, les artisans boulangers sont encore très sensibles au marketing de masse et n’ont pas suffisamment fait évoluer leurs méthodes, preuve en est de l’importance que Banette porte encore aujourd’hui dans le secteur. Même si les farines de l’Artisan Bio / Moulin de Brasseuil étaient également représentées, ce n’était sans doute pas le centre d’intérêt de la plupart des visiteurs… qui se préoccupaient plus des caisses enregistreuses ou des idées pour l’offre snacking.

L'espace "boutique" avec les produits de boulangerie.

L’espace « boutique » avec les produits de boulangerie.

Est-ce pour autant peine perdue ? Non, certainement pas. Il faudra seulement être tout à fait cohérent à un moment et prendre les décisions qui feront réellement avancer l’ensemble de la clientèle dans le même sens. Lionel Deloingce travaille beaucoup sur la formation de ses équipes commerciales, avec comme objectif de les impliquer plus fortement dans une démarche d’accompagnement et de qualité au sein de la clientèle. On ne peut que saluer l’initiative et la vision, car c’est ainsi qu’il faut prendre le problème : les forces de vente sont les premiers interlocuteurs de nos boulangers, et ils doivent sortir du rôle de simples preneurs de commandes qu’ils ont souvent adopté.

Les Pains Artisan Bio / Moulin de Brasseuil étaient bien mis en valeur.

Les Pains Artisan Bio / Moulin de Brasseuil étaient bien mis en valeur.

Paul Dupuis n’est pas un meunier très visible sur le marché parisien, et pour cause, ce n’est pas son coeur de cible. Chars et Chérisy sont géographiquement les plus à même d’apporter un service adapté. Pour autant, la famille Pichard, rue de Cambronne, a fait le choix de ce partenaire il y a déjà bien longtemps. Ensemble, ils ont mis en place l’engagement et le processus atypique qui donnent toute sa saveur à la fameuse baguette Pichard. C’est une bonne preuve de l’ouverture et de l’intérêt que peut porter ce meunier à l’artisanat… Seulement, après les idées, les petits pas, il est largement temps de passer aux actes et de donner une vraie cohérence à la démarche. Affaire à suivre.

Je ne suis pas un grand amateur de chiffres et statistiques, mais il y a parfois des données qui poussent à réfléchir : si l’on calculait le ratio d’artisans boulangers produisant un pain de qualité par rapport au nombre d’habitants d’une ville, je pense qu’on pourrait parfois trembler devant un tel constat d’échec. Quelles sont les raisons précises de telles situations ? On ne peut pas blâmer uniquement les professionnels, mais aussi la clientèle : dans de nombreuses zones, le public n’est pas encore assez sensible à la qualité et persistent à demander des produits blancs et sans saveur… Une situation qui a vite fait d’en décourager plus d’un.

A Marseille, la boulangerie artisanale est un secteur plutôt moribond : la plupart des affaires se laissent littéralement mourir, et avant de parler de qualité, il faudrait déjà commencer par faire un grand ménage. Je pense que l’état de certains fournils imposerait, dans certains cas, une fermeture administrative immédiate. 
Ce manque de dynamisme a fait le lit des gros faiseurs en meunerie, à l’image des Grands Moulins de Paris, de Soufflet / Baguépi ou de groupements comme Banette ou Festival, qui restent encore très implantés ici. Ils bénéficient d’une image très qualitative auprès des artisans, qui n’imagineraient même pas d’aller voir ailleurs.

Il faut dire que la clientèle ne fait pas preuve d’une particulière sensibilité à la question : beaucoup sont encore habitués à des pains insipides, en sous-cuisson. Le travail d’éducation à réaliser est d’ampleur, et je peux comprendre que cela en décourage plus d’un. Quand bien même ils étaient convaincus à la base, beaucoup d’artisans finissent par céder et les croûtes de leurs pains, jadis si colorées, finissent par blanchir… un peu comme si, à la façon de l’amour, on les avait passées à la machine.

Est-ce que les couleurs d’origines peuvent revenir (vous voyez comme je suis persistant dans ma référence culturelle) ? Certains s’y emploient, en tout cas. Certes, il ne m’aura pas fallu plus d’une main – et encore – pour les compter, mais ils ont pris une voie tranchée avec des gammes courtes, voire quasi-entièrement centrées sur la boulangerie.

Je vous avais déjà parlé de Dame Farine la semaine passée, mais il aurait été difficile de passer à côté de la Maison Saint-Honoré et du Fournil des Auffes, particulièrement en vue dès que l’on parle de pain à Marseille. Pierre Ragot a multiplié les créations colorées et les collaborations avec les chefs locaux : foccacia au charbon végétal, petits pains ‘bloomers’ au chocolat, pralines, … pain de mie feuilleté, sans compter les nombreuses grosses pièces à la coupe. Quelques cakes, viennoiseries et flans viennent compléter l’offre, mais c’est à peu près tout. Une grande partie des produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa part.

131 rue d’Endoume, 13007 Marseille / tél : 04 91 90 25 69
ouvert du mardi au samedi de 6h30 à 13h30 et de 16h à 19h30, le dimanche de 6h30 à 13h30 

Près de la gare Saint-Charles, c’est le Bar à Pain qui en fait… des tartines. Le lieu est atypique, vivant, une sorte d’hybride entre boulangerie et café. Les propositions sont centrées sur le pain – au levain, vendu au poids – et les pizzas, tartines, tartes et sandwiches du déjeuner. Très peu de sucré, pas de pâtisserie, quelques brioches et cookies. Même si l’ambiance est un peu surchauffée avec le fournil mélangé à la boutique, le tout dans un espace confiné, le côté jeune et dynamique de l’endroit est agréable.
Le projet est mené par un reconverti à la boulangerie, ayant suivi une formation au sein de l’Ecole internationale de boulangerie. C’est donc tout naturellement qu’il a poursuivi sur les bases qui lui ont été transmises, en réalisant du pain biologique à partir de la farine livrée par les Moulins Pichard.

18 Cours Joseph Thierry, 13001 Marseille / tél : 06 87 04 02 51
ouvert du mardi au vendredi de 10h à 20h, le samedi de 10h à 18h.

Et pendant ce temps-là…

La gastronomie marseille est plutôt active : entre chefs renommés (Gérald Passédat, Alexandre Mazzia, Lionel Levy, …) et nouvelles adresses (restaurant gastronomique dans le MuCEM, les Voutes de la Major, la rénovation des Galeries Lafayette…), on peut finir par se demander si un écart profond n’est pas en train de se creuser entre le « haut du panier », ciblant une clientèle aisée, et le reste du monde… dont la boulangerie et son caractère très prosaïque font partie. C’est dommage, mais cette tendance de fond peut être observée dans de nombreuses villes.

Sinon ?

Les amateurs pourront toujours se consoler du faible niveau de la boulangerie locale en cherchant quelles sont les meilleures navettes de la ville (chez « Au four des Navettes », qui revendique son statut de plus vieille boulangerie marseillaise ? ou bien chez « Aux Navettes des Accoules » …?), ou tout simplement en se promenant un peu… Parfois, il vaut mieux délaisser les nourritures terrestres pour celle de l’esprit et regarder plus le paysage que son assiette.

Paysage, Marseille (13)

Le hasard de l’ordre de mes publications donne parfois lieu à des perspectives cocasses. On peut ainsi alterner entre profond désespoir, consternation, incohérences entre discours et réalité, engagement véritable, convictions vivement défendues, … Je sais que certains me reprochent d’écrire des billets négatifs et pensent que je devrais me limiter à des pensées positives. J’ai essayé, vraiment, mais je ne peux pas m’y résoudre : cela donnerait une vision très partielle du milieu, et si l’on va plus loin, ne correspondrait pas du tout à la réalité du monde dans lequel nous vivons. Il y a du beau et du moins beau, mais doit-on refuser de voir ce qui nous dérange ? Non. Au contraire. Pour mieux combattre nos ennemis et nos démons, apprenons à les regarder en face. La vie ne sera sans doute pas plus simple ni plus belle. Pour autant, nous aurons le mérite du courage.

Dame Farine c'est elle, Marie-Christine Aractingi dans sa boutique.

Dame Farine c’est elle, Marie-Christine Aractingi dans sa boutique.

Du courage, Marie-Christine Aractingi n’en manque pas. Son parcours inspire le respect : cette boulangère « d’art et d’essai » – comme elle se décrit -, a quitté l’univers des lettres pour celui des pâtes et pétrins. Après avoir passé du temps à écrire des mots, elle trace aujourd’hui une histoire singulière, au fil des jours.
Elle ne s’est pas contentée de son brevet professionnel – obtenu au sein de l’Ecole de Boulangerie et de Pâtisserie de Paris – et a développé ses compétences au sein d’entreprises reconnues : de chez Frédéric Lalos au fournil du Farinoman Fou à Aix-en-Provence, elle a pu découvrir de multiples approches du métier, des vérités plus ou moins avouables, diverses méthodes de fabrication… pour construire sa propre vision de la boulangerie et prendre son envol.

Une devanture bleue comme le ciel de Marseille... pour autant, la boulangère n'a pas complètement la tête dans les nuages !

Une devanture bleue comme le ciel de Marseille… pour autant, la boulangère n’a pas la tête dans les nuages !

C’est dans la cité phocéenne que ce drôle d’oiseau a déployé ses ailes le 21 juin 2014.
L’objet de mon propos n’est pas de vous dépeindre une réalité édulcorée, mais de vous parler de l’aventure d’une boulangère qui cherche autant qu’elle se cherche.

Vitrine, Dame Farine, Marseille (13) Beaucoup ont aujourd’hui fait le choix des compromis. Snacking, pâtisseries de toutes formes et de toutes origines, viennoiseries multiples, un grand nombre de boulangeries développe des gammes surabondantes. Marie-Christine est restée, à l’inverse, entièrement cohérente avec ses convictions. En choisissant un meunier artisanal et local (le moulin Saint-Joseph), elle a pris le « risque » de farines non corrigées et parfois difficiles à travailler. C’est en contrepartie ce qui participe à faire de ses pains des produits savoureux et réellement différents, que ce soit en terme de goût ou de qualité nutritionnelle. Elle travaille ainsi les pâtes avec beaucoup de douceur : pétrissages lents, longue fermentation, … ce fournil laisse du temps au temps. Beaucoup devraient s’en inspirer.

Les enfants ont aussi leur place dans cette boulangerie : crayons de couleur, papiers, petits tabourets... face au tableau original que nous dresse Dame Farine, il est temps de faire un dessin.

Les enfants ont aussi leur place dans cette boulangerie : crayons de couleur, papiers, petits tabourets… face au tableau original que nous dresse Dame Farine, il est temps de faire un dessin.

Ici, pas de viennoiserie, à peine quelques brioches, ni même de sandwiches. Certains passants s’étonnent de ce choix, puis s’en vont. D’autres restent et se posent des questions. Les plus inspirés reviennent et tissent une relation avec cette pétillante Dame Farine. Cela fait partie de ses plus grandes satisfactions : les liens tissés au sein de cette communauté d’habitués sont réels et sincères. Si la jeune boulangère nourrit le corps, les clients font plus qu’apporter quelques euros, ils portent le projet et y participent activement, que ce soit en terme de recommandation ou de soutien moral. Cet état d’esprit singulier correspond bien à la ville, où les classes populaires sont fortement représentées.
Il faut malgré tout parvenir à s’imposer en tant que femme dans ce métier où les hommes demeurent sur-représentés : dépasser les habituelles questions « où est le boulanger ? où est le patron ? » prend toujours du temps… et de l’énergie.

Pains, Dame Farine, Marseille (13)Les individus sensibles à une boulangerie engagée sont-ils assez nombreux pour parvenir à pérenniser cette fragile entreprise ? A mon sens, c’est la question centrale qui se pose aujourd’hui.

Pétrins, bacs, sacs de farine, ingrédients variés... participent au décor.

Pétrins, bacs, sacs de farine, ingrédients variés… participent au décor.

Marseille est une grande ville et son offre boulangère est moribonde. Peu d’artisans ont fait le choix de la qualité, et la plupart se laissent mourir. Leurs affaires sont dans un état lamentable, j’y reviendrai plus largement ultérieurement. Malheureusement, des initiatives différentes et portées par des convictions ont tendance à se noyer dans une telle masse.

Fougasses, Oliveta à la tapenade et feta, Pissaladière, brioches, chocopan, ... le coin des gourmandises salées et sucrées.

Fougasses, Oliveta à la tapenade et feta, Pissaladière, brioches, chocopan, … le coin des gourmandises salées et sucrées.

Pour exister, il faudrait alors communiquer, se répandre dans la sphère publique… et sans doute finir par se perdre. Quand bien même elle le voudrait, Marie-Christine ne dispose pas réellement des moyens matériels pour verser dans ces activités : accompagnée seulement d’une apprentie et d’un peu d’aide à la vente, elle consacre l’essentiel de son temps à sa production et à la gestion de son entreprise. Elle a ainsi appris à jongler entre les pétrins, les cuissons, l’accueil en boutique, l’administratif, … Au risque de s’oublier elle-même et de crouler un jour sous le poids de ces charges.
Je ne lui souhaite pas, tout comme je ne le souhaite pas à tous ces artisans indépendants qui se battent chaque jour pour satisfaire leur clientèle.
Leur salut tient aujourd’hui à une prise de conscience collective de l’importance d’une telle offre boulangère « alternative » : elle pose un véritable rempart à l’uniformisation du goût, portée à la fois par les industriels et les gros faiseurs (chaines de boulangeries, et plus globalement entrepreneurs aux multiples points de vente).

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Trêve de réflexions trop poussées sur le secteur et son état. Revenons-en à mon plaisir du jour, à celui que je peux avoir quand je rencontre des artisans engagés et que je déguste des produits de qualité.
Disposés dans cette boutique-atelier, les pains ont tous leur identité singulière, qui se déploie bien au delà de leurs noms souriants. Ici, le levain naturel n’est pas érigé comme marque de fabrique, il accompagne l’ensemble des produits, les ensemence et développe leur arômes sans jamais les étouffer. Si notre Dame Farine n’a pas sa langue dans sa poche et a du s’affirmer par des postures quasi-viriles, sa gamme exprime une sensibilité profonde et un véritable amour du pain. Toute la production est divisée puis façonnée à la main, pour respecter au mieux la douceur des pâtes et leur gluten fragile.

Du pain, des mots, de l'esprit.

Du pain, des mots, de l’esprit.

La plupart des farines sont complètes ou semi-complètes, et elles sont aussi riches en fibres qu’en goût. Le Méteil exprime de douces notes miellées, tandis que le Pain du Coin – à base de farine de Petit Epeautre – retranscrit tout le caractère du terroir de Provence, avec un bouquet riche et épicé. Soleil Levain, Sarrasin, Miche Cléôpatre, Demoiselle, Damoiseau, … les noms ne manquent pas d’humour et d’histoires, et ils donnent à ces pains une saveur toute particulière, celle de la malice. Il y a aussi les créations gourmandes, intemporelles ou éphémères.
Pain à la betterave, seigle-figues-noix, aux pépites de chocolat, à la carotte et au cumin… les produits prennent des couleurs et associent des goûts parfois insolites. C’est la parfaite illustration du crédo inscrit en façade : boulangerie d’art et d’essai.

Le présentoir d'épicerie propose quelques produits locaux et sélectionnés.

Le présentoir d’épicerie propose quelques produits locaux et sélectionnés.

Que souhaiter à Marie-Christine ? De la réussite, oui, sans doute, mais aussi de ne pas perdre cette flamme, cette envie, cet amour des autres qui font de sa boulangerie un lieu particulier. Au delà de la farine, ce sont des ingrédients précieux pour faire du bon pain. Un pain qui nourrit le corps et l’esprit.

Infos pratiques

77 avenue de la Corse, 13007 Marseille
ouvert du mardi au samedi de 8h à 13h15 16h à 19h30

Les pilotes de voitures de course doivent parfois avoir bien du mal à revenir à des véhicules traditionnels : il seraient bien en peine de rouler à plusieurs centaines de kilomètres/heure avec des berlines ou citadines… Heureusement pour les autres usagers de la route, malheureusement pour eux ?
C’est un peu comme pour le reste des activités de la vie : il faut s’avoir s’adapter à son environnement et à l’outil que l’on a dans les mains à l’instant T. Un changement brusque peut être une excuse temporaire à un comportement déplacé, mais cela ne tient pas longtemps.

Flaveur, Suresnes (92)

Jean-Michel Santacreu est passé des Grands Moulins de Paris avec un poste à hautes responsabilités – il était Directeur Régional Commerce de proximité Ile-de-France avant de quitter l’entreprise – à la… petite boulangerie, nommée Flaveur, à Suresnes (92).
Le véhicule et la route ont bien changé, mais le pilote ? Sa formation pour adultes au CAP Boulanger – suivie à l’EBP, comme cela s’entend – n’en a pas fait un homme neuf. Ses convictions et son approche n’ont, semble-t-il, pas varié.

Pourtant, dès lors qu’on fait le choix d’ouvrir une boulangerie artisanale, je pense qu’il faudrait en adopter les codes, saisir la mesure de l’engagement que l’on prend vis à vis de sa clientèle.
Le discours de ce « jeune » artisan aurait pourtant de quoi séduire au premier abord : se différencier par la qualité, le choix des matières premières, offrir des produits frais à toute heure de la journée…

Le rayon qui fâche : la viennoiserie !

Le rayon qui fâche : la viennoiserie !

Seulement, au détour d’une phrase, d’un virage, on se rend bien compte des ambitions qui animent l’homme au sein de son entreprise. D’accord, le temps était pluvieux le jour de mon passage, les routes glissantes… ce qui explique peut-être la sortie de route sur le sujet de la viennoiserie. Soyons sérieux, juste un peu.
Tandis que M. Santacreu prône le fait maison, il défend aussi ardemment la viennoiserie industrielle, en mettant en avant le peu de différences qui existeraient entre un croissant artisanal et ceux fabriqués par des entreprises comme Bridor sur leurs segments « haut de gamme ». Mieux encore, les machines seraient plus à même que l’homme d’aboutir à des produits d’exception.

Une partie de la gamme de pains. Ici, on aime les pré-mixes. Question de culture.

Une partie de la gamme de pains. Ici, on aime les pré-mixes. Question de culture.

Si je peux entendre l’argument de la régularité et de la facilité, le reste m’échappe. Tout autant qu’il semble échapper aux artisans ayant constaté une lente baisse, à long terme, de la consommation de viennoiseries après être passés en industriel.
Pour le reste, il est intarissable sur la qualité de ses process et produits. S’il omet de parler des pains élaborés à partir de pré-mixes, le levain naturel et la poolish qui seraient mis en oeuvre dans son fournil au quotidien ont droit à l’article. Certes, la gamme est assez étendue, avec le Compl’exquis et ses « pépites » (quelle trouvaille) de son, le Kapnor, les pains aux poids, la Tradition et la Grand Siècle (que seul le lamage semble différencier)… mais où est l’identité d’artisan ici ?
Le Carrefour Market attenant propose lui aussi un rayon boulangerie, la concurrence est donc frontale. Je ne suis pas persuadé que les choix réalisés ici développent nettement une quelconque différence.

Flaveur ou le goût du pain, c’est l’intitulé déroulé -tel quel- sur la façade et les sachets. Le sens de la phrase m’échappe légèrement, mais qu’importe. Même si la Grand Siècle se défend honorablement avec un goût de froment bien développé, que dire des pâtisseries approximatives présentées en vitrine ? Ces dernières auraient été élaborées avec un Meilleur Ouvrier de France… si c’est le cas, mieux vaut ne pas connaître son nom.
En réalité, c’est l’offre snacking qui demeure la plus prolifique ici : des salades à la large gamme de sandwiches, le consommateur ne manque pas de choix. Le partenariat tissé avec Loste est mis en avant sur les produits, comme gage de qualité.

On peut passer directement du Carrefour Market à la boulangerie Flaveur... tellement pratique !

On peut passer directement du Carrefour Market à la boulangerie Flaveur… tellement pratique !

Avant de partir, il ne faudrait pas oublier de s’intéresser un peu aux lieux : la boutique est sobre, moderne, sans âme. Le service est agréable et efficace, avec notamment un responsable de boutique lui aussi formé à la boulangerie, ce qui permet d’assurer des cuissons jusqu’à la fermeture sans nécessiter de personnel complémentaire. Que d’ingéniosité.

Infos pratiques

103 rue de Verdun – 92150 Suresnes (Tramway T2, station Belvédère) / tél : 01 71 05 50 90
ouvert du lundi au samedi de 7h à 20h.