Je ne suis pas un grand amateur de chiffres et statistiques, mais il y a parfois des données qui poussent à réfléchir : si l’on calculait le ratio d’artisans boulangers produisant un pain de qualité par rapport au nombre d’habitants d’une ville, je pense qu’on pourrait parfois trembler devant un tel constat d’échec. Quelles sont les raisons précises de telles situations ? On ne peut pas blâmer uniquement les professionnels, mais aussi la clientèle : dans de nombreuses zones, le public n’est pas encore assez sensible à la qualité et persistent à demander des produits blancs et sans saveur… Une situation qui a vite fait d’en décourager plus d’un.

A Marseille, la boulangerie artisanale est un secteur plutôt moribond : la plupart des affaires se laissent littéralement mourir, et avant de parler de qualité, il faudrait déjà commencer par faire un grand ménage. Je pense que l’état de certains fournils imposerait, dans certains cas, une fermeture administrative immédiate. 
Ce manque de dynamisme a fait le lit des gros faiseurs en meunerie, à l’image des Grands Moulins de Paris, de Soufflet / Baguépi ou de groupements comme Banette ou Festival, qui restent encore très implantés ici. Ils bénéficient d’une image très qualitative auprès des artisans, qui n’imagineraient même pas d’aller voir ailleurs.

Il faut dire que la clientèle ne fait pas preuve d’une particulière sensibilité à la question : beaucoup sont encore habitués à des pains insipides, en sous-cuisson. Le travail d’éducation à réaliser est d’ampleur, et je peux comprendre que cela en décourage plus d’un. Quand bien même ils étaient convaincus à la base, beaucoup d’artisans finissent par céder et les croûtes de leurs pains, jadis si colorées, finissent par blanchir… un peu comme si, à la façon de l’amour, on les avait passées à la machine.

Est-ce que les couleurs d’origines peuvent revenir (vous voyez comme je suis persistant dans ma référence culturelle) ? Certains s’y emploient, en tout cas. Certes, il ne m’aura pas fallu plus d’une main – et encore – pour les compter, mais ils ont pris une voie tranchée avec des gammes courtes, voire quasi-entièrement centrées sur la boulangerie.

Je vous avais déjà parlé de Dame Farine la semaine passée, mais il aurait été difficile de passer à côté de la Maison Saint-Honoré et du Fournil des Auffes, particulièrement en vue dès que l’on parle de pain à Marseille. Pierre Ragot a multiplié les créations colorées et les collaborations avec les chefs locaux : foccacia au charbon végétal, petits pains ‘bloomers’ au chocolat, pralines, … pain de mie feuilleté, sans compter les nombreuses grosses pièces à la coupe. Quelques cakes, viennoiseries et flans viennent compléter l’offre, mais c’est à peu près tout. Une grande partie des produits sont vendus au poids, ce qui permet à chacun de choisir sa part.

131 rue d’Endoume, 13007 Marseille / tél : 04 91 90 25 69
ouvert du mardi au samedi de 6h30 à 13h30 et de 16h à 19h30, le dimanche de 6h30 à 13h30 

Près de la gare Saint-Charles, c’est le Bar à Pain qui en fait… des tartines. Le lieu est atypique, vivant, une sorte d’hybride entre boulangerie et café. Les propositions sont centrées sur le pain – au levain, vendu au poids – et les pizzas, tartines, tartes et sandwiches du déjeuner. Très peu de sucré, pas de pâtisserie, quelques brioches et cookies. Même si l’ambiance est un peu surchauffée avec le fournil mélangé à la boutique, le tout dans un espace confiné, le côté jeune et dynamique de l’endroit est agréable.
Le projet est mené par un reconverti à la boulangerie, ayant suivi une formation au sein de l’Ecole internationale de boulangerie. C’est donc tout naturellement qu’il a poursuivi sur les bases qui lui ont été transmises, en réalisant du pain biologique à partir de la farine livrée par les Moulins Pichard.

18 Cours Joseph Thierry, 13001 Marseille / tél : 06 87 04 02 51
ouvert du mardi au vendredi de 10h à 20h, le samedi de 10h à 18h.

Et pendant ce temps-là…

La gastronomie marseille est plutôt active : entre chefs renommés (Gérald Passédat, Alexandre Mazzia, Lionel Levy, …) et nouvelles adresses (restaurant gastronomique dans le MuCEM, les Voutes de la Major, la rénovation des Galeries Lafayette…), on peut finir par se demander si un écart profond n’est pas en train de se creuser entre le « haut du panier », ciblant une clientèle aisée, et le reste du monde… dont la boulangerie et son caractère très prosaïque font partie. C’est dommage, mais cette tendance de fond peut être observée dans de nombreuses villes.

Sinon ?

Les amateurs pourront toujours se consoler du faible niveau de la boulangerie locale en cherchant quelles sont les meilleures navettes de la ville (chez « Au four des Navettes », qui revendique son statut de plus vieille boulangerie marseillaise ? ou bien chez « Aux Navettes des Accoules » …?), ou tout simplement en se promenant un peu… Parfois, il vaut mieux délaisser les nourritures terrestres pour celle de l’esprit et regarder plus le paysage que son assiette.

Paysage, Marseille (13)

4 réflexions au sujet de « Marseille, une ville où la boulangerie mange son pain blanc »

  1. Le niveau global de la boulangerie sur la côte méditerranéenne est assez catastrophique, sans doute le pain est il moins ancré chez les gens dans ces régions là, le tourisme de masse y joue peut être aussi un rôle..

  2. Un article avec des infos très étonnantes, mais ça donne vraiment envie de faire un tour à Marseille pour goûter à gauche et à droite. Merci pour la qualité des article et du site en général et bonne continuation.

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