Doit-on passer nos existences à se comparer aux autres, comme s’il n’y avait pas d’autres façons de co-exister, comme si la compétition était quelque chose de sain et naturel ? Cela trouve sans doute des racines très profondes dans nos cultures, et ce schéma est reproduit dès le plus jeune âge, notamment dans nos écoles françaises où le système de notation et autres plaisirs associés induit ce type de concurrence.
Certains y voient une occasion de se surpasser, d’essayer de faire toujours mieux. A mon sens, il ne pourrait y avoir de pire ressort que cette volonté d’écraser l’adversaire, même si cela fonctionne dans les faits. On peut aussi chercher à s’améliorer pour l’autre, pour l’intérêt collectif, et non pas uniquement pour défendre ses couleurs. Ce serait peut-être ça, la vraie bienveillance, plutôt que celle dont on entend si souvent parler sans jamais en voir les fruits.

En raisonnant ainsi, les concours n’auraient plus lieu d’être. Il est possible que je sois alors un des rares à m’en réjouir tant ces événements sont scrutés, à la fois par les participants, les organisateurs et les simples spectateurs que forment le ‘grand public’. Pourtant, je persiste à penser que le secteur de la boulangerie-pâtisserie en serait profondément assaini : il n’y aurait plus que sa clientèle à satisfaire, et ce tous les jours de l’année… et quel meilleur juge que celui qui fait l’effort de se rendre en boutique et de payer pour un produit ? Bien sûr, on peut toujours remettre en question son (bon) goût, lui trouver tous les défauts du monde. C’est pourtant ce fameux client qui fait vivre les entreprises…

… quoique une récompense peut bien y contribuer, et certains petits malins l’ont bien compris. Cette année encore la fameuse loterie nommée Grand prix de la Meilleure Baguette de Tradition de la Ville de Paris avait lieu, exceptionnellement en septembre, situation sanitaire oblige. Les vainqueurs ont été annoncés il y a quelques jours, avec les retombées médiatiques habituelles. J’ai suivi avec un certain amusement l’émotion et l’admiration des journalistes vis à vis du boulanger Makram Akrout, ancien sans-papiers d’origine tunisienne. Si l’on avait voulu donner une image du métier d’artisan boulanger où l’amour de la diversité, la capacité à servir d’ascenseur social, … on n’aurait vraiment pas mieux fait. Les petites mains habiles ayant participé à l’événement ont décidément été bien inspirées…

à cela près qu’il existe une sérieuse ombre au tableau. Quand on s’intéresse à la société les Boulangers de Reuilly -laquelle a été primée-, dont Makram Akrout est président, plusieurs détails ont de quoi interpeller : Fabrice Leroy en est directeur général et possède 50% des parts. Or ce nom n’est pas inconnu de ceux qui s’intéressent à la boulangerie parisienne : l’artisan, installé au 203 avenue Daumesnil (soit… juste derrière), a remporté le même prix en 2019. Depuis, il s’est développé et a acquis une boutique dans le 14è arrondissement, puis la dernière au 54 boulevard de Reuilly en début d’année (alors que son associé prétend dans les médias avoir acquis cette entreprise en 2020… sans doute l’émotion). Autant dire que pour cet ancien employé de la SNCF, la boulangerie est une affaire… qui roule.

Les bonnes affaires de Fabrice Leroy : il est propriétaire de deux boulangeries situées l’une derrière l’autre.

Seulement, comme pour toute farce… concours, pardon, un règlement est présenté aux participants et ces derniers doivent s’y plier : il est précisé dans l’article 3 que le lauréat ne pourra plus concourir pendant 4 ans. Or, dans la présente situation, on peut considérer que Makram Akrout n’était pas seul à concourir en représentant la société Les Boulangers de Reuilly : son associé retirera forcément les bénéfices de cette situation, de par l’accroissement du chiffre d’affaires ainsi généré. Dès lors, il y a eu un manque, voire une absence, de contrôle pour vérifier que l’artisan avait bien le droit de présenter ses baguettes. A qui la faute ? La mairie ou le syndicat ? Peu importe, en définitive, car le résultat est là. Il y aura sans doute des enseignements à tirer de cette situation, et j’espère que les personnes concernées le feront.
Pour le reste, à chacun de juger des qualités du produit en question et des aptitudes professionnelles du boulanger primé. J’ai beaucoup d’humour, mais avec le temps et l’expérience, certaines blagues ne me font plus rire, à plus forte raison quand elles se moquent aussi ouvertement des clients… à croire que le respect, que ce soit des règles ou des humains, n’est pas une denrée bien distribuée.

4 réflexions au sujet de « Les champions de la baguette du 12è arrondissement… et leur discutable respect des règles »

  1. Bonjour
    C’est incroyable !
    D’autant (j’habite bd de Picpus tout près de ces 2 commerces) et je n’avais déjà pas compris le choix de récompenser la Boulangerie Leroy Monti en 2019.
    Quant à celle primée cette année je n’y ai jamais mis les pieds car elle me parait plus proche du dépôt de pain avec des gâteaux qui ont une merveilleuse tête de fabrication industrielle.
    Si vous avez la possibilité de vous faire entendre, faites le svp

  2. La maison Pichard devait avoir les memes problemes entre sa boulangerie principale et celle dont ils sont les actionnaires majoritaires a Maubert

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