Fin janvier, je suis sorti de ma tanière. J’ai pris la direction de Lyon pour… rugir un coup, en me mettant la tête dans le SIRHA…ge. Un grand moment.
Les salons de ce type se suivent et se ressemblent. Les journalistes ont fini par s’en emparer et les utiliser pour meubler leurs reportages sur la pâtisserie industrielle et la progression de ses parts de marché au sein des boulangeries artisanales. Coup sur coup, ce sont ainsi France 2 et M6 qui se sont engouffrés dans la brèche, avec des approches similaires, et même des intervenants identiques. Le constat est édifiant, bien sûr, je ne pourrais pas le nier. Pourtant, il me semble que plutôt de se limiter à un traitement « de façade », il conviendrait de se pencher plus attentivement sur les démonstrations qui y sont faites.
Le modèle des industriels est en train de muter. Le fait qu’ils aient été pointés du doigt n’y est pas étranger, mais cette évolution exprime aussi une intelligence et une capacité de remise en question de bon nombre d’artisans n’ont pas. Ainsi, ils déploient une énergie considérable pour développer des solutions qui les placent non plus en tant que pourvoyeur de solutions pré-conçues, mais en partenaire-facilitateur du quotidien. Livrets de recettes, démonstrations, cautions achetées auprès de cols bleu-blanc-rouge de tous horizons, rien n’est trop beau pour se construire une image plus glorieuse auprès de ses clients et plus généralement des visiteurs.
Bien sûr, au delà des paroles, il ne faut pas être dupe : si la forme change, c’est bien moins le cas du fond. Les arbres ne suffisent pas à cacher la forêt. Même si Transgourmet, Metro, Bridor, Coup de Pâtes, Back Europ, … proposent des références « haut de gamme » assez qualitatives dans leur catalogue, cela n’en représente qu’une infime partie, sélectionnée par quelques clients. N’oublions pas que l’objectif de ces entreprises est de fournir un grand volume de produits, ce qui est difficilement conciliable avec des logiques de qualité et d’artisanat. Se racheter une conduite, une conscience, c’est fantastique. Vraiment.
Allons nous-en, voulez-vous… Au détour des allées du salon, il y avait aussi du vrai, des entreprises qui défendent un savoir-faire et des terroirs. Les régions françaises comptent de nombreux talents, à commencer par notre chère Ile-de-France. C’est ici qu’est notre avenir : dans des filières courtes, où tout le monde sait comment, pourquoi, où… vont les produits. Du producteur au consommateur en passant par le transformateur, tout le monde s’y retrouve, avec des relations plus équitables et surtout du goût. En matière de boulangerie, cela commence par la farine pour se poursuivre avec les fruits utilisés dans les tartes, les légumes des quiches et sandwiches, …
Après quelques heures de salon, on pouvait aisément se croire dans un four. Cela était peut-être lié au fait que quelques acteurs de la filière blé-farine-pain avaient installé des fournils éphémères. Le plus visible était sans doute celui de Banette, qui est encore très implanté dans la région lyonnaise (c’est le berceau de l’un des fondateurs du groupement, la minoterie Nicot, ndlr). Ici, pas d’évolution, pas de changement : à croire que les têtes pensantes de l’entreprise sont persuadées que les recettes qu’ils appliquent depuis 20 ans sont encore pertinentes. Suffit-il d’arroser les visiteurs dans la « boutique », de faire quelques démonstrations, en bref de jouer les gros bras ? Même constat en face chez les Grands Moulins de Paris (avec un stand recyclé d’Europe 2014), Festival des Pains, Soufflet ou encore la Pétrie. La boulangerie a de beaux jours devant elle, dormez tranquille. Justement, c’est à croire si l’intérêt de tous ces gros faiseurs n’est pas que les artisans s’endorment complètement et finissent par ne plus jamais refaire surface. Bien entendu, on en aura profité pour leur vendre tout ce que l’on pouvait en produits finis, histoire d’empocher des marges confortables. Quand je vous parlais de cirage, vous voyez bien qu’on y traine.
Je dois être trop vieux ou trop blasé pour être outré par toutes ces bêtises. Bon, j’ai quand même bondi au détour de quelques stands. On ne se refait pas, que voulez-vous. Je vous donne même quelques bonnes sélections, je suis comme ça, c’est mon côté Jean-Pierre Coffe. Je fouille dans la merde pour trouver le plus croustillant. Pas besoin de Leader Price pour le faire, c’est gratuit.
Chez Rietman, on a de l’humour depuis 1967. Ou pas. Leur spécialité ? Mettre au point des pains pré-mixes cautionnés par des célébrités. L’Energus 10 – dont je vous avais déjà parlé ici -, c’est eux. Ils ont depuis récidivé avec deux créations tout aussi enthousiasmantes. Entre le Jack’son (complet aux céréales et graines) – subtile référence au tennismen Jackson Richardson – et le Prima Well – produit sans gluten « approuvé » par Christine Arron (?!) -, on ne sait que choisir. Dans tous les cas, les compositions tiennent du manuel du petit chimiste et le goût, … on cherche encore (très dur, si si). Quand ridicule, grotesque et carrément mauvais se côtoient, le mélange est détonnant. Du grand art.
Le bretzel sous toutes ses formes. Ditsch n’est pas la première entreprise à malmener ce pain originaire de l’est. J’avais déjà évoqué le cas de Bretzel Love, mais ici on va encore plus loin dans la fantaisie : grandes tailles, déclinaisons sucrées, … Attention à ne pas vous étouffer, j’en connais qui ont bien failli le faire et changer le cours de l’histoire.
Comme si l’arbre à saucissons ne suffisait pas, Sorrentino avait eu la sublime idée d’agrémenter son stand d’un point photo, où les visiteurs les plus audacieux pouvaient glisser leur tête et ainsi immortaliser un moment unique… où leur corps était remplacé par un saucisson. Vous me direz, cela ne change plus grand chose pour bon nombre d’entre eux.
Vous aimez la brioche industrielle ? Visiblement la Pétrie aussi. Ce groupement de meuniers a eu la fameuse idée de mettre au point une brioche en tout point similaire à celle proposée par les grandes marques disponibles en GMS, si ce n’est qu’elle est réalisée par votre artisan boulanger. Déclinée en de multiples saveurs, elle a bien ce côté pâteux et indigeste si caractéristique. Une tranche et vous en avez pour la journée – un plaisir durable !
Votre baguette a un coup de mou ? Mettez lui un petit chapeau – une toque, plus précisément -, ça lui redonnera une nouvelle jeunesse. C’est le pari osé de Banette, qui a « perfectionné » la recette de sa baguette-emblème aux bouts pointus. La communication réalisée autour de ce changement se passe de commentaire. Complètement toqués.
Vous avez des choses à cacher ? Dressez un mur tapissé de grands chefs. Chez Elle & Vire, on se paie des têtes connues pour cautionner la qualité de la crème. Pas un mot sur les conditions de production de cette dernière, sur le fond. Puisqu’on vous dit que c’est le top du top, Michalak en tête, croyez-le sur parole.
Je dois avouer qu’après tant d’émotions, j’étais un peu fatigué. Je me suis reposé quelques minutes sur une courge géante. Ne noircissons pas trop le tableau, tout de même. Les concours qui ont eu lieu pendant le salon et la Masterclass Pain & Co portaient haut et fort les couleurs de notre artisanat, tout comme certains exposants qui présentaient de très beaux produits. Allez, on se donne rendez-vous en 2017, même lieu même heure… non, pas sur la place des Grands Hommes.
Hello le Painrisien je salue ton retour et te recommande la lecture d’un papier de Jean-Pierre Gené (journaliste gastronomique du Monde) sur la prise de pouvoir de METRO aux Bocuse d’Or qui sont le clou du SIRHA.
Saluons le retour de Painrisien qui avait vraiment la tête dans les nuages: Jackson Richardson est un handballeur et non un tennisman (bon d’accord ça reste un sportif qui joue avec une balle).
Merci pour cette visite guidée du salon. On ressent beaucoup de déception et un témoignage à charge pour la filière boulangère. L’avenir n’est peut être plus là où on l’attend mais plutôt chez des jeunes et talentueux boulangers (et pâtissiers) plus « pétris » d’un véritable amour pour le pain que par la communication à crin. Je ne citerais pas de noms (mais ils sont tous passés à la TV dans des émissions culinaires). 😉
Bonjour Eric,
Je dois dire que je ne me suis pas intéressé au sport pratiqué par ce monsieur, sa façon de vendre son image m’a suffi.
De la déception, non, je n’attendais rien de ce salon car je commence à avoir l’habitude de ces démonstrations de mauvais goût. Je ne sais pas si mon article est à charge, je pense qu’il est plutôt tristement réaliste… quant à la TV, pas vu beaucoup de jeunes passionnés comme vous les décrivez, mais j’ai sans doute mal regardé…
Bravo, Rémi, pour ton refus des compromissions ! J’ai ri (souvent jaune, certes) en te lisant… et frémi (brrr, le slogan Baguépi ! )
Je suis contente de voir renaître ton blog et ravie de te savoir en chemin vers ta passion. J’espère que tu t’y épanouis. Merci de nous la faire partager, merci de la défendre avec autant d’intégrité… merci de ce chemin vers les autres 🙂 Je te souhaite d’en faire un aussi passionnant et plaisant vers toi-même.