Les modes finissent toujours par passer. On peut s’asseoir au bord de la route et regarder le flot incessant de leurs caravanes, lancées telles des expéditions sans retour. S’y lancer, c’est en effet prendre le risque d’être complètement saisi par le mouvement, et de ne plus jamais pouvoir s’en détacher. Cela peut parfois nous amener à renier nos convictions, ce qui faisait notre singularité, et on se contente alors de suivre la masse et ses humeurs sans bien comprendre pourquoi. Mieux vaut chercher à développer sa base idéologique, s’appuyer sur une colonne vertébrale robuste afin d’agir de façon cohérente et durable. En bref, savoir d’où l’on vient, où l’on est, et où l’on veut aller.
Franck Dépériers fait partie de ceux qui ont bâti leur réussite sur leurs convictions, acquises au fil d’un parcours professionnel riche et varié : ce normand, nantais d’adoption, compte aujourd’hui 35 ans de métier et a été l’un des plus jeunes Meilleurs Ouvriers de France. Ce défi personnel, abouti en 1994 à l’âge de 26 ans, n’a été qu’une étape dans sa vie sans remettre en question la trajectoire qu’il envisageait. Son passage dans la grande meunerie aura confirmé sa vocation : proposer chaque jour au plus grand nombre un pain sain, savoureux et naturel. Hors de question, dès lors, d’utiliser des farines additivées, ou de renoncer aux éléments fondamentaux que sont les longues fermentations, le façonnage manuel ou le pétrissage lent.
C’est ainsi que Nathalie et Franck Dépériers se sont installés ici, il y a 20 ans, sur la place Saint-Félix, face à l’église. Cet emplacement n’était pas aussi accueillant qu’il ne l’est aujourd’hui : le quartier était désert, sans commerce à proximité. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’agissait de la configuration recherchée par le couple : le coût plus faible du loyer et de l’acquisition du fonds leur a permis d’être libres de leurs choix et d’orienter l’activité de la boulangerie autour de ses fondamentaux, à savoir le pain et la viennoiserie. Les horaires en coupure ont toujours été en vigueur afin de ne pas développer plus que de raison l’activité snacking : une centaine de sandwiches par jour, tous réalisés avec soin et avec des produits sélectionnés.
La Petite Boulangerie, c’est avant tout une belle histoire de relations humaines, développées sur le long terme entre clients, salariés et fournisseurs. Dans les laboratoires ou en boutique, ils sont plusieurs à compter de nombreuses années de maison, sans doute portés par l’état d’esprit atypique qui habite ces lieux. Même si l’entreprise s’est développée, Franck Dépériers a toujours eu à coeur d’y impliquer fortement son équipe, tout d’abord en lui donnant les moyens d’exprimer sa créativité au quotidien : les nouveaux produits apparaissent au fil des inspirations de chacun, et les essais d’un jour deviennent parfois de nouveaux classiques.
Ainsi, les créations défilent dans les vitrines : pain au chocolat blanc et anis, petits seiglitons variés, pâtisseries aux fruits de saison et bien sûr la large gamme de confitures maison… Le choix ne manque pas, et il est le résultat de partenariats entretenus de longue date avec les fournisseurs de la maison : des petits producteurs locaux (ou venant d’un peu plus loin parfois, notamment pour la charcuterie) viennent livrer leurs produits. Lait cru de la ferme, farines pur blé sans additif (provenant des Minoteries Trottin et Giraudineau principalement, ainsi que de petits meuniers pour des céréales spécifiques), … ici, l’économat sent le bon, le frais et l’authentique.
Authentique, tout autant que l’engagement du MOF : si l’on reprend le fil de l’histoire et que l’on considère que l’Agriculture Biologique n’avait pas la même portée à l’époque, on se dit qu’il fallait croire en sa vision pour choisir de travailler ainsi. Nathalie Dépériers le raconte d’ailleurs avec une pointe d’humour : il ne fallait surtout pas dire qu’il s’agissait de pain biologique… au risque de voir une bonne partie de la clientèle tourner les talons. Même constat pour le levain naturel, qui était injustement considéré comme source d’acidité excessive. Or, on ne devrait jamais oublier qu’il donne, accompagné de la fermentation, du goût au pain… ce qui a permis à la Petite Boulangerie de diminuer progressivement ses taux de sel (l’artisan diminuait à chaque retour de vacances pour réduire la perception du changement), jusqu’à atteindre aujourd’hui 12g de sel au kilogramme de farine sur la Boule Biologique. Pour autant, elle ne manque pas de goût et de caractère : ses notes fruitées et acidulées en font un excellent compagnon pour tous les repas.
Le caractère s’est aussi inscrit dans la boutique, façonnée par l’artisan dans un esprit bien particulier : le bois y est omniprésent, avec de nombreux objets recyclés, à l’image d’un amusant luminaire accroché au plafond, où des moules de pâtisserie servent d’ornement. On se sent bien dans ce bel espace de vente, qui correspond bien à l’esprit des produits vendus. Le même esprit se retrouve sur le stand ouvert au sein du marché de Talensac, ouvert du mercredi au dimanche matin. C’est une des belles réussite de l’entreprise : avoir réussi à grandir tout en restant cohérente et centrée sur ses fondamentaux. Bien sûr, Franck Dépériers a été approché de nombreuses fois pour se développer, pour des projets variés… mais il est resté fidèle à son projet et continue à le faire vivre au quotidien. On le retrouve toujours au laboratoire, même s’il aime aller échanger avec ses confrères -comme Bernard Cozic à Rennes- ou réaliser des formations ponctuelles au sein de l’INBP.
Après toutes ces années, le volume continue de progresser sur la gamme de pains spéciaux, ce qui prouve bien que le potentiel de développement est important pour les artisans choisissant de travailler à partir de levain naturel et de farines sélectionnées. L’artisan le résumait d’ailleurs très bien en me tendant une de ses miches de pain : elles sont sa meilleure carte de visite, car elles expriment pleinement la signature de La Petite Boulangerie. A Nantes comme ailleurs, les clients reconnaissent leur artisan au travers de produits de ce type.
Avant de partir, il ne faudrait pas oublier de s’intéresser au nom choisi pour l’endroit : Franck Dépériers ne souhait pas mettre en avant son patronyme et son statut de Meilleur Ouvrier de France, mais au contraire valoriser le travail d’une équipe, sans laquelle rien ne serait possible. Chacun s’approprie une part de cette « petite » boulangerie et participe à sa construction. Cela pourrait être vu comme du marketing, mais c’est avant tout une belle méthode de management. A une époque où l’on sert plus souvent son ego que le bien collectif, de telles démarches doivent nous inspirer et appeler à une remise en question des modèles adoptés par de nombreux artisans, qui ne sont pas prêts à renoncer à voir leurs patronymes inscrits en lettres dorées.
Souhaitons en tout cas que ces valeurs fortes de partage et de qualité continueront longtemps à vivre derrière cette sympathique devanture aux notes bleutées.
Infos pratiques
1 Place Saint-Félix – 44000 Nantes (tram ligne 2, arrêt St Félix) / tél : 02 40 74 36 38
ouvert tous les jours sauf mercredi de 7h à 13h30 et de 15h à 19h30, le dimanche de 7h à 13h30.
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