J’aimerais parfois posséder un appareil capable de saisir mes états de pensée à différents instants pour les remettre en question par la suite, pour en apprécier l’évolution et ainsi tracer une fragile ligne de conscience entre ces non-événements, lesquels ne sont pas pour autant dénués d’importance et d’intérêt. En l’absence d’un tel outillage, je ne peux faire appel qu’à ma mémoire, parfois défaillante, et à mes écrits, souvent partiels.
Après avoir longtemps pensé que nous passions nos existences à jouer de simples rôles, sans réellement développer ni exprimer de nature profonde, l’expérience et les rencontres m’ont convaincu du contraire. Peu importe la couleur des vêtements, la taille de la casquette, le prestige de la montre et des chaussures, notre façon d’agir exprimera toujours sur le temps long ce à quoi nous aspirons vraiment, ainsi que le regard que l’on porte sur le monde qui nous entoure. On ne saurait passer une vie à mentir, encore moins à se mentir à soi même. Le constat est encore plus vrai dans une société qui a admis les changements de direction et les réorientations professionnelles, qu’elles soient sincères ou opportunistes. Avec le relâchement de cette contrainte sociale, nous pouvons envisager de tracer notre chemin avec nos propres couleurs et crayons.

Bien sûr, encore faut-il disposer d’un environnement favorable pour mener un tel projet. Dans le village de Droué-sur-Drouette (28), le centre a repris de l’animation depuis le 4 novembre 2020 avec l’arrivée d’une boulangerie, menée par Aline Peltier et Thierry Babin. Unis à la ville comme dans ce projet, ils ont saisi une conjonction d’opportunités pour bâtir ce commerce à côté de leur habitation : le boulanger du village, convaincu de l’Agriculture Biologique de la première heure, prenait sa retraite et leur voisine souhaitait vendre sa maison. Cela aura suffi pour faire germer l’idée de convertir le bâtiment… car les graines étaient présentes dans la tête de Thierry depuis bien longtemps.

Si le bâtiment a gardé son aspect initial d’habitation, l’enseigne boulangerie apposée sur sa façade nous laisse imaginer que tout a changé à l’intérieur… à juste titre !

En effet, on ne pourrait parler de du Pain dans les Mains sans évoquer le parcours de ce boulanger, qui fût pendant 17 ans commercial en meunerie. Formé à l’INBP aux côtés de quelques grands noms de la profession, il a très tôt été convaincu par l’intérêt des longues fermentations, du levain naturel ou encore des farines non additivées, à l’image de la fameuse Tradition française. J’ai eu l’occasion de côtoyer plusieurs boulangers devenus commerciaux, lesquels avaient pour beaucoup oublié l’essentiel des fondamentaux de leur métier, négligeant à la fois les produits et les hommes pour s’enfermer dans une vision technocratique du sujet, où les affaires priment sur le reste. Thierry n’est pas de ceux là, et je sais qu’il a toujours servi sa clientèle avec honnêteté et exigence, en tentant de leur apporter les meilleurs outils pour leur réussite. Ce sont les deux mêmes caractères qui s’expriment dans sa nouvelle activité, où le superflu n’a pas sa place.

Le fournil est intégré à la boutique, avec un four compact et un pétrin. Les odeurs de cuisson du pain se diffusent naturellement dans les lieux, avec d’agréables notes de levain. du Pain dans les Mains n’est pas un « concept » mais tout simplement une boulangerie authentique, qui s’est construite en fonction du lieu et du parcours de son artisan.

Dans l’entrée, le client sait où il se trouve et ce qu’il est venu acheter. La taille restreinte du bâtiment a orienté l’agencement, en plus de renforcer les choix de Thierry en terme de construction de ses gammes et d’équipement. On peut dire que le nom donné au lieu n’est pas usurpé, car l’artisan voit réellement passer le pain dans ses mains : la production est peu mécanisée, avec pour seules machines un pétrin, un batteur, un four et du stockage en froid. L’investissement réalisé demeure ainsi rationnel, le tout ayant été dimensionné pour suivre le projet de l’artisan… et non pas l’inverse, comme c’est trop souvent le cas. Cette boulangerie parvient à atteindre la si complexe simplicité dont la profession s’est éloignée au fil du temps : cela n’est pas exploit, mais traduit tout simplement le fait que l’artisan n’a plus rien à prouver… et encore tout à partager.

L’espace de vente est sobre et met bien en valeur les pains, avec une parfaite lisibilité de l’offre.

Puisqu’il s’agit de partage, autant offrir le meilleur. Les produits façonnés ici chaque jour sont tous réalisés à partir de farines issues de l’Agriculture Biologique, et incorporent du levain naturel (liquide pour les baguettes, dur pour le reste des pains) avec une longue fermentation. On obtient ainsi des pains aux croûtes craquantes et aux mies charnues, riches en arômes, à l’image du pain de Campagne -ou Tourte de Meule-. Il est rapidement devenu le produit phare du lieu, la clientèle appréciant son goût, sa conservation, mais aussi son prix. En le proposant à seulement 4,5€ le kilogramme, l’artisan a souhaité en faire un véritable produit d’appel, orientant naturellement la consommation vers ce dernier plutôt que vers les baguettes. La méthode est bien pensée, car elle permet de limiter la production de petites pièces, nécessairement plus chronophage au vu de l’équipement limité. Les autres références ne sont pas nombreuses, mais elles sont au moins aussi qualitatives : sarrasin, intégral, petit épeautre, « tour de mains » riche en graines façon nordique et du seigle le week-end. De quoi répondre à la plupart des besoins.

Même logique du côté des viennoiseries : les fondamentaux sont réalisés avec brio, à l’image du croissant, de la brioche ou du chausson aux pommes avec sa compote maison. La pâtisserie se résume au flan, auquel une vitrine est dédié. Son caractère crémeux a déjà séduit de nombreux adeptes, preuve que ces gâteaux boulangers remplacent avantageusement des créations compliquées. Quant au snacking… il n’y en a tout simplement pas. Pourrait-on s’en plaindre ? En tout cas pas moi, car cela permet à Thierry de se concentrer sur son métier : faire du pain et le faire bien.

Le flan se vend entier ou à la part, avec une recette très gourmande : mi-lait, mi-crème, pour un résultat particulièrement crémeux.

Pour y parvenir, les fêtes auront été utiles : cela a permis de mettre au point l’organisation de la production afin d’être parfaitement efficace. On mesure ainsi toute la force que possèdent de véritables professionnels, qui sont aptes à monter en puissance rapidement et à assumer seuls la fabrication de volumes importants. En effet, il ne faudrait pas se laisser tromper par le calme de ce village de 1200 âmes : l’absence de boulanger aux alentours attire naturellement la clientèle vers ce nouveau commerce. Par ailleurs, de nombreux parisiens et franciliens possèdent ici une résidence secondaire, qu’ils prennent plaisir à rejoindre le week-end… créant une certaine effervescence le samedi chez du Pain dans les Mains.

4 jours d’ouverture et des horaires en coupure : ici, on n’a pas cédé à ce qui est en passe de devenir le standard en boulangerie comme ailleurs : ouvrir toujours plus, en utilisant l’humain comme variable d’ajustement.

Vous noterez bien que je n’ai évoqué que le samedi, puisque le dimanche est un jour de fermeture pour cette boulangerie… de même que les lundis et mardis. En maintenant une ouverture sur 4 jours, l’artisan parvient à garder un équilibre avec sa vie de famille : les qualités de conservation de ses produits permettent sans difficulté à la clientèle de faire quelques réserves.
Faire moins, faire mieux, la logique de cette entreprise est complètement dans l’air du temps… et sans doute bien en avance. C’est parfois dans ce genre de retour aux sources que l’on trouve le plus de maturité et d’accomplissement. Ici, il se fait au bord de l’eau, sur la rue du Moulin. A croire qu’il n’y a pas de hasard.

A l’étage, un laboratoire a été aménagé pour réaliser la pâtisserie et la viennoiserie, avec une chambre froide, un batteur et quelques équipements divers.

Infos pratiques

7 Rue du Moulin, 28230 Droue-sur-Drouette / tél : 06 78 08 53 74
ouvert du mercredi au vendredi de 7h à 13h et de 16h à 19h30 (18h en période de couvre-feu), le samedi de 8h à 17h.

Une décoration de saison.

2 réflexions au sujet de « du Pain dans les Mains, Droué-sur-Drouette (28), comme un retour aux sources… au bord de l’eau »

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