Il y a des personnes avec qui l’on prend toujours plaisir à échanger, quand bien même on sait pertinemment qu’elles ne sont pas du même bord, et que leur vision des sujets sur lesquels porteront les conversations diverge profondément des siennes. Les raisons sont multiples : certains individus savent naturellement mettre à l’aise, ou démontrent une sincère capacité d’écoute, quand bien même les opinions qui leur sont proposées auraient de quoi les heurter. Ce savoir-être et cette élégance naturelle ne courent pas les rues, au contraire, ils ont tendance à se raréfier. J’avoue aisément ne pas pouvoir m’y rattacher, mais je sais reconnaître cette qualité.
Ainsi, j’ai eu l’occasion de croiser plusieurs fois Pierre Mermet sur des salons et événements divers, à l’image de l’inauguration de l’Ecole de Boulangerie Artisanale du groupement Festival des Pains, dont il était directeur général depuis 20 ans. Il connaissait mes positions et mon engagement qui n’allaient pas franchement dans le sens de son entreprise, et pourtant il m’a toujours écouté avec attention, en prenant du temps. Dans un milieu où la contradiction a tendance à être étouffée et où l’entre-soi règne en maître, une telle attitude mérite d’être saluée. Il a choisi de faire valoir ses droits à la retraite et je lui souhaite de profiter pleinement de cette nouvelle étape de sa vie.

Sa successeure est loin d’être une inconnue dans le cercle fermé de la filière blé-farine-pain : Bénédicte Dupont a oeuvré entre 1993 et 1997 chez Délifrance avant de rejoindre la même année les Grands Moulins de Paris, où elle occupera le poste de Responsable Marketing jusqu’en 2004. Plus récemment, c’est dans le cadre de ses fonctions au sein de Ile de France Terre de Saveurs (ex-Cervia – où elle entrera en 2008 pour finir Directrice générale, jusqu’à son départ en 2019) qu’elle participera à créer la « baguette des franciliens », fabriquée dans la région à partir de blés cultivés et moulus localement.

Dans le communiqué de presse annonçant sa nomination, que le groupement m’a adressé en me « remerciant de bien vouloir le relayer » (sic), il est indiqué qu’elle aura pour mission de poursuivre le travail engagé par son prédécesseur tout en apportant son expertise afin de « construire une nouvelle page de notre groupement, au service de nos clients Artisans Boulangers et de la boulangerie de demain. ». Le discours va un peu plus loin dans la communication faite sur les réseaux sociaux, où il est question d' »accompagner nos clients artisans boulangers dans une démarche plus durable en créant des farines d’excellence boulangère, avec plus de naturalité. Proposer le meilleur des pains ainsi que des services de qualité en passant notamment par la formation. ».
Tout cela est aussi vaste et ambitieux que flou, confinant en définitive à un alignement de concepts opérationnels.

Chère Bénédicte Dupont, je souhaitais tout d’abord vous féliciter pour cette nouvelle aventure et vous féliciter pour le défi que vous avez accepté de relever. Défi n’est en effet pas un vain mot. Vous le savez sans doute : la maison brûle – la vôtre pour commencer, plus largement celle de la boulangerie artisanale, et pour voir encore plus loin notre planète. Le groupement Festival des Pains s’est enfermé dans un autisme difficilement compréhensible, tant ces adhérents demeurent des entreprises familiales, parfois d’une taille très modeste, et donc par essence proches du terrain. Il a ainsi continué à miser sur des pratiques surannées, comptant sur la toute puissance de sa marque alors même que cela n’avait plus de sens : le monde a changé, et les attentes des consommateurs au moins tout autant. Quand on passe la porte d’un artisan, on attend beaucoup moins l’uniformité d’une gamme développée par une enseigne nationale que la singularité offerte par un professionnel fort de ses expériences et de la proximité avec sa clientèle. De même, il n’est plus concevable d’imposer aux boulangers d’être relégués au second plan derrière des couleurs et des concepts qui ne sont pas les siens, même s’il a choisi de s’y affilier.
Je distingue souvent un choix d’un choix éclairé. Dans le premier cas on se contente de s’orienter vers une option, sans disposer d’une information claire, précise, objective et complète, permettant de se forger une opinion sans biais. Dans le second, on agit en défendant ses intérêts et sa vision du sujet, bâtis sur des éléments solides. Beaucoup d’artisans continuent à rejoindre de telles marques sans avoir compris les enjeux d’une telle démarche.

Un bon témoin de la voie sans issue dans laquelle Festival des Pains a engagé ses artisans : la difficulté du groupement à déployer ses recettes de pains de mie réalisées à partir de farines et d’ingrédients bruts. Sans l’appui des préparations, la marque peine à mettre en oeuvre des produits.

Chère Bénédicte Dupont, malgré tout le respect et la sympathique que j’avais pour votre prédécesseur, il n’a pas su, pu, voulu, ou même appréhendé l’urgente et nécessaire mue de votre groupement. Plus que cela, je dirais même qu’il en va de sa survie. J’espère que vous ne ferez pas la même erreur, car malgré mon grand éloignement idéologique vis à vis de structures telles que celle que vous dirigez à présent, je mesure l’impact qu’elles peuvent avoir sur la profession. Cela vaut autant pour les boulangers que les meuniers, tant leurs sorts sont liés. J’entends bien la volonté affichée de s’orienter vers le développement de filières plus vertueuses, je la salue. Seulement, ce ne sera pas suffisant. Plutôt que de courir après la boulangerie de demain qu’évoque votre président, il s’agit de porter secours à celle d’aujourd’hui. D’avoir les pieds dans la tradition, les yeux rivés sur le présent et la tête libre pour écrire l’avenir. Cette liberté essentielle n’existera que si vous renoncez à l’omniprésence de la marque Festival des Pains, du marketing associé et des produits prêts à l’emploi. Certains de vos confrères vous ont montré la voie, à l’image de Banette, qui a réalisé un virage vers une plus grande singularité des projets développés avec les artisans.

Vous pouvez même faire mieux. L’identité de votre GIE, qui regroupe comme je l’évoquais précédemment beaucoup d’entreprises familiales, est une force unique. Elle doit être placée à la genèse de ce nouveau projet, de cette nouvelle voie : c’est l’expérience et le ressenti du terrain de chacun qui feront la différence, bien loin de l’uniformité et du culte de la performance développés par les grands groupes présents sur le marché de la meunerie. Votre structure doit ainsi devenir une communauté d’échanges, une boite à outils opérationnelle, un tuteur pour accompagner les chefs d’entreprise… sans jamais plus imposer ou apporter des solutions pré-conçues. Le développement de l’Ecole de Boulangerie Artisanale était un premier pas dans ce sens, avec malheureusement beaucoup de retard et là encore un cruel manque de vision et d’ambition. J’en veux pour exemple la formule visant à former des « aide boulanger », ce qui revient à les considérer comme de simples ouvriers dans les sombres et tristes usines que deviendraient les fournils. Or, dans ce métier d’artisanat et de création, la reproduction sans réflexion ne devrait jamais avoir sa place. Ce n’est pas ainsi que l’on répondra aux problématiques de recrutement, mais bien en donnant des perspectives et un sens au métier pour chaque personne faisant le choix de s’y insérer.

Chère Bénédicte Dupont, j’espère que vous mesurez l’ampleur de la tâche qui vous attend, j’espère que vous aimez le pain et les artisans sincèrement et qu’ainsi vous aurez à coeur de les servir… pour qu’enfin, on puisse célébrer un véritable Festival des Pains.

2 réflexions au sujet de « Chère Bénédicte Dupont, j’aimerais vous dire… »

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