Lorsque l’on consulte les ingrédients rentrant dans la composition du pain, on retrouve bien entendu de la farine, de l’eau, de la levure et/ou du levain, du sel… Seulement, tout cela ne suffit pas. On pourrait se limiter à mettre ces éléments ensemble dans une cuve, bien sûr, mais je ne suis pas persuadé que le résultat pourrait prétendre à être consommable.

Parmi ces ingrédients cachés, et pourtant indispensables… L’humain. L’homme est au centre du pain, il ne faut pas l’oublier et cela doit rester vrai à l’avenir. Qui développe les recettes, qui surveille son levain, qui contrôle les cuissons, et tout un ensemble d’autres tâches aussi importantes les unes que les autres pour aboutir à un résultat digne d’intérêt ?
Bien sûr, on sait aujourd’hui faire du pain de façon quasi-automatisée, sans -ou presque- intervention de qui que ce soit dans le processus de fabrication. La constante dans ce cas est un résultat plutôt médiocre, bien loin de ce que savent produire certains artisans. Chaque boulanger exprime son individualité en réalisant son pain, dès lors qu’il y met du coeur et ne se contente pas uniquement de suivre des recettes développées par un meunier ou une chaîne à laquelle il serait rattaché. Recette, façonnage, grignage, … tout y passe, et c’est ce qui fait l’intérêt de la boulangerie : avec les mêmes ingrédients, on peut arriver à des résultats très différents.
Ce qui est assez triste, c’est que cette dimension est négligée, que l’on considère presque que le boulanger est un ouvrier, un technicien, en charge de répéter des gestes sans forcément y éprouver le moindre plaisir. Le meilleur exemple pour moi de l’incohérence de cette façon de penser est visible en boutique au quotidien, chez des enseignes telles que Paul. Il n’y a pas d’âme dans les produits, les saveurs se font évanescentes, …
Je passais hier chez Eric Kayser, dans sa boulangerie installée à quelques mètres de la place des Ternes. Entre baguettes pâles, mal façonnées, pains aux formes peu engageantes, galettes des rois individuelles complètement difformes et ternes, il y avait beaucoup à redire. Cela semble être le lot commun de telles entreprises, au final.

L’homme ne se limite pas à apporter sa contribution en terme de production pure, mais également dans la boutique. Il y a des boulangeries où l’on sent un esprit, où quelque chose se passe. Cela peut s’exprimer au travers d’une gamme de produits particulière, par une décoration singulière, ou -dans le domaine de l’intangible- une ambiance qui fait que la clientèle se sent tout simplement à l’aise. Au final, tout cela se transmet au premier ambasseur des produits, le vendeur, qui doit être apte à transmettre aux passants toute l’histoire et la qualité de sa vitrine. Ainsi, il faut être attentif au travail réalisé en boutique et ne pas se limiter à une vision depuis le fournil, où est souvent difficile d’être au fait du vécu de la clientèle.

Bien sûr, des personnes vont créer ce pain, et d’autres vont le déguster. C’est bien là sa finalité, et une autre preuve que c’est l’humain qui est placé au centre du processus. Le boulanger met son savoir-faire au service de l’autre, il y a un partage, certes indirect, mais c’est ce que doivent garder à l’esprit les hommes et les femmes oeuvrant au fournil.
Ne négligeons pas ce partage et cette force. Le pain n’a de sens que s’il contient cet esprit, que l’on est parvenu à lui donner vie.

Ca y est, nous y sommes. Soir de réveillon, l’heure de déballer les cadeaux, de partager un moment agréable autour d’une table. Je n’ai jamais vraiment été un grand adepte de ce genre de rendez-vous, où la joie arrive sur commande. Après tout, pourquoi pas.

La journée aura certainement été parsemée d’em…bûches pour nombre d’entre vous, entre cadeaux de dernière minute, pain, gourmandises et autres pâtisseries à acheter… Beaucoup d’attentes, des étals parfois clairsemés, il n’y aura pas eu que des moments heureux. Bref, qu’à cela ne tienne, la fête aura tout de même lieu, sans doute.
C’est donc à mon tour de céder à la tradition et de vous souhaiter un joyeux Noël, qu’il puisse être à la hauteur de vos espérances et qu’il représente vraiment un moment de partage comme nous en manquons cruellement.

Pour ma part, voici l’occasion de faire un petit point d’étape painrisien, puisque cela fait à peu près 8 mois que j’écris quotidiennement sur cet espace, pour un total de près de 265 billets. Presque de quoi en faire un livre. Certes, tout n’aura pas été parfait, difficile de faire autrement d’ailleurs. Je n’accepte pas mes erreurs mais je tente de les comprendre, de les analyser, pour faire avancer le projet et le « produit ». Etre painrisien, c’est un peu comme peindre un tableau jour après jour, par petites touches. Je pose mon chevalet dans un endroit et je peins, quelques minutes, quelques instants. Cela conduit à former un ensemble, certes, imparfait, mais empreint de sincérité et de simplicité. Tout cela ne serait pas possible sans vous, lecteurs, d’ailleurs. Par vos commentaires, vos contributions, vous me faites avancer et faites avancer la « démarche painrisienne », axée autour du pain mais pas seulement. Il y a une vraie vision plus globale, l’idée que l’on peut partager une certaine idée de la gourmandise, de l’alimentation et même de la vie en général. L’objectif ? Mettre en avant le beau, le simple, ce qui peut créer du plaisir sans pour autant impliquer des efforts ou des réflexions excessives.

Le painrisien, c’est aussi pour moi des histoires de rencontres, une vraie aventure humaine, ainsi qu’un challenge : écrire et encore écrire, partager sans cesse et sans relâche. Certes, ce n’est pas toujours facile, et je dois dire que quelques situations ont ébréché mon enthousiasme. Pas facile d’avoir envie de donner quand on reçoit des menaces, mais ce n’est que peu de choses, en définitive.

La question qui se pose encore et toujours c’est, et ce sera : oui, mais demain ?
Demain. Pour l’heure, ce sera un jour férié. Pour les autres, il faudra continuer à peindre, à se poser des questions – et autant que possible les bonnes. L’image du painrisien doit changer, le blog doit muer en un outil plus complet pour vous permettre de trouver le bon pain et les centres d’intérêt à Paris mais pas seulement. Il doit également mettre en valeur le savoir faire des artisans, en leur proposant un espace assez unique, où l’on parle d’eux comme on le fait si rarement. J’espère que je parviendrai à mettre tout cela en place rapidement. En attendant, continuons notre quête du bon pain ensemble. Si vous avez des adresses à me recommander, n’hésitez pas. Je suis toujours à la recherche de nouvelles découvertes. 1300 boulangeries à Paris, ce n’est pas rien !

Merci à tous… et à demain !

Ah, voilà une période bien difficile pour nos artisans préférés. Difficile car éprouvante, bien que lucrative. En quelques jours, ils doivent proposer un volume conséquent de produits à une clientèle pressée et exigeante. Pendant cette courte période, tout le monde est mis à contribution : le personnel de vente, la production, … Pour l’avoir vécu depuis l’arrière du comptoir, je dois dire que j’ai un profond respect pour toutes ces personnes qui oeuvrent jusqu’au dernier moment pour satisfaire les désirs des consommateurs…

Toute cette agitation n’est pas sans poser d’autres problèmes, et notamment celui de la qualité des produits. Certes, la technique nous permet aujourd’hui de prévoir ce pic d’activité bien à l’avance, et de profiter des périodes plus « calmes » pour préparer les produits qui seront proposés à cette période. Cependant, ce n’est pas possible pour le pain, qui ne doit pas subir de surgélation, du moins dans le cas des pains de tradition française. Dans ces conditions, il faut alors adapter la production et le personnel à ce besoin. Difficile de repousser les murs et de produire beaucoup plus que d’habitude… et cet empressement n’a pas un impact positif sur la qualité des produits, c’est le moins que l’on puisse dire.

Le fameux Pain des Amis en ce 23 décembre

J’ai plusieurs exemples que je pourrais passer en revue, il suffit de regarder les vitrines de nos grands pâtissiers réputés pour comprendre. Finitions encore plus aléatoires qu’elles ne peuvent l’être d’habitude, gâteaux endommagés, … Pas une seule des grandes maisons n’y échappe. Cela fait partie du jeu, pour ainsi dire.
Du côté des boulangeries, je ne peux pas dire que ce qu’il m’a été donné de voir soit tellement plus brillant. Je passais ce matin chez Du Pain et des Idées, rue Yves Toudic, et j’ai été frappé de voir du Pain des Amis avec une mie en « bouillie », sans aucune alvéole marquée, même si la croûte était toujours aussi belle et cuite. Surprenant, et décevant, d’autant plus pour les clients qui paient au final le même prix que d’habitude… pour une prestation de qualité inférieure, alors que c’est justement à ce moment là que l’on souhaiterait goûter de l’exceptionnel, faire de ces instants de fête des moments inoubliables.
Je parle de cet exemple, mais il y a pire : que dire de cette bûchette de chez Pierre Marcolini, à la finition catastrophique, en plus d’une erreur faite par le personnel de vente lors de la préparation (la mauvaise bûche m’a été remise, tout cela pour… 7,5 euros la pâtisserie, d’une taille minuscule) ?

C’est certainement le pire moment pour juger du travail d’un artisan ou d’une entreprise, en réalité. Certes, cela peut nous prouver – ou au contraire, remettre en question – leur capacité à résister à une forte pression et à toujours proposer des produits de qualité, mais la sanction pourrait être légèrement injuste. Soyons mesurés, donc. L’effort est peut être assez conséquent pour des personnes qui ont attendu toute une année avant de se faire plaisir autour d’une table, voire difficilement concevable, je le conçois. Remettons un peu les choses en perspective.

Au final, la question de fond est de savoir si l’on peut vraiment allier qualité et volume. Je serais tenté de dire que oui, au prix d’une attention constante, une exigence envers soi-même et son personnel. Bien sûr, des « jours sans » peuvent toujours exister, mais je trouve que le challenge est tout de même assez intéressant.

Dans tous les cas… Bon courage à tous pour les jours à venir, et merci pour le travail que vous effectuez au quotidien, c’est superbe de parvenir à créer du plaisir quotidien comme vous le faites !

Ces dernières années, la boulangerie a cherché à se racheter une conduite, à donner une image plus respectable en réduisant le taux de sel dans leurs pains, notamment, mais également en supprimant les additifs contenus dans ceux-ci. Cela fait notamment suite à la publication du décret Pain du 13 septembre 1993, instaurant le pain de Tradition française, initialement prévu pour être totalement dépourvu d’additifs.

Seulement, la réalité est tout autre. La plupart des baguettes et autres pains de tradition contiennent des additifs. Cela se passe notamment au niveau du stockage des blés en silo, dans lesquels on utilise souvent des produits destinés à empêcher le développement de divers insectes, entre autres. Cela n’est pas autorisé dans le cas des farines Label Rouge ou CRC, dans ce cas, les silos sont réfrigérés, ce qui permet d’éviter le développement d’organismes indésirables, tout en gardant une farine « propre » au final. Malgré tout, on peut voir ici un premier mensonge : les pains sans additifs en contiendraient donc tout de même !

Malheureusement, et la tromperie est d’autant plus grande que les produits sont généralement plus coûteux, les pains biologiques présents sur le marché et distribués en magasin spécialisé contiennent pour beaucoup une certaine quantité d’additifs, visant notamment à faciliter la levée de l’ensemble. Quoi de plus naturel que de l’acide ascorbique, n’est-ce pas ?
Bien sûr, cela reste difficilement comparable avec certains pains issus de la grande distribution ou de certains boulangers, mais le consommateur est trompé sur la qualité du produit qu’il achète, ce que je trouve assez inacceptable. D’ailleurs, un exemple frappant fût celui offert à l’occasion du concours des pains Biologiques d’Île-de-France. Certains des artisans participants ont proposé des pains remplis d’additifs. Forcément, ils pouvaient être jolis, attirants, de véritables bêtes de concours ! Seulement, le classement ne peut pas se faire de façon honnête de cette façon.

Autre débat, le blé malté et les fèves incorporés dans la recette de plusieurs baguettes de tradition. C’est notamment le cas pour la Retrodor (minoterie Viron) ou la Reine des Blés (moulins Bourgeois), qui indiquent clairement la présence de farine de Blé Malté dans leur composition. Forcément, cela aide à créer un produit savoureux en activant le développement et la fermentation, mais tout cela n’a rien de très naturel. Cependant, comme la législation le tolère, pourquoi s’en priver ? L’objectif étant encore et toujours de faciliter le travail de l’artisan boulanger. Je pense que nous devrions être plus exigeants et chercher à être irréprochables plutôt que de développer ce type de processus.

La question de fond est encore et toujours la santé publique et le recul que l’on peut avoir vis à vis de ces éléments. Or, nous en manquons cruellement et nous devrions donc être prudents : le pain est un des produits de base de l’alimentation, et il ne faut donc pas jouer aux apprentis sorciers avec. La meunerie et les industriels le font sans trop de scrupules, et cela démontre – s’il le fallait – le peu de cas qu’ils ont de la qualité du produit final, tant que les profits sont au rendez-vous.

Fort heureusement, certains artisans s’engagent et prennent le parti de réaliser leur pain avec une farine dont ils se sont assurés de la totale « pureté ». Ils sont encore trop rares, et nous ne pouvons qu’espérer que cette tendance prenne de l’ampleur. C’est notamment le cas chez Frédéric Pichard ou encore Dominique Saibron, qui commandent une farine sur-mesure à leur meunier.

Il y a des sujets sérieux, qui sont malheureusement considérés avec trop peu d’importance par certains artisans. Pourtant, ce sont leurs clients et plus particulièrement leur santé qui sont concernés par ces questions. Parmi elles, l’hygiène et la sécurité alimentaire tiennent une place centrale.

Cela se décline en deux parties : ce qui se passe « à l’arrière », et ce qui est visible des clients, en boutique. Les deux postes sont au moins aussi critiques.
Au fournil, il va sans dire que les cuves, bacs, plans de travail… doivent être conservés propres afin d’empêcher le développement de bactéries et autres organismes divers. C’est une vigilance quotidienne qui doit être observée pour éviter tout risque lors du travail de la pâte. Egalement, l’hygiène des boulangers doit être irréprochable : mains propres, cheveux courts ou protégés, barbes entretenues… Ce sont eux qui sont en première ligne et peuvent potentiellement servir de relais à des infections.
Paris est infestée de rongeurs tous aussi sympathiques les uns que les autres. Ils sont très présents et représentent un véritable cauchemar pour les propriétaires ou locataires de fonds de commerce. Entre déjections et maladies, ces petites bêtes sont de véritables dangers, car les traces de leur passage sont nombreuses et durables. Beaucoup de fournils en sont infestés sans que les boulangers soient vraiment intervenus afin de mettre un « coup de propre » là dedans. Pourtant, même si elles ne sont pas parfaites, des solutions existent et les entreprises de dératisation font un travail remarquable chez certains artisans.

Si l’on s’intéresse à la boutique, il y a sûrement tout autant à dire. Dans une boulangerie seule, on pourrait penser que les problèmes d’hygiène sont plus limités. Du pain, des viennoiseries à servir, rien de bien sensible. Pour autant, les mains sont un ennemi redoutable de la propreté. Là encore, l’hygiène de chacun est primordiale. Combien de fois ai-je vu des vendeurs ou vendeuses passer d’une activité à l’autre sans prendre le temps de se laver les mains ?
Dès lors que la boutique vend également des pâtisseries, cela devient beaucoup plus sensible. Il faut, de toute façon, éviter tout risque de contact entre l’homme et le produit. Gants, pinces, … autant d’accessoires permettant d’assurer le service en toute sécurité. Là encore, ce sont des précautions bien souvent oubliées et certains prennent un grand plaisir à manipuler leurs pâtisseries à pleines mains… Sans moi.

Bien sûr, la norme HACCP : Hazard Analysis Critical Control Point sert ici de guide des bonnes pratiques à mettre en oeuvre, mais il n’est pas possible de « sur-aseptiser » le fournil et la boutique, qui sont par essence même des lieux de vie. Le pain naît au final d’une dégradation de cellules… Ne l’oublions pas.
Dans tous les cas, je pense que nous avons beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à un résultat ne serait-ce qu’acceptable, et ce dans bien plus de boulangeries que l’on ne pense. Les artisans négligent de sensibiliser leur personnel sur ces normes essentielles, et cela s’en ressent au quotidien. Il faudrait également qu’ils prennent à coeur d’entretenir leur fournil pour empêcher la prolifération de petites bêtes. Tout un programme !

Selon les saisons, les habitudes alimentaires varient et notre corps exprime des envies différentes. Tandis que l’on aspirera à des repas plus légers en été, nous serons amenés à consommer des aliments plus riches en hiver ou en automne. La nature est ainsi faite, et dans un sens, c’est bien mieux comme ça : on ne trouve pas les mêmes fruits ou légumes selon les mois. Il ne faut pas chercher à aller à l’encontre des rythmes biologiques en réalisant une course effrénée vers le « hors-saison ».

Fruit d’automne par excellence, la châtaigne annonce des temps moins cléments mais elle réchauffe un peu nos coeurs… D’autant qu’elle peut très bien se transformer en farine pour fabriquer des pains savoureux, à la belle croûte brune et à la mie bien grise. Je dis bien des pains, car derrière l’appellation de « pain à la châtaigne » se cachent en fait de nombreuses interprétations, dépendantes de la sensibilité de chacun des artisans. En effet, ici, pas de règle comme pour une baguette de tradition, les ingrédients sont soumis au libre choix du boulanger.

Ainsi, il est possible de rencontrer des versions très différentes, plus ou moins savoureuses. Dans tous les cas, cela reste un pain assez coûteux, car la farine de châtaigne est onéreuse, du fait de sa relative rareté : la production en est beaucoup moins abondante que celle du blé, ce qui est assez logique. Parmi les meilleures, la farine issue de châtaignes de Corse est soumise à une AOC qui évite les pâles imitations. Les artisans les plus impliqués en utilisent pour réaliser leur pain, et le mettent généralement en avant, à juste titre.
Dans tous les cas, le pain à la châtaigne accompagnera idéalement gibiers et volailles, ainsi que certains fromages (de chèvre, notamment). Il est également délicieux au petit déjeuner, accompagné d’un peu de beurre ou de miel.

On parle de pain à la châtaigne, mais en réalité, de la farine de blé est généralement ajoutée au mélange dans une proportion variable afin de faire en sorte que le pain ait une certaine tenue et lève un minimum. En effet, la farine de châtaigne est dépourvue de gluten, ce qui signifie que si elle est seule, le résultat sera assez compact et aura une fâcheuse tendance à s’effriter lors de la découpe, ce qui n’est pas très agréable. C’est d’ailleurs là que l’on peut constater le talent – ou son absence – de l’artisan boulanger : il doit parvenir à créer un pain bien équilibré entre parfum de châtaigne et consistance correcte. Tout un art.

Autant vous dire qu’avant de rédiger ce billet, une certaine quantité de farine de châtaigne est passée sur ma table, étant un grand amateur de sa saveur si caractéristique. Certains pains m’ont déçu, d’autres surpris. Au final, j’ai inévitablement mes préférences…
Chez Gontran Cherrier, le pain à la châtaigne est très gourmand, moelleux et on le dégusterait presque comme une brioche, sans faim ni fin, d’ailleurs. Façonné en petite boule, il est assez élégant. Sa croûte n’est pas très marquée, mais l’arôme est puissant et on retrouverait presque le parfum d’un cake type Savane Brossard. Tout cela est très régressif ! Malheureusement, la boulangerie de Montmartre est en rupture de farine depuis quelques semaines, il faudra donc attendre pour en déguster de nouveau…
Pour continuer dans le domaine du moelleux, Dominique Saibron nous propose à nouveau son interprétation, avec un pain très artistique puisqu’il est parsemé de petites « pointes », qui ne sont pas sans rappeler la fameuse bogue dans laquelle sont lovées les fruits. Tout cela est très joli, et pour ne rien gâcher, là encore le pain est très savoureux – et, cerise sur le gâteau, ou plutôt le pain, il est certifié Biologique.
Franck Debieu, au sein de ses boulangerie L’Etoile du Berger, nous propose un pain enrichi en éclats de marrons, ce qui a pour effet de souligner le goût tout en renforçant la note sucrée caractéristique de la châtaigne. Autre point à noter, la croûte du Châtaignier, puisque c’est son nom, est très croustillante et le reste longtemps, puisqu’il se conserve exceptionnellement bien. A l’inverse des deux premiers, l’ensemble est moins moelleux, plus proche de la texture d’un pain, comparable à celle d’une tourte de seigle de par son caractère serré et dense.
La version de Jean-Paul Mathon à la Gambette à Pain est, quant à elle, un modèle de subtilité et de complexité. Nous sommes en présence d’un pain à la mie relativement alvéolée, ce qui est peu fréquent. On y retrouve une pointe d’acidité, qui s’exprime en premier lieu, pour ensuite laisser place à la saveur sucrée et douce de la châtaigne. Tout cela est très intéressant, et la légèreté de sa mie rend ce pain très agréable à déguster, la densité de leur mie pouvant être reprochée à la plupart des autres créations.
David Granger chez des Gâteaux et du Pain propose également le week-end une version très réussie, avec un façonnage élégant et un parfum bien marqué, en plus d’une mie d’excellente tenue.

Il existe également des pains mettant en oeuvre de la farine de châtaigne en association avec d’autres composants, tels que des noix. C’est notamment le cas chez Bread & Roses, qui propose un superbe pain châtaigne-noix, au grignage très artistique et à la saveur bien marquée. La douceur de la châtaigne s’associe parfaitement avec l’amertume de la noix pour créer un pain… de Berger Corse, comme aime le rappeler la boulangerie.
Chez Rodolphe Landemaine, la châtaigne est accompagnée de miel, noisettes et raisins. Malheureusement, j’ai trouvé que le résultat était trop doucereux et sucré, on finit par perdre le parfum de base, d’autant plus quand on croque dans l’une des noisettes, incorporées entières dans la pâte.

J’ai parfois été déçu par le manque de parfum de châtaigne, comme chez L’Autre Boulange, où la saveur est trop peu présente, ce qui est certainement la résultante d’une recette mal équilibrée entre cette farine et les autres, ajoutées pour la texture.
Dans tous les cas, n’hésitez pas à goûter ce pain dès lors que votre artisan boulanger en propose ! Je ne doute pas que, tout comme moi, vous deviendrez rapidement des inconditionnels. D’autant qu’il faut en profiter, c’est un pain « de saison », qui n’est généralement pas proposé à l’année (on en trouve assez facilement jusqu’en mars).

Il y a des voyages que l’on ne peut pas faire par soi-même, pour diverses raisons. La vie est ainsi faite. Dans certains cas, on peut tout de même en vivre une petite partie, un peu par procuration. Même si l’on n’en profite pas pleinement, on parvient à en capter quelques notes, le fruit d’échanges et de moments de vie.

Dans le cas présent, cela passe par un pain. Un beau pain, d’ailleurs. Pas celui que vous pourriez trouver dans une boulangerie de quartier, réalisé par un artisan peu passionné avec des farines dont il ne connaît même pas l’essence ni la provenance. Non, dans ce pain, tout a une histoire. Les blés, issus de variétés anciennes, le moulin, abandonné puis restauré en 2004, le four à bois, bâti en argile pure ou encore le boulanger, issu d’une reconversion professionnelle…
Au final, il est arrivé ici, en Région Parisienne, après avoir traversé la France. Il s’exprime sur ma table avec toute sa douceur et ses spécificités. C’est à la fois un pain de terroir, inscrit dans un paysage et dans une vraie démarche visant à remettre en avant des blés oubliés, pourtant plus intéressants en terme de saveur et de tolérance par l’organisme (en effet, de plus en plus souvent, le gluten des farines « traditionnelles » est mal toléré), et un pain délicat, raffiné, aux parfums subtils. Sa mie bien alvéolée exprime des notes de miel, de fleurs, avec comme accompagnement une croûte bien marquée et presque fumée. Très peu salé, il reste très discret et accompagne les repas sans trop parler, même si l’on apprécie la tenue de sa mie et sa douceur, cette absence d’acidité assez surprenante de prime abord.

Cette histoire, c’est celle que vivent Roland Feuillas et son épouse à Cucugnan, au sein des « Maîtres de Mon Moulin ». Leur démarche est exigeante, peut-être pourra-t-on la qualifier de « jusqu’au-boutiste », mais elle n’en est pas moins porteuse de sens. En ayant la maîtrise complète de la chaîne (des blés issus de l’Agriculture Biologique à la réalisation du pain dans leur fournil), ils s’assurent et peuvent assurer à leurs clients l’absence totale d’additifs ou autres produits qui ne rentreraient pas naturellement dans la composition des ingrédients mis en oeuvre. Ici, le boulanger est un homme respecté, il fait partie de l’équilibre de « l’écosystème » et entretient la santé de la communauté en lui offrant jour après jour un produit sain, nourrissant le corps et l’esprit. Il partage son travail autant que son amour pour celui-ci.

Certes, il serait difficile de transposer un tel dispositif ici en Ile-de-France, quoique la Seine et Marne dispose toujours de larges espaces dévolus aux terres agricoles, mais nous devons tendre vers ce mouvement, car notre pain est progressivement parti à la dérive. De « super-aliment », il est devenu pauvre et sans vie. Tout cela s’inscrit dans une quête de sens qui doit être celle de chacun dans le cadre de son alimentation. Sans forcément exiger un tel niveau de qualité et de recherche, il est tout à fait possible de tendre vers quelque chose de similaire. Seulement, les enjeux sont alors de grande taille : cela pourrait remettre en cause la mainmise de quelques entreprises puissantes (les meuniers, en l’occurrence) sur le marché et ses orientations. Ils disposent en effet d’un important pouvoir sur les « mélanges » de farines et de blés. Certes, leur travail permet d’assurer à chaque boulanger une plus grande facilité de mise en oeuvre de la farine, mais la boulangerie est avant tout une affaire vivante, et l’on devrait accepter qu’il faille s’adapter en fonction des variations naturelles – et non pas chercher à les dompter.

Bref, comme vous le voyez, ce pain m’inspire. Il me donne envie de voyager, moi aussi, d’aller voir comment on fait ces pains, remplis d’eau, de farine, de sel, de levain et/ou de levure… mais aussi de beaucoup de passion et de sens. Pour le moment, c’est surtout par l’esprit, mais cela changera, sans doute.

Merci à Roland Feuillas pour ce beau cadeau, et à Caroline pour le transport ainsi que les belles images et pensées.

L’alimentation des individus est bien souvent dépendante de leur lieu d’habitation. Selon que l’on réside en province, dans une petite ville, ou bien au sein d’une agglomération – voire même à Paris, nos habitudes sont différentes, même si ces variations ont eu tendance à s’estomper au cours de ces dernières décennies.

Cependant, j’ai tendance à penser qu’il reste encore un pain des villes et un pain des champs. Le premier sera généralement beaucoup plus blanc, moins cuit, plus doux, assez moelleux voire sucré (le pain de mie est très apprécié chez les urbains !), tandis que le second sera plus fort, souvent réalisé sur levain donc assez acide, avec une belle croûte et une meilleure conservation. Forcément, il n’était pas toujours possible de réaliser du pain tous les jours par le passé, et les boulangers n’étaient pas implantés à chaque coin de rue comme ils le sont dans les grandes villes. Ainsi, il était nécessaire de constituer des réserves, et donc de produire un pain qui puisse être consommé sur plusieurs jours. Comment imaginer une baguette de tradition dans cet environnement ? Cela paraît assez difficile !

Ce qui est assez curieux dans le fond, c’est que nos urbains ont tendance à se tourner à nouveau vers des pains de plus en plus « rustiques », avec un retour des pains au levain naturel dans les boulangeries, ou bien de miches fortes en goût (que dire du succès du Pain des Amis, devenu une vraie star ?). Ce « retour aux sources » ne concerne pas que le pain : les consommateurs sont en quête de simplicité et d’authenticité.
A terme, les pains des villes et champs pourraient bien finir par se rejoindre… Toutefois, il me paraît important de noter que divers pains aromatiques apparaissent dans le paysage au fil du temps, comme c’est le cas chez Gontran Cherrier et ses pains épicés. Cela change un peu la donne, puisque les habitudes de consommation évoluent rapidement.

Qu’en pensez-vous ? Croyez-vous qu’il existe toujours des différences aussi marquées entre ville et campagne, ou bien que tout le monde finit par manger le même pain ?

Ma démarche développée autour du painrisien trouve un écho tout particulier ces derniers mois, avec une attention toujours plus portée sur le bon produit et sur le goût. Journée de la gastronomie, semaine du goût, divers événements culinaires, … Les occasions n’ont pas manqué pour passer le message du bon et du beau.

Ce matin, j’étais convié à un « rendez-vous »-petit déjeuner chez CCDessert, autour de la thématique « Le bon, le brut et le gourmand », avec comme invités Dominique Saibron -que je n’ai plus besoin de présenter-, Jean-Yves Bordier -« fondu de beurre » et créateur de la marque du même nom- ainsi qu’Erwann de Kerros, fondateur de Terre Exotique.

Pendant près de deux heures, les trois hommes nous ont présenté une vision très pertinente (et je dirais même painrisienne !) du goût et de la gastronomie : nous devons privilégier le produit, pas l’emballage ou les labels (Bio, équitable) sans pour autant chercher à le glorifier, à chanter sans cesse son caractère exceptionnel. Le bon produit doit rester une chose accessible, que l’on prend plaisir à partager au quotidien.
Le goût, c’est bien ce qui porte ces entrepreneurs, aux parcours parfois sinueux, et ce qui les amène à chercher sans cesse de nouveaux produits ou bien à en créer. Cela s’associe à une notion d’exigence, preuve en est du temps pris lors du développement de nouvelles créations (un an de recherche pour le beurre à la vanille Bordier, plusieurs mois pour des sels d’exception chez Terre Exotique, …). Le temps, c’est ce sur quoi nous avons trop essayé de rogner, au détriment de la qualité et du plaisir que peut prendre le consommateur en achetant le produit. A titre d’exemple, le beurre tel que produit en industrie est généralement prêt en à peine 6 heures, comprenant l’ensemble des étapes de transformation. A l’inverse, chez Jean-Yves Bordier, le processus en prend… 72 ! Le résultat est simplement incomparable, que ce soit en terme d’authenticité que de richesse aromatique. C’est assez comparable en boulangerie, chez Dominique Saibron.

Le risque, avec des produits et des entreprises mises en avant de façon aussi répétée que celles portées par les invités du jours, c’est de se voir « name-droppé » un peu partout, c’est à dire inscrit au menu, invité à table comme caution sans pour autant que le reste de la prestation soit satisfaisant, le goût des choses passant au final en arrière plan. C’est le risque lorsque l’on entre dans la tendance, lorsque les médias s’intéressent à vous. C’est pour cela qu’il est intéressant d’aller voir ce que font de petits artisans, beaucoup moins soumis à ce type de problème et tout aussi talentueux. Ils participent à rendre l’ordinaire exceptionnel, à travers de produits simples mais réalisés avec coeur.

Le coeur, l’amour. Si je dois retenir quelque chose de cette matinée, c’est bien cela : si ces hommes en sont arrivés là aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont laissé parler leurs aspirations, leurs envies tout en parvenant à les matérialiser au travers de leurs produits. Cette démarche est généreuse et porteuse de sens, car ils se sont mis au service des autres pour leur faire partager un univers, une sensibilité. Quand on les écoute, quand on discute avec eux, on sent cette lumière, cette simplicité : ils sont à leur place, rien de plus. Ce n’est pas évident d’y parvenir, mais cela constitue un objectif perpétuel et plein de sens.

Ce moment de partage s’est achevé sur une dégustation, avec autour de la table du bon beurre (enfin, plusieurs ! Yuzu, Citron, Piment d’espelette, Algues, Vanille, Sel fumé… autant d’ingrédients qui s’invitent dans les plaquettes et mottes de M. Bordier), un bon pain (au levain de miel et d’épices, bien sûr) et des épices d’exception (je pense notamment à un sucre noir bien particulier !)… Du plaisir et des sourires, cela met en forme pour la journée !

Merci à Alexia de chez CCDessert pour cette sympathique invitation.

Les industriels ne manquent pas d’idées pour développer des produits anéantissant toute forme de bon goût. Parmi elles, les distributeurs de pain chaud. Il y a quelques mois, j’avais pu assister à l’apparition de l’un d’eux au Monoprix Montparnasse. Il semblerait qu’il ait disparu depuis.

Une boulangerie de l’avenue Mathurin Moreau se vante d’avoir installé un tel appareil. « Elle vend, elle cuit pour vous »… La qualité de cette cuisson « minute » est assez terrible, la baguette n’a pas de croûte à proprement parler et ne parlons pas des arômes. La qualité générale du produit est plus que médiocre pour le prix demandé, en l’occurrence 1 euro. Il n’y a pas de quoi être fier, surtout pour un artisan, qui devrait au contraire chercher à prouver qu’il est capable d’apporter une vraie valeur ajoutée de par son savoir-faire.

Le souhait du consommateur d’avoir du pain frais et chaud en permanence ne doit pas nous mener vers ce genre de dérive. Au contraire, le consommateur devrait être informé et éduqué vis à vis du fait que le pain peut exprimer des arômes différents et loin d’être inintéressants le lendemain, même s’il n’est plus exactement craquant. Ce n’est pas le seul facteur qui permet de caractériser du bon pain, loin de là. Prenons notre petit bâton de pèlerin afin de faire en sorte que ces machines restent anecdotiques !