12
Mar
2012
Pain du jour : Pain de Cucugnan, Boulangerie Bonneau (Paris 16è)
12 commentairesCertains produits et engagements sont profondément inscrits dans un terroir, dans un paysage, autour d’hommes passionnés et détenteurs d’un savoir-faire bien particulier. Il existe de nombreux exemples dans la gastronomie, qui est un vrai terrain de jeu pour ce genre d’enracinements. Fromages, viandes, … Combien de produits ont vu leur appellation et leur origine protégée et/ou contrôlée, justement pour assurer au consommateur un goût et une qualité ?
On connaît moins ce « phénomène » sur le pain, quasiment pas en réalité. Bien peu de gens se préoccupent de la provenance des blés, des farines, de la façon dont elles ont été stockées, … Certes, des labels existent. Bio, CRC, Label Rouge… mais la démarche qui s’en suit demeure assez peu visible pour le consommateur, et il est encore si souvent trompé que cela n’aide pas à rendre l’ensemble lisible.
En marge d’une boulangerie quasiment déconnectée de la terre et de sa beauté, certains ont fait le choix d’intégrer de façon verticale l’ensemble des composants permettant d’aboutir à la production d’un pain. Ils sont à la fois au four et au moulin, ainsi qu’au pétrin… Tout un programme, et une vie bien chargée.
Souvenez-vous, je vous avais parlé du pain de l’un d’eux, Roland Feuillas, installé à Cucugnan, aux « Maîtres de mon Moulin ». Cet ancien ingénieur a fait le choix, il y a plusieurs années, de se reconvertir à la boulangerie mais également à la meunerie. Adoptant la démarche d’un vigneron – qui maîtrise autant la production de son raisin que de son vin – il produit un pain bien particulier, portant la force de ce terroir préservé, de cet environnement exceptionnel. On fond autant pour le produit que pour le paysage, que pour l’histoire et l’engagement. Bien sûr, tout cela n’aurait pas de sens si le goût n’était pas au diapason. C’est le cas pour certains de ces hommes et femmes qui croient être en mesure de tout faire, de tout assumer, mais finissent par trouver leur bébé tellement beau qu’ils en perdent tout sens critique et aboutissent à un résultat… médiocre.
Tout cela pour dire que cet ensemble est bien difficilement transposable, reproductible. Depuis peu, le boulanger Laurent Bonneau, installé dans le 16è arrondissement, réalise du pain à partir de la farine produite par les Maîtres de mon Moulin. Appelé « pain de Cucugnan », il est constitué d’un mélange d’anciennes céréales. Sa fermentation s’effectue sur une base de levain liquide.
Peut-on réellement l’appeler pain de Cucugnan ? Certes, les farines en proviennent, mais le processus de réalisation est tout à fait différent, à commencer par le four utilisé. Dans l’Aude, les pains sont enfournés dans un four à bois. A Paris, ce n’est pas le cas, même si l’on demeure fort heureusement sur un four à sole. Ensuite, la différence d’agent de fermentation a un effet direct sur les saveurs et les caractéristiques du pain obtenu.
Qu’en est-il, au final ? Je ne pourrais prétendre que le pain réalisé par Laurent Bonneau est mauvais – bien au contraire. Il exprime de belles saveurs de noisette, assez persistantes en bouche, et offre une mie sauvage, bien alvéolée, humide et moelleuse. On pourra reprocher à sa croûte, assez fine, de perdre rapidement en craquant. Le travail sur levain liquide permet l’obtention d’un pain dépourvu d’acidité, très doux et lactique. Le façonnage est élégant, la grigne plutôt soignée et c’est un produit tel qu’on aimerait en trouver plus souvent dans les boulangeries parisiennes. Pour autant, cela n’a rien à voir avec le pain provenant effectivement de Cucugnan. Croûtes, mies, parfums différents, les produits pourraient difficilement être comparés, même s’ils sont tous deux dignes d’intérêt.
On pourra tout de même apprécier la démarche, puisque cela permet aux parisiens de trouver un pain fabriqué à partir de farines produites dans le respect de l’environnement, avec des blés d’une qualité exceptionnelle. La farine est à la hauteur de l’engagement pris par le couple Feuillas, et le résultat offert ici le prouve encore une fois.
Si l’on s’intéresse à ce qui pourrait tenir du détail, il est regrettable que ce pain soit remis au client dans un sac vantant les mérites des pains Campaillou, développés – s’il est encore nécessaire de le rappeler – par les Grands Moulin de Paris. Autant dire que cela n’a pas grand chose à voir, et que le consommateur mériterait d’être informé sur les particularités du produit acheté, ou au moins de ne pas recevoir des indications erronées.
Dans tous les cas, il n’est pas possible de reproduire tout ce qui fait la beauté de ce terroir préservé, de ces terres et du fait que ce pain se mérite : il faut se rendre dans cette région un peu reculée et isolée qu’est celle des Corbières. Au final, la mie et la croûte du produit que l’on obtient là bas expriment toutes ces petites choses qui font que l’engagement est total, que le boulanger entretient une relation très particulière avec sa farine. Il la connaît sur le bout des doigts, forcément, il l’a fabriquée et saura l’hydrater de la façon la plus juste, en tirer le meilleur. Ce qui ne saurait être possible à Paris ou ailleurs.
Pain de Cucugnan, Boulangerie Bonneau – Paris 16è, pain vendu au poids, au prix de 7,5 euros le kilogramme.