Lorsque l’on vend des produits aux consommateurs, l’information est – à mon sens – tout à fait essentielle et elle se devrait d’être toujours la plus précise possible. Dans les réseaux de distribution, la plupart des aliments sont étiquetés et présentent pléthore de détails sur les ingrédients mis en oeuvre pour la fabrication du produit, ainsi que diverses précisions sur les précautions d’emploi et autres conseils de dégustation. Je regrette parfois que ce ne soit que très rarement le cas en boulangerie : en effet, les écriteaux sont généralement très pauvres en détails sur les procédés de fabrication (utilisation de levain ? de levure ? quel type de farine ? …) et nous renseignent mal sur le pain que l’on sera amenés à déguster. C’est à la fois dommage pour le travail réalisé par le boulanger, et dommage pour le consommateur qui n’est pas en mesure de bien distinguer les différences entre boulangeries. En effet, quoi de plus ressemblant à une baguette de tradition qu’une autre baguette de tradition ? Vous avez compris où je veux en venir.

En la matière, j’ai eu une ‘surprise’ plutôt désagréable hier en achetant un pain chez Eric Kayser, dans sa boutique historique de la rue Monge. Toujours curieux et en recherche de nouveaux pains à partager, j’ai jeté mon dévolu sur le pain du mois d’Avril, sous l’intitulé de « Pain Chocolat noir et cerises ». Le problème, c’est qu’en définitive, je n’ai pas obtenu un pain… mais ce que je qualifierais de viennoise au chocolat et aux cerises. A mon sens, ce n’est pas la même chose : un pain viennois (incorporant, pour mémoire, du lait et du beurre dans sa recette) n’est pas à proprement parler un pain, mais… une viennoiserie, une gourmandise du petit déjeuner ou du goûter, plus riche que le pain traditionnel. Certes, ce n’est pas une brioche, ça n’en a pas la texture filante, mais ça ne s’approche pas du pain.
La confusion est permise dès lors que toute précision sur la composition du produit est absente, et que l’appellation « pain » est présente. Il faudrait d’ailleurs la mettre au clair : que peut-on mettre derrière elle ? Certaines dénominations associées, comme celle du pain de tradition, sont réglementées, mais en dehors, cela demeure plutôt flou. Ainsi, plusieurs pains de la gamme des spéciaux développés chez Eric Kayser reprend cette fameuse gamme viennoise, à l’image du pain aux noix ou du pain curcuma-noix-noisettes. Cette douceur lactique n’est pas forcément désagréable, mais elle n’est pas au goût du tous. Dès lors, il devient nécessaire – à mon sens, encore une fois – de le préciser plus clairement.

Revenons à ce fameux pain du mois d’Avril. A son sujet, la communication qui est réalisée par l’entreprise et son agence de presse a eu l’occasion de me faire sourire. En effet, dans le communiqué de presse présentant la création, il est indiqué « En Avril, Eric Kayser met à l’honneur un fruit de saison avec le Pain Chocolat noir et cerises ! ». Vous aurez bien relevé le problème : en avril, les cerises ne sont pas à proprement de parler de saison… mis à part si l’on choisit de les faire venir de contrées lointaines ou si on en emploie de confites ou surgelées. Rien de très saisonnier dans ces pratiques.
Cela se retrouve d’ailleurs au goût, puisque les fruits utilisés dans ce pain n’en ont quasiment aucun. Ils fondent sous la dent, apportent une légère note sucrée-acidulée, mais n’expriment que peu d’arômes. Forcément, le chocolat noir en profite pour prendre la main – dispersé en de nombreuses pépites assez corsées et amères. L’association de ces deux ingrédients, qui aurait pu paraître bien vue de prime abord, se révèle au final être un échec, puisqu’aucun équilibre ne se dégage. Certes, ce n’est pas très sucré comme on aurait pu le craindre, mais ce n’est pas non plus intéressant.
Ajoutez à cela une pâte viennoise relativement moelleuse – exprimant bien le léger parfum de beurre et de lait que l’on peut attendre d’une viennoise, bien que là encore le chocolat soit dominant – mais assez sèche en définitive, et vous obtenez un « pain » plutôt médiocre, loin d’être la plus brillante des créations proposées par la maison Kayser.

Terminons sur le prix, puisque là encore il y a de quoi trouver qu’il y a comme un problème : 3 euros pour 250g, je veux bien que nous connaissions une période d’inflation, mais une viennoise au chocolat à ce prix, cela demeure assez exceptionnel… et dans un sens, c’est bien mieux ainsi.

Pain Chocolat noir – Cerises, Eric Kayser – Paris 5è (plusieurs boutiques à Paris et en banlieue), pain proposé pendant le mois d’avril, 3 euros les 250g.

Billets d'humeur

31
Mar

2012

Quelques miettes savoureuses

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Des miettes, là, sur la planche à pain. Ces quelques restes de croûte écartés par la force de compression du redoutable couteau se destineront sans doute à la poubelle, peut-être sera-t-on tenté d’en saisir quelques unes du bout de nos doigts, pour quelques instants de gourmandise fugace. Juste sentir craquer sous nos dents ces morceaux insignifiants de prime abord. Ce parfum de torréfaction que l’on peut parfois retrouver avec les pains bien cuits.

Ces miettes ne sont rien, mais en réalité elles sont tout. Elles concentrent ces détails, ces notes qui font que la vie a du goût. Miettes de vie, miettes d’envie. Ce qui pourrait bien rester lorsque l’on a tout perdu. On voudrait bien les effacer d’un coup de manche, mais elles demeurent, comme incrustées dans nos esprits et nos coeurs.
Des détails. Quelques images, des clichés, des instantanés. Cela pourrait être bien peu de choses, mais c’est sans doute ce qui compte le plus pour nous. Ces miettes, ces bribes, peuvent nous inspirer autant que nous détruire. On se doit d’attacher de l’importance aux détails, bien sûr, mais il faudrait savoir rester dans la mesure, dans le domaine du raisonnable. Difficile dès lors que l’on est humain.

Le problème, c’est quand ces miettes sont plutôt liées à un processus d’effritement, à une perte de consistance. En séchant, le pain peut alors se décomposer, des morceaux peuvent s’en détacher et on commence alors à comprendre que la fin est proche, qu’il ne sera bientôt plus possible de le consommer. L’esprit aussi peut tomber en miettes. Là, il ne sera plus question de saveur, mais de perte, d’oubli, d’un éloignement irréversible avec soi-même. Eloignement vis à vis des autres également, et du monde plus généralement. Difficile de les rattraper, ces miettes, de parvenir à recoller les morceaux pour recomposer l’ensemble qui se tenait là auparavant. Un travail de fourmi – vous savez, ces spécialistes des miettes – qui est bien rarement couronné de succès.

Ce à quoi je veux en venir en écrivant tout cela, c’est que nous ne devons pas oublier que notre monde, et nous-mêmes, sommes avant tout constitués d’une infinité de petits rouages, de ces fameuses miettes, qui ne sauraient s’accorder si l’on décidait d’adopter une vision trop globale, trop généraliste de l’homme et de son environnement. Si jamais on décidait de ne plus récupérer ces fragments de vie pour tenter de leur donner du sens, nous serions très certainement perdus. Pourtant, c’est le chemin vers lequel on tend, un monde où tout serait aseptisé, où le pain, lors de la coupe, ne laisserait plus ces petits éléments qui marquent son passage dans les lieux, dans les bouches aussi. A la place, un océan de platitude et d’uniformité, de propreté et de certitudes. N’oublions pas que nous sommes tous des miettes, avant toute chose. De formes, de couleurs, de consistance différentes, mais la nature de la chose ne change pas. Cet état nous impose de rester humbles, respectueux de nos semblables qui s’activent à nos côtés pour exister et ne pas être complètement noyés dans la masse, puis jetés négligemment à la poubelle, broyés par un système qui les dépasse. Broyer des miettes, j’avoue que l’idée et l’image ont un petit côté effrayant : une sorte de processus sans fin, visant à parvenir à une mouture toujours plus fine. Une sorte de farine, au final, mais farine pour faire quoi ? Un nouveau pain ? Un nouvel ensemble que l’on voudrait à nouveau diviser, déguster, détruire puis finalement oublier ?

N’allons pas trop loin, gardons les pieds sur terre. Contentons nous de regarder les miettes de pain comme des amies bienveillantes, sans plus de complications ou de symboles obscurs. Vivons, tout simplement.

Paris est une ville aussi fascinante qu’usante, fatigante et prompte à imposer ses règles du jeu, ses contraintes quotidiennes. A commencer par le prix des loyers, qui rend obligatoire une forte rentabilité, un chiffre d’affaire toujours plus important et donc de se tourner vers un certain type d’activité. Pour les boulangers, ce sera la restauration rapide, au travers des sandwiches et salades que l’on retrouve la plupart du temps dans leurs vitrines. Cela se fait au détriment du reste des gammes qu’ils pourraient développer, et souvent de leur vie de famille, la charge de travail étant importante.

Ces raisons ont poussé le couple Pottier, installé précédemment au 231, rue de Vaugirard, dans le 15è arrondissement, à quitter le « bruit » de la capitale pour la banlieue, et plus précisément à Poissy, dans les Yvelines. Quand on arrive dans cette ville d’environ 35000 habitants, on sent tout de suite que la qualité de vie n’est pas la même, le rythme également. Cela permet au couple de souffler beaucoup plus, de mieux s’occuper de leur famille et de proposer un large choix de produits à la clientèle locale.

En effet, Fabrice Pottier ne se contente pas de briller dans le domaine de la boulangerie, en ayant notamment obtenu le 2è prix de la Meilleure Baguette de la Ville de Paris en 2008, mais également en pâtisserie et en chocolaterie. En entrant dans cette petite boutique d’angle, tout particulièrement à l’approche de Pâques, on comprend en effet que l’artisan prend un plaisir tout particulier à développer des gammes variées et poussées. Pour valoriser son savoir-faire mais aussi celui de son équipe, il participe fréquemment à des concours professionnels, à l’image de celui de la meilleure pâtisserie francilienne, qui s’est tenu il y a un peu plus d’une semaine. Au terme de celui-ci, une de ses salariées a été classée 3è, et lui 7è en tant que chef d’entreprise. Je trouve qu’il y a là la preuve d’un bel état d’esprit, d’une volonté de partage et d’aller au delà du simple fait de vivre sa passion, mais bien de la faire vivre aux autres – autant à ses clients qu’à son équipe. Certains artisans ne souhaitent plus former leur personnel et recrutent uniquement des ouvriers ayant une forte expérience. A terme, cette absence de transmission pourrait bien aboutir à la disparition de tout un pan de notre savoir-faire artisanal, car au delà de la théorie enseignée par les organismes de formation, la pratique apporte beaucoup.

En bon painrisiens, commençons tout d’abord par nous intéresser au pain proposé ici. Bien sûr, on retrouve la fameuse baguette de tradition, primée à Paris. Impossible de pouvoir prétendre réaliser exactement la même à Poissy, puisque le matériel sera forcément différent, le personnel également, cependant elle parvient à se défendre plus qu’honorablement. Réalisée à partir d’une farine Reine des Blés des Moulins Bourgeois, cette baguette offre un parfum de beurre bien présent, une mie bien alvéolée et d’une croûte craquante. On pourra cependant regretter le caractère assez aléatoire des cuissons – pour répondre à la demande d’un pain toujours moins cuit – et des façonnages, parfois un peu « bruts ».
Le reste de la gamme est de bonne facture, même si l’on évitera soigneusement la baguette « ordinaire », cuite dans un four à chaleur rotative. Tournons-nous plutôt vers la Paume, ce pain au Levain développé en collaboration avec Alain Passard, et que Fabrice Pottier continue à produire malgré son déménagement. Le boulanger – ex-fournisseur de l’Arpège à une époque – nous propose une Paume au caractère plutôt marqué, à l’inverse de plusieurs que j’ai eu l’occasion de déguster. Un parfum de levain assez présent, une mie moelleuse et une bonne conservation constituent les caractéristiques de ce pain, dont la croûte demeure malheureusement un peu fine.
Pour le reste, on remarquera surtout les pains spéciaux vendus à la coupe, tels qu’un pain aux noix ou une création autour de divers fruits secs.

Rentrons dans l’univers du sucré, où la maison propose une offre assez pléthorique. A commencer par les viennoiseries, avec des croissants malheureusement un peu aléatoires, parfois assez peu développés, des pains au chocolat garnis de barres Valrhona ou encore la « Puravita », composée de fruits secs et d’un mélange de céréales. Les pâtisseries rendent honneur au classement récemment obtenu : entre classiques non revisités (éclairs, Opéra…) et créations issues de l’imagination – visiblement débordante – de M. Pottier (entremets, tartes aux fruits gourmandes…), il y a de quoi trouver son bonheur, pour des prix forcément accessibles : nous ne sommes plus à Paris, et pourtant ces produits tiendraient bien la comparaison face à de nombreuses maisons parisiennes. A noter le fait que la gamme est beaucoup plus étendue le week-end, avec plus de 20 propositions le samedi. Forcément, la demande est plus importante, et cela permet de limiter « la casse ». On apprécie la bonne maîtrise des textures, les dosages en sucre modérés et la qualité des bases (fonds de tarte, pâtes à choux…).
Le chocolat est également un secteur dans lequel cet artisan développe ses talents, cela passe par une large gamme de bonbons de chocolat, de tablette, et, en cette période, de sujets de Pâques dont certains sont particulièrement réussis (je pense notamment aux « M&M’s gourmands » et à la série des Barbapapa, originaux et colorés). Des couvertures de chez Valrhona sont utilisées pour la réalisation des produits, gage de qualité et de saveur.

Chocolats de Pâques

Une gamme traiteur est également développée, assez simple et sans relief particulier. Quiches, sandwiches, rien de particulier à signaler, sinon que le tout est proposé avec honnêteté.

Des sujets de Pâques gourmands et souriants

L’accueil est sincère, pas forcément aussi passionné – sauf si bien sûr on est servi par l’artisan ou son épouse – qu’on pourrait l’attendre, mais la clientèle est connue et reconnue, on sent que la maison est parvenue à s’intégrer dans son quartier et sa ville. Ce n’est d’ailleurs pas une chose facile, puisque Poissy, bien que de taille modeste, compte plus de 10 artisans boulangers-pâtissiers. Dès lors, il n’aura certainement pas été facile de se créer une place dans le paysage, mais Fabrice et Audrey Pottier ne manquent pas d’arguments qualitatifs pour y parvenir.

Infos pratiques

2 boulevard Louis Lemelle – 78300 Poissy (RER A – Ligne J Transilien, gare de Poissy) / tél : 01 39 65 05 46
ouvert du mardi au samedi de 7h à 14h30 et de 15h30 à 20h00, le dimanche de 7h à 13h30.

Avis résumé

Pain ? La baguette de tradition, réalisée à partir d’une farine Reine des Blés Label Rouge des moulins Bourgeois, est sans doute la star de l’endroit, avec son agréable goût de beurre, sa mie bien alvéolée et sa croûte fine et craquante. On notera également la présence d’une Paume exprimant un certain caractère, au travers d’un parfum de levain assez présent. Quelques pains sont proposés au poids, et une grande partie de la gamme Bourgeois est reprise (Charpentier, Reine des prés…). On regrettera les cuissons un peu courtes, et les façonnages parfois assez aléatoires.
Accueil ? On attendrait plus de passion, plus d’envie, même si la clientèle est servie efficacement et qu’elle est bien connue et reconnue. Bien entendu, la chose est différente lorqu’on a affaire à Fabrice ou Audrey Pottier, pleinement intégrés dans cette sympathique ville qu’est Poissy.
Le reste ? Le sucré est sans conteste le point fort de cette boulangerie-pâtisserie. Les viennoiseries sont correctes, même si relativement aléatoires, mais c’est du côté des pâtisseries que s’exprime l’univers de notre artisan : classiques soignés et créations originales, l’ensemble affiche une belle fraicheur, des saveurs marquées et un caractère globalement équilibré en terme de sucre. Ne pas rater également la gamme de chocolats, et tout particulièrement en cette période de Pâques. Les prix sont aussi doux que les saveurs, signe d’un chocolat de qualité, peu sucré tout en évitant l’écueil de l’amertume.

Faut-il y aller ? Pour découvrir les douceurs développées par Fabrice Pottier, sans aucun doute ! Pâtisseries et chocolats expriment un beau savoir-faire, une passion et une envie de partage. Au delà des concours, où ce professionnel parvient à se distinguer régulièrement, le quotidien est dans la même lignée, tenu avec rigueur et saveur. Tout n’est pas parfait, à l’image des viennoiseries ou des façonnages de pains que l’on aimerait parfois plus soignés, mais la maison propose un rapport qualité/prix remarquable, d’autant plus en banlieue où les artisans manquent parfois de goût. On pourrait dire, si l’on aimait les jeux de mots faciles, que les Pottier ont un sacré tour de main…

Les reconversions professionnelles m’inspirent toujours beaucoup de respect, vous aurez sans doute pu le remarquer. Prise de risque, remise en question profonde de soi-même et prise en compte de ses aspirations profondes, beaucoup de doutes, c’est un travail avant même d’y entrer de nouveau – dans le travail. Certains changements de cap semblent incompréhensibles de prime abord, mais cela s’explique souvent par des influences extérieures… et par le fait que les choix cruciaux d’orientation se font à des âges où l’on ne connaît pas forcément très bien, où l’on est encore un « être en devenir ». Après tout, il y a plusieurs vies dans une vie, comme l’ont si bien déclamé les publicitaires d’une fameuse banque.

Un changement de cap pour passer un CAP… C’est le choix, d’autant plus courageux puisqu’il s’agit ici de deux femmes dans un secteur aussi difficile et physique que la boulangerie, qu’ont fait Florentine Bachet et Camille Rosso. Si vous avez eu l’occasion de voir le reportage « En quête du bon pain », diffusé sur France 5 (si ce n’est pas le cas, cliquez ici pour la session de rattrapage), ces jeunes boulangères ne vous sont pas inconnues. En effet, la chaine de télévision avait mis en lumière leur projet d’ouverture de boulangerie et leurs recherches d’un lieu qui correspondrait à leur aspirations, à leur volonté de faire du « bon pain ».

Depuis, les idées ont pu se confronter à la réalité, puisque la boulangerie Basso – contraction souriante et plutôt bien vue du nom des deux associées et amies – a ouvert ses portes en septembre dernier. Elles ont repris une belle boulangerie d’angle, sur les rues de la Jonquière et Lantiez, dans le 17è arrondissement. Le quartier correspond d’ailleurs plutôt bien à ce qu’elles recherchaient : on y retrouve une certaine mixité, un caractère plutôt résidentiel et une « vie de quartier », différente de l’ambiance des zones de bureaux. Une relation plus durable peut se développer avec la clientèle.

La belle histoire s’est écrite, immortalisée par la télévision. Maintenant, c’est le quotidien qui importe, la façon dont nos deux anciens ingénieurs sont parvenues à passer des théories au pétrin et au fournil. Certes, elles avaient déjà eu l’occasion de le faire, et notamment chez Rodolphe Landemaine, comme nous le montrait le reportage, mais diriger son affaire est une autre paire de manches. En l’occurrence, on peut dire sans trop se tromper que le pari est réussi.
Au fond de la boutique, les pains sont bien mis en valeur, au travers de présentoirs aux formes diverses, offrant une belle vision de la gamme au client. Du choix, il y en a ! Commençons par la baguette de tradition à la mie craquante, bien humidifiée et presque ‘crémeuse’, au façonnage et grignages élégants et soignés, offrant des parfums subtils de céréales torréfiées, de crème, accompagnés d’une très légère note acide en fin de bouche. La farine des moulins Foricher fait merveille, et le savoir-faire de nos fraiches boulangères la met bien en valeur. On trouve également un pain des Gaults d’excellente facture, avec une croûte épaisse et une cuisson bien marquée, une tourte de Seigle, divers pains réalisés avec une pointe de levain (Rustique, pavés…), une ciabatta bien moelleuse ou encore le All Black, son caractère bien trempé ainsi que sa mie soyeuse, sombre et riche en graines diverses (sésame, lin, pavot, orge…). Les croûtes affichent de belles couleurs ambrées, les façonnages sont soignés, c’est un sans faute. On pourra cependant regretter le fait que la gamme soit au final celle développée par le meunier, avec un faible marquage de l’identité de la boulangerie. Cela viendra sans doute avec le temps et la « bouteille ».

Le reste des produits est traditionnel, développé dans un esprit de simplicité appréciable. Les viennoiseries sont honorables. On s’intéressera plus particulièrement au large choix de tartes et quiches vendues à la part, servies de façon généreuse. Les pâtisseries – éclairs, millefeuilles, Paris-Brest, tartes au citron… – ne présentent pas de relief particulier.
Côté traiteur, les sandwiches et salades offrent une belle fraicheur et sont réalisés avec soin. Pains spéciaux et baguettes de tradition composent les bases de ces repas sur le pouce, proposés à des tarifs très abordables. Pour les envies de grignotages salés, des ficelles apéro bien appétissantes complètent le choix.

Tout cela ne serait rien s’il n’y avait personne pour le vendre, et les deux associées prennent plaisir à oeuvrer aussi bien au fournil qu’en boutique, avec beaucoup de charme et d’élégance. L’ensemble du personnel nous offre un sourire sincère et des informations précises sur les produits. On sent une belle volonté de partager l’amour du métier, de ne pas seulement vendre un produit mais bien de transmettre à la clientèle tout l’engagement et la démarche qui ont été développés pour y parvenir. Ajoutons à l’ensemble un décor « à l’ancienne » agréable et chaleureux, cela fait de la boulangerie Basso un lieu où l’on aime venir et revenir, autant pour les produits que pour l’ambiance.

Infos pratiques

49 rue de la Jonquière – 75017 Paris (métro Guy Môquet, ligne 13) / tél : 01 46 27 82 80

Avis résumé

Pain ? Une gamme variée et soignée, voilà comment on pourrait décrire l’offre de pains de cette boulangerie. Réalisés à partir d’une farine de chez Foricher / Le Moulin des Gaults, les pains affichent des croûtes bien dorées et des façonnages très soignés. La baguette de tradition est une belle réussite : mie craquante, bien humidifiée et presque ‘crémeuse’, parfums subtils de céréales torréfiées, de crème, accompagnés d’une très légère note acide en fin de bouche. Cependant, il ne faudrait pas songer à s’y limiter, ce serait oublier de faire honneur à la ciabatta – bien moelleuse et parfumée -, au pain des Gaults et son caractère très « terroir » ou au « All Black » et son typage nordique. Pour ne rien gâcher, les tarifs sont très modérés et les conservations d’excellent niveau.
Accueil ? Florentine Bachet et Camille Rosso prennent beaucoup de plaisir à oeuvrer en boutique au côté de leur personnel de vente. La clientèle profite de ce bel enthousiasme, de cette fraicheur et de cette passion qui font réellement plaisir à voir. L’information sur les produits est, de fait, irréprochable tout en parvenant à assurer un service dynamique et efficace. Cela contribue à l’ambiance presque « lumineuse » du lieu, initiée par le décor et l’agencement très réussis.
Le reste ? Les tartes et quiches à la part constituent les points forts de l’offre sucrée et salée de la boulangerie Basso, servies avec simplicité, saveur et générosité. Pour le reste, les viennoiseries sont tout à fait honorables, les pâtisseries, très boulangères, n’offrent pas de relief particulier. Sandwiches et salades séduisent sans forcer, autant par leurs prix que par des associations entre saveurs et pains spéciaux bien vues.

Faut-il y aller ? Pour encourager un tel engagement, une belle histoire et cette conviction, sans aucun doute. Au delà de ça, les produits sont d’excellente facture – savoureux et proposés à des prix plus qu’honnêtes. Au passage, on ne manquera pas de tomber sous le charme des deux jeunes boulangères et de leur sourire sincère, qui achève de nous assurer du succès de leur entreprise. On espère juste qu’avec le temps une réelle identité se développera au sein des gammes de produits, et plus particulièrement sur le pain, où tellement de créations savoureuses sont possibles.

Vous arrive-t-il souvent de vous perdre dans Paris ? En réalité, c’est assez compliqué puisque les indications sont partout, entre plans, panneaux, écriteaux divers… De plus, avec les nouvelles technologies, telles que le GPS présent sur la plupart des téléphones « modernes », on peut sans difficulté savoir précisément où l’on se trouve et calculer le meilleur itinéraire pour se rendre à sa destination. Reste la possibilité de se perdre volontairement, de chercher à ne plus avoir de repères, simplement flâner et se laisser aller au gré des découvertes. Une ville telle que Paris est justement le lieu rêvé pour ce type de « fuite », d’évasion.

Si je vous dis tout ça, c’est qu’au hasard d’une de mes promenades painrisiennes, je me suis littéralement… pommé. Non, pas paumé, pommé. En effet, dans le 8è arrondissement, plus précisément au 109 boulevard Haussmann, se trouve un lieu entier dédié à… la pomme. Il fallait y penser, mais en réalité, les possibilités d’utilisation et les variantes de ce fruit sont si diverses que l’on peinerait presque à tout faire rentrer dans cet espace.
Quoi de plus naturel que de croquer dans une pomme ? Tout d’abord, il convient de distinguer les différentes variétés existantes : plus ou moins sucrées ou acidulées, à robe verte, rouge ou jaune… Granny Smith, Golden, Fuji, Gala, Pink Lady, autant de noms qui doivent forcément vous dire quelque chose si vous avez déjà eu l’occasion – et j’ose espérer que c’est le cas – d’aller sur un marché ou même dans une grande surface pour acheter quelques fruits. Ces dernières années, on peut assister à un retour vers les variétés anciennes comme la Patte de Loup, avec des caractères plus ou moins rustiques.

Bien sûr, on peut la déguster tout simplement au couteau, mais la pomme se prête également à de multiples usages, qui sont déclinés chez Pomze. Tout d’abord, en cuisine, dans des recettes aussi bien salées que sucrées. Ainsi, elles accompagneront très bien le foie gras ou les noix de Saint-Jacques. En chutney, agrémentées d’épices, elles relèveront avec élégance des fromages, par exemple. Au dessert, cela paraît beaucoup plus évident, mais il s’agit d’être inventif : au delà de la classique tarte, on peut l’intégrer de façon très savoureuse à des créations, en jouant sur le caractère doux ou à l’inverse acide de certaines variétés. Le chef Ryuji Teshima renouvelle sa carte au fil des saisons, en gardant le fruit comme fil conducteur, tout en gardant à l’esprit que son utilisation doit rester pertinente et non anecdotique. La carte propose ainsi des tarifs assez modérés et des plats aux associations créatives et savoureuses.

Une large sélection d'alcools côté boutique,

Qui dit pomme dit également… cidre. Cet alcool léger se décline là encore en de multiples variantes, selon les régions productrices. Pommeaux et autres calvados en sont issus. L’espace boutique Pomze vous les présente avec une grande minutie, puisque chaque bouteille est proposée avec une fiche de dégustation. Dans cette même zone, vous retrouverez également des pommes à l’état brut, l’accent étant mis sur les variétés anciennes, issues des meilleurs terroirs, ainsi que diverses confitures plus ou moins originales : gelée de cidre, confiture au thym, chutneys variés… Les plus gourmands trouveront sans difficulté leur bonheur dans ces étagères.

Confitures et jus variés

A l’heure du thé, il est bien entendu possible de s’asseoir pour déguster une douceur créée par le chef pâtissier de la maison. Certaines de celles-ci sont d’ailleurs disponibles à emporter, à l’image du cheese-cake au fruits rouges et pommes caramélisées. On apprécie particulièrement le charme et la chaleur des différents espaces de ce lieu, du rez-de-chaussée où le bar nous accueille, à l’étage, avec la salle de restaurant aménagée dans un ancien appartement, ou encore au sous-sol, avec un coin lounge.

La vocation de Pomze était, pour ses fondateurs, de partager la passion de la pomme au travers de toute sa diversité. Elle nous paraît aujourd’hui si commune, si simple, mais elle présente une histoire complexe. Les Vergers d’Anjou, un gros producteur, ont été associés à ce projet, une occasion pour eux de mieux informer le consommateur de façon directe, car ce dernier a souvent tendance à utiliser le prix comme facteur de différenciation, en l’absence de connaissance ou de communication plus approfondie. L’initiative, venant d’une telle entreprise, est tout à fait intéressante et est remplie de sens : le grand public manque trop souvent de points de repères pour l’aider à consommer « mieux ».

Ajoutons à tout cela un accueil sympathique et bien renseigné, cela fait de Pomze un agréable restaurant-boutique-salon de thé-… Bien loin d’être un lieu paumé, même si complètement pommé !

Infos pratiques

109 boulevard Haussmann – 75008 Paris (métro Saint-Augustin, lignes 9 et 14) / tél : 01 42 65 65 83
ouvert du lundi au vendredi de 8h à 23h et le samedi à partir de 15h.

Il n’est pas toujours évident de porter le même nom qu’une célébrité, tout en n’ayant aucun rapport de près ou de loin avec elle. Bien entendu, cela dépend du niveau d’exposition médiatique de la personne concernée et de son actualité plus ou moins forte. Dans certains cas, l’homonymie peut même être plutôt heureuse.

Dans le cas présent, je ne sais pas si le boulanger Alexis Anton peut se plaindre de partager le même nom que le fameux chef du Pré Catelan, Frédéric Anton. Le hasard a voulu que les deux hommes oeuvrent dans le secteur de la gastronomie, certes dans des domaines relativement différents, même si on y retrouve des intersections et points communs. Tout cela est plutôt souriant, car le chef étoilé a une très bonne réputation, tout comme sa cuisine. En parlant de restaurants, M. Anton fournit l’Auberge du 15, située à quelques centaines de mètres de là, au 15 rue de la Santé.

Ici, la « boulangerie Berthollet » n’a pas grand chose à voir avec le caractère luxueux du restaurant du bois de Boulogne. Une boutique d’angle – dont la couleur rouge témoigne encore d’une précédente appartenance au réseau Banette, dans un quartier relativement bourgeois et surtout très étudiant. Pas de plats élaborés, de desserts compliqués, Alexis Anton nous propose des produits traditionnels et boulangers.
La gamme des pains n’est pas particulièrement étendue, on y retrouve de grands classiques, dont bien sûr la baguette de tradition. Elle exprime un doux parfum de froment et offre une mie crème, bien alvéolée. Toutefois, son façonnage est un peu approximatif et on lui préfèrera sa déclinaison en « pain », vendu au poids, rappelant le Polka. L’intérêt, en plus de choisir la quantité que l’on souhaite, réside dans les belles cuissons dont bénéficient ces grosses pièces et de fait des croûtes bien marquées qu’elles nous offrent.
Le reste des pains est relativement bien réalisé, avec plusieurs propositions à la coupe, à l’image du pain de campagne ou de seigle. Les classiques aux céréales ou graines diverses sont également de la partie. Quelques créations propres à l’artisan sont présentées, comme la baguette Sarrasine, dont le nom ne pourra vous laisser que peu de doute quant à sa composition.
A noter également la bonne tenue de la baguette « ordinaire », plutôt soignée et bien cuite, pour une fois.

Le secteur sucré se décline autour de viennoiseries de bonne tenue, avec des croissants abordables (0,9€ la pièce) et soignés, ainsi que diverses déclinaisons d’escargots (chocolat, pralines…). On se laissera également tenter par les oranais ou par les sympathiques briochettes de la maison.
Quelques pâtisseries boulangères, telles que des éclairs, Paris-Brest et autres tartes au citron s’offrent à nous pour constituer un dessert simple mais efficace, bien que l’on ait tendance à les mettre de côté pour s’intéresser aux tartes vendues à la part, ou encore aux financiers. En effet, rien de bien exceptionnel dans ces douceurs.

Juste à côté, la courte gamme traiteur attend les étudiants et travailleurs du quartier. Quelques sandwiches aux saveurs basiques (crudités-thon, jambon-fromage, …) et quiches (lorraine, thon…), rien de plus, mais d’un côté c’est tellement mieux ainsi, car cela garantit une plus grande fraicheur des produits. Dans tous les cas, ces propositions constitueront un repas simple et plutôt savoureux, pour un prix plus qu’accessible – notamment grâce à des formules déjeuner. On ne demande pas mieux.

Quelques questions se posent quant à la farine utilisée : on retrouve des éléments des moulins de Chérisy, mais les sacs à baguette sont aux couleurs des Grands Moulins de Paris… Difficile de s’y retrouver, et c’est bien dommage, car tout le monde gagnerait à développer une communication plus claire autour de ce sujet important, même si beaucoup de consommateurs n’y prêtent aujourd’hui pas attention.

L’accueil, assuré par des jeunes filles souriantes, est sincère et sans cérémonie inutile, on sent une belle dynamique et une volonté de bien faire. La clientèle est servie efficacement et avec considération.

Infos pratiques

25, rue Berthollet – 75005 Paris (métro Censier-Daubenton, ligne 7) / tél : 01 43 31 03 51
ouvert du vendredi au mardi de 7h à 20h.

Avis résumé

Pain ? On préférera le pain de tradition, façonné « type Polka » et vendu au poids pour 5 euros/kg, à la baguette de tradition, dont le façonnage manque d’élégance. En effet, ce dernier affiche de belles cuissons et nous offre une croûte bien craquante, révélant une mie crème aux alvéoles irrégulières et au doux parfum de froment. Ne cherchez pas ici des produits particulièrement typés, l’ensemble est classique et honnête, à l’image des pains de campagne, de seigle ou aux céréales et graines. Des pains de table dans tout ce qu’ils peuvent avoir de respectable, en somme. Prix très raisonnables, beaucoup de pains sont vendus « au poids » – une pratique appréciable -, et bonne conservation. Courte offre de créations de notre artisan, telle que la baguette Sarrasine.
Accueil ? Les jeunes filles qui se succèdent derrière le comptoir assurent un service chaleureux et plutôt efficace. L’atmosphère est détendue, pas de cérémonies inutiles, le tout est en accord avec la simplicité des produits vendus et c’est bien appréciable.
Le reste ? C’est certainement la viennoiserie qui s’en sort le mieux parmi les propositions sucrées d’Alexis Anton. En effet, les becs sucrés apprécieront certainement les croissants au beurre, accessibles (0,9 euros la pièce) et plutôt soignés, ainsi que les diverses déclinaisons d’escargots. Passons notre tour sur les pâtisseries, très boulangères sans être vraiment soignées, pour privilégier des gourmandises plus simples (tartes à la part, financiers), ainsi que les sandwiches et quiches, tout à fait honnêtes.

Faut-il y aller ? La boulangerie Berthollet, ce n’est pas la vie de palace, mais M. Anton y propose des produits honnêtes et accessibles. Nous sommes ici dans une agréable adresse de quartier, où les travailleurs et étudiants peuvent se rendre le midi, où les mères de famille viennent avec leurs chérubins chercher le pain et quelques gourmandises (sucreries et viennoiseries sont de la fête)… La simplicité du pain au quotidien, en bref.

Réflexions

26
Mar

2012

Laisser vieillir le pain

6 commentaires

Certaines choses prennent de la valeur avec le temps. D’autres des couleurs, des marques, des rayures… ou encore du goût. C’est notamment le cas pour le vin, du moins le « bon » vin. A l’inverse, il y a des produits qui auraient plutôt tendance à se dégrader rapidement s’ils n’étaient pas consommés rapidement. Dates de péremption, précautions d’emploi, l’alimentation demeure un domaine sensible…

Pour le pain, c’est un peu plus compliqué. Bien sûr, il finira toujours par être immangeable, pour diverses raisons d’ailleurs (complètement dur, moisi ou autres réjouissances), mais il n’y a pas de règle imparable et scientifique pour savoir combien de temps on pourra conserver le pain que l’on vient d’acheter. On peut avoir quelques certitudes, toutefois. Une baguette ne se conservera que quelques heures, qu’elle soit de tradition ou non d’ailleurs. Au delà, elle risquera de devenir sèche, la croûte perdra peu à peu son caractère craquant si agréable, la mie aura tendance à être caoutchouteuse… Un tableau qui n’a rien de bien réjouissant. Plus les pains sont petits, plus ils seront soumis à une faible durée de vie. Cela s’explique par leur proportion plus importante de croûte (sèche) par rapport à la mie (humide).

En réalité, beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte. Tout d’abord, il convient d’expliquer le pourquoi du phénomène de rassissement. Avec le temps, l’amidon du pain rétrograde, c’est-à-dire reprend sa structure cristalline initiale. Ce phénomène entraine le rassissement du pain soit une dégradation des qualités gustatives du pain dont le durcissement de la mie. Il est accéléré à faible température, vers 4°C, ce qui ne peut que nous inviter à laisser notre pain dans un lieu tempéré, sans pour autant qu’il soit chaud. Egalement, le pain réalisé sur levain aura tendance à mieux se conserver qu’un pain sur levure, du fait de son caractère acide, qui ralentit ce même processus de rétrogradation de l’amidon.
Dans tous les cas, de longues fermentations, des pétrissages délicats, une cuisson bien menée (synonyme de croûte épaisse, et donc de « protection ») et l’utilisation de matières premières de qualité sont gages d’une meilleure conservation.

Au delà de ce simple aspect de « garder », je voulais parler du fait qu’à l’image du bon vin, le bon pain développe des arômes différents au cours de sa « vie ». Souvent plus légers à la sortie du four, après refroidissement (jamais de pain chaud, bien sûr !), plus complexes au bout de quelques heures, voire le lendemain… Les textures se modifient également, sans pour autant devenir désagréables comme on pourrait souvent le craindre. L’humidité qui doit prédominer dans la mie s’échappe peu à peu, rendant le pain moins « collant » comme il peut l’être lorsqu’il est frais. Cela donne ainsi des expériences de dégustation très différentes. J’ai plutôt tendance à apprécier les mies bien humides, mais il est intéressant de voir ce que cela peut donner le lendemain, avec un peu plus de « plancher ».
Le rassissement est généralement plutôt bienvenu pour des tourtes de seigle et des pains de ce genre, très typés. Dans ce cas, les parfums de miel, de fruits secs, se font plus présents.

Attention, dans tous les cas, ne laissons pas vieillir le pain à l’air libre, sinon quoi il risquera de devenir sec comme du bois. D’ailleurs, la météo influe – comme vous l’aurez constaté – sur la bonne conservation ou non du pain. L’humidité n’est jamais la bienvenue si l’on souhaite garder son produit en « bon état ». Le tout est de trouver un équilibre. Un torchon, un linge, une huche à pain, voilà ce qui fera le bonheur de nos mies et croûtes.

Dans tous les cas, si l’on souhaite garder un pain plus longtemps pour des raisons diverses, il demeure possible de le congeler. J’avoue que ce n’est pas une option que j’emploie, car elle me déplait sur le principe : tous les jours, des milliers d’artisans boulangers oeuvrent dans leur fournil pour nous proposer du pain frais… quelle meilleure façon de leur rendre hommage qu’en leur rendant visite ? Bien sûr, ça n’est pas toujours possible, la vie n’est pas aussi simple. Si l’on choisit d’introduire son pain au congélateur, la décongélation prendra ensuite environ une douzaine d’heures, suite à quoi un court passage dans un four humidifié (de l’ordre de 5 minutes, avec un petit récipient rempli d’eau) devrait lui rendre une grande partie de ses qualités organoleptiques.

Dernières options, catastrophe, le pain a été oublié au fond d’un sac, d’une boite, il est sec, ou à l’inverse complètement mou… on le pense impropre à la consommation courante, ce qui n’est pas tout à fait faux. On peut toujours tenter de le toaster légèrement s’il se rapproche de l’état de bouillie, même si cela risque de ne pas avoir grand intérêt.
Viennent alors des solutions gourmandes et/ou pratiques : griller le pain au four pour réaliser des croutons que l’on utilisera dans divers plats ou dans la soupe, l’utiliser pour réaliser du « pain perdu », l’incorporer dans des recettes… De tout temps, l’imagination culinaire a su accommoder les restes, et cela s’applique tout autant dans le cas présent.

Une chose est sûre : le bon pain peut très bien vieillir, et nous ne devons pas avoir l’obsession du pain toujours frais. Certes, le fait est que la culture de la baguette a permis à nos boulangeries artisanales de traverser les âges, mais il ne faut pas pour autant en oublier les « pains de garde », et tout le plaisir que leur vieillissement peut procurer.

Les marchés et moi, c’est une grande histoire d’amour. Du mardi au dimanche, comme un rituel, je commence ma journée par une petite visite dans un des marchés près de chez moi. Comme je me lève tôt, je suis généralement l’un des premiers clients… En même temps que la ville, le marché s’éveille, je le saisis avant qu’il devienne animé, quelques heures plus tard. Premières paroles, premiers sourires, premières pièces de monnaie qui tintent… J’aime ces moments.

A Paris, les quartiers sont parsemés de marchés, avec leurs histoires, leurs couleurs… et leurs commerçants, puisque c’est ce que l’on vient chercher. J’avais déjà eu l’occasion de vous parler du marché des Enfants Rouges à plusieurs reprises, et notamment de Carole, la tenancière de la magnifique Petite Fabrique (de retour depuis le week-end dernier, d’ailleurs, j’en profite pour vous conseiller une nouvelle fois d’y faire un tour !).
Aujourd’hui, c’est Alain, le fameux crêpier-boulanger du marché que je vous présente.

Sur son stand, ce personnage au caractère bien marqué et ne pouvant laisser indifférent propose un large éventail de produits aux gourmands. Commençons par les pains, présentés sur la partie droite du stand. On trouve des baguettes, des pains au levain, des petits pains variés, des pains typés germaniques (mies sombres et serrées) et depuis quelques temps une sélection de pains biologiques. J’avoue ne pas être un grand adepte du pain vendu sur un marché, celui-ci étant soumis pendant de longues heures aux aléas de la météo, même si dans le cas présent le lieu est relativement couvert. Dans tous les cas, on préférera les propositions les plus originales, telles qu’un pain à l’épeautre et aux graines, façonné en rond, comme une brioche. D’autres pains, ainsi que des viennoiseries très honorables sont également proposés, et permettront aux gourmands du dimanche matin de trouver leur bonheur sans trop courir.

Le plus grand intérêt de ce stand, ce sont certainement les fabrications maison, tels que les blinis ou les crêpes. Ces fameuses galettes sont vendues aussi bien nature – pour les blinis – que garnies de multiples ingrédients : salade, oignons, tomates, jambon, boeuf, saumon… Le choix est vaste et il appartient au client de faire le sien pour composer sa galette. Il est possible de composer un ensemble complètement végétarien, qui sera relevé de citron, graines de sésame ou encore de ciboulette. Pâte à blinis ou galette de sarrasin, le choix de la base est là encore laissé au goût de chacun, c’est bien vu. Si l’on est avide de découvertes, on se laissera sans doute tenter par une Socca, une spécialité niçoise peu commune par ici. Réalisée à partir de farine de pois-chiche, il faut la déguster chaude, c’est ainsi que l’on profite au mieux de son caractère moelleux et tendre. Pas besoin de couvert pour tout cela : voici un parfait exemple de la « street-food » défendue par certains chefs, tels que Thierry Marx. A l’inverse de ce dernier, Alain nous la fait partager en toute simplicité, sans concept ou artifice inutile.

Le succès accompagne notre crêpier, puisqu’il faut souvent s’armer de patience pour déguster ses créations. 20 minutes de queue, rien d’étonnant, les habitués vous le confirmeront mais en profiteront également pour vous rappeler que le jeu en vaut la chandelle. En effet, on devient vite accro à ce snacking sain et savoureux, mais cela ne serait rien sans le supplément d’âme apporté par Alain, son bob quasi-légendaire et sa verve. Plus qu’ailleurs, c’est l’homme qui donne toute sa dimension au produit et on vient tout autant pour l’un que pour l’autre.
En parlant d’humain, n’oublions pas de citer ses charmantes vendeuses qui l’accompagnent le week-end et servent les divers pains et viennoiseries avec sourire et douceur. La maison n’est d’ailleurs pas avare de petits cadeaux et attentions pour les fidèles, fait suffisamment rare pour être signalé.

Infos pratiques

Sur le marché des Enfants Rouges, 39 rue de Bretagne – 75003 Paris (métro Filles du Calvaire, ligne 8 ou Oberkampf, ligne 9).
ouvert mercredi, jeudi et vendredi de 9h à 15h, le samedi de 9h à 20h et le dimanche de 8h30 à 14h.

Faut-il y aller ? Bien sûr, autant pour le personnage (et ses charmantes vendeuses) que pour les produits. Les pains ne sont certes pas parfaits, mais quelques unes des spécialités ne sont pas dénuées d’intérêt, comme le pain d’épeautre aux graines ou le pain Germain. Les blinis maison sont tendres et savoureux, comme les galettes préparées à la minute, aux yeux du client. Voilà de la « street-food » saine et accessible.

Les pains spéciaux, j’aime ça autant que je peux finir par les trouver monotones, mais ça je vous l’ai déjà dit. Dans un sens, les boulangers n’ont pas tellement d’autre choix que de proposer des produits qui auront une chance de se vendre, et cela limite d’autant leur créativité. Il est vrai qu’il serait regrettable d’avoir à jeter une grande quantité de pain, tout simplement parce qu’il n’aurait pas trouvé preneur : ce n’est pas comme si l’on pouvait faire un seul pain, ou alors il faut que ce soit un dérivé d’une base déjà utilisée (tradition, campagne, seigle…).

Cela n’empêche pas certains d’oser et de sortir des fruits secs, graines et céréales. Je vous parlais il y a quelques jours de « pains de saison » et une lectrice me citait en commentaire une création de pain à la courgette qui doit être plutôt intéressante. En hiver, ce légume n’est pas de saison et c’est donc avec les produits du potager qu’il faut composer. Allons-y donc pour chercher ce que l’on pourrait bien mettre dans le pain…

Nos amis révolutionnaires et autogérés de la Conquête du Pain ne sont pas avares de surprises et d’idées pour satisfaire nos papilles. A chaque fois que je m’y rends, c’est un peu une aventure. Entre le vendeur qui s’occupe également de sortir les pains du four, les produits sans intitulé dispersés dans la boutique… Je dois dire que cela me fait sourire, et il y a dans cette boulangerie une forme de désordre organisé, un état d’esprit particulier, assez rafraichissant et atypique.

C’est certainement ce qui leur permet de nous proposer des pains tels que celui là, incluant du Potiron et des Graines de courge. Cela n’est pas frappant de prime abord, puisque la couleur de la croûte n’est pas particulièrement affectée, à peine est-elle est peu plus jaune que d’ordinaire. Au nez, rien de bien notable non plus. Par contre, en tranchant ce pain, on découvre immédiatement la couleur jaune poussin de la mie.
On pourrait penser, si l’on n’était pas informés de la présence de potiron, qu’il s’agit d’un pain au maïs. Pas du tout.
Au goût, quelques notes y font tout de même penser. Nos papilles jouent entre cette céréale et de la châtaigne, dans un registre plutôt sucré, c’est un parfum bien particulier et agréable.

Parmi les autres caractères souriants de ce pain, on peut noter le fait qu’il inclut des graines de courge. Ainsi, on a le légume… mais aussi la graine qui en est à l’origine. Il fallait y penser, et nos « boulangers rouges » prouvent encore une fois qu’ils ont de l’esprit. Au delà du caractère amusant de ce fait, les graines craquent sous la dent et libèrent leur saveur un peu sucrée, qui accompagne bien le reste des arômes du pain.
Côté texture, en dehors de ces fameuses graines, peu de craquant puisque la croûte est assez peu présente à la dégustation. La mie s’exprime beaucoup plus, sa texture est assez moelleuse bien qu’un peu sèche. On notera la faible présence d’alvéoles, leur développement étant certainement limité par l’incorporation du potiron dans la pâte. C’est curieux et inhabituel, une vraie… conquête des saveurs.

Voici donc un pain surprenant, assez doux et exprimant des notes sucrées. Il réchauffait nos tables en cette période hivernale et va bientôt laisser sa place à des produits plus printaniers. Pour bien profiter de son goût, il est d’ailleurs préférable de le déguster seul, ou bien seulement accompagné d’un peu de beurre demi-sel. Encore quelques jours pour en profiter !

Pain au Potiron et graines de Courge, La Conquête du Pain – Montreuil (93), pain vendu à la pièce, environ 300g pour 3,7 euros.

Certaines personnes pourraient presque être qualifiées de « machines à concept » tant on les retrouve derrière de nombreuses entreprises développant un esprit particulier, tant elles expriment une hyperactivité et un idéal fort. Je dois dire que j’ai un profond respect pour ces hommes et femmes qui vivent leurs rêves au quotidien et les font vivre à leurs collaborateurs autant qu’à leur clientèle. C’est certainement de cette façon que l’on peut être le plus utile à la société, en créant et en inspirant les autres. Ecrire de belles histoires, vivre et changer le monde.

Cyril Aouizerate est un de ces hommes. Utopiste urbain, philosophe, politicien et businessman à ses heures, on le retrouve notamment impliqué dans le développement de l’hôtel Mama Shelter, de la Flèche d’Or, ou encore d’Urbantech. Cet agitateur a lancé en septembre dernier le concept MOB – acronyme de Maïmonide Of Brooklyn – au travers d’une première implantation en plein coeur du quartier de Brooklyn. Son inspiration pour ce projet est reprise dans le nom : le fameux Maïmonide était un philosophe et médecin juif du Moyen Age qui prônait une alimentation saine. Ce qui n’a pas manqué de donner envie à notre entrepreneur de faire pareil à son tour.

La devanture sur la rue Charlot

Au delà du concept, il a bien fallu trouver des hommes compétents dans le domaine pour réaliser cet idéal. Le choix fut vite fait, c’est un peu « on prend les mêmes et on recommence », puisqu’Alain Senderens a été appelé en cuisine, tout comme chez Mama Shelter. Un siège – le seul du restaurant – lui a été dédié… Tout un symbole. Son sous-chef Stéphane Pitre est également de la partie. Après Brooklyn, c’est en plein coeur du Marais que l’aventure s’est exportée, en lieu et place de Cococook.

Quelques gourmandises dont ces fameux saucissons, accrochés au plafond "comme les vrais"

Tout cela est bien beau, mais passons à table. Ici, on mange des MOB, sorte de tables à repasser garnies de légumes, fruits et autres condiments – car tous les produits proposés à la carte sont végétariens. On trouve aussi des burgers, des frites au manioc, des nuggets aux protéines de soja ou encore des saucissons – véritables barres énergétiques réalisées à partir de figues, dattes, noisettes et amandes suspendus au plafond. Le cadre est à l’image des produits – surprenant, soigné et atypique. Il abrite également quelques gourmandises diverses, en provenance directe de la grosse pomme : chocolats ou sodas Fizzy Lizzy aux parfums de fruits multiples.
Côté dessert, des cheesecakes, inévitablement, mais aussi des donuts ou encore des cupcakes.

La maison exprime bien son esprit au travers de notes souriantes

On profite bien entendu des produits, frais, accessibles, plutôt sains et savoureux, mais aussi du décor : d’ailleurs, c’est la seule distraction, puisque le Wi-Fi n’est pas proposé par l’établissement, volontairement. Question de cohérence, et d’ailleurs on ne s’en plaindra pas : cela représente une opportunité bienvenue de « pause » dans ce monde bruyant et en perpétuel mouvement. On profite ainsi beaucoup mieux de la chaleur de l’accueil et de son repas – même si cela se fait debout, au comptoir.

La BD racontant l'histoire du lieu

La maison n’est pas avare en détails amusants, comme avec cette bande dessinée présentant leurs aventures et racontant de manière légèrement romancée ce qui s’est passé pour en arriver jusque là, dans cet étonnant restaurant. Cyril Aouizerate et toute sa bande parviennent ainsi à nourrir notre corps, mais aussi notre esprit. Cela devrait être le cas plus souvent, car manger ne doit pas se limiter à un acte anodin, automatique. Nos sens doivent être éveillés, surpris, et susciter des émotions, des réflexions. Une adresse atypique, à garder dans un coin de sa tête.

Infos pratiques

30 rue Charlot – 75003 Paris (métro Filles du Calvaire, ligne 8 ou Oberkampf, ligne 9)
ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h.
Les prix ? Compter 7 euros pour une MOB, environ 3-4 euros pour un dessert et 3 euros pour un soda Fizzy Lizzy. En bref, repas complet pour moins de 15 euros.