Nous vivons dans un monde rempli de paradoxes : les distances entre les hommes n’ont jamais été aussi courtes, du fait de la facilité des échanges entretenus au travers des moyens modernes de communication… et pourtant, nous avons sans cesse tendance à nous éloigner. Peut-être est-ce parce que nous ne nous comprenons plus -pourtant, les langues n’ont pas changé-, peut-être est-ce parce que ce que nous attendons du rapport à l’autre est trop important vis à vis de ce que nous sommes prêts à donner… le résultat est là : cet individualisme transforme souvent les organes de transmission en des outils d’exploitation. Combien d’apprentis sont utilisés comme de simples exécutants, mis au service d’une machine qui a perdu toute raison et sens ?
Néanmoins, et c’est en cela que notre époque est aussi formidable que je l’écrivais il y a quelques mois, la connaissance peut désormais se partager rapidement bien au delà de nos frontières, loin, très loin… et créer autant de passions et de vocations qu’on peut l’imaginer.

Au Japon, la boulangerie française est une véritable source de fascination, à la fois pour les consommateurs que pour les femmes et hommes qui aspirent à mettre la main à la pâte. Ils subliment le savoir-faire traditionnel par le soin porté à la réalisation des produits, même s’il manque parfois une étincelle créative qui empêche une simple reproduction.
Depuis décembre 2017 à Angers, c’est une véritable fusion franco-nippone qui opère au sein de la boulangerie Atelier Létanduère. Créée sous l’impulsion de Kaori Onishi, cette boutique atypique signe pour la boulangère l’accomplissement d’un parcours aussi brillant que surprenant. Rien ne la prédestinait en effet à s’orienter vers ce métier : ses parents possédaient un aquarium, ce qui l’orienta naturellement vers des études d’océanographie. Ce n’est que plus tard, et un peu par hasard, qu’elle découvrit son amour du pain et de l’artisanat. Son apprentissage débute en France dès 1999, suivi par plusieurs années en tant que salariée au sein de fournils japonais. Alexandre Viron lui fait confiance en 2013 et elle rejoint les équipes de la Boulangerie du Faubourg à Chartres, détenue par le meunier. Au fil des curieuses acquisitions de ce dernier, il lui confie la direction de la boulangerie Au Pétrin d’Antan, située rue Ordener dans le 18è arrondissement parisien. L’aventure sera de courte durée et elle finira par voguer vers de nouveaux horizons.

Le quartier angevin entourant la rue Létanduère ne comptait plus de boulangerie artisanale depuis 25 ans, alors que ce dernier jouit d’une localisation intéressante : proche de la gare d’Angers Saint-Laud et bordé par le tramway, il concentre habitations et activité commerçante, avec notamment le sympathique marché La Fayette les mardis et samedis. Angers n’a pas été choisie au hasard : la ville est en effet le fief du Meilleur Ouvrier de France boulanger Richard Ruan, qui a beaucoup inspiré Kaori Onishi par son approche du métier : en 2008, il a fait le choix de s’installer après plusieurs années passées en tant que formateur et démonstateur afin de proposer une « vraie » boulangerie artisanale à sa clientèle : fournil et espace de vente se confondent avec élégance dans sa « Boulangerie des Carmes », avec une offre resserrée autour du pain et des gâteaux de voyage, tout comme dans celle de la rue Corneille (ouverte en 2015).

Voici de belles pâtisseries boulangères et viennoiseries, de saison : tartes briochées aux fruits, bostock, …

On retrouve ces caractéristiques au sein de l’Atelier Létanduère, avec un métissage japonais notable : pains moelleux et gourmands sont à l’honneur, un savoir-faire directement importé du pays du soleil levant. Pain de mie ultra-moelleux, melon pan matcha, citron ou nature, petits pains au lait, pain au curry japonais ou au poulet teriyaki, … mais aussi et surtout des produits issus de la tradition boulangère française : ce mélange est résumé par une phrase imprimé sur la sacherie : Boulangerie de tradition française avec une touche de goût japonais. Une société japonaise a d’ailleurs apporté des fonds pour permettre le lancement du projet.

Le fournil est directement visible derrière les produits. Kaori et Mika y oeuvrent dans un calme très japonais.

Au laboratoire, Kaori et Mika s’activent avec calme et concentration. Cette dernière met son talent pâtissier au service de l’affaire, tandis que son mari gère les formalités administratives en plus d’assurer la vente à temps partiel. La qualité des produits fabriqués ici est remarquable, et cela sur plusieurs aspects. Le premier est visuel, car on note un soin particulier dans le façonnage, ce qui attire l’oeil et facilite nécessairement la vente. Le second tient à la démarche d’approvisionnement des matières premières : Kaori Onishi tenait à transformer des produits locaux, les plus naturels possibles. Autant d’adjectifs qui correspondent bien aux farines de la minoterie Perdriau et du Moulin de Sarré, deux entreprises à taille humaine, mais aussi au lait cru de la ferme Clé des Champs à Andard. Pour le reste, les fruits et légumes employés en sucré et en salé varient au gré des saisons, et les tartes briochées aux pêches ou abricots céderont prochainement leur place à d’autres créations.

Les viennoiseries, au dosage de beurre très équilibré, et les deux baguettes : la « baguette » (une Tradition classique) et la Létanduère, réalisée en méthode Respectus Panis (créée à partir des travaux de Christian Rémésy)

Le dernier aspect est bien sûr gustatif, car ce niveau d’engagement combiné au riche savoir-faire des deux professionnelles aboutit à des gourmandises savoureuses. L’exemple le plus marquant est sans doute celui de la baguette Létanduère, réalisée à partir de la méthode Respectus Panis : une farine pure, très peu de levure, moins de sel, un pétrissage court et lent, associé à une longue fermentation (minimum 18h) à température « ambiante » (environ 18°C) et contrôlée. Peu de boulangers ont adopté cette méthode, qui nécessite rigueur et maîtrise… deux éléments que possède Kaori, pour obtenir une baguette extrêmement digeste et parfumée, sans goût de sel, le tout pour seulement 1€ les 220g. Les autres pains ne déméritent pas, à l’image de la boule au levain ou du bâtard « Rustique ».

Le coin salé avec une offre de pains gourmands, quiches et sandwiches au déjeuner.

L’absence de vitrine froide, la présentation simple et linéaire des produits sont en parfaite cohérence avec l’esprit « atelier » annoncé en devanture. Ces choix sont à la fois gages de fraicheur pour la consommateur -peu de produits, meilleure rotation, fabrication artisanale sur place- et l’assurance d’une meilleure rentabilité de l’affaire -moins de personnel et de matériel nécessaires-. Pour autant, cela n’empêche pas l’offre d’être gourmande et bien dans son époque. En-cas salés cuits au four, courte offre de sandwiches, viennoiseries briochées ou feuilletées, rien ne manque… à des prix très raisonnables. Chaque mois, des créations éphémères sont proposées, suivant les événements du calendrier ou les traditions boulangères. Ainsi, l’incontournable pâté aux prunes a rejoint la vitrine pour quelques semaines.

Scones au thé vert, melon pan (brioche recouverte d’une pâte à cookie, ce qui créé un contraste croustillant / moelleux redoutable), brioches… l’étal est particulièrement gourmand.

La création et l’émulation s’entretient aussi au sein de l’ABJF – Association de Boulangers Japonais en France – créée par Kaori Onishi. Elle réunit à la fois des professionnels japonais et des artisans français, qui échangent au cours de séminaires productifs. Gérard Meunier (compagnon du devoir et parmi les premiers à avoir utilisé une farine « de tradition » par le biais de la minoterie Viron), Richard Ruan ou encore Hubert Chiron (président de l’AIPF et responsable du fournil expérimental de l’INRA de Nantes) ont également contribué à ces réunions, participant ainsi à la nécessaire transmission du savoir-faire.
Cela dénote d’un état d’esprit généreux et porté vers l’autre chez cette boulangère déjà cinquantenaire, qui pense ainsi aux générations suivantes.

En à peine 9 mois d’activité, l’Atelier Létanduère a déjà imprimé sa marque dans le quartier : nombreux sont les clients à faire leurs achats ici les jours de marché, malgré une large offre boulangère parmi les étals. L’information proposée par l’équipe (description des créations apposée dans des affichettes) et la relation de proximité, encouragée par l’absence de séparation boutique/fournil, créée au fil du temps ne sont pas étrangers à ce succès. Il faut dire que l’on a tous envie d’un peu de découverte, de dépaysement… et pour cela, quoi de mieux que de croquer dans un bout de Japon à quelques pas de chez soi ?

Infos pratiques

15 rue de Létanduère – 49000 Angers / tél : 09 73 64 64 55
ouvert du mardi au samedi de 7h30 à 19h.

Une réflexion au sujet de « Atelier Létanduère, Angers (49), savante fusion franco-nippone »

  1. Bonjour,
    Je suis très intéressée par vos prestations dont je rêve de réaliser aussi depuis.
    Je voudrais faire partie de la grande famille des boulangers

Répondre à ARIBO Yvonne Annuler la réponse

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